Le Vieillard, la Tour et la Tombée du Jour

8 minutes de lecture

Je rouvre les yeux et prends une grande inspiration paniquée. Mon corps… Tout est à sa place ? Je… Je crois que oui. Mes bras, mes jambes, ma tête… Oui, on dirait que oui. Mes vêtements et mon équipement aussi. J’ai été recomposé correctement.

Hylia toute-puissante, je vous en supplie, ne me refaites pas ce coup-là. J’ai bien cru mourir avec ces bêtises. La téléportation, ce n’est pas pour moi.

Par contre…

Qu’est-ce qu’il fait là, lui ?

Si moi je me suis téléporté, comment il a pu arriver en haut de la tour ? Et puis, la nuit n’est même pas encore tombée, donc… il n’y a pas eu de décalage temporel ou quoi que ce soit, donc…

— Te faire doubler par un vieillard, franchement… Je ne te croyais pas si lent !

— Mais… Comment... ? Vous vous êtes téléporté aussi ?

— Je t’en prie ! Qui aurait besoin de se téléporter pour être plus rapide que toi ?

Non mais sérieusement. Je ne sais même pas pourquoi je m’étonne toujours. Je crois qu’il faut simplement que je m’habitue à toujours avoir avec lui les contacts les plus improbables. Il ne manquerait plus qu’il se révèle être un dieu ou quelque chose du genre.

— Enfin. Si je t’ai fait venir jusqu’ici, c’est parce que c’est un point de vue idéal pour repérer les sanctuaires. Savais-tu que la tablette sheikah était équipée d’une longue-vue ? Grâce à elle, tu peux repérer ce que tu veux aux alentours et marquer d’une balise les endroits qui t’intéressent. Et tu peux facilement ajouter et retirer des balises depuis ta carte, alors n’hésite pas à en utiliser, si cela peut t’aider !

Je hoche la tête. J’ai bien compris que même en posant des questions, il ne me répondrait pas. Alors à quoi bon, hein ?

Je récupère la tablette, tente de comprendre où je peux trouver cette fonction parmi les différents menus, avant de remarquer un symbole rond qui pourrait, avec un peu d’imagination, symboliser une longue-vue.

C’en est effectivement une. D’ailleurs, elle me paraît assez efficace, du moins pour voir les trous dans mes chaussures. Voyons si le paysage se révèle devant moi… Hmm… Malgré un léger voile bleu, tout est… Presque proche. Presque à portée de main. Les ruines, l’église, la montagne, les arbres à ma droite, même la neige et la tour qui pointe derrière elle… Tout semble… Vraiment, vraiment là. Comme si je voyais au travers de la pierre. Et là, tout à droite, sur ce pic rocheux, on dirait un sanctuaire. Juste… Là.

Je touche du doigt l’image, et une lumière rouge en émane brusquement, marquant le paysage. Étonné, j’abaisse la tablette et soupire de soulagement. Ce n’est visible qu’au travers de la tablette. Je la replace devant mes yeux et reprends mes recherches. Avec la nuit qui tombe, les marques orangées des sanctuaires semblent marquer d’elles-même leur emplacement. Il y en a un sur une corniche, à ma gauche, au bord d’un précipice. Marquons-le. Quant au troisième… Voyons… Il n’est pas en hauteur, il ne peut pas être très loin.

Je me tourne vers la gauche et plisse les yeux. Qu’est-ce que… Ah non, pardon, ce n’est que l’habit crasseux du vieillard. Je me déplace de l’autre côté et remarque, un peu tard probablement, que je n’avais pas besoin de la longue-vue pour le trouver, le dernier. Il n’était qu’à quelques… Disons quelques centaines de mètres du pied de la tour, au milieu de ruines voisines à l’église.

