XLIV - Révélations

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Samedi 28 juillet 2018, 18h05, à l’aéroport international de Portland

La lettre de Mme Rockoff dans une main, la photo d’elle et Naomi dans l’autre, Madeline laissait ses pensées divaguer. Elle se souvenait de sa vieille voisine, de tout ce qu’elle lui avait apporté, ce qu’elle lui avait appris, comment elle avait contribué à sa vie. Puis, ses pensées se tournèrent vers sa sœur, disparue onze ans plus tôt : allait-elle vraiment la retrouver ? Était-elle réellement si proche du but ? Pourrait-elle reconstituer sa famille et l’aider à se remettre de toutes les épreuves traversées ? Madeline craignait de se tromper, d’avoir nourri de faux espoirs. Et si tout était faux ?

Madeline doutait atrocement depuis qu’elle était montée dans l’avion, et avait même failli renoncer à s’envoler pour la Grosse Pomme, mais elle s’était rappelée que c’était la seule piste à exploiter, et elle ne pouvait décidément pas laisser passer une chance pareille. Seulement, elle se retrouvait pour la première fois seule, livrée à elle-même alors que sa vie allait à nouveau être bouleversée. L’image de Damin s’invita dans son esprit. Ce garçon était exceptionnel, et était bourré de qualités que Madeline appréciait beaucoup. Que se passerait-il à son retour ? Engageront-ils une amitié, ou oublieront-ils cet épisode un peu fou ? Madeline ne lui avait même pas demandé son numéro de téléphone, et ne pouvait pas le joindre pour lui annoncer la tournure des événements. Et Ezequiel qui ne répondait toujours pas !

- Excusez-moi, madame, mais j’aimerais m’installer à côté de mon amie. Accepteriez-vous d’échanger nos places ?

Madeline reconnaissait cette voix, et se retournant vers sa provenance, elle découvrit Damin, un sac sur le dos, un billet dans la main et un sourire à tomber sur le visage.

- Elle traverse une épreuve difficile, et elle a besoin de mon soutien. S’il vous plaît.

La dame assise à côté de Madeline la regarda, cette jeune blonde aux yeux rougis de larmes et au sourire triste, et accepta en tendant son billet à Damin. Il la remercia avant de se glisser aux côtés de Madeline, dont la surprise se lisait sur son visage.

- Salut, dit-il simplement.

- Mais … Damin ? Qu’est-ce que tu fais ici ?

- Je vais à New York. Et toi ?

Le sourire éclatant, Damin avait gardé cet air rieur qu’il arborait tout le temps. Il tendit sa main à Madeline, qui sauta dans ses bras pour le remercier.

- Merci, merci, merci …

- Ne me remercies pas, Madeline.

Et là, dans un avion rempli en partance de New York, au milieu de pleurs d’enfants et de recommandations d’hôtesses exaspérées, Damin l’embrassa. Tendrement, comme une caresse. La main posée sur sa joue, il lui transmis par un simple baiser tout ce qu’il n’osait lui dire. Lorsqu’il s’écarta de Madeline, il la vit sourire, les joues rosies et les yeux pétillants. Puis, elle s’approcha à nouveau de lui pour poser ses lèvres contre les siennes. Elles étaient aussi douces que dans ses rêves.

- J’en ai envie depuis tellement de temps …, avoua Damin.

- Et moi, je viens de me rendre compte que j’en mourrais d’envie aussi.

Et Madeline se blottit contre l’épaule de Damin, fermant les yeux pour profiter encore de cette bulle de bonheur dans laquelle ils baignaient, avant qu’elle n’éclate.

***

23h10 (heure du Midwest), quelque part au-dessus de l’Iowa

Madeline se réveilla, avec le sentiment de sortir d’un sommeil lourd de plusieurs jours. L’esprit encore embrumé, elle se demanda d’abord où elle se trouvait. Puis, elle aperçut Damin assoupi, à ses côtés, et tout lui revint. Leur folle journée, leurs découvertes, sa théorie qu’elle partait vérifier. Je te ramène à la maison, Naomi. Notre famille va de nouveau être réunie, je te le jure, lui promit-elle mentalement.

