Anniversaire 2 : Les préparatifs

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 Abado Rahari succéda à son père comme intendant du gouverneur de Sangamouji depuis des lustres. Aussi loin qu’il s’en souvienne, sa famille servait le duc. Il connaissait sur le bout des doigts les rouages, habitudes et protocoles de la maison ducale. La préparation et l’organisation des festivités étaient bien rodées. Une équipe habituée à travailler sur ce genre d’événementiels était à ses ordres.

 Mais pour la première fois, un grain de sable venait perturber la belle mécanique mise en place. Les festivités commenceraient le lendemain et il ne retrouvait aucune trace des pains qui devaient être distribués à la population lors du passage du carrosse de sa Seigneurie. L'intendant avait beau cherché, les entrepôts prévus pour les recevoir restaient désespérément vides. La faute lui incomberait et il devrait en assumer les conséquences qu’il imaginait d’autant plus terribles que le Messager en personne gratifiait sa Seigneurie de l’honneur de sa présence aux liesses d’anniversaire de son accession au pouvoir.

 Le Duc de Sangamouji n’était pas dupe du motif de cette présence. Le Messager ne venait pas dans l’unique but de partager ce moment de liesse. Sa présence permettait surtout de constater par lui-même la manière dont était géré le duché. Son vassal devait rendre compte de son administration et admettre aussi qu’il prenait depuis quelque temps une certaine liberté à ce sujet.

Les festivités d'anniversaire de son règne seraient pour Sa Seigneurie l'occasion de convaincre le Messager de la bonne gouvernance des terres qu'Il lui avait confiées. La réussite de cette journée prouverait son contrôle sur la population réputée favorable aux rebelles malgré la propagande officielle tendant à les discréditer. Il savait que le Suprême Leader effectuerait une inspection sur la gestion des crises qui secouaient l’état depuis des années. Des rumeurs circulaient selon lesquelles le commun, opprimé, tyrannisé et exploité, soutenait par réaction et en désespoir de cause la rebellion. Cette situation affaiblissait la souveraineté de son suzerain. Le Duc désirait montrer sa gestion empreinte de doigté et de fermeté.

 Abado comprenait que toutes ces intentions pouvaient être anéanties si la population manifestait son mécontentement ou ne recevait pas le pain promis, ce qui engendrerait à coup sûr des débordements fâcheux.

 Il devait en informer sa Seigneurie sur le champ.

 Quand il lui eut exposé la situation, Elle le prit plutôt bien. Autant Abado était émacié, grand et sec, autant le duc était rondouillard et ventripotent avec un visage lunaire que soutenaient plusieurs doubles mentons. Cependant, les yeux restaient vifs, acérés et autoritaires. Le regard s'avérait intense et scrutait ses interlocuteurs jusqu’à découvrir leurs pensées profondes.

— Ne vous inquiétez pas Messire Abado. J’ai décidé d’annuler la distribution de pains

 La surprise mêlée de dépit se lisait sur le visage de l’intendant.

— Qu’est-ce donc ? Vous ne croyez tout de même pas que je vais nourrir ces gueux, expliqua Sangamouji avec mépris. J'ai vraiment mal au cœur de dépenser même un denier pour eux. Il est beau que j’accepte déjà leur présence à la fête de mon anniversaire. Sachez que j'ai trouvé d'autres moyens plus efficaces de prouver au Messager ma bonne gestion du duché. Comme si j'avais besoin de l'aval de cette méprisable populace !

— Pourquoi leur annoncer cette distribution ? balbutia l’intendant. Cela va créer des troubles.

— Messire Abado, vous n’êtes pas un intendant pour rien, avec tout l’esprit de votre guilde ! Ce n’est pas un reproche. C’est ce qui vous rend utile à mes yeux. Mais vous avez tellement le nez dans les contingences matérielles et dans vos comptes, que vous n’avez aucun recul sur les événements. Elargissez votre vision des choses. Voyez plus loin que le moment présent.

 Puis sans transition, il prit un ton cassant qui n’admettait pas de réplique

— Même si cela ne fait pas partie de vos fonctions, vous devez comprendre ma manière de gérer les affaires afin d’être plus efficace dans l’exécution de mes ordres. Gérer, c'est prévoir. Quand les conditons ou les éléments portés à ma connaissance changent, je peux changer les moyens utilisés pour parvenir à mes fins. Je veux que le Messager qui vient inspecter le duché reparte avec une bonne opinion de ma gestion de la crise. Je vais Lui montrer l'efficacité de mon combat contre ces terroristes qui veulent détruire nos valeurs. Abolir les servitudes, prôner la liberté et l’égalité pour tous ! Ridicule ! L’échec des systèmes démocratiques qui ont généré le Grand Chaos reste encore un traumatisme dans l’inconscient collectif depuis trois siècles… Nous devons lutter contre toute velléité de revenir à ces types de gouvernement rétrogrades qui ont montré dans la douleur leurs limites.

 Après une pause, il se tourna vers Abado et reprit sur un ton de confidence.

— Et à propos de terroristes, je sais de source sûre qu’ils vont saisir l'opportunité qu'offrent les festivités pour semer des troubles. Il y aura foule. Avez-vous pris les dispositions que je vous ai ordonnées ?

 C’était plus un ordre qu’une question, ce qui désarçonna l’intendant. Le protocole voulait que Sa Seigneurie donne ses ordres directement aux responsables des différents services. Ceux-ci transmettaient leurs rapports à l'intendant qui en sortait une synthèse à la demande du duc.

