XLVI - Il est temps d'avouer

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Samedi 28 juillet 2018, 2h10 (heure de la côte Est), à l'aéroport de La Guardia, New York

- Tu n'es pas raisonnable, Madeline ! tenta de la modérer Damin, tandis que la jeune fille s'élançait à grands pas hors de l'aéroport. Madeline !

Mais celle-ci n'avait que faire des conseils de Damin d'attendre le matin pour aller toquer chez Josh. Il détenait sa sœur depuis onze ans, et elle ne voulait pas laisser Naomi une seconde de plus avec son kidnappeur.

- Madeline ! répéta plus sèchement Damin en la rattrapant par le bras. Arrête tes bêtises, maintenant. Je comprends que t'aies envie de courir chercher ta petite sœur, mais il est 2h du mat', et tu m'as avoué il y a un quart d'heure que tu ne connaissais que l'adresse de sa concession. Tu ne vas quand même pas aller frapper à toutes les portes de New York en espérant tomber sur lui, si ? Alors respire, et calme-toi, s'il te plaît. On va trouver un endroit où dormir et demain matin, on commencera les recherches. Tu veux bien ?

Avait-elle vraiment le choix ?

- Très bien, capitula-t-elle en se laissant entraîner vers un taxi.

Mais demain, à la première heure, je vais aller retrouver cet enfoiré qui a nous a volé ma petite sœur, se promit silencieusement Madeline en sentant la haine pour cet homme s'intensifier un peu plus à chaque seconde qui passait.

***

Dimanche 29 juillet 2018, 9h40 (heure de la côte Est), dans l'Upper East Side, New York

Dès l'aube, Madeline avait tiré du lit Damin pour qu'ils aillent retrouver le plus vite possible Josh. Elle qui avait très peu dormi de la nuit, elle n'en pouvait plus d'avoir les yeux rivés sur le radio-réveil en attendant que les minutes passent. Alors, dès que 7h30 avait sonné, elle avait estimé qu'elle avait assez patienté et qu'il était temps d'agir. C'est à peine si Damin avait pu prendre son petit-déjeuner, Madeline le pressant chaque seconde pour qu'il se dépêche. La jeune fille, quant à elle, n'avait pas avalé un morceau, l'estomac trop noué par le stress.

Devant l'hôtel, aucun taxi n'attendait de client, et ceux qui passaient à toute allure sur la route étaient déjà pris par des New-Yorkais qui, même le dimanche, courraient partout. Alors, sans hésitation, Madeline s'était élancée à pied, son portable à la main. Elle n'avait pas eu besoin de revérifier l'adresse de la concession : elle s'en souvenait parfaitement. Son GPS, en alternant marche et métro, avait su les mener droit sur la porte sur laquelle Madeline et Ezequiel avaient toqué quelques jours plus tôt.

- T'as un plan ? lui chuchota à l'oreille Damin, qui, depuis le matin, était resté silencieux, se contentant de suivre Madeline et de la soutenir, en lui attrapant la main parfois, ou en lui caressant les cheveux.

- Pas vraiment, non, avoua l'intéressée qui s'était laissée mener par son instinct. Celui qui lui disait que Josh était la clé de l'énigme, et qu'il était le seul à pouvoir lui rendre sa sœur. Mais la question, maintenant, était : comment procéder ?

- Écoute, si je peux te donner un conseil, évite de lui hurler dessus tout de suite en l'accusant d'avoir kidnappé ta sœur. Vas-y plutôt en douceur, même si je sais que ça va être difficile pour toi. Pour lui faire cracher la vérité, il faudrait un endroit plus ... intime, que la concession où il y a sûrement des clients et des vendeurs. Et si tu rates ta chance une fois, il ne te laissera pas l'approcher ensuite, ce qui veut dire que tu ne pourras pas approcher ta sœur.

Ce que Damin était perspicace. Alors que Madeline avait bien envie de foncer dans le tas, le jeune homme venait de mettre en lumière ô combien ce serait une erreur. Madeline devait d'abord jouer la carte de l'ignorance pour l'attirer dans son piège.

