L'auberge

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Dandarion était trempé jusqu’aux os quand il arriva aux portes d’Angèbre. Le crépuscule était tombé, et des nuages d’averses avaient couvert le ciel en début d’après midi. La ville se dressait au milieu d’immenses collines à perte de vue. Deux grandes murailles étaient agencées à l’entrée, sur lesquelles étaient postés des gardes angèbrois, filtrant l’accès à la cité. Au moment d’atteindre le pont-levis sous lequel s'écoulait le fleuve, un des gardes l’interpella pour son nom et sa venue. Le jeune homme donna son surnom « Darion Le Jeune » et se fit passer pour un tanneur en transhumance en ville. Le garde le laissa circuler sans le fouiller, et heureusement, car Dandarion aurait eu du mal à expliquer la présence de Donegal à sa ceinture. Ce manque de sécurité pour une ville aussi grande et prospère résultait du fait qu’Angèbre échappait au contrôle royale du Comté. La ville était un nid à Sorcières, Druides, Nains et autres créatures des ombres inflexibles au pouvoir. Pas étonnant qu’aucune forme d’autorité ne trouvait de place ici.

Le vagabond pénétra la ville. Son long manteau de cuir camouflait bien son épée à tête équine. Originaire des Flandres tout à l’est du pays d’Eliand, personne ne pouvait soupçonner qu’il était un Cavalier d’Huel, le pays des Seigneurs équestres, à milles lieux d’Angèbre. Le père de Dandarion l’avait envoyé loin des Flandres auprès du Roi Morvan pour renforcer les liens des deux familles. Il était avant tout excellent Cavalier avant d’être Chevalier de la Couronne, ou du moins, maintenant il n’était que Cavalier. On contait aux enfants dans le monde entier que les soldats d’Huel pouvaient murmurer milles mots aux oreilles de leur monture, dans une langue inconnue, et que les chevaux leur parlaient en retour. C’était bien évidemment faux. Dans ses souvenirs, Dandarion n’obtint jamais de réponses des chevaux qu’il eût monté aux cours des batailles, mais il gardait en mémoire un lien particulier avec chacune de ses bêtes.

La pluie commençait à glacer ses membres. Il avait marcher la journée entière et s’était peu restauré. Il était temps de trouver un logement pour la nuit. Le lendemain il se mettrait à la recherche d’un travail qui lui rapporterait quelques deniers à la semaine. Il s’avança dans la ville grouillante telle une fourmilière géante. Des rues dans tous les sens, des échoppes, forges, bordels, tavernes se mélangeaient autour de lui. On le bouscula sans ménagement, sans un regard. Dandarion n’était qu’une fourmi parmi tant d’autres. Ses yeux se posèrent tour à tour sur des Nains ivres qui riaient fort, les barbes dégoulinantes d’alcool, à l’entrée de tavernes. Il croisa un ou deux vieillards à la longue barbe qui n’avaient pas besoin de se frayer un passage dans la foule, car les gens s’écartaient d’eux avec effroi comme s’ils eurent porter la peste. Dandarion devina alors que c’était des Druides, craints par tous. Puis il vit des jeunes filles, trop légèrement vêtues en ce temps pluvieux et froid, lui faisant signe d’approcher pour passer quelques heures étendu à leurs cotés et savourer des délices corporels. Dandarion n’avait pas couché avec une femme depuis bien longtemps, et ce n’est pas l’envie qui lui manquait à cet instant. Laissant son regard traîner sur les longues jambes et les gorge dévêtis des prostitués, il s’engouffra un peu plus dans la ville. Ses cheveux bruns mouillés par la pluie collaient à son visage. Il grelottait de froid sous son épais manteau de cuir. Il était du genre résistant aux basses températures, habitué par les hivers mortels d'Huel. Mais les derniers jours avaient été éprouvants, la fatigue et le manque de nourriture l’avait affaiblis. Il s’était écoulé une bonne semaine depuis son dernier passage dans un village. Sa mâchoire se crispa à chacun de ses pas. Il scruta les devantures des bâtisses pour trouver une auberge convenable qui puisse l’accueillir pour la nuit. Il y en avait pour tous les gouts, et de toutes clientèles. Il cherchait une auberge discrète et calme, fuyant les bagarreurs ou les voleurs. Le froid se fit de plus en plus glacial, comme une morsure s’enfonçant dans sa chair jusqu’à pétrifier ses os. S’il continuait à faire la fine bouche, il attraperait la mort à coup sûr. Il arriva au coin d’une petite ruelle pavée où se dressait une auberge plutôt bien entretenue. N’ayant rien vu de mieux depuis son arrivée en ville, il décida de s’y arrêter pour demander gîte et couvert.

