Entre pouvoir et devoir

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Descendre la tour me prend plus de temps que prévu. Les espèces d’échelles que constituent les parois de sont certes faciles à escalader, mais j’avais mal estimée la distance qui me sépare du sol. Il me faut, si j’estime l’heure à la position du soleil… Au moins une demi-heure avant de reposer le pied sur la terre ferme. Et de là, je n’ai plus qu’à retrouver le vieil homme et obtenir sa paravoile, pour descendre de ce plateau et aller directement au château.

Un étrange sifflement me surprend et je me retourne, lame au clair, avant de la ranger. Finalement, je n’aurai pas à aller le chercher, il est venu à moi, dans son vieil habit de toile sombre, rougeâtre, son visage dissimulé par un capuchon qui ne laisse dépasser que sa barbe blanche. Et malgré son arrivée volante, suspendu à l’objet que je convoite, il a toujours sa cane entre les mains.

— Tiens tiens, en voilà une surprise ! s’exclame-t-il en me voyant. Toutes ces tours qui s’élèvent les unes après les autres… Soit je me trompe fort, soit une grande puissance longtemps assoupie refait surface en Hyrule.

Je sens son regard, d’abord tourné vers la construction tout juste sortie de terre, se poser sur moi de tout son poids. Si c’est une blague, elle n’est pas très bonne. Je ne suis pas une grande puissance, si je l’avais été… La brume qui recouvre mes souvenirs s’épaissit encore. Si je l’avais été, on n’en serait pas là.

— Alors, comment ça s’est passé là-haut ?

— Il y avait une voix…

— Hmm… Il y avait une voix qui semblait venir du château ?

— Oui.

— Et cette voix, tu l’as reconnue ?

Mon cœur se serre. J’aurais voulu lui dire oui, je sais que quelque part, au fond de moi, quelqu’un d’autre l’a reconnue. Mais pas moi. Je secoue la tête, incapable d’exprimer correctement ce que je ressens comme une faute.

— Je vois… C’est bien dommage, fit-il en se retournant pour regarder par-delà les murailles, restant un instant silencieux. J’imagine que tu as remarqué l’aura maléfique qui émane du château… C’est celle de Ganon, le Fléau. Il y a cent ans, il a semé la ruine et la désolation dans le royaume d’Hyrule. Il est apparu soudainement, a ravagé villes et villages et laissé derrière lui un sillage de mort. Mais depuis cent ans, sa puissance destructrice est contenue entre les murs du symbole même de notre royaume… Le château d’Hyrule est sa prison et tant qu’il y est retenu, les contrées environnantes sont à l’abri de sa fureur.

Contemplant moi-même le majestueux paysage de vallées, de forêts et de montagnes qui se déploie devant mes yeux, je suis secoué d’un frisson à l’idée de voir toutes ces terres détruites, ravagées, ensanglantées, probablement jonchées des cadavres des courageux soldats dont j’ai pu apercevoir les tombes tout à l’heure. Une image un peu trop réaliste s’affiche devant mes yeux et je secoue la tête. Je n’ai pas le choix. Je dois aller sauver la voix.

Sans doute le vieil homme a-t-il remarqué mes poings fermés et mon visage crispé puisqu’il me sourit :

— Dis-moi, mon jeune ami. Aurais-tu l’intention de partir pour le château ?

— En effet, je murmure releva la tête.

— Je m’en doutais ! s’exclame-t-il en éclatant de rire. Mais ce plateau est coupé du reste du monde par les profonds ravins qui l’entourent. Si tu sautais d’ici… Ton corps finirait brisé par la hauteur de la chute. Évidemment, si tu avais une paravoile comme moi, ça serait une autre histoire !

Je crois que je lui jette un regard de travers. Sérieusement, je n’avais ni besoin de son avertissement ni de sa vantardise pour en arriver à cette conclusion. Et franchement, à quoi ça peut bien lui servir, de me le faire remarquer sur ce ton de professeur sûr de lui ? Il me sous-estime ! Il se fiche de moi, alors que lui-même n’est pas fichu de faire ce qu’il me dit de faire !