- Tu as raison. Je fais la gentille fille, et après, on le défonce.

Sur ces paroles, Madeline entra, jetant un coup d'œil circulaire dans l'espoir d'apercevoir le visage qu'elle avait rencontré jeudi, ici même.

- Mademoiselle, Monsieur, je peux vous être utile ? les interpella une jeune femme en jupe crayon et chemisier blanc en soie, un sourire exagéré sur les lèvres.

- Nous voudrions voir M. McGregor, répondit Damin en prenant les choses en main, tandis que Madeline scrutait par-dessus l'épaule de la secrétaire l'ensemble de la concession.

- Je suis navrée, mais M. McGregor est en rendez-vous client. Si vous souhaitez avoir affaire à un conseiller, je peux vous adresser à un employé tout aussi compétent.

- C'est gentil, mais seul McGregor peut nous aider. Si vous voulez bien le prévenir que nous l'attendons.

- Monsieur, écoutez, ...

- Nous sommes les clients qui sont venus jeudi soir, intervint Madeline. Dites-le lui, et nous verrons bien s'il nous redirige vers un de ses employés.

La jeune femme capitula, pinçant les lèvres de contrariété de se retrouver rembarrée par des adolescents qui, de plus, n'avaient rien à faire ici. Sans un mot, elle tourna les talons et se dirigea vers le bureau du fond, celui-là même que Madeline avait fouillé lorsqu'elle et Ezequiel étaient revenus à la concession, le vendredi. Sur le bureau, elle avait alors trouvé une photo représentant la fille de Josh, cette Willow qu'elle avait rencontrée le 4 juillet, au supermarché. Maintenant, elle savait que cette fille était sa sœur, et rien que d'en prendre conscience, elle se rendait compte qu'effectivement, il y avait une ressemblance entre elles deux. Une ressemblance qu'elle n'avait pas remarquée ce 4 juillet, trop hypnotisée par le regard azur de la jeune adolescente. Madeline avait eu en face d'elle, à portée de main, même, sa petite sœur disparue, mais celle-ci lui avait échappée. Encore une fois.

- M. McGregor va vous recevoir tout de suite, annonça la secrétaire en forçant un air aimable qui ne lui allait pas du tout.

En effet, Josh apparut bientôt, accompagné d'un homme d'une soixantaine d'années à qui il serra la main, avant de l'abandonner pour aller à la rencontre des deux jeunes gens.

- Madeline ! s'écria-t-il, visiblement ravi de la surprise. Quel plaisir de te revoir ! C'est déjà la deuxième fois en l'espace de quelques jours que tu traverses le pays entier pour voir me retrouver, je suis flatté !

Josh la prit dans ses bras, sans remarquer la raideur du corps de Madeline. Il aperçut alors le jeune homme qui l'accompagnait. Il ne ressemblait en rien au fils qu'il avait élevé pendant sept ans.

- Et toi, tu es ? Pas Ezequiel en tout cas.

- Non, je m'appelle Damin, se présenta l'interpellé. Je suis un ami de Madeline. Ezequiel est occupé, alors c'est moi qui l'accompagne, cette fois-ci.

- À la bonne heure ! s'exclama le concessionnaire. Je suis ravi de connaître l'entourage de Madeline. Mais dis-moi, que viens-tu faire ici aujourd'hui ?

Que pouvait-elle lui répondre ? Je viens reprendre ce qui m'appartient, c'est-à-dire ma sœur, que tu as volée onze ans plus tôt ? Je viens te faire avouer le crime que tu as commis la décennie dernière ? Je viens t'enlever l'adorable petite princesse que tu gardes enfermée depuis des années dans ton donjon ?

- Je viens ... Je viens m'excuser. J'ai été injuste envers toi, la dernière fois. Je t'ai crié dessus, et je t'ai accusé de choses terribles. Je n'aurais pas dû, vraiment.

