Le départ 3 : La fuite

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 Max assista à l'attaque des drones de combat contre la barge avec une appréhension qui se mua rapidement en inquiétude quand une fumée noire s'échappa des sustentateurs et que l'engin entama sa lente descente vers les bois.

 Il n'eut pas le loisir de se tracasser davantage du sort réservé à Matéo car des flyboarders se précipitaient dans sa direction. Gibraltar et lui eurent le même réflexe : tirer sur les silhouettes qui se détachaient sur les lueurs de l'aurore. Elles évitèrent sans difficulté les jets magnétiques, étant suffisamment éloignées des tireurs pour les voir venir.

 À l'approche de leurs adversaires, ils décidèrent de se séparer afin de ne pas constituer des cibles trop faciles. Les flyboarders se divisèrent aussitôt en deux groupes. Gibraltar bougeait sans arrêt et, de temps en temps, se retournait pour décocher quelques boules d'énergie sur ses poursuivants. Le jet électromagnétique cala les propulseurs d'un soldat qui, dans un cri, chuta en virevoltant jusqu'aux faîtes des arbres.

 Les deux gardes, témoins impuissants du sort de leur compagnon, redoublèrent de prudence. Gibraltar profita de ce moment d'inattention pour se lancer à l'aide de Max qui se trouvait en mauvaise posture. Comme il s'approchait du vieil homme, il tira sur les deux soldats qui lui tournaient le dos. Max, encouragé, pivota pour faire face à l'ennemi tout en se déplaçant à reculons, visa les sustentateurs et le troisième flyboarder chuta à son tour.

 Gibraltar se tint face au vieil homme, tournant le dos aux deux derniers adversaires qui approchaient.

— Tu me dis s'ils me tirent dessus. Dès que je bouge, tu les arroses.

Une centaine de mètres sous leurs pieds, des tirs nourris encerclaient les insurgés. Après avoir pris la direction des opérations, Slau ordonna de faire tirer les canons à volonté. Il envisageait l'extermination de tous les opposants.

La voix de Max le ramena à la réalité.

— Attention ! Ils arrivent sur toi.

 Gibraltar fit un large salto arrière, s'élevant tête à l'envers bien au-dessus de ses deux attaquants pour se retrouver dans leur dos tout en déversant sur eux des rafales d'énergie qui, cumulées au mitraillage de Max, eurent raison de leurs adversaires.

 Les deux compagnons ne demandèrent pas leur reste et volèrent vers les bois, en direction du nord. Max avait conscience que son jeune ami avait effectué tout le travail. Il était difficile pour lui de combattre dans les airs, car il ne maîtrisait pas très bien le pilotage des flyboards. Par ailleurs, il ne s'habituait pas à la troisième dimension et, contrairement à Gibraltar, éprouvait le besoin d'avoir la tête en haut et les pieds vers le sol. Pour cette même raison il était à la traîne, mais ne voulait en aucun cas demander à son partenaire de l'attendre.

 Gibraltar jeta un œil à l'arrière et s'aperçut que Max ne le suivait plus. Il fit demi tour et le vit au loin, silhouette fragile poursuivi par un drone habité. Soudain, un éclair jaillit et percuta l'ancien garde de ses parents. Son vieux compère entama une descente hiératique. Le garçon fila dans sa direction et à l'instant où le vieil homme allait perdre connaissance le rejoignit et réussit tant bien que mal à le poser en douceur. Il le cacha dans une anfractuosité d'un rocher dissimulée grossièrement par les racines et la végétation.

 Le pilote du drone repéra Max et descendit son engin au niveau du blessé. Croyant posséder la maîtrise totale de la situation, il prenait son temps.

 Toute l'attention du pilote focalisée sur le blessé, Gibraltar en profita pour passer à l'attaque. Il s'éleva au-dessus du drone, les réacteurs tournés vers le cockpit. La chaleur fit fondre le hublot ovoïde. Dans sa rage de protéger celui qui, jadis, lui avait sauvé la vie, il tira sur le cockpit jusqu'à ce que l'engin s'écrase sur des rochers dans un bruit de métal broyé, au milieu d'une gerbe de feu.

Soulagé, le jeune homme débarrassa Max du flyboard, le porta sur ses épaules et s'envola tant bien que mal à la recherche d'un abri. Il trouva l'entrée d'un bâtiment recouvert de terre et de feuilles mortes et y déposa le corps inerte du vieil homme. Il respirait encore mais le tir du drone lui avait profondément brûlé la poitrine. Il avait dû se retourner pour faire face à son advesaire quand il reçut le coup.

