Rentrée des classes

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C’est déjà la rentrée et je n’ai rien vu venir. Il est temps d’aller installer mes affaires dans ma nouvelle chambre universitaire, et de réviser les deux matières pour lesquelles je suis au rattrapage. Mon idylle avec Florent s’est poursuivi au-delà des vacances. J’ai passé mon été à l’attendre, chaque après-midi, afin de partager avec lui quelques heures de rires et de tendresse. Je n’ai rien vu venir, et pourtant, je suis amoureuse. Comme nous ne nous voyons que chez lui, il a tenu à me faire rencontrer ses parents. A eux non plus, mon statut d’étudiante ne semble pas convenir. Son père fait régulièrement des réflexions désobligeantes sur ma supposée inactivité tandis que sa mère répète inlassablement qu’elle aurait préféré que Florent sorte avec Karine. Comme je ne les vois que le week-end, je prends sur moi. Christian et Karine, c’est terminé. Elle va elle aussi retrouver les bancs de l’IUT et les bras de David. Je me demande si elle lui parlera de ce qui s’est passé cette année.

Celui qui va me manquer, c’est Gontran. Gontran, c’est l’ami gay comme dans les films, celui que toutes les filles ont envie d’avoir. J’ai beaucoup de chance, c’est le mien. Pendant l’été, nous nous voyons souvent, parce qu’il habite a deux pas de chez mes parents. En juillet, nous avons écumé ensemble les boîtes de nuit de la côte. Je sais qu’après la rentrée, comme chaque année, nos rendez-vous vont s’espacer. Parce qu’il reprend le boulot et moi ma routine étudiante. Secrètement, j’ai peur qu’il arrive la même chose à ma nouvelle histoire d’amour.

Je suis tout de même heureuse de retrouver l’université et mon rythme de vie. Ici, je mange quand je veux et ne me couche que lorsque j’ai sommeil. Je vais aussi retrouver Emmanuelle, ma meilleure amie, avec qui je partage les virées étudiantes et les soirées alcoolisées. L’année dernière, toutes les deux, nous avons visité à peu près tous les bars de la ville. Manu est une fille douce et complexée. Avec ses kilos en trop, elle a du mal à plaire aux garçons et je sais qu’elle en souffre beaucoup. Pour compenser sans doute, elle s’abime dans la fête et toutes les substances qui peuvent la faire planer un instant. Elle a d’ailleurs abusé de celles-ci, l’année dernière, au point de ne plus mettre un pied à la fac. A la place, elle traînait en pyjama toute la journée en fumant des pétards. Elle a fini par ne même plus se rendre aux partiels. Cette année, elle reprend à zéro. Elle va devoir refaire sa première année d’anglais avec un peu plus de motivation, sinon ce sera sa dernière chance. C’est d’ailleurs avec elle que j’ai rendez-vous aujourd’hui, devant le restaurant universitaire, pour aller faire un tour en centre-ville.

— Mais vous n’avez rien fait ?

Je secoue la tête, un peu gênée. Florent et moi sortons ensemble depuis un mois et demi, mais notre relation n’est toujours pas allée plus loin que quelques baisers.

— C’est bizarre, non ?

Je trouve aussi, mais je n’ai pas envie de parler de ça avec elle. L’année dernière, lorsque nous sommes arrivées à la fac, nous étions vierges toutes les deux. Quelques mois après notre installation, elle a choisi de coucher avec un inconnu pour résoudre le problème. Sans préservatif ni contraception. Je l’ai accompagné à la pharmacie et au test de dépistage HIV. Son exemple ne m’a pas vraiment donné envie, mais j’étais soudain devenue la dernière vierge à abattre.

Ma première expérience sexuelle avait été un fiasco. Nous avions passé la soirée dans une boîte de nuit du centre-ville et j’avais craqué sur Jo, un militaire qui m’avait fait du charme une grande partie de la soirée. Les verres s’étaient enchaînés, les rires et les baisers aussi. Manu avait particulièrement bu. Lorsque Jo nous a proposé de le suivre dans un after à l’extérieur de la ville, nous avons aussitôt accepté, enthousiastes. Moi, parce que je me perdais dans ses yeux bleus. Manu parce que son taux d’alcoolémie était probablement supérieur à son taux d’oxygène.

L’after est sensationnel. Nous dansons comme des folles et nous nous amusons beaucoup, jusqu’au bout de la nuit. Jo a appelé un taxi pour nous ramener. Nous l’attendons tous les trois, sur le parking et Manu fait peine à voir. Elle est complètement saoule. C’est alors qu’une voiture s’arrête et nous propose de nous déposer dans le centre. Karim est un type d’une trentaine d’années qui a l’air plutôt serviable. Jo annule le taxi et nous montons avec lui. Sur le trajet, ce sont surtout les garçons qui discutent ensemble, à l’avant. Manu et moi nous contentons de rire sottement à leurs plaisanteries. Jo est le premier à être déposé. En partant, Jo me fait promettre un rendez-vous dès le lendemain, sur la place de la ville. J’accepte avec plaisir, il me plaît beaucoup.

— C’est ton mec ? demande Karim.

— Je ne sais pas encore, dis-je avec un petit sourire en coin.