— Oui Monseigneur. Le commandant du Prétoire a renforcé les effectifs des vigiles. Beaucoup resteront mêlés aux badauds, en civil mais armés. Les gardes noirs appelés à intervenir se rendront visibles pour décourager toute tentative de trouble. Depuis trois mois, nous effectuons des contrôles aux portes. Un périmètre de sécurité a été délimité le long du parcours de votre carrosse. Des fouilles à corps seront effectuées pendant toute la durée des festivités. Tous ceux qui sont connus par les services de police ou susceptibles de provoquer des désordres seront préventivement arrêtés et emprisonnés. Enfin, des caméras mobiles et des drones surveilleront la foule pour repérer les comportements suspects.

 Sangamouji se tourna vers le commandant de la Garde qui attendait les ordres.

— Je compte sur vous pour éviter les débordements. Mettez les moyens que vous jugerez utiles pour maintenir l’ordre et montrer au Messager que nous maîtrisons la situation. Quel qu’en soit le prix ! Vous pouvez disposer, commandant.

 Il se tourna vers l’intendant :

— En ce qui concerne le blindage de mon carrosse, qu’ont donné les tests ?

— Il pourra rouler même après une importante explosion, ce qui permettra de vous mettre en sécurité sans changer de voiture. Par ailleurs, j’ai mis en place un dispositif nouveau.

— Vous savez que je n’aime pas les surprises de dernière minute pour tout ce qui concerne ma sécurité. J’espère que c’est une bonne surprise et qu’elle est opérationnelle.

— Oui Votre Seigneurie. Les ateliers ont installé des moteurs à sustension de barges, plus puissants, ce qui permettra à votre carrosse de s’élever au-dessus de la foule, hors de portée de l’émeute. Un guidage automatique vous ramènera ensuite au palais

— Parfait ! Bonne initiative ! Autre chose ?

— Rien d’autre votre Seigneurie. Permettez-moi de me retirer.

 Le Grand Majordome s’approcha et lui chuchota à l’oreille :

— Une communication cryptée pour vous.

 Un discret mouvement de tête lui intima de sortir pendant que le transmetteur se positionna au-dessus du Duc. Il enclencha le brouilleur.

— Je vous écoute Spartans.

— J’ai bien reçu le matériel et je vous en remercie. Cependant, avant de vous communiquer les informations qui vous intéressent, je désire m’assurer de votre bonne foi si vous voyez ce que je veux dire.

— Votre défiance me peine. Je n’ai aucun intérêt à ne pas vous céder cette juste compensation pour service rendu. J’encourage vos petites manœuvres jusqu’à une certaine limite tant que cela effraie la population et qu’elle se tourne vers moi pour assurer sa protection. En ce qui concerne les événements du jour de mon anniversaire, je veux prouver au Messager que je contrôle fort bien la situation, ce qui est le cas. Mais je désire donner un exemple pour montrer l’efficacité de ma police. Nous pouvons nous apporter une aide mutuelle dans cette affaire. Laissez donc de côté cette méfiance ridicule. Je vous écoute.

— Je vous envoie deux bombes. La première s’appelle Gibraltar. Vous le connaissez sous le nom de Nelson, le fils de feu Montégo de Mogor, l’unique survivant de cette famille. Il n’explosera pas, je m’en suis assuré personnellement. C’est un témoin gênant, pour vous comme pour moi, que vous prendrez plaisir à éliminer.

— Envoyez-moi un portrait, intima le Duc, un sourire glacial sur les lèvres.

— Il se tiendra Place de la Concorde et portera un chèche rouge comme signe de reconnaissance pour son compagnon. Là, il doit enclencher l'explosion au passage de votre carrosse. Je vous envoie le portrait des deux bombes.

— Parfait ! fit Sa Seigneurie en réceptionnant les photos. C’est un plaisir de traiter avec vous.

 Depuis quelques semaines, le Duc avait entrepris des tractations avec le commandant Spartans. L’exécution des deux bombes vivantes montreraient au Messager l’efficience de sa police et sa bonne gérance beaucoup mieux qu’une sordide distribution de pains. Par ailleurs, cela calmera toute velléité d’adhésion à la rébellion, créera un sentiment d’insécurité et la confiance dans ses capacités à protéger ses sujets. Il avait été facile de manipuler ce rebelle pour l’amener à affaiblir ainsi son propre camp en échange de quelques transports. Le Duc voulait maintenir la Rébellion active afin de créer une situation d'insécurité propice à asseoir son pouvoir. Le Messager avait lancé la compétition quand il avait promis la gouvernance de l'ensemble des terres à celui qui apporterait la prospérité à ses administrés. Ces manœuvres lui permettaient de gagner sur tous les fronts.

 Il appela le commandant du Prétoire et lui donna les ordres en conséquence afin de capturer Gibraltar et son complice.

— Place de la Concorde, vous veillerez à ordonner aux gardes en uniforme d’ignorer le terroriste Gibraltar afin de calmer sa méfiance et lui donner un sentiment de sécurité. En revanche, ceux en civil interviendront et l’arrêteront avant le passage de mon carrosse ainsi que le second terroriste. Vous leur diffuserez les deux portraits que voici.

 Il se réjouissait à l’avance des exécutions raffinées qu’il allait offrir au Messager le lendemain.

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