XLVII - Aveux

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Dimanche 29 juillet 2018, 12h40, à la Maison Kayser, New York

Les mains de Madeline tremblaient. Son cœur battait à tout rompre. Ses jambes étaient en coton. Josh avait avouer, peut-être à demi-mots, mais il l’avait dit. C’est lui qui l’avait enlevée. C’est lui qui la détenait depuis onze ans. Et maintenant, il allait tout raconter.

- Le 1er juillet, commença Josh en plantant son regard droit dans celui de Madeline, fut la pire journée de toute ma vie. C’est à cette date que j’ai appris que mon fils n’était pas vraiment mon fils, que je n’avais pas de gène en commun avec lui, qu’on ne partageait pas le même sang. Après toutes ces années de bonheur, Carla m’annonça, enfin, me hurla, que je n’avais aucun droit sur Ezequiel, parce qu’il n’était pas de moi. Est-ce que tu imagines une seule seconde le choc ? … Non, non, je ne crois pas que l’on puisse l’imaginer tant qu’on n’est pas parent.

La voix de l’homme se brisa, et une larme roula sur sa joue, avant de s’écraser sur le bois de la table. Madeline sentit que l’émotion le gagnait, et elle comprit que, dans son esprit, Josh revivait la journée en détails.

- On se disputait beaucoup, avec Carla, à l’époque. On n’était d’accord sur rien, pas même sur l’éducation de notre fils. Lorsque je disais blanc, elle voulait noir. Et quand j’acceptais noir, elle voulait blanc. Je me demandais souvent si elle n’en faisait pas exprès, si elle n’attendait pas que ça, qu’on s’engueule. Ce jour-là, j’étais décidé à lui poser cette question, parce que malgré tous mes efforts, ça n’allait jamais. Elle me répondit qu’elle n’était pas heureuse, qu’elle voulait autre chose, que sa vie ne lui convenait pas. Alors je lui ai proposé qu’on divorce, qu’elle retourne en Espagne si son pays lui manquait tant, mais qu’il était hors de question qu’elle emmène Ezequiel. C’est là qu’elle a explosé. Elle m’a hurlé dessus en m’annonçant que je n’avais aucun droit de décider à qui la garde reviendrait, parce qu’Ezequiel était son fils, et pas le mien. Je n’ai pas compris, au début. J’ai pensé que puisqu’elle était la mère, elle estimait avoir plus de droit, parce qu’elle l’avait porté, allaité, etc. Tout ce que les mères ressortent quand elles cherchent à garder l’enfant. Mais Carla a fini par m’avouer clairement que je n’étais pas son géniteur. J’aurais pu douter, demander un test, penser qu’elle mentait pour garder son fils auprès d’elle, mais je vais te dire, Madeline, qu’au fond de moi, je crois que je l’ai toujours soupçonné. Et quand elle m’apprit que son père biologique était Darryl, je n’ai même pas été étonné plus que ça. Dans mon esprit, je visualisais Ezequiel, et l’évidence me frappa. Ils avaient la même nuance dans leurs regards, d’autres traits en commun, même si Ezequiel ressemble beaucoup à Carla, encore aujourd’hui. Je lui ai demandé si Darryl était au courant, mais elle n’en savait trop rien. Ils n’en avaient jamais parlé ouvertement, même si Carla doutait qu’il l’avait deviné. J’ai demandé d’autres détails sur leur histoire, que Carla me donna, en larmes. La colère passée, elle avait réalisé l’ampleur de ses révélations. Elle le regrettait. Mais c’était trop tard, la vérité était dite et le mal était fait. J’ai fait mes valises et je lui ai annoncé que je m’en allais. Loin. Je quittais la ville. C’était ce que j’avais prévu, je te le jure.

- Alors, quoi ? Que s’est-il passé jusqu’au 4 juillet ? demanda Madeline, qui malgré la haine qu’elle ressentait pour cet homme, compatissait de la douleur profonde qu’il avait connue.

