Les festivités d'anniversaire 1 : Baby

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 La nuit planait encore au-dessus de la ville quand il s’éjecta littéralement hors du lit. Le garçon était tout émoustillé à l’idée des festivités de la journée. Présent lors du précédent anniversaire du Duc, il n’avait pas tout compris, se souvenant de quelques vagues impressions de foule, de bruits et de couleurs, trop jeune pour profiter pleinement de la liesse. Mais cette année, l'histoire racontée par les chars n'aura plus de secret pour lui : sa mère l’avait inscrit à l’enseignement du visionnaire.

 Il apprit ainsi que la terre s’était rebellée contre les hommes qui l’avaient exploitée, salie, détruite et saccagée. Devenue stérile par la surexploitation, elle ne donnait plus de récoltes en dépit des tonnes de produits chimiques qui, s'ils éradiquaient les mauvaises herbes et les maladies, polluaient les nappes phréatiques et exterminaient les insectes ainsi que leurs prédateurs. La monoculture appauvrissait la terre malgré les engrais chimiques. La production s'amenuisait d'année en année et beaucoup moururent de faim, humains et animaux.

 La pollution atmosphérique accentua le réchauffement climatique. Les glaces des pôles fondaient. Le niveau des mers grimpa de plus de deux cents mètres à la fin du vingt-et-unième siècle, inondant une partie importante des terres. Les trois quarts de l'Europe où vivaient à présent les hommes, se retrouvèrent immergés. Les eaux chaudes engendrèrent des cyclones dévastateurs. Pendant que certaines régions subissaient des inondations, d'autres devaient lutter contre la sécheresse. Les cataclysmes se déchaînèrent contre les gigantesques mégalopoles bâties par les ancêtres, des régions se soulevèrent, d’autres s'affaissèrent que la mer inonda, contribuant avec la montée des mers à modifier à jamais la géographie terrestre.

 Moins de surface habitable, moins de nourriture, les animaux et les hommes entrèrent en compétition. La faune sauvage se rua sur les humains démunis. Les gouvernements éclatèrent sous la pression de la nature et ne purent plus assurer l'ordre et les services publics comme les transports, l'éducation, les prisons, les hôpitaux et les infrastructures. L'argent qui avait permis aux dirigeants des multinationales de régner sur le monde, ne leur donnait plus aucun pouvoir et démontrait son inutilité face à la famine et la maladie. Les survivants de la pandémie qui sévissait en ces périodes troublées s'entretuèrent pour le peu de ressources qui restaient.

 Alors que le désespoir les saisissait dans son implacable étreinte, le Messager se manifesta dans une lumière aveuglante. Il prit une forme humaine, calma les éléments et soumit les animaux. Le petit reste des humains fut rassemblé en un même lieu, dans une zone autrefois appelée Europe à cause de la variété de ses paysages, de la richesse de ses terres et de la tempérance de son climat. Slau les nourrit, les soigna et fixa de nouvelles règles. Les humains le nommèrent Suprême Leader. Il accepta leur soumission et décréta que la terre devait se reposer de l'activité humaine pour retrouver son équilibre biologique et écologique. Il instaura la paix parmi les hommes et ensuite se retira dans la cité de cristal, distribuant pouvoir et domination à une nouvelle classe de dirigeants pour gouverner en son nom.

— Depuis, les hommes vivent heureux et dans la paix, conclut le visionnaire.

 Baby quitta sa chambre. Les détecteurs de présence commandaient l’éclairage au fur et à mesure de sa progression. L’électricité, produite en abondance, était dispensée gratuitement dans les villes. Pour la nourriture, les urbains dépendaient du Duc, car toutes les terres cultivables lui appartenaient, et payaient bien cher leur droit de manger. Marie Rose avait aménagé un coin de la maison en atelier de vannerie et de couture. Elle vendait ses productions au marché où elle disposait d'un emplacement réservé après acquittement d'une taxe d'octroi. Certains clients préféraient le troc à la monnaie officielle. Les hauts fonctionnaires, les cadres du Duc et leurs employés échangeait en ducat. Ils rétribuaient en retour les services des artisans, mais ils fixaient eux-mêmes les prix. Même si certains optaient pour des pièces sonnantes et trébuchantes, beaucoup cachaient leur aisance pour éviter d’être lourdement imposés.

 Dans son innocence, Baby ne pensait pas à mal de tout cela. Mais certaines questions trottaient dans sa tête. Il pénétra dans la cuisine et serra tendrement sa mère dans ses bras avant de s’installer à table avec elle. Les repas étaient des moments privilégiés où tous deux communiquaient sans fard et entraient dans une profonde intimité.

"Ma maman est ma meilleure amie", aimait-il dire.

 Il lui demandait tout ce qui lui passait par la tête. Elle lui répondait toujours avec douceur et bienveillance, quelquefois en souriant tant ses questions dénotaient des préoccupations d’adultes qu’il exposait avec le plus grand sérieux. Le petit garçon ne comprenait pas pourquoi elle riait parfois mais il lui suffisait qu’elle réponde pour le satisfaire.

 Elle s’intéressait toujours à ce que pensait son fils qui se faisait un plaisir de lui raconter sa journée sans jamais rien omettre et partageait ses émotions.

 Ainsi les repas devenaient un rituel que ni l’un ni l’autre n’aurait manqué.

 Mais ce matin, Baby restait silencieux malgré l'enthousiasme qui l'avait saisi à son réveil.

— Mon ange, tu ne dis rien ce matin. À quoi penses-tu ?

— Tu m’as demandé de ne pas penser à ces choses, mais je ne peux pas m’en empêcher. Tu veux bien que j’en parle ? Tu ne seras pas fâchée ?

— Tu veux parler de politique, c’est cela ?

— Je me demandais… enfin je voudrai savoir… pour le Duc, pourquoi il a plein de choses à manger et nous presque rien ?

 Elle s’approcha de lui, se mit à sa hauteur et le conseilla avec douceur :

— Ne t’inquiète pas de tout cela et vis ta vie de petit garçon. Tu seras confronté bien assez tôt à ce genre de problèmes.

— Je voulais juste savoir parce que tout le monde parle à ce sujet. Certains disent que le Messager sait que le Duc nous affame et qu’il est d’accord sinon, pourquoi il viendrait à son anniversaire ?

— Ecoute-moi bien, réprimanda fermement sa mère. Ne parle jamais ainsi en public. Ça pourrait nous amener des ennuis. Tu comprends ? .... J’attends une réponse.

— D’accord, je ferai attention.

— Et puisque tu en parles, je ne veux plus de braconnage sur les terres du Duc. Ce n’est pas parce que nous n’avons pas tout ce que nous désirons que nous devons voler. Je sais que tu fais cela pour moi, mais si tu es pris, les conséquences seraient terribles. Promets-moi de ne plus braconner.

— Bon je promets, fit-il avec une moue.

— Finis ton déjeuner. Il faut partir tôt pour avoir une bonne place. Ils vont distribuer du pain et si on trouve une bonne place, on récoltera plus de pain.

— Youpi ! s’exclama-t-il, retrouvant ainsi son insouciance enfantine.

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