Chapitre 6

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La tête de la jeune danseuse ne martelait plus. Le cachet d’ibuprofène avait fait son effet depuis quelques minutes. Elle avait préparé un petit sac et rejoint Sylviane à l’aéroport où elle prenait un café.


- Ah ben te voilà enfin ! J’te rappelle qu’à l’inverse de moi, les avions n’attendent pas, eux !


- Ouais ben j’suis là maintenant, rétorqua Marion en s’écroulant sur la chaise.
A peine fut-elle assise qu’un garçon de salle s’approcha.


- Un café s’il vous plaît, jeta-t-elle.


Alors que le serveur s’assurait qu’elles n’avaient besoin de rien d’autre, Sylviane reçut un violent coup de pied dans le tibia qui la fit sursauter et la table avec. Le serveur, impassible, prit congé.


- Qu’est-ce qui te prend ?


- Je te rappelle, p’tite sœur, que tu as déjà quelqu’un dans ta vie, souligna Marion à mi-chemin entre surprise et stupéfaction.


- Ca va ! s’amusa son amie. C’était juste un sourire. Il est plutôt beau gosse, non ?


- C’est pas la question, rétorqua la jeune femme, affichant un soupçon d’incompréhension.


Un silence s’installa le temps d’une gorgée de son expresso avant que Sylviane ne reprenne la parole.


- Je t’ai sentie un peu perturbée hier soir. Tu y vois plus clair ce matin ?


- Non mais la moindre des choses que je puisse faire, c’est de remercier cet homme. Dieu sait comment aurait fini ma mésaventure d’hier s’il n’était pas intervenu.


- Et ?


- Et alors, je vais prendre contact avec lui mais je n’arrive pas à me convaincre à l’appeler. Je me sens un peu merdeuse de l’avoir planté dans le décor.


Une tasse de liquide noir et chaud se présenta devant elle, claquant de ce bruit particulier de la porcelaine s’entrechoquant sur le marbre de la table. La jeune femme tendit un billet de cinq puis le garçon de café s’en retourna après avoir rendu la monnaie.


Sylviane reprit alors :


- Tu lui envoies un message et tu vois ce qui retombe.


Marion resta muette. Les paroles de sa sœur de cœur lui firent prendre conscience d’une évidence qui ne l’avait pas effleurée. Regard planté dans celui de son amie, elle arrêta de remuer son petit noir et saisit son portable sans mot dire. Comment n’avait-elle pas pensé à lui écrire plutôt que de l’appeler ? Elle sentit un poids abandonner ses épaules. Les doigts de la jeune femme se mirent en action sur l’écran tactile.


« Bonjour Vittorio, c’est Marion. Je n’ai pas osé vous appeler après ma conduite d’hier soir. Croyez-vous possible que l’on se retrouve autour d’un verre ? Je tiens absolument à vous remercier… et à me faire pardonner !  »


Terminant son café d’une traite, Sylviane signala qu’il était temps pour elles de se rapprocher de la porte d’embarquement. La danseuse fit de même puis elles se levèrent de concert et quittèrent le bar, bras dessus, bras dessous.


***


Le crissement inimitable des freins en fin d’arrêt du train et la secousse d’avant en arrière lors du stop final sortirent Vittorio de sa torpeur. Le temps avait fui sur la voie de chemin de fer. 1h45 s’était décrochée du temps. Un panneau sur le quai annonçait « Poitiers ».


Le regard du jeune dessinateur fit un tour d’horizon à la recherche d’éléments dont son cerveau avait besoin pour se raccrocher à la réalité. Les sons alentours, encore cotonneux quelques secondes plus tôt, devinrent plus nets, plus forts.


Sa voisine de voyage avait disparu ; probablement descendue à Saint-Pierre-des-Corps – l’arrêt précédent. Alors qu’il s’apprêtait à regarder sa montre, le regard de Vittorio fut attiré par quelque chose. Un morceau de papier déchiré, déposé sur la tablette juste devant lui. Il le saisit et le retourna. Le message contenait un numéro de portable et ces quelques mots :


« Appelez-moi ! Virginie.»


Le jeune homme resta interdit une poignée de secondes. On croit toujours avoir tout vu, pensa-t-il, projetant un sourire malicieux dans une expiration aussi courte que soudaine. Alors qu’il restait figé dans l’espace, bout de papier à la main, l’esprit rêveur, une notification arriva sur son portable qu’il n’avait pas lâché, même en dormant. Il glissa machinalement le « billet doux » dans sa poche alors qu’il ouvrait l’application des SMS. Seul le numéro apparaissait. Pas de nom ! Son cœur s’arrêta un moment tandis qu’il ouvrait la conversation.


