HAMSTEAD HEATH, LONDRES dimanche 28 JUILLET 1996

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HAMSTEAD HEATH, LONDRES

dimanche 28 JUILLET 1996

J’ai le cœur qui s’affole, j’étouffe, je tremble, je transpire. Incapable de tenir en place je fais les cent pas. Il n’y a aucune raison. Aucune. J’essaye de me calmer sans aucun succès. Dans quelques minutes, il sera là. Je n’en peux plus d’attendre et je ne suis même pas capable d’expliquer pourquoi.

Paul.

Je ne l’ai pas vu depuis le mois de mai, lorsque nous nous sommes rencontrés. La blague, organisée ce jour là, a eu des effets inattendus. Matthew est à nouveau dans ma vie. Je pensait qu’au contraire, il ne me pardonnerai pas et disparaîtrait définitivement. Mais non. Cette farce grotesque lui a ouvert les yeux m’a-t-il dit.

Il semble amoureux comme il ne l’a jamais été jusque là. Quelques semaines après, il est venu me rejoindre à Paris. J’ai accepté.

Puis, il m’a proposé de repartir à Londres avec lui pour que nous passions l’été ensemble. Me voilà donc, à Hamstead Heath, une banlieue chic et verdoyante, installée pour quelques mois, dans un petit appartement loué par l’université dans laquelle il enseigne. Il est sensé consacrer ses journées à faire des recherches pour sa thèse, il les passe sur le canapé à se remettre de ses nuits dans les pubs.

Je ne cherche pas vraiment à comprendre. Je me doute qu’il me trompe, mais cela ne me fait pas grand-chose. J’aime sa compagnie et je ne suis plus assez amoureuse pour qu’il puisse à nouveau me blesser. Tout est parfait. Nous passons de bons moments ensemble, des journées à comater devant la télé, des soirées dans les pubs, des nuits torrides. Je me laisse porter. Je profite de la vie et de l’été.

Jusqu’à ce matin. Matthew m’annonce, en sortant de la douche, que Paul dîne avec nous ce soir . Il est de passage à Londres me dit-il. J’acquiesce sans un mot. Il m’a expliqué votre petit manège se sent-il obligé de préciser Je savais que ce n’était pas possible, que tu ne pouvais pas me quitter pour lui.

Je ne comprends pas. A quel moment l’ai-je quitté ? Pour cela il aurait fallu que nous soyons ensemble ! Qu’est-il allé inventé ? Je préfère ne rien demander.

Paul.

Une fois la fête terminée, de retour en France, sa silhouette longiligne a flotté un certain temps dans mon esprit, puis, j’ai commencé à l’oublier. Il m’arrivait d’avoir une pensée furtive pour lui en buvant mon café. Le seul anglais qui n’aime pas le thé. Jusqu’à son appel. Un soir, alors qu’il était encore au bureau, il a eu envie de me parler. Un coup de blues. Il a pensé à moi. A regardé dans le carnet où il prend des notes quand il fait des interviews, le numéro griffonné à la hâte avant de quitter le pub où nous nous sommes rencontrés. Nous avons discuté. Il m’a dit que je l’avais aidé à y voir plus clair, à se sentir mieux. A charge de revanche a-t-il dit.

J’ai planté un partiel super important pour une erreur idiote. Je m’en veux. Autour de moi personne n’y croit. Ce n’est pas la première fois que je leur fait le coup. Je sors de l’examen, convaincue d’avoir tout foiré et je finis avec une mention… Je ne vois que lui pour partager mon angoisse. Je lui envoie un SOS. Il me rappelle du journal où il travaille. Nous discutons une partie de la nuit. Je me sens rassurée.

Il publie sont premier article dans un grand quotidien. Il veut m’annoncer la bonne nouvelle. Je le félicite.

Je réussit brillamment l’examen que je pensais avoir raté. Il en rit avec moi et m’affirme qu’il n’en a jamais douté.

On lui propose de partir au Bhoutan pour un reportage. Il hésite. Nous en discutons ensemble et je lui conseille d’accepter.

