Saint-Pierre

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Chapitre 5


Depuis Ajoupa Bouillon, vous trouverez facilement la direction de la Montagne Pelée, car le nord c'est aussi et surtout, un volcan de type explosif, toujours en activité aujourd'hui. La terrible éruption de 1902 n'a laissé que des cendres de la capitale économique et culturelle de l'époque, Saint-Pierre, en faisant plus de 30 000 morts. 


Cette ville, jadis considérée comme « Le Paris des Isles », cultivée, dynamique et moderne, grâce à son réseau d'éclairage électrique et son tramway hippomobile, voit sa prospérité croître grâce à l'industrie rhumière et sucrière ainsi qu'au commerce des esclaves. Alors qu'une riche bourgeoisie commerçante investit les lieux. Des résidences secondaires voient le jour à quelques kilomètres de là, au Morne Rouge, on y vient respirer le bon air et profiter de la fraîcheur, le dimanche. En bons vivants, les Pierrotins, aiment faire la fête et danser au rythme des polkas, valses, mazurkas et biguines, sans oublier de participer à la sacro-sainte période du carnaval en mars. Une coutume dont le côté exutoire aurait été bien utile en ce mois de mai 1902, où régne un climat de tension extrême en raison des élections prochaines. 


Mais Saint-Pierre, c'est surtout le chic parisien des Antilles. Des dames en robes et ombrelles de dentelle parcourant à pieds les jolies promenades environnantes, dont celle du jardin des Plantes, riche d'essences rares et exotiques ou faisant de la barque sur le lac des Palmistes. Des femmes que l'on retrouve déambulant dans les rues pavées de la capitale, bordées de maisons en pierre et de boutiques, pour y faire quelques emplettes, et qui terminent leur soirée au théâtre, afin d'assister à une représentation du  « Barbier de Séville » ou du « Mariage de Figaro » de Beaumarchais, interprétée par des acteurs de qualité. Un lieu où chacun prend le soin de se montrer afin d'y exhiber sa réussite. 


Saviez-vous que les édifices publics de la ville n'avaient rien à envier à ceux construits en France aux mêmes dates ? Le théâtre, par exemple, pouvait accueillir jusqu'à huit cent personnes, et était la réplique de son cousin bordelais, en plus petit. 



Saint-Pierre, c'est un peu l'eldorado des Antilles, sauf en période électorale et en ce mois de mai 1902, les Pierrotins vont l'apprendre à leurs dépens. Il y avait eu pourtant de nombreux signes avant-coureurs, les habitants ne pouvaient être dupes. Une odeur d'œuf pourri avait envahi la ville dès le mois d'avril, l'argenterie noircissait, un panache de cendres accompagné d'explosions avait plongé la population dans l'angoisse quelques jours auparavant. Et la veille du sinistre, soit le 7 mai, une première nuée ardente avait même poussé une petite partie d'entre elle à émigrer. Pourquoi les autres sont-ils restés malgré les signes annonciateurs, alors que les animaux, sentant le danger, avaient quant à eux déserté les lieux ? 


En raison de l'élection toute proche, cela vous étonne ? Les autorités n'allaient pas accepter de perdre aussi facilement une partie de leur électorat pour un vulgaire volcan qui montrait quelques signes d'activité ! Mais devant l'inquiétude grandissante de la population, le gouverneur de la Martinique n'eut finalement d'autre choix que de créer une commission chargée d'évaluer les risques potentiels. Bien évidemment le rapport conclua dans un communiqué de presse que : « Saint Pierre n’est pas plus en danger au pied du volcan que Naples au pied du Vésuve », en ajoutant que « Sa sécurité reste entière ». Par ces simples mots et sûrement d'autres tout aussi rassurants, il était parvenu à éviter la panique, au point que la majorité des habitants demeurèrent sur place. Le gouverneur se garda bien de leur révéler les dépêches alarmantes du Professeur de Sciences naturelles, Gaston Landes.



Saint-Pierre, c'est enfin une superbe baie, pourvue d'une longue plage de sable gris, offrant un lieu de mouillage exceptionnel, notoirement connu des gros navires de commerce ou d'armement. C'est pour cette raison que le Belem, considéré aujourd'hui comme le dernier des grands voiliers de commerce français du XIXème siècle encore navigant, arriva au port afin d'y faire son échange de marchandises habituelles, quelques jours avant l'éruption. Ne trouvant pas de place disponible, le capitaine Chauvelon, fort en colère, décida alors, mais à contrecoeur, d'aller s'ancrer dans la baie du Robert, de l'autre côté de l'île. Il ne le savait pas encore, mais cette décision allait permettre de sauver le trois-mâts et son équipage d'une mort certaine. 


Dévalant la pente à la vitesse de 500km/h avec une température approchant les 800 °C, Saint-Pierre bascula dans la tragédie en quelques minutes. La ville est en ruines et ce qui en reste est la proie des flammes. De cette nuée ardente, nul n'en réchappa ou presque. En réalité, deux personnes survivront à ce drame. L'une d'elles, le fameux prisonnier Cyparis, grâce à l'épaisseur des murs de sa cellule, partiellement enterrée et dépourvue de fenêtres (cachot encore visible aujourd'hui), qui finira ses jours comme « bête de foire » au cirque Barnum à exhiber son dos brûlé, le cordonnier Léon Compère, qui apeuré par les signes annonciateurs de la catastrophe, s'enferma dans le sous-sol de son échoppe.  


Les quarante navires qui sombrèrent ce jour-là n'eurent pas la chance du Belem et feront de la baie de Saint-Pierre l'un des plus grands cimetières marins au monde. Vous trouverez quelques navires gisant par 100 mètres de fond, mais la majorité d'entre eux réside à moins de soixante quinze mètres de profondeur. Plusieurs clubs de plongée proposeront de vous emmener au coeur de ce patrimoine archéologique marin mais vous ne pourrez en visiter qu'une dizaine, ce qui n'est déjà pas si mal.


Pour des raisons que vous comprendrez, personne ne s'est jamais aventuré à reconstruire Saint-Pierre. Elle est aujourd'hui surnommée « Ville Martyre », certains disent même « Ville Fantôme », et  vous marquera à jamais. Si vous la visitez, car cela reste malgré tout un site incontournable, vous la retrouverez presque inchangée depuis la catastrophe, toujours en ruines, comme si le temps s'était à jamais arrêté ce terrible jour du 8 mai 1902.







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