- Finalement, je me suis arrêté à Portland. Je me demandais si la fuite était bien la solution à mes problèmes. Après tout, Darryl n’avait pas assumé sa paternité, et avec ses deux filles et sa femme dans sa vie, il ne le ferait sûrement jamais, alors je pouvais toujours être le père dont Ezequiel avait besoin. Et puis, au fond de moi, je voulais que Darryl souffre comme je souffrais. Je voulais qu’il ait le cœur brisé comme Carla avait brisé le mien. J’ai pensé à plein de moyens de lui faire connaître la douleur qui me consumait de l’intérieur, et le meilleur que j’ai trouvé a été d’aller tout révéler à Eve. Je la connaissais, et j’étais persuadé qu’en apprenant une telle chose, elle le quitterait. Alors il se retrouverait seul, comme moi. Le 4 juillet, après trois jours de réflexion et la conviction que tout dire à ta mère était la meilleure des choses à faire, je suis revenu à Milwaukie. Je suis allé jusqu’à chez vous, en sachant très bien qu’à cette heure-ci, Darryl travaillait. Le quartier était comme mort, personne dans les rues ou dans les jardins. Puis, devant la porte d’entrée, j’ai hésité. Avais-je le droit de détruire la vie de quatre personnes sous prétexte que j’avais le cœur brisé ? Parce que tout révéler causerait de la peine à ton père, certes, mais aussi à Eve, Naomi et toi, vous qui étiez si jeunes. D’adorables gamines qui ne méritaient pas de payer pour des erreurs commises par leur père des années plus tôt. Alors, j’ai fait demi-tour. J’ai contourné votre maison. Je suis passé par derrière, et là, à travers la haie, je l’ai entendu. Le rire de Naomi. Elle riait à gorge déployée, heureuse, innocente.

- C’est à ce moment que tu as décidé de l’enlever ?

- Non ! Je te l’ai dit, je ne voulais pas la kidnapper. Enfin, pas vraiment. En entendant ce son que j’ai trouvé magnifique, mon cœur s’est brisé un peu plus. J’avais perdu mon fils, j’étais parti comme un voleur alors que je n’avais rien à me reprocher. J’aurais pu rentrer chez moi, décider d’être le père d’Ezequiel, mais au lieu de ça, j’étais obnubilé par ma vengeance. J’avais perdu mon enfant, à Darryl de le vivre aussi. Dès que cette idée naquit dans mon esprit, je ne contrôlais plus mon corps, ni mon esprit. Je me demandais si Naomi en garderait des séquelles psychologiques, puis même si elle se souviendrait de ses premières années si je la gardais avec moi. J’ai pensé à la prison, aussi, si je me faisais prendre, mais comme je te l’ai dit, je ne me contrôlais plus. Alors, je suis entré dans votre jardin, vu que Naomi était seule, profité pour lui tendre les bras. Le sourire qu’elle me lança me fit perdre toute raison, et je la pris. Je retournai à Portland, avec ta sœur, qui semblait ravie de voyager avec moi. Ses sourires, son rire, ses cheveux que je caressais me donnèrent du baume au cœur. Le soir-même, j’étais convaincu que Naomi saurait panser mes blessures les plus profondes. Tout le monde pensait que j’étais déjà parti loin, personne ne se douterait jamais que c’est moi qui l’avait prise. Sans réfléchir, je réservai deux billets pour New-York, dont un au nom de Willow McGregor. Le reste, tu le devines. Je me suis installé ici avec elle, j’ai ouvert la concession. En grandissant, ta sœur ne semblait pas se souvenir de sa vie d’avant. J’avais réussi à la convaincre que j’étais son père, même si, au début, elle me disait toujours « Non, pas toi mon papa ! ». Et puis, la vie a filé, et onze ans ont passé.

Josh baissa la tête, par pudeur parce qu’il pleurait, mais aussi par honte, car il se rendait compte en les énonçant à voix haute que ses actes étaient horribles. Arracher une gamine innocente à sa famille, c’était inhumain ! Pourtant, c’était bien ce que Josh avait fait.

- Pourquoi être retourné à Milwaukie, cet été ? Parce que la Willow que j’aie rencontrée le 4 juillet était bien Naomi, n’est-ce pas ? se renseigna Madeline, qui se sentait à la fois soulagée d’avoir retrouvé le ravisseur de sa sœur, mais aussi inquiète quant à la suite des évènements.