Je ne lui dit pas que Matthew s’est installé chez moi. Je ne lui confie pas non plus de mes problèmes d’argent, des grèves de métro qui me compliquent la vie, de la fuite dans l’appartement mitoyen qui a fait pourrir le mur de ma cuisine. Il ne me raconte pas sa voiture en panne, ses disputes avec Janet ni les soucis dans les travaux de sa maison.

Nous parlons de ce qui compte vraiment. De l’essentiel

Au final, on s’appelle presque chaque soir. Sans m’en rendre compte, j’attends ses coups de fil. Matthew ne me demande jamais avec qui je papote, convaincu qu’il s’agit d’une de mes innombrables copines. C’est aussi bien.

Il m’explique son rêve de fonder un jour son propre journal. Je partage avec lui mes inquiétudes quant à mon avenir professionnel. Mes études sont presque terminées et je ne sais toujours pas ce que je compte faire dans la vie. Il me confie sa peur de vieillir. Je lui raconte à quel point j’angoisse de ressembler à ma mère.

Notre lien se renforce. Sa voix m’est devenue précieuse. Elle me calme et me rassure. Elle me rend forte. A aucun moment je n’ai pensé le revoir. Lui si. Dès que je lui annonce que je viens passer l’été à Londres, il a tout fait pour. Et le plus vite possible.

Son train est certainement arrivé. Il habite au nord de l’Angleterre, à Lancaster. J’ai cherché sur une carte, je ne savais pas ou cette ville pouvait bien se trouver.

Il est sûrement dans le métro.

Je dois tout faire pour que Matthew me voit pas mon trouble. Cette histoire ne le regarde pas. Elle n’appartient qu’à Paul et moi. Il serait capable de la salir.

Il sort probablement du métro.

Matthew lui a donné l’adresse du pub près de chez nous. Nous avons convenu de nous y retrouver.

C’est l’heure.

Nous partons à sa rencontre. Au loin je le vois. Je n’ai qu’une envie, courir et me jeter dans ses bras. Mais je ne dois pas. Je me concentre pour marcher le plus calmement possible et ne pas oublier de respirer. Matthew passe son bras autour de mes épaules, me serre contre lui. Il ne le fait jamais. Il veut marquer son territoire, montrer à Paul que je suis avec lui. Qu’il a gagné. S’il savait.

Nous nous approchons. Les deux gars se donnent l’accolade – les anglais ne sont pas très bise surtout entre hommes – Paul s’approche et m’embrasse sur la joue. Discrètement sa main caresse mon dos. Nous échangeons un regard. Je fond littéralement.

Installé à une table au pub, je les laisse discuter. Ils sont heureux de se retrouver. Je ne dis rien, je rêvasse.

Matthew s’éloigne un instant. Il retourne au comptoir commander une nouvelle tournée.

Nous sommes enfin seuls.

Paul se penche vers moi, m’embrasse. Enfin ? Depuis que je l’ai revu je n’ai fait qu’attendre ce moment. Sa main caresse ma joue. Nous nous regardons. Il m’embrasse encore. Je voudrais que ce baiser ne s’arrête jamais.

Il soupire, s’écarte.

D’un commun accord nous souhaitons laisser Matthew en dehors de tout ça. Notre histoire ne le concerne pas.

Il revient et nous trouve sagement à converser. Sous la table nos jambes se frôlent, nos pieds se touchent. Je n’entends rien, n’écoute pas. Seul compte cet homme près de moi.

Pourquoi avons-nous ressenti le besoin de nous cacher de Matthew ? Pour lui comme pour moi il était évident qu’il fallait nous taire, ne rien lui dire. Pourquoi ? Ce n’est que plus tard , alors que tous eux étaient définitivement sorti de ma vie, que je me suis interrogée sur l’étrange trio que nous avions un temps formé. Quel couple était finalement le plus légitime? Paul et moi, sachant qu’il était en couple avec une autre ? Paul et Matthew qui avaient grandi ensemble et qui nourrissaient l’un pour l’autre une véritable affection fraternelle, dans ce qu’elle peut avoir de meilleure comme de pire. Matthew et moi ? Nous n’avons été uni que parce qu’il ne supportait pas l’idée que je puisse lui préférer Paul. Parfois j’en viens à penser que, sans cette jalousie viscérale qui les opposait depuis l’enfance, rien ne se serait passé entre Paul et moi. Je n’ai été qu’un des nombreux éléments de cette compétition fratricide. Comme le poste à Oxford Comme Janet. Ils ont construit leur vie l’un contre l’autre, convaincu de toujours pouvoir faire mieux. Toujours devoir faire mieux que l’autre.