Voilà, ça c’est fait. Je n’ai plus qu’à trouver un endroit pour passer la nuit et manger les quelques pommes que j’ai récoltées ce matin. Ça ne sera sans doute pas suffisant pour apaiser ma faim, mais je ne suis pas prêt à chasser, et encore moins dans l’obscurité. S’il me reste de l’énergie demain, je prendrai le temps de partir en quête de viande. Sinon… Peut-être que je peux demander au vieil homme ?

Hmm… Déjà que pour sa paravoile il va falloir que je risque ma vie encore trois fois, je préférerais ne pas avoir à dépendre encore de lui. Parce qu’à coup sûr, il finirait par me demander de lui décrocher la lune.

Une bourrasque me surprend, une étreinte glaciale qui me prend au cœur. Le vent d’altitude est traître, semble-t-il. Une fois levé, il menace de vous emporter, là-haut, tout là-haut, on ne sait où, au-delà encore des limites du monde, vers les étoiles. Il vous emporte sur ses ailes de givre, il vous fait contempler les étoiles, le calme de la nuit, tout en vous rappelant à votre solitude. Deux yeux ne suffisent pas pour apprécier la beauté d’une nuit étoilée. Il manque… Il manque... Quelque chose ? Quelqu’un ?

Je porte la main à ma tête. Je ne sais pas, je ne sais plus, et ce n’est plus l’heure d’y penser. Profitons du fait que cette nuit n’est pas trop nuageuse pour descendre de cette tour et rejoindre un endroit plus abrité. Le Sanctuaire de la Renaissance n’est peut-être pas ma meilleure option. Le sanctuaire de Ma’Ohnu est plus proche est probablement le plus pratique, pas le plus confortable, mais au moins il y fait bon et j’y serai en sécuri…

— Aaaah !

J’ai glissé. En tentant de descendre de la tour. Heureusement que le palier d’en dessous n’était pas si loin, sinon… Je préfère ne pas imaginer.

— Jeune homme ? m’interpelle la voix du vieillard. Tout va bien ?

— Oui oui, j’ai simplement… Glissé, j’admets d’une voix amère, le visage brûlant. Mais je ne me suis pas fait mal.

— La fatigue probablement. Ton corps n’était pas prêt pour toutes ces émotions et ces activités. Tu as besoin de repos et d’une bonne alimentation pour repartir demain. Suis-moi.

— Mais… Je… ?

— Ne t’inquiète pas, va, ça ne te coûtera rien. Rien que tu ne puisses pas payer, du moins ! Et puis, il faut bien que j’entretienne mon investissement ! Si tu devais te blesser, ce serait un problème pour toi et pour moi. Viens, accroche-toi à ma paravoile. J’habite un peu plus loin, derrière l’église. D’ici, ça doit être à portée d’ailes, ou presque. On doit pouvoir réduire la distance. Tiens-toi bien et ça ira.

— Vous êtes sûr ?

— Si tu te téléportais, ce serait plus simple, mais il y a longtemps que je n’ai pas eu de compagnie, alors… Je préférerais te savoir en sécurité.

— J’aurais quelques questions à vous poser, justement.

— Alors si tu n’es pas contre ma compagnie…

— Je ne suis pas contre votre compagnie, j’acquiesce avec un sourire. Enfin, je ne suis surtout pas contre un repas chaud et une bonne nuit de sommeil, et si je pouvais avoir quelques réponses, je serais un homme heureux.

Le vieil homme éclate d’un rire tonitruant tandis que je me relève, remonte la marche qui a failli m’envoyer au paradis, et que je reviens vers lui. Il s’approche de moi et me tape un grand coup dans le dos.

— J’apprécie ton honnêteté, petit. Allez, accroche-toi ! Pour ton premier vol, il faut bien que je te guide. Par contre, on va être assez lourds, alors essaie de ne pas trop bouger si tu veux arriver à destination sans payer le prix des airs à l’atterrissage.

Il sort sa paravoile, s’y accroche et me fait signe de monter derrière lui.

— Surtout ne lâche pas ! On saute !