Le vagabond poussa la lourde porte en bois de l'établissement. Il y avait du monde ici, à vouloir comme lui, s’abriter du mauvais temps. Il retira son capuchon, et tenta de trouver une table de libre parmi toute cette assemblée. Des hommes, principalement, remplissaient la grande salle de l’auberge, trinquant, discutant des dernières nouvelles, et se réchauffaient auprès de l’énorme feu de bois qui envahissait l’antre de sa chaleur réconfortante. Ne trouvant aucune table de libre, Dandarion alla prendre place au vieux comptoir sculpté sur sa face. Son oeil observateur détailla le meuble discrètement. Une scène y était décrite. Son regard traina sur le bois taillé qui contait la naissance de trois reliques, sortis des entrailles de la terre, et de quatres cavaliers descendant des cieux, illuminés par les rayons d'un soleil. L'attention de Dandarion s'arrêta sur les trois reliques, représentées par un épieu, une hache et une épée. L'artiste qui avait façonné ce comptoir avait bien détaillé les armes de son burin, car elles semblaient directement incrustées à l'édifice. Dandarion finit par reporter son attention au maître des lieux.

  • Une pinte, aubergiste...

 Ulrig le vieux tavernier se retourna et scruta l’étranger de son vieil œil gris. Il lui servit sa pinte sans un mot. Le jeune Cavalier ne sentit pas intimidé par cette montagne borgne qui ne transpirait que peu la sympathie et l'hospitalité.

  • Merci... Avez-vous une chambre de libre pour cette nuit ?
  • Nous sommes complets ce soir. Répondit Ulrig d’une voix calme. L'arrivée de Mabon et du mauvais temps attirent du monde en ville.

 Le torchon en main, il essuyait verres et gamelles qu’il empilait soigneusement sur un plateau de service. Le vagabond s’enfila sa pinte d’une traite, puis en demanda une autre. Il l’avait bien mérité après ses jours à marcher loin de la civilisation. La chaleur du feu vint l'étouffer sous ses vêtements. Il déboutonna son manteau de cuir pour se mettre à l’aise et sirota sereinement son verre tout en scrutant les différents éléments de décoration qui édifiaient l’endroit. Il y avait sur les étagères des bouteilles d'alcool poussiéreuses, des sculptures de bois, et des bouquets de plantes séchées. A plusieurs endroits sur les poutres du plafond, étaient gravées des runes et autres symboles paiëns. Le jeune Cavalier en reconnu certains. Il était fréquent dans les villages du pays d'Huel d'apposer des protections sur sa maison, pour attirer la bonne fortune et éloigner la maladie et les mauvais sorts. Ici, Dandarion devina les runes de richesse, de lumière... et de mort. Curieux, pensa-t-il.

Plus jeune il avait cotoyé un druide très pédagogue qui lui avait enseigné la lecture des runes et des sygils, des symboles pour invoquer les esprits. Le jeune homme était fasciné par ce monde, mais avec le temps, il s'était éloigné des vieux grimoires de son professeur animiste pour se concentrer sur sa formation de Cavalier d'Huel. Il avait gardé en mémoire seulement le nécessaire, à savoir la médecine des plantes, les runes pour reconnaitre l'intention d'un village, et les intersignes d'animaux. Tous ces symboles gravés au plafond de l'auberge lui rappelèrent le cerf croisé le matin même. Le jeune homme ne fut pas certain qu'il s'agisse là d'un "intersigne". En temps normal, seuls les oiseaux ou autres petits animaux viennent à vous pour délivrer un message. Donc un cerf... Cela semblait n'être qu'un hasard.

Un vacarme se fit soudainement entendre à l’autre bout de la pièce parmi tout le brouhaha ambiant, brisant l’harmonie du lieu jusqu’ici intacte. Le silence s’installa en quelques secondes dans la salle et tous se retournèrent pour dévisager l’auteur de ce désordre. Un vieillard ivre mort, accoudé au manteau de l’énorme cheminée, psalmodiait des mots inaudibles tant sa langue était anesthésiée par tout l’alcool qu’il avait ingéré. Pris d’un coup de colère, le vieux poivrot avait renversé sa table suite à un désaccord avec ses confrères.

