Cannelle (1/5)

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I

Joanna tripote l’ourlet de la manche de son gilet. Sous la lumière crue des néons de la cafétéria de l’hôtel, le tissu apparaît en un vert très pâlot, qui couvre complètement ses bras.

Assise devant elle, sur la droite, l’inspectrice Samia Berroui observe son manège, l’air de s’emmerder gravement. Son menton repose dans le creux entre son pouce et son index, sa blouse à manches courtes s’ouvre sur un débardeur immaculé, respirant.

— Depuis quand séjournez-vous au Logis du Clérain, madame Ploignel ? l’interroge le deuxième flic.

L’inspecteur Dorian Crelès semble plus consciencieux, dans son costume étouffant. Il a au moins fait tomber la veste dans ces températures caniculaires. La bête pend sur le dossier de sa chaise.

Même si, avec son gilet à manches longues, Joanna est mal placée pour juger des habitudes vestimentaires d’autrui.

— Ça va faire deux mois, si je compte bien, répond-elle, tout sourire. Pourquoi ?

Le flic lui sourit aussi, et elle pense hypocrite. Il prend des notes dans un petit calepin, qu’il s’empresse de noircir de sa réponse.

— Pour la procédure, balaye-t-il. Que faites-vous dans le coin ?

Devant l’air interrogateur qu’elle lui renvoie, il détaille :

Travail, vacances…

— Qui voudrait passer des vacances ici ? ricane-t-elle.

— Qui voudrait passer deux mois entiers ici ? réplique l’inspectrice Berroui, qui ouvre la bouche pour la première fois.

Joanna hausse les épaules, lorgnant la flic avec malice.

— Disons que j’ai voulu m’installer dans la région, et que l’installation s’avère plus compliquée que prévue, finit-elle par dire dans un soupir.

— Pourquoi ça ? demande Dorian.

— Pardonnez ma question, je ne voudrais pas paraître grossière mais… en quoi est-ce que ça concerne la police ?

Deux bouilles mi-intriguées, mi-amusées lui répondent avant que Crelès n’enchaîne :

— Vous êtes sortie la nuit dernière ?

— Quand, exactement ?

Le flic lève les yeux vers le plafond, accompagne le geste d’une moue incertaine, semblant réfléchir.

— Mettons à partir de vingt heures hier soir ? propose-t-il.

— Vous n’êtes pas sûr ? se moque Joanna.

— Vous êtes sortie ? la rembarre Samia.

Le sourire large, Joanna inspire profondément, avant de secouer la tête.

— Non. J’étais pas d’humeur, je me suis couchée tôt. Quoique… je suis sortie m’aérer un peu vers dix-neuf heures. Mais c’était avant vingt heures, donc ça ne vous intéresse pas…

Elle faillit s’étouffer de rire devant les tronches diplomates de ses interlocuteurs. Ils vont me prendre pour un clown bien relou.

— Dites toujours, l’invite Crelès.

Dire quoi ? Il faisait chaud, il n’y avait pas un chat.

— Personne ? insiste Berroui.

Joanna hoche la tête.

— Et vous n’avez rien entendu, après ça ? rebondit Crelès. Pas de bagarre, de cris…

Là, Joanna fronce ardemment ses sourcils.

— Non, rien de tout ça. Pourquoi ? Il s’est passé quelque chose ?

Échange de regard entre les deux policiers.

— Vous êtes certaine de n’avoir rien entendu la nuit dernière ? s’assure Berroui.

— Je vous l’ai déjà dit : je me suis couchée tôt. Et j’ai le sommeil lourd.

Berroui opine doucement, tandis que Crelès s’empare de son téléphone, avant de le tendre à Joanna. Dessus, la photo d’une carte d’identité, zoomée jusqu’à faire bouffer l’écran à la tronche de la propriétaire.

— Est-ce que vous reconnaissez cette femme ? lui demande le flic.

Joanna se penche, étudie la photo, avant de répondre par la négative.

Crelès récupère son téléphone, glisse le doigt dessus, puis lui tend de nouveau l’engin. Cette fois-ci, un homme apparaît à l’écran.

— Et lui ?

Là, Joanna hoche la tête. Ce type, elle l’a bien vu. Il ressemble étrangement à Kyle, d’ailleurs. En plus maigre et plus abîmé.

— Lui, oui, affirme-t-elle avec aplomb. Il séjourne à l’hôtel, sa chambre est pas très loin de la mienne. Il est là depuis une petite semaine, il me semble.

— Vous lui avez déjà parlé ? demande Crelès.

Joanna secoue la tête, bien plus sérieuse qu’au début de leur entretien.

— Je crois que c’est un camé, lance-t-elle ensuite.

Les flics répriment assez brillamment leur surprise.

— Qu’est-ce qui vous fait dire ça ? reprend Crelès.

— Mon tout premier appart.

Au silence persistant de Crelès, Joanna retrouve un peu de son sourire, avant de continuer :

— L’immeuble était idéalement situé par rapport à ma station de métro. Mais pour le reste, disons que la faune locale était… un poil délinquante.

— Vous habitiez où ? la coupe Berroui.

— En région parisienne. Pour vous la faire courte, je sais reconnaître un dealer quand j’en vois un.

— Et alors ? s’impatiente Berroui.

— Et alors ? répète Joanna. Alors y a une voiture – un modèle de Mercedes qui envoie du pâté – qui passait souvent depuis que ce type était arrivé. Et y avait échange. Des trucs qui passaient d’une main à l’autre. Ensuite, on le revoyait pas de la soirée. Et, quand il daignait réapparaître, c’était toujours avec les yeux injectés de sang et un petit tremblement dans les mains.

Elle hausse les sourcils, histoire de bien appuyer ses hypothèses. Impassibles, les flics restent silencieux un instant, puis la fille tapote le bras du mec pour attirer son attention et, toujours muette, elle frotte son pouce contre son index. Si Joanna ne se trompe pas, le geste signifie oseille. Ou fric, flouze, pèze. Quelque chose comme ça.

Crelès semble tomber d’accord avec sa collègue puis, élargissant de nouveau un sourire parfait, il remercie Joanna pour son temps, et l’invite à reprendre le cours de sa journée. Pensive, elle tripote l’ourlet à son poignet, lorgne les inspecteurs en plissant les yeux, puis les salue en se relevant.

Dehors, la chaleur l’étouffe.

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