Chapitre 7

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Une voix se déversa des haut-parleurs déclenchant une coulée humaine dans le couloir d’embarquement. Entraînées par ce flot, les deux jeunes femmes se laissèrent porter jusqu’à la passerelle, dernier rempart avant la porte de l’avion. Une hôtesse accueillait les passagers, indiquant aux indécis l’endroit où se trouvait leur place. Une nuée de bras se levait de toute part, rangeant des bagages à main. De l’effervescence des premières minutes, il ne resta plus qu’un silence relatif lorsque tout le monde fut assis. La porte de l’appareil se ferma sans bruit. Malgré l’insonorisation, le sifflement étouffé des turbines inonda l’espace pressurisé. Le personnel navigant rappela les consignes de sécurité à un auditoire plus ou moins attentif, puis la voix du commandant de bord, souhaitant la bienvenue à tous, annonça le départ.


Les réacteurs rugirent. Le décollage était imminent.


***


La limousine climatisée était presque aussi froide que son chauffeur qui n’avait pipé mot si ce n’était quelques formules de politesse – Monsieur a fait bon voyage ? Si Monsieur veut bien que je le débarrasse de son bagage. Vittorio avait consenti à mettre son sac dans le coffre mais avait refusé de se séparer de son porte carton à dessin.


Le cuir de la banquette arrière gémit sous l’assise du dessinateur. L’écart de température avec l’extérieur, lui tira un frisson. Par réflexe, il rajusta son pan de chemise sur son torse et l’assura d’un bouton supplémentaire, cachant une cicatrice ancienne mais marquée. Calé dans son siège étonnamment enveloppant, il s’abandonna un instant à la pensée de la passagère du train : Virginie. Comme pour se convaincre qu’il n’avait pas rêvé, il sortit le bout de papier et, un peu déconcerté, sourit à sa relecture avant de le restituer à sa poche.


Ils avaient quitté le parking de la gare, parcouru quelques kilomètres avant d’emprunter l’autoroute.


- Nous serons arrivés dans vingt minutes, Monsieur, jeta soudainement le chauffeur.


Surpris par l’intervention de l’homme en noir Vittorio n’en comprit le sens que de longues secondes plus tard.


- Oh ! Parfait ! retourna-t-il sans conviction.


Maintenu dans son écrin de cuir, le jeune dessinateur ne tarda pas à s’assoupir de nouveau. Quelques minutes supplémentaires de récupération pour une nuit qui fut décidément trop courte. Il se réveilla au passage d’un rond point qui manqua le faire chavirer.


La longue carriole tourna dans un chemin de gravier concassé. Dernière ligne droite menant à la résidence de Xavier Dennoyer.


***


- Verre ou plastique ? s’enquit Sylviane.


- Pardon ? !


- Ton écran… verre ou plastique ?


- Pourquoi tu me demandes ça ? répondit Marion ahurie.


- Ca fait au moins trente fois que tu lis et relis les messages de ton Vittorio. Alors je te demande, verre ou plastique.


- D’abord, c’est pas mon Vittorio… et puis je fais c’que j’veux, renvoya la jeune femme dans un sourire taquin.


- C’est quand que tu le vois déjà ?


- Nan nan nan. Il n’est pas question que tu te pointes à ce rendez-vous p’tite sœur.


- T’es pas marrante parfois. Tu le sais ça ? rétorqua Sylviane dans une moue à rendre jaloux le plus malheureux des cockers.


- Hors de question ! intima la jeune danseuse.


Le vol 7804 était en phase d’approche finale. Obéissant aux consignes d’une hôtesse, les deux jeunes femmes, ainsi que le reste des passagers bouclèrent leur ceinture, attendant le touch down dans un quasi-silence. Le train d’atterrissage fuma au contact du bitume puis les réacteurs hurlèrent sous l’action de l’inversion de poussée. L’oiseau métallique roulait maintenant dans une décélération linéaire vers la zone de débarquement.


***


La limousine se figea devant un immense portail en fer forgé noir. Un œil de Moscou trônait sur le haut d’un pilier, surmonté d’une LED rouge. Une poignée de secondes s’écoula puis les deux vantaux se muèrent comme par magie, que seul le bruit des moteurs électriques trahissait. Le chemin fuyait en courbes légères, découpant des plans de gazon qui rappelaient un parcours de golf et qu’occupaient, ça et là, quelques arbres savamment disposés.


Le vaisseau roulant s’arrêta devant une volée de marches qui menait au perron sur lequel le critique d’art attendait déjà. Nul doute que le garde en charge de la sécurité l’avait averti de l’arrivée imminente de son invité. Casquette à la main, posée sur le cœur, l’homme des ténèbres ouvrit la porte arrière, invitant le jeune dessinateur à s’extraire. Alors qu’il s’extirpait de son cocon de cuir, pochette à la main, il entendit la voix de Xavier qui l’accueillait.


- Vittorio, Vittorio ! Vous voilà enfin, fit l’hôte avec emphase, bras ouverts.


Frisant le mètre quatre-vingt-cinq, les épaules larges, et bien que pourvu d’une bedaine au relief modéré, Xavier Dennoyer portait avec force sa cinquantaine bien tassée. La rigueur des traits de son visage détonnait avec le sourire généreux qu’il arborait.


Le jeune homme monta les quelques marches dans une foulée légère.


- Comment s’est passé votre voyage, mon cher ami ? reprit Xavier en serrant vigoureusement la main que Vittorio lui tendait.


- Bien, répondit Vittorio, crispant les mâchoires sous la pression de l’étau qui lui broyait les phalanges.


D’un geste ample, Dennoyer invita le dessinateur à prendre la direction de l’entrée. Le jeune homme hésita, jetant un coup d’œil rapide vers la voiture.


