Prologue

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Aujourd’hui, elle a décidé de ne pas aller travailler, de s’offrir une matinée de liberté. Pour une fois, elle a envie de prendre son temps. La saison touristique se termine et elle n’a pas eu un instant à elle depuis des mois. Sa petite boutique, installée près de la plage de Locmaria à Groix, a attiré tout au long de l’été, une foule hétéroclite et bon enfant, venue pour la journée voire un peu plus, goûter aux joies de la vie sur l’île. A la fois librairie, salon de thé, salle d’exposition et même parfois de concert, le Grekks, n’a pas désemplit. En prévision de son escapade, la veille, elle a accroché la pancarte « fermé » sur la porte. De toute façon, en cas d’urgence, on trouvera toujours un moyen de la prévenir. Un des avantages à vivre sur une si petite île.

Après avoir vérifié que Malo le chat a de quoi boire et de quoi manger, elle ferme sa maison, enfourche son vélo. Lorsqu’elle s’est installé à Groix elle a absolument tenu à garder sa voiture. Symbole de liberté et de modernité, elle ne concevait pas alors de pouvoir survivre sans. Même sur un cailloux de 8 kilomètres de long. Cette voiture, elle l’a toujours, une Clio rouge flambant neuve, qui dort sagement au garage. Elle la sort une fois par an pour la faire réviser et, plus rarement encore, lorsque des amis viennent et qu’ils souhaitent visiter l’autre bout de l’île sans trop se fatiguer.

Depuis son arrivée, elle vit seule dans une petite maison héritée de sa grand-mère, seule avec son chat. Elle a repeint les volets en bleu turquoise, refait la déco à son goût en demandant un peu d’aide à droite à gauche. Elle est désormais chez elle, elle s’y sent bien. Parfois quelques hommes traversent sa vie, des touristes de passages qui restent le temps d’une saison, souvent moins, rarement plus. Elle ne veut pas d’histoire, juste l’excitation de la rencontre, le plaisir de quelques rendez-vous et tchao, au suivant. Cela lui convient.

Une fois la côte qui longe l’étang franchie, elle pédale joyeusement à travers champs, tourne à gauche vers le marché couvert - désert à cette heure - puis traversant le bourg, elle prend la direction de Port Tudy. Un air vif et piquant lui fouette le visage. Quoi de plus agréable ? Elle se sent heureuse et libre, ravie d’aller déguster un petit café - avec son nuage de crème fouettée - en regardant la mer. Au loin, on entend la sirène d’un bateau, un de ceux qui les relient au continent, et qui annonce ainsi son arrivée imminente.

Elle gare son vélo sur le parking un peu avant la descente vers le port et termine le chemin à pied. On la salue d’un geste de la main, elle répond d’un sourire. On est heureux de se retrouver entre groisillons, Contents de voir les touristes arriver, ravis de les voir repartir.

S’approchant de la jetée, elle sourit en apercevant le « Breizh Nevez » affrétée par la compagnie Océane, accoster. En haute saison, les liaisons sont nombreuses, jusqu’à neuf par jour, et il faut réserver longtemps à l’avance. Là, il vaut mieux ne pas rater l’horaire et beaucoup de places restent libres.

Avant de s’installer et de commander son café, elle avance vers la jetée pour observer les quelques touristes descendre, reprendre pied sur la terre ferme. Les habitués sourient, heureux de retrouver « leur » île. Les nouveaux regardent tout autour d’eux, déjà séduits par la lumière unique, les boutiques tassées le long du port, le restaurant, les loueurs de bicyclettes, le musée. Elle aime les observer tomber peu à peu sous le charme de Groix.

C’est à cet instant qu’elle le voit.

Il sort de la gueule béante du bateau, escortant les quelques voitures, le petit camion de l’épicier et des vélos qui, à leur tour, débarquent. Son pas est mal assuré. Il s’arrête, semble hésiter. Il lève les yeux, cherche quelque chose dans le ciel. Il a un blouson de cuir et, sur son dos, un sac, qu’il porte sur une seule épaule. Comme autrefois.

Elle ne peut pas y croire. Hésite. Ce n’est pas lui. Est-ce vraiment possible? Non. Ce n’est pas possible. Pas ici. Pas maintenant. 25 ans ont passé. Elle était si jeune, lui un peu moins. Des siècles qu’elle n’a plus pensé à lui. C’est certainement ce qui la sidère autant. Comment a-t-elle réussi à l’oublier ? L’effacer de sa mémoire alors qu’à une certaine époque, respirer loin de lui était déjà une épreuve .

Elle le regarde, l’observe à la dérobée. Il ne l’a pas vue. Il se rapproche. La jetée n’est pas si longue. Aucun doute possible. C’est lui. Ses traits ont vieilli, sa silhouette s’est un peu épaissie, ses cheveux ont blanchi mais c’est bien lui.

Paul.

Elle pensait avoir oublié et pourtant tout est là, au fond de sa mémoire.

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