Vive les vacances

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— Allez dépêche-toi un peu, je t'attends dans la voiture !

Je me hâte de mettre des chaussures tout en enfilant mon t-shirt. Mes cheveux mouillés dégoulinent dans mon cou. Florent est déjà sorti avec le cosy, Louis sur les talons. J'attrape rapidement mon sac à mains et ferme la porte, avant de m'apercevoir que j'ai oublié les chapeaux des enfants. J'ouvre à nouveau, les fourre dans mon sac avec les jouets, les biberons et tout ce que j'ai récupéré au dernier moment. En fait, mon sac à mains ressemble de plus en plus à une troisième valise. Quand j'arrive dans la voiture, je vois tout de suite que Florent est en colère. Machinalement, je m'excuse mais ça ne le calme pas.

— C'est bon, il y en a marre, on dit qu'on part puis ça dure trois heures ! Tu peux pas te bouger, un peu ?

Je pourrais lui répondre que je ne fais que ça, me bouger, depuis ce matin. Nous partons en vacances au bord de la mer, dans la maisonnette que mes parents nous prêtent. J'ai préparé les valises pour nous quatre, avec les enfants dans les pattes. J'ai nettoyé la maison en grand, préparé des petits sacs pour le trajet, de l'eau, des biscuits... C'est aussi moi qui les ai nourris et habillés pendant qu'il regardait la tété et ne s'occupait que de lui-même. Et quand j'étais enfin sous la douche, il a subitement décidé qu'il fallait partir immédiatement, pour éviter les bouchons. Alors il a mis les valises dans la voiture, puis il a attendu que je me « bouge » comme il dit. C'est comme ça à chaque fois. Je pourrais répliquer qu'il n'a qu'à m'aider un peu, et que préparer trois personnes est sans doute plus difficile que de gominer ses cheveux dans le miroir de la salle de bains. Mais je ne le fais pas. De toute façon, c'est peine perdue. Nous allons passer huit heures dans cette voiture, et je n'ai aucune envie de subir sa mauvaise humeur.

Je suis fatiguée. Liam n'est pas un aussi bon dormeur que son frère. Il réclame beaucoup les bras et se réveille plusieurs fois par nuit. Depuis sa naissance, il est toujours en demande, comme si ces mois de grossesse difficiles lui avaient donnés bien avant l'heure un sentiment d'abandon. Sait-il que nous aurions pu ne pas l'avoir ? Que s'il n'avait pas été parfait, sa famille paternelle l'aurait renié ? Que son propre père n'était pas prêt à cela ? Que moi-même je doutais de ce bébé qui grandissait dans mon ventre ? Lorsqu'il est né, malgré les certitudes des médecins, je n'ai pu m'empêcher de chercher dans ses traits la trace de la maladie. J'ai même demandé, un jour, à notre pédiatre, si cela aurait pu passer inaperçu et que nous ne pourrions pas le découvrir plus tard. Il m'a assuré que non. Non sans me prendre pour une cinglée, je crois. A mon grand désarroi, l'allaitement a échoué. Liam ne tétait pas convenablement et la seule solution qui m'a été proposée a été de le conduire chez un ostéopathe. Je n'ai pas eu le courage de lui faire subir ça. Il est passé au lait artificiel.

Au début, Florent et moi lui donnions le biberon à tour de rôle. Mais il y a de cela deux semaines, je l'ai surpris, une nuit, à crier sur mon bébé parce qu'il ne voulait pas se rendormir. J'ai immédiatement pensé aux bébés secoués et à toutes les conséquences que cela pourrait engendrer. Je le lui ai dit et nous nous sommes disputés. Il dit que j'exagère. Que ce n'était que la fatigue, que je suis folle de penser ça de lui. Que je réagis trop vivement. Les hormones, sans doute. Je n'arrive même plus à dire qui a raison ou tort. De toute façon, devant sa colère et la violence des ses paroles, je culpabilise et finis toujours par plier. Alors pourquoi lutter ?

Mais depuis cette histoire, je me lève systématiquement toutes les nuits pour être à ses côtés. Tant et si bien qu'il a décidé que sa présence n'était plus indispensable. Quand Liam crie trop fort, il va finir sa nuit sur le canapé et je reste en tête à tête avec mon bébé. Je suis fatiguée, mais après tout, c'est moi qui le veux, pas vrai ?

La route est longue. Liam pleure beaucoup et Florent crie sans arrêt. Tout à l'heure, Louis a demandé à aller faire pipi une demi-heure à peine après que nous ayons quitté l'aire d'autoroute. Florent est devenu dingue et il a refusé de s'arrêter. Notre fils hurlait à la mort qu'il avait mal au ventre et j'essayais d'intercéder en sa faveur de toutes les manières possibles, mais rien n'y a fait. Il a dû attendre une heure sous les menaces de milliards de punitions avant que son père ne décide enfin à le laisser aller aux toilettes. Dans ces moments-là, je le déteste.

Je ne voulais pas partir en vacances. Liam a à peine trois mois, et je n'avais pas envie de lui imposer un long trajet en voiture. Mais Florent tenait à présenter son fils à ses parents. J'ai parfois la sensation que ses enfants ne sont rien d'autre que des trophées lui permettant de parader. Lorsque nous sommes chez lui, il s'en occupe comme s'il était le père parfait. Je profite de ces moments de répit, bien sûr, mais je le fais avec amertume. Devant les autres, je suis une mère effacée, qui ne change que rarement les couches. Autour de nous, on s'extasie de son implication. Et gare à moi si je me permets de dire qu'elle n'est pas aussi complète entre nos murs. Florent est un père merveilleux, je suis bien ingrate ! Même mes propres parents en sont persuadés et me disent régulièrement que j'ai beaucoup de chance de l'avoir. Que deviendrais-je sans lui, avec mes deux enfants sur les bras et mon faible salaire ?

Je me surprends parfois à me le demander. Puis je me souviens de ce que je suis : une femme de trente ans avec dix kilos de trop et aucune carrière professionnelle. Je n'ai plus grand-chose à offrir au monde, je le crois bien. Je me lave lorsque j'ai le temps et je n'ai pas fait de shopping depuis des lustres. A quoi bon? Florent n'a plus aucun désir pour moi. Quand il ne dort pas sur le canapé, il se couche près de moi, le dos tourné, et s'endort aussitôt. Et lorsque j'ai le malheur de lui réclamer un peu d'attention, il me rend honteuse en me rappelant à quel point il travaille pour sa famille et comme il est fatigué. Si je me levais à cinq heures du matin, comme lui, je comprendrais !

Mon corps me répugne. Ma vie m'ennuie. Alors, pour ne pas avoir à le dire, je souris.

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