Anniversaire 1 : Les Rebelles

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Dix-sept ans plus tard, la jeune recrue qui avait ordonné la retraite face aux gardes noirs cette nuit mémorable occupait à présent le poste de commandant. Ses supérieurs ne manquèrent pas de noter son échec, mais il répara cette bévue par la suite et recouvra la confiance des responsables de l’organisation. Il mena avec succès plusieurs raids qui attirèrent l'attention des duchés, désemparés par la précision des attaques. Sous son administration, l'arsenal militaire fut modernisé et l'organisation se dota de matériels plus performants, notamment des véhicules d'assaut équipés des dernières technologies. La flotte de transporteurs fut entièrement renouvelée et les équipes d'intervention mobiles s'équipèrent de monoroues qui permettaient une meilleure discrétion lors des raids en territoire ennemi. Ces moyens contribuèrent aux succès des actions éclair loin de la base, parfois au cœur des cités, ce qui provoqua un choc dans les esprits ainsi qu'un sentiment d’insécurité durable : les villes n’étaient plus à l’abri des attentats.

La Rébellion étendit de cette manière son influence sur une partie de la jungle et gagna en crédibilité en démontrant sa capacité à atteindre les dirigeants eux-mêmes, ce qui attira de nouvelles recrues. Si ces opérations jetèrent le désarroi parmi la sécurité du duc, elles obtinrent le soutien tacite mais partiel tant des citadins que des barbares, victimes des exactions des gouverneurs, des débordements et des humiliations des vigiles, trop heureux de les voir mordre la poussière à leur tour.

 Afin de rallier les hésitants, il mit sur pied une propagande très subtile, présentant l'organisation comme le défenseur des opprimés et l’unique alternative à la tyrannie. Cela le propulsa à la tête de la Rébellion en tant que commandant en chef et théoricien de l’idéologie rebelle. Sous sa direction, l'organisation créa le service des bombes vivantes, tous des volontaires, après que les membres faits prisonniers connurent la torture en place publique ainsi qu'une mort atroce suite à une agonie longue et douloureuse. Les recrues préférèrent mourir dans une explosion qui atteignait son but plutôt que de finir par injection de la braise sous le regard sadique des gardes noirs, de leurs sbires et de sa Seigneurie toujours avide de beaux spectacles.

 Puisque le Messager tolérait la tyrannie, il s’attaquerait au Messager en exécutant ses nobles, sa police et son système économique et religieux. La prochaine opération visait la mort du gouverneur qui fêtait son anniversaire lors de festivités dispendieuses alors qu’il affamait la population et l’obligeait à vivre dans la précarité et une grande misère.

 Depuis trois mois, une équipe préparait un à un tous les éléments nécessaires à la fabrication de bombes d'une puissance suffisante pour provoquer des dégâts importants, assez petits pour être cachés sous les vêtements et faciles à assembler. Les passeurs réussirent jusqu’à présent à les dissimuler aux contrôles mis en place à toutes les entrées de la cité. Pendant ce temps, le commandant Spartans obtint sans problème deux volontaires.

L’un deux, Gibraltar, un réfractaire à toute autorité qui, n’obéissant qu’à lui-même, devenait un mauvais exemple pour les autres, dont l’indiscipline et l’esprit d’indépendance remettaient sans cesse en cause l’unité et la soumission aveugle aux ordres, vitales en temps de guerre si on voulait être efficace. Spartans le persuada de se porter volontaire. Une façon de se débarrasser des récalcitrants ! Cette jeune recrue semblait supporter de plus en plus mal la vie de soldat et son comportement laissait penser qu’il déserterait un jour. L’état de guerre exigeait des sacrifices et l'organisation ne pouvait lui rendre simplement la liberté. Il possédait des informations stratégiques. Pas question de permettre à ce jeune écervelé de les divulguer de son plein gré ou sous la torture ! Les festivités d'anniversaire constituaient une occasion idéale pour se débarrasser de lui. Mais le chef de la rébellion doutait de sa détermination. Aussi désirait-il s’en assurer avant l’opération, mais l'intéressé restait introuvable.

 Le commandant ne se serait jamais douté qu'en cet instant même, Gibraltar déambulait tranquillement dans les rues de la ville basse sur la place du marché. Un petit vent fouettait les tentures des stands si bien que les commerçants se préoccupaient davantage de stabiliser les toiles qui claquaient que du chaland. Un temps idéal pour faire des emplettes. À l'un, il prit des fruits, à un autre des légumes, à un troisième un chapon bien dodu. Il mit son larcin dans un baluchon et quitta ses victimes, son forfait accompli, avec l'aplomb du professionnel.

 Il se dirigea vers le quartier le plus pauvre, mais aussi le plus sûr, les voleurs évitant de se dévaliser entre eux. Il frappa discrètement à la porte d'une humble demeure coincée entre deux maisons en torchis.

— Ah ! Te voilà enfin, garnement ! Où étais-tu donc passé tout ce temps ?

— Pardon Mamie. J'étais occupé.

— Trop occupé sans doute pour me rendre visite. Loin des yeux, loin du coeur comme diraient les ancêtres.

En réalité, cette vieille femme rendue acariâtre par la misère, n'avait aucun lien de parenté avec lui. Un jour, il l'avait trouvée sur le sol, couchée dans la poussière, malade. Après avoir interrogé les voisins il l'avait ramenée chez elle. Pendant des semaines, il lui avait prodigué les soins dont elle avait besoin, apporté la nourriture qu'il ramenait du marché. Sa situation l'avait ému et il décida de l'adopter comme sa mamie. Il supportait avec une patience dont il ne se serait pas cru capable ses sautes d'humeur et se contentait des marques de reconnaissance affectueuses qu'elle lui prodiguait dans ses rares moments de lucidité.