Bande de sauvages ! maugréa Gibralta. S'attaquer à un vieil homme...! Et avec des armes lourdes !

Il jeta un regard aux alentours afin de trouver un moyen de transporter aisément son ami vers le lieu de rendez-vous.

 Dès que l'embarcation eut atteint le sol, Matéo se dirigea vers Baby qui, heureusement, n'était pas blessé.

— Ça va ?

 L'enfant acquiesça.

— Ecoute ! le rassura le jeune homme. Ils ont tiré sur la barge et elle est tombée. On va utiliser le flyboard et on va s'envoler dans les bois. Tu ne t'inquiètes pas, d'accord ?

 Il l'installa dans l'assise aménagée sur le véhicule volant, le sangla, puis se chaussa.

— Attention, on va décoller !

 Presqu'au même moment, Mahoré et son équipe survolèrent le site d'atterrissage de la barge. Ses hommes la virent, incrédules, se dématérialiser. Ils hésitèrent à continuer la poursuite.

— Commandant ! s'écria l'un d'eux. Quel est ce prodige ? Seul le Messager ...

— Ne vous laissez pas impressionner par ces tours de passe-passe. Ce n'est qu'un homme comme vous et moi. Cessez de pleurnicher et poursuivez votre mission ! Soldats, suivez-moi !

 Après un rapide essai des commandes, le pilotage ne lui sembla pas plus difficile que celui d'une gyroroue. Peu à peu, l'engin prit de la vitesse. Matéo éprouvait du plaisir à vérifier sa maniabilité en slalomant entre les troncs, en accélérant ou freinant brusquement. Après une dizaine de minutes de test, il comprit les réactions de l'engin aux sollicitations de son corps, puis prit la direction de l'ouest vers l'Étang Salé comme convenu.

 Les réacteurs secouaient les branches et fouettaient les fougères et arbustes du sous-bois sur son passage. Les oiseaux, affolés par ces bruits insolites, s'envolaient en piaillant à son approche. Mahoré Elyas aperçut les envols des volatiles au-dessus des arbres. Il ne tarda pas à repérer les fugitifs.

 Baby perçut les vibrations de l'air et leva la tête pour mieux discerner l'emplacement des engins au-dessus de lui. Matéo comprit immédiatement le message et accéléra. Sur un signe de Mahoré, deux soldats plongèrent dans le bois. L'obscurité relative favorisait les fuyards, mais le soleil perçait déjà la canopée.

 Les poursuivants commençaient à le darder de jets d'énergie qui explosaient en gerbes d'étincelles sur les troncs ou pulvérisaient les fûts des jeunes arbres. Matéo accéléra encore tout en slalomant entre les obstacles, passant parfois au-dessus, parfois sous les troncs morts ou déracinés par les tempêtes d'hiver. Il espérait, par ces manœuvres, que ces poursuivants, concentrés sur leurs tirs, seraient moins attentifs à leur environnement et se fracasseraient sur un rocher ou une branche.

 Le calcul fut bon : il se débarrassa de cette façon d'un des flyboarders. Cela calma les ardeurs du second qui, par réflexe, ralentit. Matéo prit de l'avance mais décida de l’attendre derrière un buisson. Son poursuivant s’en aperçut, effectua un large détour avant de déverser une mitraille de plasma et pulvérisa le bosquet où son adversaire était censé se cacher. Il s’en approcha pour vérifier et s’écroula sous un tir précis au-dessus de sa tête.

— On en a éliminé deux, s'écria Matéo. Ça va Baby ? Tu tiens le coup ?

 L'enfant leva un pouce. Son compagnon était heureux de le voir s'exprimer ainsi alors que, jusqu'à ce jour, il n'avait guère communiqué avec son entourage. Quel traumatisme il avait dû subir pour l'amener à s'enfermer dans son monde de solitude, loin des souvenirs douloureux qui le hantaient. Ces premiers résultats étaient encourageants et revigoraient le jeune homme.

 Le troisième soldat le repéra rapidement, prit de la vitesse, descendit dans le sous-bois, puis plongea littéralement sur Matéo pour s'agripper à lui. Tous deux tourbillonnèrent dans les airs à la façon des pales d'un hélicoptère. Après avoir réussi à se redresser à la position verticale, le garde commença à frapper son adversaire. Matéo, plus jeune et moins vigoureux, ne faisait pas le poids face à un homme mûr et aguerri. Il lui renvoyait comme il pouvait les coups sans réussir à prendre le dessus. Le poids supplémentaire de Baby ne lui facilitait pas les mouvements.