- Ne vous inquiétez pas, je vais faire apporter vos bagages. Mais entrez, je vous en prie. Vous êtes ici chez vous. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, Mylène se fera une joie de vous aider. Elle est à mon service depuis plus de sept ans et je vous avoue, mon cher, que je ne sais pas comment tournerait cette maison sans elle.


Les deux hommes pénétrèrent à l’intérieur de la bâtisse. Un immense espace de vie s’offrait aux yeux du jeune homme. Des canapés et des fauteuils formaient un carré détente non loin d’un bar luxueux qui exposait, sur des tablettes, une quantité infinie de bouteilles en alternance avec autant de verres empilés en pyramides. Le tout brillant de mille feux sous l’effet d’un éclairage dirigé. Un billard américain était planté entre le coin salon et la baie vitrée qui débouchait sur une piscine encadrée de part et d’autre par les ailes de la résidence.


- Puis-je vous proposer quelque chose ? Une boisson ? Un café, peut-être, ou autre chose ?


- Je vous remercie Xavier. En revanche, j’irais bien me rafraîchir sous une douche. Si cela est possible.


- Bien entendu. Il faut vous mettre à l’aise et prendre possession des lieux avant que je ne vous présente ma petite famille en fin d’après-midi. Juste une seconde, lâcha-t-il avant de pivoter sur lui-même et de s’adresser à son intendante.


- Mylène ! Pouvez-vous guider mon invité jusqu’à la chambre que vous avez préparée pour l’occasion et demander à Emile de lui porter ses bagages  ?


- Certainement, Monsieur.


- Disons que nous nous retrouvons ici pour 17h30 si cela vous convient. En attendant, profitez de tout ce que vous souhaitez.


L’employée de maison tendit le bras, invitant le jeune dessinateur à diriger ses pas dans sa direction.


La chambre était vaste et proposait un confort luxueux. Un bureau massif occupait un angle de la pièce, orienté de biais dont l’axe de visé, une fois assis derrière, renvoyait sur le lit alors que sur la gauche se dessinait une porte donnant sur la salle de bain.


Vittorio se laissa tomber à la renverse sur le lit et laissa échapper un soupir de bien-être. Mais plus que tout, il avait besoin d’une bonne douche. Craignant de s’endormir sur autant de confort, il s’éjecta du matelas et entreprit de se déshabiller. Jean, chemise, chaussettes – de petits bouts de fatigue semblaient glisser avec l’abandon de ses vêtements.


Vêtu d’un boxer pour seule tenue, le jeune homme se dirigea vers la salle d’eau. Alors qu’il passait l’encadrement, on frappa à la porte.


- Oui ? cria le dessinateur.


- C’est Emile, répondit une voix, étouffée par la paroi de bois. Votre bagage, Monsieur.


- Entrez, Emile !


La porte vacilla sur ses gonds sans un bruit. Découvrant Vittorio à demi-nu, Emile hésita à pénétrer.


- Entrez, fit le jeune dessinateur surpris de découvrir qu’Emile n’était autre que l’homme à la pancarte cache-sexe venu l’attendre à la gare.


L’homme en noir semblait moins rigide tout à coup et teinté d’une émotion que Vittorio ne comprit pas. N’y prêtant que peu d’attention, il repartit dans la salle de bain tandis que le bagagiste déposait son sac sur le petit banc prévu à cet effet.


L’eau coulant en cascade crépitait sur le sol de céramique alors que le dernier vêtement s’échappait en glissant le long de ses jambes. Sa nudité parfaitement équilibrée et musclée se dévoilait à des yeux indiscrets. Emile qui n’avait put réfréner son envie d’en voir plus, s’approcha de l’encadrement de la porte malgré la peur de qui lui tordait les boyaux.


Ses yeux avides glissèrent de l’échine qui formait une vallée le long du dos musclé de Vittorio à ses fesses pommelées. Le monde s’était arrêté de tourner autour du chauffeur. Plus rien n’existait devant ce corps qui embrasa son bas-ventre. Sa main tenta de trouver une place confortable à son pénis qui déformait son pantalon. Puis ses efforts devinrent caresses alors que son regard vantait la beauté de cette peau dorée à sa bouche qui frissonnait de pouvoir la baiser.


- Hé, mais que faites-vous ? s’enquit le dessinateur qui s’était subitement retourné.


Le chauffeur relâcha la pression de sa main sur son entrejambe, laissant tomber son bras le long de son corps dans un geste qu’il espérait discret.


- Excusez-moi… Je ne voulais pas… Excusez-moi, Monsieur, bredouilla-t-il avant de prendre ses jambes à son cou et de quitter la chambre comme porté par une bourrasque soudaine. La porte claqua fortement, puis le silence retomba lourdement.


Vittorio resta un moment interdit. Il se demandait s’il n’avait pas rêvé. Que de surprises en une seule journée ! Cette réflexion le ramena subitement à la pensée de la belle quadragénaire du train et à son billet doux qu’elle lui avait laissé avant de s’évanouir, ne lui laissant qu’une impression de mirage.
Emile remontait promptement le couloir, le visage empourpré.


- Ah Emile ! Vous n’oubliez pas d’aller cherch… Mais que vous arrive-t-il mon brave ? Vous semblez avoir échappé à la table d’hôte du comte Dracula, résuma Xavier, stupéfait et inquisiteur.


- Ce n’est rien, Monsieur. Un coup de chaud, rien de plus, retourna le chauffeur qui essayait de contenir son embarras. Je vais déjà mieux, ajouta-t-il, se fendant d’un sourire crispé.


- Tant mieux, tant mieux, rétorqua le maître de maison qui n’était pas convaincu par son explication. N’oubliez pas d’aller chercher ma fille.


- Certainement, Monsieur. D’ailleurs, je partais.

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