Le Confort d'un Foyer

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Devant nous se tient une petite maison sombre, qui se détache à peine sur le ciel nocturne. Lorsque le vieil homme en ouvre la porte, une odeur nostalgique me prend à la gorge. Une odeur que je connais par cœur, sur laquelle je n’aurais jamais pensé ne pas parvenir à mettre un nom. L’odeur du vieux bois sec de la paille, de la fumée et du ragoût.

— Tu ne rentres pas ?

Je suis effectivement resté sur le pas de la porte, un peu comme un idiot, à tenter de forcer ma mémoire à me répondre. Mais elle reste silencieuse. Si silencieuse… J’aimerais dire qu’elle me cache la vérité, qu’elle me cache mes souvenirs, mais j’ai l’impression que ce n’est pas le cas. Elle ignore comment me répondre, je dirais.

— Ma maison te déplaît tant que ça ?

— Quoi ? je sursaute, avant de rentrer et de fermer précipitamment la porte derrière moi. Non, pas du tout, désolé, j’étais perdu dans mes pensées.

— Ah, si ce n’est que ça ! Ça ne m’étonne pas qu’une tête creuse comme la tienne prenne autant de temps à réfléchir.

— Ma tête n’est pas creuse, vieillard. J’ai simplement trop de questions qui se bousculent là-haut et aucune réponse.

— Alors laisse-les venir, soupire-t-il en sortant de son sac une quantité impressionnante de poisson et de fruits. Tiens, viens m’aider à couper les pommes pour le repas. Tu sais faire, ça ?

Je le regarde. Il me regarde. Me fait signe de venir m’asseoir à côté de lui. J’hésite. Couper des pommes. Je sais faire ? Probablement, enfin j’espère. Si je sais, enfin si mon corps sait couper des monstres en morceaux, j’imagine que couper des pommes ne devrait pas lui poser de problème. Je m’assied, prend le couteau que me tend le vieil homme à la paravoile et regarde le fruit. Bon. L’adversaire est là. Mon corps, à toi de passer à l’action.

Je regarde ma pomme. Puis ma main. La lame. Ma main, à nouveau.

— Jeune homme ? Hé, jeune homme !

— Euh… Oui ?

— Tu ne sais pas faire ?

— Je… ne sais pas faire, apparemment.

— Apparemment ? Tu veux dire que tes problèmes de mémoire t’empêchent d’éplucher une pomme ?

— Euh… Je croyais que mon corps savait faire, comme il découpe des monstres sans se poser de questions, mais visiblement, les monstres ne sont pas des pommes, et inversement.

— Je vois… Bon, je te montre pour celle-là, les autres sont pour toi. Tu ne survivras pas longtemps si tu n’es pas capable d’éplucher quoi que ce soit, mon pauvre. Et je ne te parle pas des filles. Comment veux-tu séduire une fille si tu es capable de te couvrir de jus de monstre mais pas de jus de fruits ?

— Pourquoi voulez-vous que je séduise qui que ce soit, vieil homme ? Et à grand coup de jus de fruits ? Vous avez peur que je devienne comme vous ?

— Mais enfin, gamin, j’ai été marié, moi !

— Ah oui ? Grâce à vos talents de cuisinier ? Vos capacités de téléportation ? Ou cette vieille paravoile que vous refusez de me donner ?

Sans doute mon sourire a-t-il fait vibrer ce vieux cœur bourru car après m’avoir fixé d’un regard à peu près incompréhensible, il m’a tapé un grand coup dans le dos et commencé à rire d’un rire étrange. Je ne sais pas vraiment pourquoi, à vrai dire. Bah, je comprendrai bien un jour. Ou pas. Ce n’est pas bien grave, sinon.

Avec les pommes, j’apprends à assaisonner la viande et à la cuire, à couper les piments, à préparer les herbes. Rien de bien difficile, selon mon professeur qui, même s’il semble prendre un malin plaisir à se moquer de l’épaisseur de mes épluchures, du temps que je prends à couper un pauvre fruit minuscule, de la couleur verte qu’a pris le bois de sa table.

Dehors, il y a une marmite sous laquelle il a allumé un feu, et on a mis tout ça dedans. Il a appelé ça… Je ne sais plus… Un chutney pikpik ? Quelque chose du genre. Enfin, je l’ai noté dans un carnet qu’il m’a donné. Il m’a donné pas mal de choses, d’ailleurs, notamment si on compte les coups et les regards en coin. Il a l’air de cacher quelque chose, une tristesse, un manque, mais… J’ai décidé de ne pas lui poser de questions. Il a l’air épuisé, et derrière ses bravades, il y a toujours ces yeux tristes, comme voilés.

En tout cas, s’il y a bien une chose dont je suis sûr, c’est qu’il n’est pas en train de devenir aveugle. Il est capable de manipuler des couteaux tranchants tellement vite et de manière si précise, impossible que ses yeux soient malades.

Enfin, j’ai encore tout le temps de réfléchir à tout ça. Il a refusé de m’accompagner où que ce soit, sous prétexte qu’il n’est plus tout jeune et que de toute façon, je n’ai pas besoin de lui. C’est à peine s’il a accepté de me réveiller à l’aube.

Et puis, il m’a laissé son lit. Je n’ai pas eu d’autre choix que de l’accepter, lorsqu’il s’est allongé sur la paille qui recouvre le sol, la tête sur un sac de grains, sous un vieux morceau de tissu à peine plus épais que de la toile. J’ai insisté, mais il est têtu, et il a raison. J’ai besoin de repos. Enfin, j’imagine que c’est surtout dans son intérêt qu’il fait ça. Il ne voudrait pas que je m’endorme dans un de ces sanctuaires et qu’un monstre s’occupe de mon cas. Il ne pourrait pas obtenir ses trésors, et ça, visiblement, c’est important pour lui. Je ne sais pas trop pourquoi, mais il sera toujours temps de se poser la question demain.

Dormons, donc.

— ...tit… ! Petit !

— Quoiiiiiiii ? je fais en bâillant, à peine réveillé.

— L’aube s’est levée. Tu voulais partir au lever du soleil non ? Alors dehors ! Allez !

— Je… Oui… Attendez, juste une minute…

— Tu peux prendre la louche en partant ! Et n’oublie pas le couvercle ! Et les provisions !

— Oui maman…

Je bâille, m’étire, vérifie mon équipement, récupère mes armes sans vraiment ouvrir les yeux, et j’entends la porte claquer derrière moi, avec un « Bon courage ! » expéditif.

Je sens l’air frais du matin me frapper en pleine face et j’ouvre enfin vraiment les yeux. La vallée mouvante couleur de jade danse devant moi. Le vent souffle fort, et quelques arbrisseaux que je n’avais pas remarqués en arrivant frissonnent autant que moi. Avec mon haut trop court et verdâtre, ma louche et mes branches, mon livre de recettes accroché à la ceinture et mon couvercle de marmite, je suis paré à conquérir les sanctuaires ! Ah oui, et n’oublions pas les restes de machin pikpik froid dans une… euh… chose que je ne nommerai pas, à réchauffer pour le déjeuner. Je récupère une pomme dans ma sacoche et l’engloutis, avant de me mettre en route. Autant aller au sanctuaire le plus proche. Il devrait se trouver au niveau de ruines, derrière moi… Très bien, alors en avant marche !

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