 Il sortit son pistolet mais l'autre lui saisit vigoureusement le poignet et réussit à lui arracher l'arme des mains.

— Rends-toi ! le somma-t-il.

 Matéo s'exécuta.

— Maintenant, descends et éteins tes propulseurs.

 Dès que les deux combattants se posèrent, Mahoré apparut.

— Bravo soldat !

 Elyas mit son arme sur la position létale et la pointa sur Matéo.

 Gibraltar avait réussi à assembler des branchages pour confectionner un brancard sur lequel il sangla le blessé avec des lianes. Il y fixa son flyboard et pilota tant bien que mal. L'ensemble étant trop volumineux pour un déplacement aisé dans un sous-bois, il préféra s'élever au-dessus des arbres, puis prit la direction de l'Étang Salé. De loin, un éventuel observateur aurait l'impression de le voir surfer sur un océan de verdure.

 Il surveillait l'état de Max. Celui-ci commençait à émerger et gémissait sous la douleur. Il n'avait rien pour le soigner ou atténuer ses souffrances et avait hâte de retrouver Matéo qui trouverait bien un moyen de le soulager avec les pouvoirs de Esprit. Il accéléra, se demandant si son compagnon avait réussi à s'en sortir.

 Son compagnon, à cet instant, fixait avec horreur le pistolet pointé sur lui. Mahoré appuya lentement sur la détente, mais au moment où le coup allait partir, il dirigea l'arme sur le soldat qui se tenait à l'écart. Le malheureux ne vit pas venir le coup et s'écroula comme un pantin désarticulé. Matéo frémit au bruit de la décharge. Il avait cru sa dernière heure venue. Cependant, il ne s'inquiétait pas pour son propre sort mais pour celui du petit garçon apeuré blotti contre sa jambe et la serrant de toutes ses forces.

 Le commandant s'était servi de son subordonné pour arrêter sans risque Matéo. Il voulait pour lui seul toute la gloire qui en découlerait et espérait de cette manière monter dans les bonnes grâces du Messager.

— Déchausse-toi ! ordonna-t-il.

 Matéo désangla Baby et le poussa derrière lui dans un geste vain de protection. Le garçon, ayant reconnu la voix de son tortionnaire, se raidit. Il s'accrocha avec l'horreur du désespoir à la taille du jeune homme.

— Ce que je veux, c'est le gosse. - Baby resserra son étreinte - En ce qui te concerne, le Messager te veut vivant. Je ne sais pas pourquoi il tient autant à quelqu'un d'aussi insignifiant et méprisable que toi. Si tu ne coopères pas, je tuerai le petit morpion auquel tu sembles tellement attaché. Tu as...

 Mahoré ne put finir sa phrase. Il se raidit subitement comme pétrifié. Cependant ce n'était pas le soldat paralysé que Matéo fixait de ses yeux écarquillés mais l'être qui se trouvait derrière. Son corps avait la transparence du cristal et son aspect était celui de l'ignition bleutée d'une étoile. Une énergie fabuleuse se dégageait de sa personne et formait dans son dos ce qui ressemblait à l'apparence d'immenses ailes déployées.

 À son grand étonnement, Matéo ne ressentait aucune crainte mais une plénitude et un bien-être extraordinaire. Il éprouvait de la joie comme s'il revoyait un ami après une longue absence. Le messager lui sourit, puis fixa son attention sur Mahoré, toujours immobilisé mais conscient. Le corps de l'officier s'éloigna de quelques mètres, puis pivota pour faire face à l'apparition.

— Mahoré Elyas, comment oses-tu pointer ton arme sur le protégé de mon maître ?

 L'être de lumière brandit une épée flamboyante, une épée de feu. Il se préparait à frapper le soldat suspendu à un mètre du sol.

— Non ! s'écria Matéo. S'il te plaît, ne lui fais pas de mal ! Il ne peut plus me nuire à présent.

— À vos ordres Monseigneur !

— S'il te plaît, ramène le au camp sain et sauf. Il y a eu assez de morts aujourd'hui.

 Le messager s'approcha de Mahoré, l'enveloppa de ses ailes et tous deux s'évaporèrent, ne laissant qu'une énergie résiduelle ressemblant à de l'électricité statique bleue qui se dissipa rapidement.