- Oui, tu as raison. Avec Willow … Enfin, Naomi, nous avons toujours beaucoup voyagé. Nous sommes partis en vacances dans plusieurs pays d’Europe, parce que je savais que là-bas, personne ne risquerait jamais de nous reconnaître. Alors, on pouvait visiter à notre guise, sans avoir besoin de se cacher, comme nous le faisons ici. Depuis qu’elle est en âge d’aller à l’école, Willow suit des cours par correspondance, chez nous, en sécurité. Elle n’a pas vraiment d’ami, pas de vie sociale. Elle s’en est toujours plaint, mais elle sait que je fais ça par amour pour elle, parce que, oui, je l’aime comme ma propre fille. Elle a réussi à me guérir de la trahison que j’ai subie, elle m’a fait renaître, elle m’a rendu heureux. Cette année, elle m’a demandé si, plutôt que de partir dans un pays du globe, nous ne pouvions pas plutôt visiter notre pays, elle qui ne connaissait que New York. Je me suis dit que, pour une fois, je pouvais bien oublier ma peur. Alors j’ai dit oui, et je lui ai proposé de visiter l’Oregon. Intérieurement, je me disais que ce serait ma bonne action en onze ans, de la laisser fouler le sol de sa ville natale. Nous ne sommes restés à Milwaukie qu’une seule journée, le 4 juillet. J’étais parti au garage, parce que notre voiture de location avait un problème mécanique. Je l’avais déposée sur Lake Road, au sud de la ville, en lui disant qu’elle pouvait m’attendre dans le parc naturel juste à côté. Mais quand je suis revenu, elle n’y était plus. J’ai commencé à paniquer, je l’ai appelée mais elle ne répondait pas. Au bout de quatre appels, elle a enfin décroché. Elle était au centre commercial, parce qu’elle avait vu qu’il y avait des boutiques qui n’existaient pas à New York et qu’elle en avait profité pour acheter du pain, parce que j’en avais parlé le matin et qu’elle voulait me faire plaisir en me montrant qu’elle savait se débrouiller seule. C’était sa façon de me dire que je pouvais la laisser respirer, la laisser grandir. Je suis allé la récupérer au centre commercial, et quand je lui ai demandé si elle avait croisé quelqu’un, elle m’a répondu que non. Alors, j’ai cessé de m’inquiéter.

- Comment expliques-tu que je lui ai parlé, alors ? Je suis sûre que c’était elle !

- Oui, oui, c’était elle. Lorsque jeudi, tu as déclaré avoir rencontré Willow, j’ai paniqué. Le soir, je lui ai posé de nouveau la question, en m’inventant une excuse bidon. En effet, elle m’avait menti. Mais elle avait peur que je renonce à lui laisser plus de liberté si elle m’avouait avoir été aidée pour trouver le rayon boulangerie d’un supermarché.

Les larmes de Josh avaient séché, bien que ses yeux brillaient toujours. Il jaugeait Madeline du regard, se demandant quelle allait être sa réaction : allait-elle éclater en plein restaurant après tous ces aveux ? Ou rester calme, en attendant d’obtenir ce qu’elle désirait tant : retrouver sa petite sœur ?

- Madeline, reprit le quarantenaire, je n’ai aucune excuse, aucune justification pour les actes que j’ai commis. Je regrette d’avoir fait tant de mal à ta famille, et de continuer à en faire. J’étais aveuglé par ma souffrance, je n’ai pensé qu’à moi. Jusqu’à il y a peu, je n’avais pas pris conscience de ce que j’avais fait. Puis je t’ai rencontrée, par hasard, dans une boutique de vêtements. On s’est percutés de plein fouet, puis tu as tracé ton chemin, comme de rien. Mais moi, je t’avais reconnue, et te revoir après tant d’années, en sachant que ta petite sœur était chez moi, à m’attendre, à m’appeler « Papa », m’a causé un électrochoc. Depuis, je n’arrête pas de penser à toi, à tes parents, à ce que j’ai fait ce 4 juillet. Je ne te demande pas de me pardonner, Madeline, ou d’essayer de me comprendre. Parce que pour cela, il faudrait avoir vécu ma douleur, ma peine.

- Mes parents ont perdu un enfant, pour de vrai, mais c’est pas pour autant qu’ils en ont kidnappé un autre. Toi, tu as vécu les évènements comme la perte d’un enfant, alors qu’Ezequiel était vivant, chez vous.