  • Hey ! Vous là, pas de désordre dans mon auberge, sortez ! hurla Ulrig à la tablée d’hommes tout aussi ivres les uns que les autres.

 Les trois vieux marchands se levèrent et s’empressèrent de ramener leur camarade avant que celui-ci ne glisse de la cheminée et ne tombe dans les flammes. Les poivrots sortirent de l’auberge, s’excusant auprès d’Ulrig qui les dévisagea de son œil sombre. Sa stature de colosse et son visage inquiétant pouvait faire fuir un ours.

 Dandarion avait assisté à la scène, incrédule, comme la plupart des autres clients. Sans s’en rendre compte, il avait agrippé le pommeau de son épée au fracas soudain de la table et des chaises. La guerre était encore incrustée dans sa peau. Il desserra la mâchoire, et lâcha Donegal pour se remettre à boire sa bière et calmer ses sens maintenant échauffés. C'est alors qu'une silhouette à l’allure gracieuse, passant dans le coin de son œil, et ne manqua pas d'attirer son attention.

  • Helenor, fit l’aubergiste, va arranger ce désordre...

 Tout juste arrivée derrière le comptoir pour grignoter le reste de sa miche de pain, Helenor s’exécuta sans un mot, l’esprit encore endormi. Elle était descendue de sa chambre au moment où les quatre vieux poivrots titubaient hors de l’auberge. Le bruit l’avait réveillée en sursaut. Elle s’était suffisamment reposée par sa longue sieste, et était revigorée pour assurer le service de tous ces clients habitués et chaleureux avec qui elle aimait discuter des dernières nouvelles. Cependant, elle remarqua rapidement la présence de cet étranger silencieux assis au comptoir. Il empoignait sous son long manteau de cuir trempé une arme brillante qu’elle devina précieuce, du moins suffisamment pour vouloir le cacher aux regards baladeurs. Ses yeux noisettes avaient tout de suite été attiré par ce scintillement d’argent. Elle traversa la salle jusqu’à la cheminée qui lui réchauffa ses mains blanches et fines. Elle remit la table renversée correctement en place, replaça les chaises, et ramassa les débris d’assiettes qui avaient volés sur le vieux parquet grinçant.

Dandarion l’observa du coin de l’œil, faisant mine de boire sa pinte le regard dans le vide. En réalité il se questionnait sur la nature de sa relation avec le maître des lieux. Elle devait sûrement être la fille de l’aubergiste, bien que la ressemblance ne soit pas présente, perpétrant ainsi une affaire familiale. Il profita que la table fut de nouveau libre pour se rapprocher du feu, et sensiblement, de la serveuse à la belle chevelure bouclée. Il quitta son tabouret au comptoir pour traverser la grande salle, se faufilant entre les tablées et prêtant bien attention à garder Donegal dissimulée sous son manteau.

  • Puis-je ? demanda-t-il.

La jeune femme leva son visage vers lui. Ses yeux teintés de cuivre, qui refletaient les flammes sauvages de la cheminée, plongèrent dans le regard sombre et interrogateur du jeune homme.

  • Je vous en prie. Souhaitez-vous que je vous débarrasse de votre manteau pour le sécher ? s’enquit-t-elle de proposer à l'étranger dont la tignasse brune et humide laissait perler des gouttes d'eau sur le front.
  • Merci mais cela ira. Je souhaite simplement profiter de la chaleur du feu, répondit-il d’une voix assurée.

C’était donc sûr. Cet objet avait une certaine valeur pour le cacher sous un manteau de cuir trempé. Helenor laissa l’étranger s’assoir à sa convenance. Elle aurait bien discuter avec lui, pour percer d'avantage son identité. Néanmois, l'allure silencieuse et taciturne qu'il dégageait avec indolence lui fit comprendre qu'il préférait rester seul. Et pourtant, elle supposa qu’il ne serait peut-être pas autant insensible à ses charmes le moment opportun. Helenor était bien trop curieuse pour le laisser simplement partir sans savoir quelle chose de valeur il trimballait à sa ceinture. La voleuse était résolue à le dérober, usant de sa séduction. C’était une soirée qui semblait banale pour elle, mais par l’arrivée de cet inconnu, la nuit devenait soudainement plus intéressante.

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