Réveil

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Si un type avait fait ça à ma femme, je ne le lui pardonnerai jamais...

J'entends des voix près de moi, mais je ne parviens pas à ouvrir les yeux. Je suis dans un ascenseur, avec des brancardiers. Je ne sais pas si je suis éveillée. Je resombre.

J'essaie de respirer mais je n'y parviens pas. Je suis seule sur un lit, au milieu d'autres lits. Un instant, je me dis que je suis morte. Puis je vois passer une femme en blouse blanche :

— Tiens, tu en as une qui se réveille là-bas.

Elle passe devant moi, mais m'ignore. Une autre voix lui répond, de je ne sais où.

— Ah, je vais y aller.

Elles sont face à moi mais continuent leur conversation comme si je n'existais pas. Je suis morte, c'est certain. Je voudrais les faire réagir. Leur dire que je suis là, encore, d'une façon ou d'une autre. Les secondes durent des heures. Je prends une inspiration. Je n'y arrive pas. J'étouffe. Ma gorge est sèche, je meurs. Je m'agite, tente d'attirer leur attention, de leur demander de l'aide. J'essaie de bouger mes bras, mes jambes. J'y parviens. Enfin, la deuxième femme vient à mon secours.

— Calmez-vous ! Vous allez vous faire mal !

Je ne suis pas morte. Elle me parle. Je crois qu'elle m'attache. Elle parle de salle de réveil.

Puis je sombre à nouveau.

Autour de moi, il y a des lumières bleues et rouges. Mon doigt est enserré dans un carcan, et un tensiomètre se gonfle et se dégonfle régulièrement sur mon avant-bras. Je suis faible. Je ne comprends pas où je suis, ni ce que j'y fais. Mais cette fois, une infirmière arrive immédiatement à mon chevet.

— Vous êtes en réanimation.

Je ne parviens pas à l'exprimer, mais elle lit probablement le pourquoi qu'il y a dans mes yeux.

— Il y a eu un problème, vous avez fait une hémorragie.

J'use du peu de forces qui me reste pour demander ce qui m'importe le plus :

— Comment va mon bébé ?

— Elle va très bien. Ici, vous allez vous reposer et nous allons veiller sur nous.

Je sombre à nouveau.

Cette nuit-là est une succession de blackout et de réveils incertains. A un moment, on me demande si cela ne me gêne pas qu'un homme vienne changer mes couches remplies de sang. Je marmonne que non. Je demande plusieurs fois à voir ma fille, mais on me répond que c'est impossible. Ici, personne ne peut venir me voir. C'est aseptisé, cloisonné, confiné. En réa, on n'a droit aux visites. Je pense à Florent, que je n'ai pas revu depuis mon entrée au bloc, et à mes enfants, qui doivent se demander où est leur mère. J'ai perdu la notion du temps. C'est la nuit, c'est tout ce que je sais. Les infirmières viennent me voir de plus en plus souvent, elles semblent inquiètes. Je demande à voir ma fille, je dis que je ne me sens pas bien, que je suis faible. Il paraît que c'est normal, c'est à cause de la morphine. Les lumières bleues dansent au plafond. Ce sont les gyrophares des ambulances, m'a expliqué une infirmière. Et le bruit, c'est l'héliport. Elles reviennent, encore. Elles me parlent, sans arrêt. Me demandent ce que je fais comme métier, ce que je dessine, le nom des histoires que j'ai publiées. A un moment, l'une d'entre elles regarde sa collègue :

— Elle devrait voir sa fille.

Sa collègue hoche la tête. L'espoir grandit en moi. Je vais la voir. Quelque chose en même temps me dit que ça ne va pas. Elles ont insisté pour me dire que c'était totalement impossible, et soudain, cela devient urgent. Je comprends que je ne vais pas bien, que c'est peut-être la fin. Mais je ne dis rien. Mon seul but, à cet instant précis, est d'embrasser à nouveau ce petit crâne brun. Au moins une fois.

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