Je n’ai jamais nourri vis à vis de ma sœur ce genre de ressenti. Est ce propre aux fratries ou avons-nous été épargné par l’esprit de compétition ? Ou étions nous trop différentes pour avoir besoin de nous affronter.

Alors que je retrouve Paul et qu’il est évident que des sentiments très forts sont en train de naître entre nous, je ne réalise pas l’importance de Matthew dans sa vie.

Il a été convenu entre eux que Paul resterait quelques jours. L’appartement est grand, il y a de la place. Je ne dis rien mais je ne vais pas pouvoir dormir avec Matthew, qui va certainement en profiter pour faire une démonstration bruyante de ses prouesses sexuelles. Impossible. Pas avec Paul dans la chambre d’à coté. Et ce n’est pas possible. Je ne peux pas. Comment regarder Paul le lendemain ? Je ne sais pas définir ce qu’il y a entre nous mais je ne peux pas.

Je suis étonnée moi-même par ma réaction. Qui a-t-il donc entre Paul et moi ? Est ce que j’ai envie de lui? Oui. Est ce que c’est raisonnable ? Non. Est ce que c’est de l’amour ? Comment savoir ? Je me sens envahie par un sentiment de honte alors que je n’ai rien fait de mal. Pas encore. Cohabiter avec un homme, en désirer un autre. Dormir avec l’un en rêvant de coucher avec l’autre. Et pourquoi pas les deux en même temps ! Rien que l’idée me fait frisonner. de dégoût ?

Tout ce que je sais, c’est qu’il est inconcevable que je partage mon lit avec l’un tout en pensant à l’autre, seul dans la chambre à côté. Plutôt squatter la baignoire. Ou finir sous un pont.

Pas un instant Matthew ne nous laisse. Elle est à moi, j’ai gagné semblent proclamer chacun de ses gestes. Je suis assise à table, il m’attrape la main. Il me tape une claque sur les fesses quand je passe près de lui, m’embrasse à pleine bouche alors que j’apporte les cafés, fait des allusions grivoises sur notre vie sexuelle. Il m’exaspère. Je sais le jeu qu’il joue. Et le pire c’est que je doute qu’il en soit vraiment conscient. Puérile et immature. Il se croit amoureux uniquement parce qu’il devine que je ne le suis plus. Ou pire. que je suis séduite par son meilleur ami. Et ça, il ne peut le supporter.

Je les préviens que je ne sors pas ce soir. Trop mal à la tête.

A peine Matthew s’est-il absenté pour prendre une douche avant d’y aller que Paul s’approche de moi. Je le sens intimidé, mal à l’aise. Que sait-il vraiment de mon couple avec Matthew ? Que ressent-il pour moi ? Je n’ai été dans sa vie que la complice d’une blague qui a failli mal tourner, et une voix au téléphone les soirs de blues.

Je soupire. Paul aussi.

Nous nous regardons.

- Viens avec moi me dit-il dans un murmure. S’il te plaît.

Il est si près que je pourrais le toucher en tendant la main. Je n’ose pas. Matthew chante sous sa douche. Il fait tout pour qu’on ne l’oublie pas et même absent, sa présence se dresse entre nous.

- Je suis venue pour toi.

Comment résister ? Incapable de parler, je lui répond par un hochement de tête. Et il se penche vers moi et m’embrasse. Son baiser est doux, tendre, plein de retenue. Les vocalises provenant de la salle de bain n’aident pas à l’abandon. Mais qu’importe. J’oublie. J’entrouvre les lèvres, sa langue entre dans ma bouche. Je gémis. Nos corps se cherchent, se trouvent. Ses mains s’aventurent sous mon tee-shirt, mes doigts glissent dans ses cheveux.