 Sur les bords de l'Étang Salé, Gibraltar se pencha sur le vieil homme à l'agonie. Il l'avait installé sur le sable, sous les branches d'une aubépine dont l'étalement s'étendait à l'horizontale loin du tronc et donnait beaucoup d'ombre. La respiration du blessé devenait difficile. Il hoquetait et toussait en recrachant du sang. Le jeune homme enjamba l'espèce de brancard qu'il avait confectionné pour le transporter et guetta l'orée du bois environ deux cents mètres plus loin, derrière l'étendue de sable. Nerveux, il faisait les cent pas, levant de temps en temps la tête pour surveiller les alentours. Quand il aperçut la silhouette de Matéo dans les airs, il se manifesta par de grands mouvements de bras. Son ami atterrit au milieu des oyats.

— Dépêche ! lui cria Gibraltar, le bras levé pour se protéger du sable soulevé par le souffle des réacteurs. Il est blessé.

Matéo se déchaussa prestement, libéra Baby de ses sangles et tous trois se dirigèrent vers Max, Gibraltar en tête.

 Les deux garçons s'agenouillèrent au chevet du moribond qui revint peu à peu à la conscience. Matéo sortit Esprit de sa poche et passa sa main qu'un halo bleuâtre enveloppa. Après un court instant, Max se détendit. Ses yeux révulsés par la douleur reprirent leur aspect bienveillant qu'il lui avait toujours connu.

— Merci mes enfants ! réussit-il à articuler. Matéo, je sais que tu veux savoir qui est ton père. Je regrette de ne pouvoir te le dire. Trouve le visionnaire de Paname ! Il pourra t'aider à le retrouver.

 Le mourant tenta de réprimer en vain une quinte de toux. Sa respiration devenait sifflante. Il savait que son temps était compté. Ses paroles étaient hachées par une respiration difficile.

— Tu penses que ton père t'a abandonné et au fond de toi, tu lui en veux. Mon enfant, aie foi dans l'amour qu'il te porte.

 Max fixa avec intensité Matéo. Il se souvenait de cette nuit mémorable où il était venu le chercher sur l'ordre d'un messager. Il l'avait élevé du mieux qu'un vieil homme pouvait. Il l'avait protégé et consacré sa vie à son bien-être, à le préparer au rôle qui lui était réservé, non pas seulement parce qu'un soir un être de lumière le lui avait ordonné, mais parce qu'il s'était attaché à cet enfant dont n'importe quel père serait fier. Il voyait à présent dans son regard juvénile tout l'amour et le respect filial que le garçon lui renvoyait. Il leva la main pour lui caresser la joue. Matéo lui répondit par un maigre sourire et c'était ce sourire et ce visage duquel il refusait de détourner le regard qu'il emporta dans la mort comme une bénédiction ultime, la récompense de toute une vie.

 Un spasme violent secoua le moribond. Max rendit son dernier souffle. Son corps s'affaissa.

 Matéo fut pris de soubresauts. Il ne chercha pas à les cacher, tout à sa douleur. Les larmes mirent du temps avant d'inonder son visage.

— Ah ! Mon père, mon père ! s'écria-t-il.

 Par ce cri, il voulait lui manifester un grand respect ainsi qu'une affection profonde, une oraison funèbre en quelque sorte pour sublimer une vie qui a changé la sienne.

 Il se recroquevilla sur le corps sans vie et y déversa tout son chagrin.

 Gibraltar ressentait aussi beaucoup de peine, mais restait stoïque, n'ayant jamais appris à extérioriser ses sentiments. Averti par Baby qui avait entendu une troupe s'approcher et qui pointait un doigt vers le bois, il rampa au milieu des oyats et vit un groupe en uniforme s'approcher prudemment. Il retourna à l'ombre de l'aubépine.

— Des soldats arrivent, murmura-t-il à son ami en le tirant par le bras. Il faut partir.

Le retour à la réalité fut brutal pour Matéo. Le temps de pleurer la disparition d'un compagnon n'était pas venu. Pas encore !

— Tu le pleureras plus tard. Il a donné sa vie pour nous sauver. Faut pas gâcher ça en se laissant bêtement prendre. Viens ! Dépêche !

Matéo se laissa mollement tirer par le bras, puis se ressaisit.

— On ne l'abandonne pas ici, décida-t-il enfin, déterminé.

— Alors ! On fait quoi ? ON FAIT QUOI ? s'impatienta Gibraltar, inquiet de l'approche des soldats.

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