Baby 1 : Dernière chance

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 Sa blessure à la cuisse ne le faisait plus boiter, néanmoins le souvenir demeurait. Habitué aux filles faciles, Mahoré ne comprenait pas l'attitude de Marie Rose. Puis il trouva une explication pour le moins égocentrique. La jeune femme avait de la classe, pas comme les filles de joie qu'il fréquentait. Sans doute, son éducation lui inculquait une pudeur pour tout ce qui concernait le sexe. C'était une réaction normale dans son milieu social. Mais cela ne voulait pas dire qu'elle le rejetait ou ne voulait pas. De son point de vue, plus elle se refusait, plus elle montrait son désir pour lui. Il suffisait d'insister avec détermination pour obtenir enfin son consentement.

Ah, les femmes ! Comme elles étaient compliquées ! Pas comme les hommes : un oui signifiait oui. Il se trouvait fin psychologue, qualité qu'il se découvrait.

 Le capitaine venait d'être nommé Directeur général de la fabrique Ouest qui venait de s'ouvrir. Son efficacité lors de l'arrestation des mutins du jour de l'anniversaire du Duc lui avait ouvert les portes d'une promotion. Son service commençait la semaine suivante. Son emménagement dans une vaste demeure prévue pour une petite famille se terminait. Il perdrait toute crédibilité s'il y habitait seul. Une compagne raffinée comme Marie Rose lui apporterait une aura qu'il n'aurait jamais. Sa recherche d'honorabilité devint plus urgente que jamais. Il lui restait à porter l'estocade et l'amener triomphant dans son palais. Il sourit à cette évocation.

 Mais si elle persistait à renoncer à tous les bienfaits qu'il présentait avec générosité à ses pieds, elle serait la plus ingrate des créatures, indigne de partager sa vie. Cependant, Mahoré ne concevait pas un refus de sa part, se persuadant jour après jour que, nonobstant ses réticences pudibondes, elle finirait par céder, tout à la joie de l'avenir radieux qu'il lui offrait à ses côtés.

 Ce fut avec cette certitude qu'il lui rendit visite, persuadé que, reconnaissante, elle repartirait avec lui. Son refus poli mais ferme le prit au dépourvu. Une déception mêlée à de l'impatience transforma l'amour en ressentiment. Puisqu'elle prenait un malin plaisir à l'humilier, il l'humilierait aussi avant de la rejeter avec mépris et l'abandonner à son triste sort.

— Très bien, vous ne me verrez plus, lança-t-il. Accompagnez-moi à la porte s'il vous plaît !

 Son visage exprimait ce qui semblait à Marie Rose de la tristesse et de la résignation. Elle éprouvait même une certaine pitié pour lui. Comme elle le devançait vers la sortie, il la ceintura et déposa un baiser dans son cou. Ses mains courraient avec insistance sur sa poitrine. Elle lui donna un coup de pied dans le tibia ainsi que sur les orteils. Il la lâcha mais la poursuivit jusqu'à son coin atelier. Le soldat la prit à la gorge et déchira sa chemise en voulant la dévêtir. La jeune femme se débattait avec énergie, agrippa un panier et le frappa jusqu'à ce qu'il la lâche. Elle se précipita dans la cuisine, saisit un couteau en lui intimant de partir.

 Le capitaine saisit son bras, le tordit jusqu'à ce qu'elle laisse tomber l'arme. Il la plaqua sur le plan de travail et enfonça la main sous sa robe. Elle se débattit, le frappa de toutes ses forces et finit par lui arracher les cheveux. Sous la douleur, Mahoré lâcha l'entre-jambe et lui asséna en retour une claque sonore. Comme il la coinçait toujours contre le meuble de cuisine avec ses hanches, elle lui griffa le visage.

— Sale petite..., proféra-t-il.

 Il se mit à la frapper avec ses poings. Elle se protégea de son mieux. Les coups pleuvaient malgré ses cris. D'un revers de la main, il la projeta à terre, la releva par le col puis arracha sa chemise.

— Laisse ma mère tranquille, le somma Baby de toute la force de sa voix.

 L'enfant du haut de ses onze ans banda son lance-pierre. Le projectile lui arracha un morceau d'oreille. Fou de douleur, l'homme tel Goliath contre David se retourna, bien décidé à donner une correction à l'enfant. Pour protéger son garçon, Marie rose saisit un pot à eau et le brisa sur sa tête. Elyas s'écroula.

 Elle prit la main de son fils et voulut fuir mais en ouvrant la porte, les gardes l'arrêtèrent pendant que deux autres aidaient leur capitaine à se relever. Il saignait en deux endroits, en particulier le cuir chevelu. Il essuya d'un revers de manche le filet de sang sur la joue et tâta le dessus de son crâne poisseux. Sa main était rouge. Il jeta un regard sombre en direction de Marie Rose et de Baby.

— Amenez-les au camp Ouest, ordonna-t-il.

 Un soldat attacha les mains de Marie Rose tandis qu'un second maintint fermement Baby.