Le bruit du sèche-cheveux dans la salle de bain. Nous nous laissons emporter. Son baiser devient plus profond, plus intime. J’écarte un pan de sa chemise.

Le silence. Vite.

Paul s’éloigne, s’effondre dans un fauteuil, remet sa chemise en place. Je vois son regard troublé et ses mains qui tremblent. Je sens mes jambes qui flageolent et je m’assois à mon tour, le plus loin possible. Matthew nous trouve chacun à un bout du salon, sagement à l’attendre.

- Et ben dis donc, ce n’est pas la fête s’exclame-t-il, rassuré de nous retrouver ainsi, aussi distants.

Il semble content quand je lui annonce que finalement je viens avec eux.

Une bonne pinte et ça ira mieux m’assure-t-il. Il a autant de jugeote pour soigner les migraines que pour évaluer les gens. Mais je dois reconnaître que ce soir là, son manque de perspicacité m’arrange bien.

A chaque fois qu’il s’éloigne pour commander une nouvelle pinte ou parler à quelqu’un, Paul et moi en profitons. Pour nous toucher. Nous embrasser. Nous caresser. Je remarque qu’il boit très peu, ne finit aucun de ses verres. Matthew, lui, les enchaîne, poussé par son ami qui, à chaque fois, paye une autre tournée. Il a le regard qui se trouble, vacille de plus en plus. La bière a cet avantage qu’elle l’oblige à quitter régulièrement la place. Il n’arrive plus à marcher droit pour aller aux toilettes. Je mets un moment à comprendre. Lorsque sonne le dernier service, il est ivre mort. Paul doit le soutenir pour rentrer. Il m’aide à l’allonger et à le déshabiller. Matthew dort déjà.

- Ce n’est pas la première fois que je fais ça me dit-il. Mais aujourd’hui c’est pour une bonne cause. C’est là que je comprends enfin.

Nous sommes libres.

Je suis intimidée. Un peu inquiète. Nous avons laissé Matthew, refermé délicatement la porte. J’hésite. Le salon ? La chambre de Paul ? La salle de bain ? Je n’ai pas assez bu pour me laisser aller. Ivre, je me serai certainement jeté à sa tête, j’aurai ouvert d’un coup de pied la porte de sa chambre, me serais mise nue et, malgré quelques difficultés liées à l’ébriété j’aurai entrepris de le déshabiller. Et nous aurions fait l’amour debout derrière la porte, trop pressés pour atteindre le lit. Mais là, non. Je n’ose pas.

Lui aussi hésite. Pourtant il a tout fait pour que ce moment ait lieu. Que veut-il ? Qu’espère-t-il ?

- Tu n’es pas obligé me dit-il en prenant ma main dans la sienne. Je sens ses doigts qui me caressent doucement. Avec tendresse. Et retenu.

- Tu n’a pas envie ? ai je répondu je d’une toute petite voix.

Il éclate de rire, pose ma main sur son sexe.

- Je ne pense qu’à ça.

L’amour se fait. Dans sa chambre. Il faut trop sombre pour se voir. Nous nous explorons du bout des doigts. Il est intimidé. Mois aussi. Malgré le désir, il prend son temps. J’apprécie. Lentement, il me retire mon tee-shirt, caresse mes seins à travers le tissus de mon soutien gorge. J’ouvre un à un les boutons de sa chemise. Il a la peau douce, constellé de grains de beauté. Je ne les vois pas mais les devine sous le bout de mes doigts. Il défait les boutons de mon pantalon, effleure la peau de mon ventre. Je me colle à lui. Ses mains caresse mes fesses, je sens son sexe dure contre moi. J’ai envie de lui. Le désir m’envahit, noie mes dernières pensées cohérentes. Il enlève son jean. Je fais glisser le mien le long de mes jambes. Nous sommes sur son lit, nus. Je découvre des sensations nouvelles. Inoubliables.

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