- Oh, eh bien, je suis touché. Même si je ne t'en veux pas, soyons bien d'accord. Tu es si jeune, et tu vis des choses tellement bouleversantes. C'est normal que tu exploses à un moment donné, et tant pis si cette explosion a eu lieu ici, et que tu te sois défoulée sur moi. Je suis content que tu aies compris tes erreurs, aujourd'hui.

Madeline bouillait intérieurement. Ce petit ton doucereux exaspérait la jeune fille, mais moins que l'air innocent que Josh prit en tenant son discours. Comme s'il n'avait rien à se reprocher. Comme si la fautive, dans l'histoire, c'était elle. Comme s'il allait s'en tirer facilement.

- Mais tu sais, reprit Josh, il ne fallait pas te déplacer pour si peu. Un coup de fil aurait suffi, plutôt que de passer des heures coincée dans un avion et subir le décalage horaire, seulement pour des excuses.

- C'est que ... Tu as beaucoup parlé avec Ezequiel, lorsqu'on est venus te voir. Mais j'ai cru comprendre que tu avais joué un rôle important dans mon enfance, et j'aimerais avoir plus de temps pour discuter avec toi. Pour répondre à certaines de mes interrogations.

Josh ne se doutait de rien. C'est ce que pensa Madeline lorsqu'il leur proposa de revenir pour l'heure du déjeuner.

- Je vais en profiter pour vous faire goûter un des meilleurs restaurants de la ville ! Je suis sûr que vous allez adorer.

Ce que Madeline allait surtout adorer, c'était le moment où elle le ferait passer aux aveux.

***

12h25 (heure de la côte Est), à la Maison Kayser, New York

- Je ne connaissais pas la cuisine française avant que j'entre ici, une fois, parce que je ne savais pas où aller. Depuis ce jour, il ne se passe pas un mois, et même parfois, une semaine, sans que je vienne manger là. Vous connaissez la cuisine française ?

Les deux jeunes gens secouèrent leurs têtes négativement.

- Quel dommage ! leur répondit-il en appelant un serveur qui avait l'air de bien connaître Josh.

Ce dernier passa la commande, en précisant qu'il voulait de petites quantités de chaque plat pour que les deux jeunes amis puissent goûter à la gastronomie française.

Le serveur reparti, Josh se tourna vers ses invités. Le garçon parlait peu, et répondait brièvement lorsqu'on l'interrogeait. Mais même s'il se montrait discret oralement, il n'avait pas échappé à Josh les petites caresses sur les bras de Madeline, les chuchotements entre eux, les doigts entrelacés dans la rue, la porte tenue à l'entrée du restaurant. Il s'était peut-être présenté comme un simple « ami », mais Josh avait vu juste dans son petit jeu. Les regards qu'il posait sur Madeline n'étaient pas ceux d'un garçon qui ne recherchait que de l'amitié. Ils étaient ceux d'un garçon éperdument amoureux, et Josh connaissait bien ce regard. C'était celui qu'il avait réservé à Carlota pendant neuf ans, avant qu'il n'apprenne la terrible vérité sur son fils.

- J'ai appris que tu étais policier, à Milwaukie, avant ton départ, commença Madeline pour préparer le terrain de son interrogatoire, qui, selon ses calculs, terminerait à des aveux en peu de temps.

- En effet, j'étais simple officier avant de passer chef, ce que l'on appelait encore shérif, à l'époque. C'est un métier formidable, enquêter, résoudre des affaires, ressentir la fierté de trouver la clé de l'énigme. J'adorais tout particulièrement l'adrénaline à chaque nouvelle affaire que l'on me confiait, c'est elle qui me poussait à aller toujours plus loin afin de trouver la solution.

- Pourquoi n'as-tu pas décidé de te faire transférer dans un poste New-Yorkais. Les affaires doivent être plus passionnantes dans une ville comme celle-ci qu'à Milwaukie, en plus, non ?

- J'avais envie de faire autre chose. Ouvrir une concession est une idée qui m'a toujours séduit, et j'en ai profité une fois arrivé ici. Je recommençais à zéro, quoi de mieux qu'un nouveau métier ?

