Le labyrinthe 2 : le Réseau

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 Les jeunes étaient assis ensemble, certains sur des petits fauteuils, d'autres au sol. Les adultes restaient debout, se tenant au tube métallique qui parcourait la rame dans toute sa longueur. Ils semblaient examiner Matéo et se poser beaucoup de questions. Celui-ci s'en aperçut mais préféra les ignorer en regardant à l'extérieur. Il n'y avait rien à voir sauf, à travers son reflet, des murs noircis le long desquels circulaient des câbles et canalisations. Ils traversèrent plusieurs stations avant de bifurquer à gauche, sans jamais ralentir. Le silence régnait, hormis le bruissement feutré du moteur. Malgré la vitesse, la machine qui les transportait paraissait flotter sur un coussin d'air. Matéo se laissa bercer et finit par s'assoupir.

 Il sentit une main le secouer avec fermeté : c'était Gibraltar.

— On descend.

Un groupe de marmailles le dévisageait en souriant derrière la vitre. Il se leva et suivit son compagnon qui semblait connaître tout le monde. Quelques uns lui demandaient ce qu'il devenait ou lui souhaitait un bon retour. Beaucoup le dévisageait avec bienveillance. La troupe traversa la station, emprunta une série de couloirs pour déboucher sur un immense espace après avoir grimpé quelques escaliers. On y avait tracé des allées et construit des petites habitations. Un système de ventilation renouvelait l'air et évacuait les fumées et autres déchets volatiles. Des vieillards, assis sur des chaises, les regardaient passer avec une pointe de curiosité. Des enfants jouaient devant leur maison, quelques uns courraient dans tous les sens. Les adultes montraient une grande tolérance envers leurs cris et leur enthousiasme juvénile car ils ne manifestaient aucun agacement lorqu'un enfant les bousculait. On les considérait comme l'avenir de cette société calfeutrée dans les entrailles du labyrinthe.

 Ils pénétrèrent dans une vaste pièce en béton qui servait de salle de délibération. Des armoires mille fois rafistolées cachaient le carrelage jauni des murs et une grande table garnie de sièges disparates en occupait le centre.

 En bout de table, un homme d'une quarantaine d'années, le visage poupin couronné par une tignasse châtain foncé et se terminant par un début de double menton, dévisageait les assistants de cette réunion improvisée.

Je crois qu'on se connaît tous ici. Je me présente pour Matéo qui ne nous connaît pas.

 Celui-ci prit un air à la fois inquiet et interrogateur qui laissa de marbre l'orateur.

— Je m'appelle Montparnasse. Je suis membre du Conseil qui gère la vie du Réseau. Nous avons décidé d'intervenir car nous connaissons Gibraltar qui nous a quittés quelques temps et qui est revenu. Je te souhaite un bon retour parmi nous. Comme tu le constates, tu as manqué à beaucoup. Nous vivons sous terre parce que nous désirons rester discrets et conserver notre liberté. Or, vos exploits de cet après-midi ont dangereusement attiré l'attention sur nous. Nous devons tous contribuer à la sécurité du Réseau.

— Si je comprends bien, c'est un tribunal ? s'enquit Gibraltar qui connaissait les règles du Réseau.

— Non, un conseil de discipline. Pour l'instant, tu n'es pas mis en accusation. Nous détenons certaines informations et nous devons connaître ta version des faits. Il nous faut déterminer s'il y a eu négligence coupable. Le conseil est d'accord pour t'appliquer la bienveillance réservée aux plus jeunes compte tenu de ton passé.

 Gilbraltar ne répondit rien, quelque peu vexé de ne pas être considéré comme un adulte.

 Matéo se leva. Il savait que son compagnon était sur la sellette et sa présence pouvait être une gêne supplémentaire.

— Excusez-moi, mais ce sont des affaires qui ne me concernent pas.

— Elles te concernent car tu participes à ce conseil en tant que témoin. Assieds-toi s'il te plaît. Gibraltar, nous sommes au courant de ton engagement dans l'armée rebelle. Nous savons aussi que votre tête à tous les deux est mise à prix. En vous cachant ici, nous avez attiré les gardes dans le labyrinthe, ce qui perturbe notre tranquillité et surtout constitue un danger pour le Réseau. Que s'est-t-il donc passé pour en arriver à une pareille situation ?

 Il leur raconta tout mais en prenant quelques libertés avec les faits.

— J'en avais assez de vivre caché et de crever de faim. C'est pour ça que je me suis engagé. Pour l'anniversaire du duc, ils ont préparé un attentat. Un de mes amis s'est porté volontaire. J'ai quitté le camp pour l'en dissuader. Mais il s'est fait prendre. Il est passé à la braise. Matéo avait un fusil. Je lui ai demandé de tuer Elliot pour lui éviter des souffrances inutiles.

 À l'évocation de son ami, ses émotions remontèrent à la surface malgré lui. Il essuya d'un revers de manche ses yeux humides.

— Tu confirmes ? demanda Montparnasse à Matéo

— Oui. Il m'a demandé de tirer. Il m'a aidé ensuite à échapper aux gardes. Sans lui, je subirai sans doute la braise moi aussi.

