Les festivités d'anniversaire 4 : La braise

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 Une seconde avant le coup de feu, Slau leva brusquement la tête en direction du mur d'enceinte extérieur et continua à le scruter pendant qu'une clameur de stupéfaction jaillit de la foule, déçue d'avoir été frustrée de son spectacle ou surprise par la hardiesse du geste. Le Messager resta calme, très concentré. Il sentait à nouveau cette présence qui suscitait sa curiosité et davantage encore son inquiétude. Il lui fallait en avoir le cœur net.

 La foule, galvanisée par cet acte de contestation, vociférait et réclamait les pains promis en compensation du spectacle manqué. Les gardes les tinrent à distance et parvinrent avec beaucoup de mal à contenir l'excitation et la colère qui grandissaient. Sangamouji sentit le sol se dérober sous ses pieds. Il s'était vanté de maîtriser la situation mais celle-ci lui échappait. Il se tourna avec inquiétude vers Slau qui l'invita à s'approcher.

Sangamouji, êtes-vous avec moi ?

Bien sûr Votre Altesse ! s'empressa le duc.

Je suis satisfait de l'entendre de votre bouche.

 Le Messager fixa le pilori où le bourreau finissait de détacher Elliott.

Pouvez-vous me citer, continua-t-il sans élever la voix, la qualité que je réclame de mes vassaux ?

La fidélité ?! balbutia le vassal.

Certes, mais plus que la fidélité, j'apprécie la loyauté. Êtes-vous loyal envers moi Sangamouji ?

Bien sûr Votre excellence ! clama-t-il, faussement enthousiaste.

J'en suis heureux pour vous. Je vous laisse toute liberté pour gérer cette contrée que je vous ai confiée. Vous pouvez même pactiser avec les rebelles si vous l'estimez nécessaire et vous l'avez fait.

 Le Messager ouvrit la main et une bille noire mat de cinq centimètres de diamètre s'éleva de sa paume. Des effluves rougeâtres s'en échappèrent, entourèrent le duc et le soulevèrent de terre. Il poursuivit tout aussi calme, sans hausser le ton.

Mais je n'admets pas que vous cherchiez à me tromper en me laissant croire que tout va bien, me persuadant de l'efficacité de votre police. Vous m'auriez fait part de vos difficultés, je vous aurais apporté mon aide. Vos manigances ne produiront pas les effets que vous en attendez, sauf au détriment de ce pauvre garçon. Vous avez voulu me manipuler Sangamouji. C'est une trahison que je ne saurai tolérer.

 Le duc vola en criant à travers la place jusqu'au pilori. Il constata avec horreur que ces membres ne répondaient plus. L'aristocrate hurlait tout ce que ces poumons pouvaient produire quand il vit une seringue venir vers lui. La sueur perlait sur son front et coulait sur ses joues. Ses yeux, exorbités, louchaient sur l'aiguille maintenue à quelques centimètres de son visage. Puis, sans avertissement, elle se planta dans son cou avec une rage évidente pour déverser dans son corps la braise mortelle. L'effet fut immédiat. La concentration était maximale, non pas que le Messager voulait lui épargner une mort atroce, mais il ne trouvait aucun intérêt à ces amusements. Pendant que le duc donnait à son bon peuple le spectacle qu'il réclamait, Slau fit venir Cunégonde, son éminence grise.

 Elle était belle, d'une loyauté à toute épreuve envers son maître. Elle s'approcha avec grâce, parée d'une extravagante robe blanche constellée de roses jaunes et soulignée de liserés rouges. Un châle étole gris métallique à rayures d'argent cachait le décolleté aux fines dentelles de soie. Ses lèvres charnues purpurines étaient posées telles des pétales sur sa peau délicate. Les faux cils accentuaient ses yeux de biche et sous sa coiffe en tulle orné de plumes nacrées, elle n'avait pas manqué de fixer, selon son habitude, une perruque assortie à sa tenue.

— Cunégonde ma chère ! Asseyez-vous près de moi, l'invita Slau en désignant le fauteuil.

 Il la gratifia d'un baise-main.

— Vous êtes charmante.

 Elle ne rougissait plus, habituée depuis longtemps à ce genre de civilité.

— J'espère que le spectacle ne vous aura pas incommodée. Je sais que vous n'aimez guère ce genre de divertissement.

Votre prévenance me touche. Soyez en remercié.

 Slau Wayward se sentait bien en sa présence. Cunégonde était la seule personne qui avait sa confiance.

J'ai l'intention de gérer personnellement ce duché, lui confia-t-il. Il est temps que je me remette aux affaires. Je vous prie de bien vouloir transmettre mes ordres au commandant de la Garde prétorienne. Je désire qu'il ramène le calme, au besoin par quelques judicieuses arrestations. Par ailleurs, je veux qu'il trouve l'homme qui a tiré sur ce pauvre garçon. Il était trop jeune pour mourir. J'offre mille ducats pour sa capture. Je le veux vivant. Insistez bien sur ce point ma chère. Voudriez-vous convoquer le commandant dans l'antichambre pour moi ?

 Elle hocha gracieusement la tête en souriant.

Accompagnez-moi au palais je vous prie. Je désire vous avoir à mes côtés pour prendre possession des clés de la cité. Ah ! J'oubliais. Faites-moi la joie d'accepter mon invitation à dîner.

 La loge ducale prit son envol en direction du palais, accompagnée de toute la cour.

 Les manifestants n'en revenaient toujours pas de la tournure que prenaient les événements. Les habitants venaient de perdre leur dirigeant d'une façon brutale et se sentaient perdus, orphelins. D'un coup, ils avaient oublié les injustices et leur asservissement. Même si le duc agissait en tyran, il constituait néanmoins un repère, celui qui cristallisait tous les espoirs mais aussi toutes les haines. Les gens savaient à qui ils avaient à faire. Sous l'effet tétanisant de cette exécution froidement menée, ils n'osaient broncher ni contester l'autorité du Messager. Les gardes, matraques en main, pressaient la foule de s'éparpiller et de rentrer chez elle avant la fermeture des grilles. Face au nombre et à leur détermination, les spectateurs avides de supplice obtempérèrent. Ainsi s'acheva cette journée de liesse.

 Tous les officiels partis, la place se vida de toute l'animation et de toute l'agitation de l'après-midi. Seul demeurait Elliott. Son corps gisait, intact en dépit de l'injection de la braise qui n'agissait que sur des cellules vivantes. Le passant croirait le voir dormir, ce que démentait le trou noir sur sa tempe. Un peu plus loin, une robe brodée d'or et d'argent était négligemment posée, comme oubliée, encore fumante et humide de l'énorme tas de chair dissoute. Le lendemain, elle aurait disparu, dispersée en mille morceaux par les habitants de la ban-lieue qui pourraient en tirer quelques pièces.

 La nuit, personne n'osait pénétrer sur l'esplanade hantée par le souvenir des atrocités. Certains, à la faveur de l'ombre, affirmaient avoir entendu les cris plaintifs des condamnés. D'autres affirmaient que c'était le vent dans les arbres alentour. Mais ce soir, il semblerait qu'une voix supplémentaire s'était jointe à la clameur désespérée des suppliciés.

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