- Je sais bien, Madeline, je sais bien … Si tu savais comme je suis navré et comme j’aimerais revenir en arrière. Je me rends bien compte que j’ai tout fait de travers, tout. J’ai volé un enfant, j’ai abandonné le mien. Je suis sans excuse. Tu me diras, j’aurais pu revenir en arrière à un moment, comprendre que ce que je faisais était terriblement mal. Mais la honte m’en a toujours empêché, les regards qu’on aurait porté sur moi, l’étiquette « kidnappeur » qu’on m’aurait collé sur le front. J’avais peur de tout ça, alors j’ai essayé de continuer à vivre sans penser à tout ça, à l’enlèvement. Je voulais aller de l’avant, et ressasser le passé était malsain.

Josh lança un regard désolé à Madeline, un regard qui traduisait aussi de la détresse et de la peur. La jeune blonde ne doutait pas qu’il s’en veuille, même si elle ne comprenait pas qu’il n’ait pas fait marche arrière avant qu’une décennie ne passe, que la raison n’ait pas surpassé sa peur de se faire afficher comme le méchant de l’histoire.

- Est-ce que je peux la voir ? tenta Madeline.

- Bien sûr. On va aller chez moi, je vais tout lui expliquer.

Madeline n’y croyait pas. Elle touchait du bout du doigt son désir depuis des semaines. Elle allait rencontrer sa petite sœur, la serrer dans ses bras, plonger ses yeux dans les siens. Elle allait rendre à ses parents la fille qu’ils avaient perdue. Elle allait réunir leur famille.

***

Dimanche 29 juillet 2018, 13h30, dans l’Upper East Side, New York

Cela faisait vingt minutes que Josh et Naomi étaient enfermés dans la chambre de cette dernière. Parfois, les deux jeunes amis entendaient des éclats de voix, ressemblant à des protestations, parfois, des pleurs. Depuis une trentaine de secondes, le silence régnait. On n’entendait plus les chuchotements de Josh, seulement le tic-tac de l’horloge au-dessus de la télévision.

- Tout va bien ? se renseigna Damin qui se tenait près de Madeline, devant la grande baie vitrée donnant sur la ville.

- J’ai du mal à réaliser, mais ça va.

Ils se prirent la main. Madeline avait plus que jamais besoin de soutien.

En quittant le restaurant, la jeune fille avait envoyé à ses deux parents l’enregistrement des aveux de Josh, accompagné du message : « J’ai retrouvé Naomi. On la ramène à la maison ». Mais aucun des deux n’avait encore répondu.

Bientôt, Josh et Naomi ressortirent de la chambre. Chacun avait les yeux rouges, marchant la tête basse. Josh n’osait croiser le regard de Madeline, honteux de ses actes. Naomi était intimidée.

- Est-ce que je peux te serrer dans mes bras ? demanda doucement Madeline, rompant le silence pesant qui s’était abattu dès la sortie du père et de sa prétendue fille.

Naomi acquiesça, et sa sœur lui courut dans les bras. Madeline respira l’odeur de ses cheveux, et eut la surprise de découvrir qu’ils sentaient la pomme, comme ceux de Theo. La jeune blonde pleurait, émue, et ne réalisant pas encore ce qu’il venait de se passer ces dernières heures.

- Naomi … murmura-t-elle en la serrant encore plus fort.

Resté en arrière, Josh contemplait la scène des retrouvailles entre les deux sœurs. Il en pleurait. Il aurait cru que perdre Willow, après avoir déjà perdu Ezequiel, lui aurait de nouveau brisé le cœur, mais il se trompait. Observer ces deux sœurs s’enlacer lui procura un sentiment de bonheur. La famille allait être réunie, et c’était, ce qu’au fond de lui, il voulait vraiment. Que Willow grandisse entourée des siens, libre. La rendre à sa vie était ce qu’il avait de mieux à faire, même si cela ne pouvait pas réparer complètement ses erreurs.

- Je crois qu’il est temps de rentrer à la maison, déclara Josh. Je veux dire, chez vous.

Madeline acquiesça. Elle allait enfin rentrer à Milwaukie, chez elle, avec sa petite sœur. Après toutes ces révélations, toutes ces péripéties, toutes ces recherches et ces découvertes, le mystère était résolu. L’enquête était, après onze, définitivement close. La vie pouvait recommencer.

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