 Le conseiller fit un tour de table du regard, recueillit l'approbation des quatre chefs de quartier et reprit la parole.

— Nous estimons que ta fuite vers le labyrinthe est légitime. Tu as bien agi envers Elliot et aussi envers Matéo. Tu t'es montré très courageux. Nous décrétons que tu peux reprendre ta place parmi nous ainsi que possession de ton banga.

— Merci conseiller. Puis-je poser une question ? Comment connaissez-vous Matéo ?

— C'est une bonne question, acquiesça Montparnasse. Mais j'avais pensé que ce serait Matéo qui me la poserait. Tu n'es pas très bavard hein ? En fait, nous avons été avertis par quelqu'un de l'extérieur.

 Les deux garçons froncèrent les sourcils. Qui donc pouvait connaître la destination finale de leur escapade et demander de l'aide au Réseau.

— Ce quelqu'un a aidé mes parents à se réfugier dans le labyrinthe, c'est pourquoi j'ai organisé cette expédition à sa demande. Il savait où vous alliez car il a suivi les communications radio cryptées des gardes noirs. Il connaissait ainsi les détails du piège qui vous était tendu. Max, tu peux venir ?

 Matéo, abasourdi, se leva en signe de respect pour son père adoptif, un peu honteux comme un enfant pris en flagrant délit. Il savait mériter la réprimande sévère qui allait tomber sur lui et s'attendait au mieux à des reproches.

— Je crois, conclut le conseiller, que vous avez des choses à vous dire. Il doit faire nuit là-haut. Je propose que vous dormiez ici. Vous pourrez repartir demain en remontant par la station la plus proche de votre domicile. Qu'en penses-tu Max ?

 Il donna son accord d'un mouvement de tête.

— Il faut lui trouver un banga pour ce soir.

— Il peut prendre le mien. En tant qu'aîné, j'ai deux pièces, proposa Gibraltar.

— Très bien. Tu leur serviras de guide. Je clos le conseil de discipline. Le village a préparé une petite fête pour le retour de Gibraltar sur la grande place. Bien entendu, vous êtes tous invités.

 Max mit affectueusement son bras autour de Matéo pour lui montrer qu'il lui pardonnait les frayeurs par lesquelles il était passé. Il lui fit un sourire engageant que son protégé, tout penaud, lui rendit avec mollesse. Ils se dirigèrent vers un coin tranquille.

— Comment vas-tu mon garçon ?

— Ça va. Je te remercie.

— Je me suis beaucoup inquiété à ton sujet. L'essentiel est que tu sois sain et sauf.

— Je te demande pardon.

— Tu as été courageux d'avoir abrégé les souffrances de ce garçon. Mais c'était stupide de t'être exposé de cette façon. J'espère que tu n'as pas été repéré par ceux-là même qui ont voulu te faire du mal à ta naissance. Il faudra redoubler de prudence maintenant.

 Matéo était rassuré sur les sentiments de son oncle. Il était son unique famille, le seul être sur lequel il pouvait compter. Il serait désespéré s'il perdait son soutien ou son affection.

— Je te promets de faire attention.

— Va avec ton ami. On se retrouve au dîner.

— À tout à l'heure mon oncle.

 Max le regarda courrir vers son ami avec une pointe d'émotion. Il l'avait connu tout petit. Un bébé ! C'était un grand enfant, presque un homme à présent. Il savait que le jour où il devrait partir et accomplir son destin approchait. Il l'avait élevé du mieux qu'il pouvait et espérait l'avoir apprêté à affronter les dangers qui l'attendaient.

 Lorsque Matéo le rejoignit, Gibraltar décida de lui montrer les lieux. Il expliqua la manière dont le réseau était organisé, les quelques règles qui définissaient la vie sous terre et garantissaient l'harmonie qui y régnait. Il trouvait un mot, une anecdote pour chaque bâtiment et les services qui s'y trouvaient. Il lui raconta aussi l'histoire du Réseau, comment tout avait commencé. Ils s'arrêtèrent devant un grand plan avec des lignes de couleurs qui parfois se croisaient, parfois se séparaient et parfois restaient côte à côte. Au-dessus, on pouvait lire en grosses lettres : S-Bahn-Liniennetz Stuttgart.

— Bahn Liniennetz, ça veut dire Réseau de ligne de trains. Le train, c'est la machine qui nous a conduits jusqu'ici. C'est comme ça que les ancêtres l'appelaient. Il paraît que dans d'autres contrées, ils appellent ça métro. Pour Stuttgart, on n'en est pas sûr, mais j'ai entendu dire que c'était le nom du village avant le Grand Chaos. Il a été détruit mais le réseau de souterrains est resté. C'est pour ça que nous, on s'appelle le Réseau. Sur le plan, on est là. On a été fait prisonnier par les gardes là et on a fait tout ce chemin en train.