 En sortant, ce dernier mordit à pleines dents la main qui le tenait et réussit à s'enfuir à travers les dédales des rues. Le capitaine, blessé, pressé de rejoindre ses pénates afin de se soigner, ordonna de le laisser.

— Après notre départ, brûlez tout.

 Baby se postait tout près. Il ne parvenait pas à détacher le regard des flammes qui s'échappaient de sa maison. Il s'en approcha peu à peu comme hynotisé par l'incendie. Toute sa vie partait en fumée, tous ses souvenirs, les moments d'intimité avec sa mère. Il s'assit contre une maison, recroquevillé, la tête posée sur les genoux, les yeux levés vers la maison en torchis d'où s'échappait encore quelques fumerolles. Il ne possédait plus que ses deux frondes et les vêtements qu'ils portaient.

 Une main se posa sur son épaule sans qu'il ne réagisse.

— Pauvre petit ! répéta une voix féminine.

 La femme se baissa, lui caressa la joue.

— Viens à la maison, mon garçon, lui proposa-t-elle. Tu ne vas pas rester toute la nuit dehors.

— Il n'a aucune réaction, remarqua une autre voix.

— Viens avec moi, insista la femme.

 Elle le tira par le bras. Baby, indolent, se laissa faire. Ainsi, pour la première fois de sa jeune vie, il passa une nuit loin de sa mère, dans une maison inconnue.

 Le lendemain, quand la femme vint le réveiller, le lit était vide. Baby était sorti dès potron-minet. Les soldats avaient parlé d'un camp Ouest. Alors il repéra de quel côté le soleil se levait et se dirigea dans la direction opposée avec un unique but : retrouver sa mère et la sortir de ce camp. Il marcha toute la matinée et commença à ressentir la soif. L'enfant frappa à plusieurs portes mais personne ne voulut ouvrir. Puis l'image des jardins de la ville haute où l'eau ruisselait dans des rigoles lui revint en mémoire. Passer les contrôles des portes ne causait aucune difficulté : iI suffisait de prendre la main de quelqu'un avec un large sourire et les gardes n'y voyaient que du feu. Cette façon de procéder lui avait permis de venir braconner sur les terres du Duc sans le moindre problème. Il remplit la bouteille dérobée le matin.

 Pour le retour, Baby ne trouva personne pour lui servir de faire-valoir et risqua le tout pour le tout. Les gardes, obligés de rester debout sous un soleil de plomb ne semblait pas d'humeur.

— Stop ! Oui toi, le gosse ! Qu'est-ce que tu fais là ?

 La petite blonde envoya le regard et le sourire le plus enjôleur et proposa un peu d'eau fraîche. Le garde le toisa avec méfiance puis se radoucit. Il prit la bouteille et en but une gorgée.

— Merci petit ! Déguerpis !

 Désaltéré et revigoré, Baby marcha d'un pas soutenu. Vers midi, une odeur de bonne nourriture parvint à ses narines. Il s'en approcha avec prudence : des gardes chargeaient des containers chauffant sur roulettes dans des camions bâchés.

— Ça sent bon. C'est pour qui ? demanda un des manutentionnaires.

— Ce sont les repas pour les ouvriers de l'usine. Tant que les travaux à l'usine ne sont pas terminés, c'est nous qui préparons leur tambouille. On se dépêche. Il ne faut pas les livrer en retard. Il est où le chauffeur ? Allez me chercher le soldat Leroy !

— Hey ! Peter, grouille !

 Pendant que toutes les têtes étaient tournées vers le deuxième classe Leroy, Baby grimpa dans le camion et se cala entre deux containers.

 Le camion démarra. Quelques minutes plus tard, il passa les deux lourdes portes métalliques du camp Ouest. Les prisonniers se tenaient debout sur dix rangs devant leur baraquement. Le véhicule s'arrêta à deux mètres de la première ligne. Deux auxiliaires du premier bâtiment sortirent des rangs pour décharger le conteneur repas de leur chambrée.

 Montparnasse vit la bâche bouger et une petite tête blonde apparaître. Le garçon sauta avec souplesse du camion, se faufila entre les jambes des prisonniers et disparut dans le vide sanitaire du bâtiment. Il ne bougea pas tant que les gardes pullulaient autour de la place. Son activité de braconnage sur les terres du Duc lui apprit comment contourner les vigiles, municipes, gardes, sentinelles et autres membres des forces de l'ordre. Il avait acquis aussi un sens de l'orientation très développé. Très à l'aise, il savait comment se déplacer furtivement.

 Lorsque la sirène retentit, les prisonniers sortirent bâtiment par bâtiment. Les gardes effectuèrent le comptage avant le départ vers la fabrique. Baby examina attentivement tous ceux qui passaient devant lui mais il ne vit pas sa mère. Elle devait être ailleurs. Il lui suffisait d'écouter les soldats pour savoir qu'une femme était arrivée la veille et enfermée dans le bâtiment des interrogatoires. Il décida de s'y rendre.

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