- Et un nouvel enfant ? questionna Madeline en sentant cette même adrénaline dont Josh parlait plus tôt prendre possession de son corps. La jeune fille était lancée, et rien ne l'arrêterait.

Josh eut un mouvement de recul à l'entente de sa question. Ainsi formulée, elle ne rassurait pas le quarantenaire sur les réelles intentions de la jeune fille.

- Tu veux parler de Willow, ma fille ?

- Je veux parler de l'enfant que tu élèves, oui. Concernant ton lien avec elle, ça reste encore à déterminer, asséna Madeline comme un coup en pleine face.

C'est le moment que choisit le serveur pour apporter les plats. Tout sourire, il déposa les assiettes au centre de la table, de sorte que chacun puisse picorer dedans à son aise, sans prendre conscience de ce qui se jouait entre son meilleur client et la jeune fille assise face à lui.

- Je te remercie, Mick ... Qu'est-ce que c'est que cette histoire, encore ? reprit Josh une fois le serveur parti assez loin pour qu'il ne risque d'entendre leur conversation. Tu m'as présenté tes excuses ce matin, et voilà que tu recommences à mettre en doute ce que je dis.

- Sache que je n'ai jamais cessé de remettre en doute ce que tu peux raconter, même si tu as réussi à séduire Ezequiel. Et sache aussi que mes excuses étaient aussi fausses que ta prétendue paternité.

Josh pâlit. Que savait Madeline ? Quel était réellement son but en venant ici, puisque ses excuses n'étaient qu'une manigance de sa part ? Et surtout, qu'espérait-elle lui faire dire ?

- Je vais être direct, Madeline. Que veux-tu ? Dis-le moi et je te le donne, ce qui évitera qu'on joue de nouveau à ce petit jeu de « Tu mens ! Non, c'est toi », d'accord ? Alors ?

- Ça tombe bien que tu joues cette carte de la franchise, parce que je n'en pouvais plus de me cacher derrière des mensonges, avoua Madeline en se rapprochant de Josh. Je veux ma sœur, et je sais que c'est toi qui l'as. On peut faire ça vite, et sans esclandre, il suffit que tu me rendes Naomi.

- Madeline, je suis navré, mais tu te trompes de personne. Je ne sais pas où est Naomi, ou même si elle est toujours vivante aujourd'hui. Je suis comme tout le monde, j'ignore tout de cette affaire, ou tout du moins, j'ignore la vérité.

- Comment peut-on faire autant de mal à des gens qui étaient tes amis ? Ta famille ? enchaîna Madeline sans se préoccuper des balivernes de Josh. Leur voler leur fille ? Qu'est-ce que tu espérais, hein ? Que le sang d'Ezequiel change du jour au lendemain et qu'il porte tes gènes ? Tu pensais pouvoir revenir en arrière, et éviter que ta femme ne te trompe avec ton meilleur ami ? Qu'espérais-tu, Josh ?

- Madeline, tu souffres, et c'est normal. Mais ne te trompe pas d'ennemi, s'il-te-plaît.

- Très bien, tu nies. Je m'en doutais, et c'est pour ça que j'ai pris la peine de prévenir la police. C'est fou comme un appel anonyme peut tout régler ! Il m'a suffi de dire que je soupçonnais un homme d'avoir enlevé une enfant, et hop, ils mettent les sirènes et perquisitionnent le domicile de l'accusé. Qu'est-ce que tu crois qu'ils découvriront quand ils feront un test ADN sur ta fille, Willow ?

Madeline bluffait, mais Josh n'en avait aucune idée. Au contraire, le regard apeuré qu'il lui lança prouva à quel point il prenait au sérieux ses menaces. À quel point il les craignait.

- Madeline ... commença-t-il en cherchant un nouvel angle d'attaque, ou plutôt, de défense. Madeline, je ... Tu ...

Il bafouillait, c'était bon signe, remarqua Madeline en sentant l'espoir gonfler son âme. Allait-il tout avouer maintenant ?

- Ce n'était pas mon plan, au départ, confia Josh en murmurant. Je n'avais pas prévu de l'enlever. Juste de vous faire peur.

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