— Donne-la-moi, puisque tu sais quelle importance elle a et que tu ne l’utilises pas !

— Ho ho ho, mais avec plaisir, mon garçon !

Attendez, quoi ?

— À une petite condition, toutefois.

Je soupire. Évidemment, c’était trop beau pour être vrai.

— Voyons voir… Passons un marché, toi et moi. Il y a un grand trésor sur ce plateau. Un trésor qui m’intéresse. Par ici, suis-moi.

Je le regarde s’éloigner, bouche bée. Donc, ce vieil homme est un chasseur de trésors qui est sur ce plateau depuis des années et qui sait où est ce qu’il cherche mais qui ne l’a pas récupéré, pour une raison que j’ignore. Et il veut que ce soit moi qui le récupère.

Je n’aime pas ce plan. Pas du tout.

Heureusement, il ne va pas loin, à quelques mètres, sur un petit point de vue du haut duquel il pointe un petit monticule que je reconnais immédiatement comme affilié à la tour et au Sanctuaire de la Renaissance. La même pierre, la même lueur orange, intermittente. De la forme d’une petite cheminée précédée par une stèle et un espace plat et rond brillant au fond. Un endroit suspect, visiblement, que je ne crois pas avoir vu en arrivant.

— Regarde dans cette direction. Tu la vois, n’est-ce pas ? L’entrée du sanctuaire, brillant d’une lueur mystérieuse. Elle s’est allumée au moment où la tour est sortie de terre. Tu peux être sûr que c’est le genre d’endroit qui recèle un trésor. Tu veux ma paravoile, n’est-ce pas ? Eh bien moi, ce sont les trésors qui m’intéressent.

Je soupire. Pas besoin d’être particulièrement intelligent pour comprendre ça. Et en plus, j’ai comme l’impression que cette mission qu’il me donne est plutôt du domaine de la curiosité que de la chasse aux trésors. Mais après tout, peu importe. J’ai besoin de cette paravoile et il ne me la cédera visiblement pas tant que je n’aurais pas retrouvé ce trésor.

Allez, plus vite ce sera fait, plus vite je pourrai aller au château.

J’examine le terrain. À droite et à gauche s’ouvrent de grands précipices au fond desquels se trouve de l’eau. Et après, pour remonter vers le sanctuaire, c’est une falaise de terre à-pic. L’escalade mouillé, c’est du suicide, donc c’est non. À la limite, si le pont de pierre qui passe au milieu s’était écroulé un peu plus loin, j’aurais pu tenter de sauter de l’un à l’autre, mais là, il s’est arrêté au milieu, c’est donc hors de question. Ne reste plus que faire le tour. Et pas par la droite, c’est la muraille et le vide, à droite. Alors gauche toute, faisons le tour.

Je m’avance sur les berges, prudemment parce qu’en plusieurs endroits, le sol s’est éboulé. Je passe entre les larges flaques d’eau peu profondes, semblables à celles où je me suis nettoyé plus tôt ce matin. Ça peut paraître fou, mais je suis sûr qu’autrefois, des gens vivaient en ces lieux. Il reste tellement de constructions… Rien qu’à ma droite, deux colonnes de pierre s’élèvent encore, une route pavée se dirige droit dans l’eau, des piliers écroulés sur les côtés ornent les pentes. Derrière une colonne, une étrange construction, une sorte de chapiteau métallique décoré d’ornements, est recouverte par la mousse. Par terre, un vieux ressort en état de marche attire mon regard. Il doit être là depuis des années, et pourtant il a l’air comme neuf…

Je garde cette curiosité dans ma poche, persuadé que je lui trouverai, dans un futur proche, une utilité.

