Liam

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— Caroline ne sera pas là ce soir, elle a un cours qui a été déplacé.

Je remercie la maman qui vient de m’appeler et aussi un peu le ciel de me donner un peu de répit. Je dois accoucher dans une semaine, mais je continue à suivre mes élèves pour cumuler le plus grand nombre d’heures possibles. Il m’en manque une dizaine à peine, et je pourrais enfin prétendre à ce fameux congés maternité. Mais aujourd’hui, je dois dire que cette annulation tombe plutôt à pic. Je suis épuisée. Louis est une véritable pile électrique et j’ai de plus en plus de mal à le canaliser. Je dors de plus en plus mal, et les joyeuses remontées acides de la grossesse ne m’y aident pas beaucoup.

— Maman, on va au parc ?

— On y est déjà allé ce matin, chaton…

— Mais je m’ennuie. Allez maman, s’il te plait…

Je regarde ses grands yeux bleus et comme d’habitude, je ne peux rien lui refuser. Je soulève mon énorme postérieur et me dirige vers le porte-manteau pour prendre nos blousons. En passant devant le miroir, je ne peux empêcher un regard. Puis un soupir de désespoir. J’ai pris douze kilos. Mon gynécologue trouve que c’est tout à fait normal. Mon généraliste aussi. Pourtant, je me sens difforme. Mon ventre, énorme. Mes cuisses, adipeuses. Mes seins, tombants. Tout en moi me dégoûte. Et ils ne dégoutent pas que moi, apparemment. Depuis la conception de Liam, nous n’avons pas fait l’amour une seule fois. Florent n’a plus aucun désir pour moi, comment pourrais-je me trouver désirable ? Il paraît que certaines femmes enceintes sont rayonnantes. Ce ne doit pas être mon cas.

Dès que j’ai fini de remonter sa fermeture éclair, Louis se rue dans les escaliers en courant. Je peine à le rattraper. Essoufflée et transpirante, je parviens pourtant à accrocher la capuche de son duffle-coat. Aussitôt, il se met à crier.

— Louis, s’il-te-plaît !

Je l’implore plus que je ne le gronde. Je n’ai plus vraiment la force de le faire.

— Bonjour !

La voisine, qui vient d’arriver derrière moi, me surprend et je sursaute. Louis en profite aussitôt pour se dégager et prendre la fuite.

— Oh, bonjour !

— C’est bientôt la fin ? me dit-elle joyeusement.

— Bientôt, oui, encore une semaine !

Même si j’en ai envie, je ne papote pas plus longtemps. Louis est déjà sur le parking et je cours pour le rattraper.

— On rentre, maman a mal au ventre.

— Le bébé va arriver ?

— Non, je suis fatiguée, c’est tout.

En réalité, je n’en suis pas si sûre. Pendant que Louis courait dans tous les sens, j’ai ressenti plusieurs contractions violentes. C’est la première fois que ça m’arrive, il est temps pour moi de prendre un peu de repos.

Le chemin du retour est cauchemardesque. Louis veut que je le porte, il a froid, chaud, envie de faire pipi… Pour faire huit cents mètres, nous mettons vingt minutes. Arrivés à l’appart, je fais le choix d’allumer le téléviseur et de m’étendre près de lui devant les dessins animés. Mes contractions ne se sont toujours pas arrêtées. Pire, j’ai même l’impression qu’elles sont de plus en plus rapprochées.

J’appelle aussitôt Florent :

— J’ai des contractions.

— C’est pour aujourd’hui ?

— Comment veux-tu que je le sache ? Tu peux rentrer ?

— Pas à cette heure-ci, je suis en pleins service !

— Mais je suis toute seule avec Louis, comment je fais si c’est ça !

— Ecoute je suis là dans une heure, deux max. La dernière fois, tu m‘as dit que c’était pour tout de suite et on y a passé la nuit !

Je peux difficilement prévoir. Dans le doute, j’appelle Lina qui est censée garder Louis pendant l’accouchement. Peine perdue, elle est sur répondeur. J’essaie de m’étendre plus confortablement, mais rien n’y fait, mon ventre continue à me faire souffrir. Je repense à la journée que je viens de passer. J’ai baigné Louis, puis j’ai fait le ménage, préparé les repas, plié du linge. Nous sommes aussi allés jouer une heure au parc ce matin et autant cette après-midi. J’ai dû courir après mon démon et je l’ai même porté sur quelques mètres. Il y a de fortes chances pour que ce ne soit que de la fatigue après tout. Heureusement que mon cours de ce soir est annulé !

— J’ai mal !!!!

Florent me regarde m’accrocher au poteau et me dit qu’il va garer la voiture. J’essaie de respirer profondément, mais la douleur, fulgurante, m’empêche de faire le moindre pas. Devant ma détresse, il décide de descendre du véhicule pour m’accompagner jusqu’au premier étage. J’ai la sensation que mon corps va se scinder en deux parties. Je n’arrive plus à respirer, à marcher, ni même à réfléchir. Lorsque nous arrivons au service maternité, une infirmière me prend en charge et me dirige vers une salle pour m’examiner. Je crie comme une damnée.

— Alors, la bonne nouvelle, c’est qu’il n’y en a pas pour longtemps.

Je souffre. Je n’ai jamais autant souffert de toute ma vie.

— Je peux avoir la péridurale ?

— ça, c’est la mauvaise nouvelle. On n’a plus le temps.

Je hurle que je ne vais pas y arriver, que je ne sais pas faire, qu’il faut m’aider.

Puis, vingt minutes plus tard, je tiens Liam dans mes bras.

Il est aussi brun que Louis était blond.

Ses yeux sont aussi noirs que ceux de son frère sont clairs.

Je le mets aussitôt au sein.

C’est mon miracle.

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