« Bonjour Vittorio, c’est Marion. Je n’ai pas osé vous appeler après ma conduite d’hier soir. Croyez-vous possible que l’on se retrouve autour d’un verre ? Je tiens absolument à vous remercier… et à me faire pardonner ! »


Son pouls s’accéléra et son visage afficha un sourire béat tandis que ses yeux restèrent agrippés à l’écran. Le temps était suspendu. Il prit conscience de l’impatience de son attente à son soupir profond. Apaisé, ses paupières se fermèrent. Le parfum de Marion ressurgit de sa mémoire et envahit le wagon.


« Bonjour Marion. Heureux d’avoir de vos nouvelles. Allez vous bien ? Un verre ? Avec plaisir. Quand voulez-vous ? »


Le train avait repris sa course. Vittorio fit malgré lui une  rétrospective sur sa vie – l’académie des beaux-Arts, son ascension fulgurante, les voyages et parfois, une fille. Une vie de réussite et d’insouciance dans laquelle il se sentait bien, heureux. Jusqu’à hier soir. Jusqu’à cette rencontre aussi improbable qu’inattendue. Une rencontre qui avait fait germer quelque chose d’inconnu en lui, profondément. Le manque.


« Je pars deux jours, mais on peut dire lundi soir si vous le souhaitez  ? »


« Lundi… très bien pour moi. A la terrasse du café ? »


« Au Sixty Seven. J’y travaille de 21h30 à 23h00. Comme ça, vous verrez ce que je fais. »


« D’accord ! Alors à lundi, Marion… »


***


Les deux femmes arrivèrent à la porte d’embarquement  quelques minutes avant son ouverture. Une nouvelle notification résonna dans le hall alors qu’elles s’asseyaient.


- Il m’a répondu, paniqua Marion.


- Il dit quoi ? Mais fais voir, s’impatienta Sylviane.


- Ben il dit qu’il est heureux d’avoir de mes nouvelles et qu’il est ok pour le verre. Et il demande quand.


- Et t’attends quoi pour lui poser un rencart ?


- Ca va trop vite ! J’aurais jamais dû t’écouter. J’aurais jamais dû lui envoyer ce message.


- Ouais ben c’est trop tard ma vieille. Tu peux pas le laisser comme ça. Et pis tu l’invites à prendre un verre, pas à sauter dans ton lit, s’amusa son amie.


- J’te jure, tu me fais faire de ces trucs, reprit Marion en tapant un nouveau message : « Je pars deux jours, mais on peut dire lundi… ».


Sylviane regarda son amie avec une tendresse presque maternelle. Elle ne se souvenait pas d’avoir jamais vu sa sœur de cœur dans un état pareil. Pas même lorsqu’elle avait fondu sur ce type nommé Christophe qui lui avait fait perdre les pédales et qu’elle finira par retrouver au lit avec son ex au bout de quelques mois.


- Tu sais, reprit Sylviane calmement en posant sa main sur le genou de la danseuse. Je ne t’ai jamais vue dans un tel état pour un mec. Je sens qu’il y a un truc particulier qui se passe.


- Tu veux dire comme avec Christophe ? ironisa amèrement Marion.


- Oublie ce connard, ma belle ! Il vaut pas la corde pour le pendre.


- Pas la corde, hein ? fit la jeune femme en continuant d’écrire.


- Nan !


Les deux femmes éclatèrent de rire alors qu’un nouveau message arriva.


- Il demande si on se voit au même endroit qu’hier. J’lui dis quoi ?


- Mais tu me fais quoi ma vieille ? Depuis quand as-tu besoin de moi pour prendre ce genre de décision ?


- T’as raison, p’tite sœur. Je me sens bête de paniquer de la sorte, répondit-elle déconcertée.


Les doigts de la danseuse se mirent à nouveau en action sur l’écran de son téléphone.


***


Le chahut du train avait bercé le jeune dessinateur jusqu’à  destination – Bordeaux. Récupérant son bagage à main au-dessus de lui, porte-documents sous le bras, il descendit de la voiture et parcourut le quai en direction de la sortie où une voiture devait l’attendre.


Une pancarte mentionnant « Vittorio » semblait servir de cache-sexe à l’homme stoïque planté derrière, droit, sombre, une casquette de chauffeur enfoncée sur son crâne.


- Eh ben ! Le trajet va être joyeux, ânonna le jeune homme.

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