 Tout en parlant Gibraltar traçait avec le doigt l'itinéraire sur le plan. Il était tout fier d'épater son compagnon. En quelques minutes, il l'abreuva d'une foule d'informations engrangées pendant les années de vie souterraine. Il poursuivit le tour du propriétaire.

 Il s'arrêtait à certaines portes pour détailler les machines cachées qui assuraient la ventilation, le pompage des zones inondées, l'alimentation en eau potable, l'évacuation des eaux usées, la production d'électricité, les cultures ou l'élevage. Toute cette vie grouillait à l'abri de la lumière du soleil dont l'absence était compensée par des lampes à iodes qui permettaient la photosynthèse des plantes et l'éclairage des parties habitées.

— Et là, c'est mon banga, montra-t-il triomphant.

 Il désigna une habitation plus grande que les autres qu'il avait construite avec des matériaux de récupération glanés au cours de ses pérégrinations à l'extérieur. Elle trônait au fond d'une station sur toute la largeur du quai.

 Matéo fixa le mur de l'autre côté de la fosse de circulation des rames. Du carrelage le recouvrait. Quelques carreaux manquaient mais n'empêchaient pas de lire le nom de la station.

— Tu as vu ? C'est ton nom qui est écrit là-dessus.

— Je suis le premier qui a construit ici. C'est pourquoi on m'a donné le nom de la station. A cause de ça, je suis considéré comme l'aîné avec tous les avantages qui vont avec. Tant que j'habite ici, personne ne peut s'appeler comme la station.

— Cool !

— Attends de rentrer dans mon banga !

 La pièce était spacieuse avec tout le confort mais bas de plafond. Elle se composait d'une cuisine avec îlot central, d'un coin repas et d'un séjour douillet. Sur le côté gauche une porte donnait accès à la chambre. Il disposait aussi d'une salle de bain avec eau chaude.

 Matéo habitait dans une maison rénovée de la ville basse, avec tout le nécessaire. Son compagnon était si fier de son banga qu'il ne voulait pas se montrer blasé.

— Trop bien, se contenta-t-il de dire.

 Après un tour rapide de la demeure, tous deux se vautrèrent dans un fauteuil, heureux de se laisser enfin aller après les péripéties de la journée. Ils restèrent ainsi, silencieux, savourant la quiétude et la sécurité du banga jusqu'à l'heure du repas.

 Les jeunes adultes assuraient le service du dîner. Ils avaient dressé des tables sous un immense cône formé de dizaines de lampions attachés à des filins et dont le sommet était accroché à un câble fixé au plafond. Ils servaient les plus âgés et les petits. C'était la règle car ils disposaient de toute l'énergie de leur jeunesse. L'éducation qu'ils avaient reçue leur imposait de respecter les plus vulnérables à savoir les vieillards, les enfants, mais aussi les chefs de quartier et les membres du Conseil.

 Un orchestre jouait des airs composés par des artistes d'avant le Grand Chaos, ce qui était interdit là-haut. Dans le labyrinthe, on se soumettait à d'autres lois.

 Sous un conduit d'évacuation, ils avaient installé deux tournebroches où cuisaient des porcelets d'une trentaine de kilogrammes. Les cuisiniers sortirent l'un d'eux et commencèrent à le découper. Pour aider les convives à patienter, certains se lançaient dans des démonstrations de danse de rue très acrobatiques que scandaient les spectateurs en frappant des mains. Dès que l'un finissait son exhibition, un autre le remplaçait sous le regard réjoui du public.

 L'ambiance était chaleureuse, décontractée, paisible et bon enfant.

— J'aime bien ici, constata Matéo. Je n'ai jamais vu ça là-haut.

 Il offrait un visage radieux, souriant, les yeux grand ouverts sur le monde. Max ne l'avait jamais vu aussi épanoui. Au moins ici, il pouvait circuler à sa guise, sans se préoccuper d'être repéré. Il goûtait avec l'enthousiasme de ses jeunes années un bonheur simple qui faisait plaisir à voir. Il lui sourit comme pour l'encourager à profiter de ces moments de détente. En le voyant si heureux, il éprouvait lui-même une joie authentique parce que, pour une fois, il ne ressentait pas l'angoisse que son protégé soit découvert. Il savait que demain la prudence à nouveau serait de mise, mais ce soir, il le laissa jouir d'une certaine liberté retrouvée.

 Le repas fut délicieux et la fête enjouée et sans un seul débordement. Chacun s'était montré raisonnable sous le regard vigilant du conseiller et des chefs de quartier. Puis la musique cessa et les conversations devinrent feutrées. Les jeunes, après avoir effectué leur service et pris part au festin, débarrassèrent les tables, les restes de nourriture, nettoyèrent les ustensiles de cuisson et récupérèrent les cendres et les déchets du dîner.

 Les lampions baissèrent d'intensité et le calme qui s'en suivit prépara les esprits au repos de la nuit. Les derniers convives se séparèrent par quelques paroles chuchotées et rejoignirent leur banga à pas feutrés. Les lumières s'éteignirent pour laisser place aux veilleuses.

 Le labyrinthe plongea dans le silence paisible de la nuit.

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