— Ça va, ta copine ?

Je regarde Manu. Affalée contre la vitre arrière, elle n’a vraiment pas l’air en forme.

— Vous voulez qu’on s’arrête chez moi ? C’est sur le chemin, je vous paie un café.

— Non, on va rentrer…

— C’est dommage, on va pas se quitter comme ça, on vient à peine de se rencontrer…

Je regarde son reflet qui me sourit dans le rétroviseur. Il n’a rien d’effrayant, et je me sens quand même redevable. Après tout, il a traversé la moitié de la ville pour nous ramener. Comme pour dissiper mes doutes, Manu sort mollement de sa torpeur :

— J’avoue qu’un café, moi, je ne suis pas contre !

— Va pour un café !

Il gare sa voiture devant de larges barres d’immeuble. Je ne sais même pas où on est. Manu, désormais euphorique, parle beaucoup. Elle n’a pas l’air inquiète. J’essaie de faire taire la petite voix qui me dit que nous sommes en train de nous mettre dans de beaux draps. Il se gare, mais lorsque j’essaie de sortir de la voiture, je n’y parviens pas. J’essaie d’agiter le loquet dans tous les sens, mais rien ne se produit. Cette fois, je panique pour de bon. Karim s’en amuse :

— C’est rien, c’est la sécurité enfants !

Nous entrons dans le salon de l’appartement et nous asseyons sur le canapé pendant qu’il prépare les cafés. Nous parlons de tout et de rien, je ne sais même pas quel est le sujet de la conversation. Manu, fatiguée, s’allonge sur les coussins. Elle commence à piquer du nez. Karim est sympathique, je me sens en confiance. Alors quand Manu s’endort tout à fait et qu’il me propose d’aller me reposer dans la chambre à côté, j’accepte avec plaisir. Ce que je n’avais pas compris, c’est qu’il n’y avait qu’une seule chambre. Il me rassure : on est tous crevés, on va juste dormir quelques heures. Il se met en caleçon et se glisse sous les draps. Je m’allonge près de lui, sur la couette, peu rassurée. Ensuite les évènements s’enchaînent. Il insiste pour que j’enlève mon pantalon, je résiste, il rit.

— Tu as peur que je te viole ?

Non, bien sûr. Pour le prouver, je cède. Il m’embrasse. C’est agréable. Je ne veux pas coucher avec lui. Je le lui dis. Nous nous couchons côte à côte et je me pelotonne contre lui. Je suis en boxer, mais je porte encore mon t-shirt et mon soutien-gorge. Puis soudain il est sur moi, sa tête entre mes cuisses. Je n’ai jamais fait ça, je ne comprends pas ce qui se passe. Je ne peux pas nier que c’est agréable, mais je ne suis pas sûr d’en avoir envie. Je n’ai pas de plaisir, je suis incapable de lâcher prise. Et soudain son sexe est contre ma bouche, et la demande est précise :

— Suce-moi.

Je m’exécute. Je m’exécute alors que je n’en ai aucune envie. Je m’exécute parce que je ne sais pas quoi faire d’autre. Après, je me laverai les dents à grande eau. Manu sait ce qui est arrivé ce soir-là, elle nous a vu. Pourtant, nous n’en parlerons plus jamais.

Quelques mois plus tard, je suis sortie avec un garçon qui me plaisait vraiment. Il était doux, tendre, aimant. Il avait envie d’être le premier, mais je ne me sentais toujours pas prête. Je ne comprenais pas que je venais de subir une agression sexuelle, alors je n’ai pas pu le lui expliquer. Il a fini par en avoir marre de mes réticences. Alors quand Loïc, un soir, a insisté lourdement, j’ai hésité. J’ai dit non plusieurs fois, mais quand il a ri en disant que « je n’allais pas rester vierge toute ma vie », j’ai cédé, encore. J’ai saigné et j’ai eu mal. Son érection s’est envolée. Et il m’a dit cette phrase que je n’oublierai jamais :

— Je pensais quand même que tu me ferais plus d’effet que ça.

Après, il est parti.

Alors avec Florent, je voulais, oui. Mais j’avais peur. Lui aussi.

— Je crois qu’il n’a pas beaucoup d’expérience.

— Il est puceau ?

— Non, il a déjà eu une copine avant, il m’a dit.

Manu fronce les sourcils. Je lui ai présenté Florent cet été, mais je sens qu’elle ne l’apprécie pas particulièrement. Elle et moi avons une relation très fusionnelle, je suis sûre qu’elle est jalouse.

— En tout cas, je n’aurais jamais cru que tu restes aussi longtemps avec lui !

Il n’est pas de notre monde. Il ne lit pas les mêmes livres que nous. D’ailleurs, il ne lit pas du tout. Il écoute les chansons de variété sur lesquelles nous avons toujours vomi et porte des fringues de premier de la classe. Il n’aime pas sortir, ne boit pas, ne fume pas. J’avoue que moi non plus, je n’aurais jamais imaginé m’amouracher d’un garçon comme lui. Pourtant, je ne réponds pas à sa réflexion. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais je l’aime.

J’étais un oiseau de nuit volage, j’ai désormais un fil à la patte.

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