Il avait espacé ses visites depuis son incorporation dans l'armée rebelle. Son inquiétude monta d'un cran quand à plusieurs reprises, il avait trouvé porte close, craignant le pire. Dans son désespoir, il s'était porté volontaire dans le service des bombes vivantes. Maintenant qu'il avait retrouvé sa chère mamie, il voulait tirer un trait sur sa mission suicide.

Le garde informa le commandant Spartans dès le retour de Gibraltar. La présence du chef rebelle dans ses pénates ne surprit pas la jeune recrue. Ses absences répétées avaient dû parvenir aux oreilles de ses supérieurs et il s'attendait à un recadrage en règle. Il se leva pour accueillir son commandant.

— Où étais-tu passé ? Le garde m'a informé que tu étais sorti ?

Les raisons de ces escapades ne regardaient que lui et il n'avait aucune intention de dévoiler ce qui constituait sa vie privée. Il ne faisait rien de mal et refusait de se justifier.

— J'avais besoin de me concentrer et de faire le point.

Spartans n'en croyait pas un traître mot. Faire le point tous les jours ou presque ? Il savait qu'il était inutile de le braquer la veille de sa mission. Il avait eu assez de mal à le persuader de se porter volontaire et pensait de toute manière que tout cela n'avait plus d'importance.

— Alors mon garçon. Comment te sens-tu ? s'enquit le commandant dans un sourire.

 Le jeune homme se rassit.

— Un peu stressé, répondit-il en se balançant sur son tabouret.

— On le serait à moins ! commenta l'officier qui s'assit sur le bord du lit.

 La chambre était spartiate. Les murs en béton contrastaient avec le sol blanc. Dans un coin un couchage pliant utilisé pour les manœuvres, draps et couvertures posés avec soin à une extrémité. Sur le côté opposé une table et un tabouret. Au fond, une armoire métallique côtoyait un lavabo.

— Oh non ! Ce n’est pas ça si vous croyez que j’ai peur de mourir, expliqua la jeune recrue. Je m’en fous de la mort. Pour moi, c’est une délivrance si vous voulez tout savoir.

 L'argument était plausible. Les gardes noirs avaient exécuté ses parents, sans doute sur les ordres de sa Seigneurie qui en profita pour confisquer tous leurs biens. Grâce au sacrifice du chef de la sécurité qui protégea sa fuite, il réussit à s'échapper. Lui qui bénéficiait du confort d’un palais seigneurial et de la vie facile de la noblesse locale, se retrouva du jour au lendemain à la rue, vivant de rapines et d’expédients avec les autres mineurs isolés. Il installa ses pénates dans le labyrinthe avec l'aide d'un nouveau réfugié. Après de longues années d'errance, Gibraltar quitta les souterrains du réseau pour rejoindre les rebelles, ne plus se cacher, avoir un toit digne de ce nom et manger à sa faim.

 Habitué à vivre au jour le jour, hors de toute règle, il n’appréciait pas toujours la vie spartiate et la discipline qu’on lui imposait. Sa jeune existence ne consistait qu’en une succession d’échecs et de traumatismes qui, accumulés, devenaient insupportables. Il éprouvait le besoin de s’identifier à une organisation, de s'intégrer à un ensemble et de se sentir utile. Mais son mal être ne disparut pas en s'engageant dans la rébellion. Bien au contraire ! Gibraltar ne se sentait à sa place nulle part. La disparition de la mamie fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Il ne lui restait qu’à en finir une bonne fois pour toute afin de ne plus ressentir cette souffrance tapie au fond de lui. Mais la donne avait changé depuis qu'il l'avait revue.

— Bien, qu’est-ce qui te tracasse donc ? s’enquit le commandant Spartans.

Impossible de lui avouer qu'il avait changé d'avis !

— J’ai réfléchi. Des tas de possibilités peuvent m’empêcher de tuer ce salopard de gouverneur. Il peut y avoir tant d’événements imprévisibles ou incontrôlables qui m’empêchent de mener à bien cette mission. Je n’ai rien fait de terrible dans ma vie. Je veux réussir cette opération. Je ne sais pas si... enfin je veux venger mes vieux, vous comprenez ? Et puis en cas d’échec, il sera si méfiant qu’on n’aura plus cette opportunité avant longtemps. Je ne veux pas en être la cause. Voilà ce qui me fait flipper.

— Ecoute, garçon ! Je te félicite d'être conscient à la fois des enjeux et de ta responsabilité dans cette mission. Je crois en ta détermination.

 Il savait qu’il lui mentait mais poursuivit sans rien laisser paraître.

— Tu as été entraîné depuis des mois. Je suis sûr que tu rempliras tes objectifs. J’ai une confiance totale dans ta capacité à mener cette opération à terme. On en parlera longtemps de l’exploit que tu réaliseras demain. Tu deviendras un modèle pour tous, jeunes et moins jeunes. Ton exemple galvanisera les troupes. Ainsi, même après ton sacrifice, tu continueras à servir la cause. Sois-en remercié par avance. C’est toi qui feras exploser la première bombe. Tu réussiras, car tu bénéficieras de l’effet de surprise. Tes chances de réussite sont bien meilleures que pour ton compagnon. Alors cesse de psychoter et concentre-toi sur ta mission.

— OK, fit-il, dubitatif. Merci mon commandant.

— Si ça peut te rassurer, demain, je te remettrai personnellement ta ceinture après avoir vérifié personnellement son bon fonctionnement. Tu as encore du temps pour te préparer et te rendre en ville avant la fermeture des portes. Tu rejoindras l’autre volontaire au niveau de la place de la Concorde. Je t’attends au briefing dans une heure pour les derniers détails. À tout de suite !

 Gibraltar se leva et salua, soulagé.

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