Je franchis les berges sans rencontrer de problème, contourne une nouvelle étendue d’eau peu profonde, en contourne une autre qui fait tout le tour du sanctuaire et parvient, par une langue de sable, sur la pierre sombre lézardée de lumière. À première vue, rien de spécial. Rien de compliqué non plus, c’est exactement ce que j’avais vu de là-bas. Un piédestal, un cercle orné d’un motif circulaire complexe, un mur jaunâtre gravé de glyphes incompréhensibles, dont le secret est protégé par une cheminée bouchée. Au-dessus de l’entrée scellée, la figure lumineuse d’un œil et d’une langue semble m’observer. Et pourtant… Ce bâtiment a quelque chose du volcan. D’un petit volcan de lave solidifiée, d’où pulserait un magma encore vivant, encore brûlant. Son éclat de feu me donne une impression de confort et de danger. Comme si c’était un animal à peine domestiqué, qui peut me sauter à la gorge si je ne fais pas assez attention. Comme un avertissement.

Je jette un regard derrière moi. Le vieil homme n’est plus là. Et je ne sais pas vraiment quoi faire, maintenant. Il y a bien cette chose ronde et lumineuse qui ressemble au pilier de la tour… Essayons ça, de toute façon je ne vais pas rester devant la porte à attendre que quelque chose bouge.

Je pose donc la tablette sur la stèle.

Tablette sheikah reconnue.

Ah, tiens. À nouveau, le même phénomène, la lumière orange qui disparaît pour laisser place au bleu, le cercle orné qui s’allume. C’est quand-même étrange, ça… J’imagine que la lumière de base veut dire que l’objet n’a pas été, disons… ouvert ? Et que le bleu veut dire qu’il est maintenant accessible et à sa position normale ? Je lève les yeux. Hmm… Non, puisque la cheminée reste éclairée en orange, il doit y avoir autre chose à faire.

Activation du point de téléportation et inscription sur la carte.

De téléportation ? Mais... quoi ? Comment ça, de téléportation ? Ça existe ? C’est possible ? Je n’ai peut-être plus de mémoire, mais ça, quand-même, je ne l’aurais pas oublié ! Je ne sais même pas comment ça marche, c’est peut-être dangereux ! J’espère qu’il ne va pas me téléporter tout seul… Et vers où ?

Déblocage de l’entrée.

Ah, visiblement, je suis toujours là. Les lignes de glyphes s’ouvrent une à une devant moi, comme un éventail. Certaines vers la droite, d’autres vers la gauche, libérant le passage vers une alcôve obscure, seulement illuminées par un cercle bleu au centre duquel le symbole de l’œil et de la langue m’attend. Et puis, une drôle d’odeur me frappe, quelque chose de vraiment sec et poussiéreux. Comme un sceau millénaire qu’on viendrait de briser et qui répandrait des effluves du grand autrefois dans un aujourd’hui en ruine.

Je m’apprêtais à poser mes pieds sur le symbole, mais quelque chose me retient. Une pensée, qui m’a traversé l’esprit. Je ne sais pas dans quoi je m’aventure. Je ne sais pas qui je suis, ni pourquoi je suis là. J’aurais toutes les raisons de reculer. Mais cette voix… Elle a confiance en moi. Elle croit en moi.

Je m’avance.

À peine ai-je posé mon pied sur le motif au milieu que tout se met à trembler, mais je n’ai rien pour m’accrocher. Je ne peux que compter sur mon équilibre apparemment suffisamment instinctif pour ne pas me retrouver sur les fesses, puis le sol commence à bouger sous mes pieds. Il... descend lentement, comme s’il voulait me laisser le temps de dire adieu à ma réalité. Je regarde l’extérieur disparaître progressivement, en espérant que ce ne sera pas la dernière fois que je le verrais.

Parce que si c’était le cas, j’irais hanter ce vieil homme jusqu’à la fin de ses jours.

Mourir pour une paravoile.

J’imagine que ça le ferait rire.

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