Et effectivement, il saute. Une bourrasque d’altitude nous porte sur quelques mètres dans le ciel étoilé, avant de nous lâcher brusquement, faisant remonter l’ensemble de mes organes et me faisant hurler, les mains tellement serrées sur le bois que j’en sens toutes les fibres craquer dans mes paumes. Puis un autre courant d’air nous soutient, et j’entends le vieil homme se moquer sans la moindre discrétion.

— Au lieu de hurler comme un enfant, regarde autour de toi et profite !

— Profiter de quoi ? On a failli mourir !

— Tu t’inquiètes pour rien, va ! Regarde ! C’est une chauve-souris ! Et là, regarde cette constellation ! Regarde ce ciel ! Il est si proche, on pourrait presque le toucher en tendant la main ! Mais ne lâche pas la paravoile pour autant, surtout. Accroche-toi et regarde. Regarde ce monde. Contemple-le tant que tu en as l’occasion. Profites-en tant que tu peux. Et quand tu seras tout à fait libre, n’hésite pas à voyager et à voir le monde. On dit que les voyages forment la jeunesse, alors considère la vie comme un voyage, jeune homme, et tu seras jeune pour toujours.

— Est-ce que tout va bien ?

— Hmm ? Quoi, je n’ai pas le droit de radoter un peu ? Ou tu préfères m’entendre me moquer de toi, petit froussard ?

Je ne peux m’empêcher de sourire. Oui, décidément, même s’il est agaçant et à peu près incompréhensible, j’aime mieux l’entendre comme ça. Et puis, avec sa voix bourrue et le silence de la nuit, c’est comme si chaque mot qu’il prononçait faisait trembler les étoiles. Et puis, il faut dire que le plateau est assez beau, vu de haut. Les sanctuaires surtout. Entre celui de Ma’Ohnu, qui brille timidement de sa lueur bleue, et les autres qui tranchent avec l’obscurité, plus ou moins proches, plus ou moins lointains, se découpant sur la masse menaçante de roche qu’est la montagne du nord, ou bien directement sur le ciel, comme celui de l’est, c’est comme si cet espace était un fragment du monde, et cet homme devant moi un représentant de l’humanité. Un sage, ou quelque chose de la sorte.

Un sage ? Mais qu’est-ce que je raconte, moi ? Ce vieux charognard, un sage ? Non non non, sinon il m’aurait déjà donné ce truc, et il m’accompagnerait au moins dans les sanctuaires, au lieu de me dire d’y aller et de m’attendre tranquillement chez lui. Non, hors de question. Ce n’est pas un sage, et encore moins un guide. Il est tout juste bon à donner des ordres.

Je ferme les yeux et secoue la tête. Non mais vraiment...

— On va atterrir !

— Déjà ?!

— Attention à tes genoux ! Plie les jambes et accompagne…

— Aaaaaaaaah !

J’ai lâché le bois en voyant le sol se rapprocher, et suivant une logique qui m’échappe, décidément, mon corps a décidé que la meilleure option pour moi de survivre à une chute de quelques dizaines de centimètres, c’était de rouler. Mais il n’avait pas prévu que l’on tomberait aussi vite.

Disons qu’avoir mis la tête dans l’herbe m’a au moins fait découvrir le goût de l’herbe. Et que mes vêtements déjà poussiéreux sont désormais également verts et boueux. Mais je n’ai mal nulle part, c’est déjà ça.

— Et moi qui croyais que j’allais pouvoir te donner la paravoile et te laisser te débrouiller avec… Rajoutons des cours sur la liste des choses à t’apprendre, alors…

— Je sens que le prix de ce truc va encore augmenter…

Il me tape un grand coup dans le dos et rit de bon cœur.

— Je t’en ferai cadeau ! J’aurai déjà eu ma récompense, de toute façon…

— J’ai comme l’impression que c’est mon honneur qui va payer...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Renouveau ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0