Se décalant doucement, elle comprit que Damin dormait profondément, comme beaucoup de passagers qui subissaient la fatigue du voyage. Sur sa tablette, elle retrouva la lettre de sa vieille voisine, qu’elle n’avait toujours pas ouverte. La saisissant, elle fut envahie d’une immense tristesse : cette lettre était l’adieu de Mme Rockoff, et après sa lecture, il ne resterait à Madeline plus que des souvenirs.

Elle déchira l’enveloppe et en sortit un papier noirci de l’écriture délicate de sa vieille voisine, accompagné d’une photographie. Son estomac ne fit qu’un tour : sur le cliché, on la reconnaissait aux côtés de ses parents et d’une petite fille aux cheveux châtains et au regard azur. Naomi. Alors, elle aussi avait des souvenirs de sa petite sœur, et avait gardé le secret toutes ces années.

Ma très chère Madeline,

Si tu lis ces mots, c’est qu’enfin, j’ai rejoint mon tendre époux. Non pas que je n’aimais pas ma vie et que j’avais hâte de la quitter, mais tu sais à quel point Maximilian me manquait. Enfin bon, j’ai choisi de t’écrire pour deux raisons. La première est de te remercier, Maddie chérie. La fin de mon existence a été illuminée par ta présence, ta fraîcheur, ta jeunesse. Tes aventures de jeune fille m’ont fait vivre une deuxième adolescence, et Dieu sait à quel point c’est bon de se sentir jeune. Tu as pimenté mon paisible quotidien, tu as apporté ce que tout le monde a tant besoin : le bonheur de se sentir libre, heureux, d’avoir la vie devant soi. Tu es une jeune femme incroyable, et je suis fière de t’avoir connue. Jamais je ne t’oublierai, et dans l’au-delà, je continuerai de veiller sur toi. N’oublie jamais que tu mérites mieux que ceux qui sont incapables de reconnaître ton cœur en or. Madeline, chérie, je n’ai jamais su comment te le confier, mais je t’aime comme ma propre petite-fille. Tu es formidable, et ton intérêt pour ma personne m’a toujours fait chaud au cœur. Et parce que tu es une jeune fille exceptionnelle, je te souhaite tout le bonheur du monde. J’espère sincèrement que tu seras aussi heureuse dans ta vie que je l’ai été dans la mienne, et que tu trouveras « ton Maximilian », qui saura t’aimer comme tu le mérites tant.

Je pourrais terminer ma lettre ici et maintenant, mais malheureusement, j’ai des aveux plus sombres à te faire. Je me souviens de ta dernière visite, de ta rencontre avec cette Willow, de ce qu’elle a fait naître en toi. Peut-être que c’est moi qui vais te l’apprendre, et je m’excuse davantage de chambouler ta vie, mais tu as eu une petite sœur, Madeline. Elle s’appelait Naomi, elle était ton portrait craché avec des cheveux châtains, et elle t’adorait. Tu étais son modèle, si bien qu’elle recopiait chacune de tes manières, et comme toi, elle avait un cœur d’or. Mais ce 4 juillet 2007, une date qui restera à jamais gravée dans les esprits, ta sœur a été kidnappée. Sans que personne ne s’en aperçoive, sans que personne ne puisse fournir un indice, elle était partie. On l’a cherchée, mais sans piste, et les recherches ont tourné court. Pourtant, la police n’a pas toujours été honnête, car quelqu'un avait vu quelque chose, Madeline. Mon cher et tendre avait aperçu un homme entrer dans ton jardin, un homme qu’il connaissait et que ta sœur connaissait bien, aussi. Parce qu’il faisait partie de votre vie. Mais ce jour-là, cet homme a commis une faute grave, et on a tenté de le dire. Lorsque la police est venue nous interroger, Maximilian a tout raconté. Il cherchait ses médicaments dans la cuisine lorsqu’il a vu le kidnappeur de ta sœur s’introduire dans ton jardin. Max aurait pu ne pas se poser de question, car cet homme était un ami de votre famille, mais quelque chose le chiffonna, alors il attendit. Plus tard, il m’avoua qu’il avait le regard vide, un « regard de monstre ». Bientôt, l’homme ressortit, ta sœur dans les bras. La police s’était toujours demandée pourquoi Naomi ne s’était pas débattue, pourquoi elle n’avait ni pleuré, ni crié. La réponse, on l’avait, mais personne n’a voulu nous croire. La police nous a violemment reproché de porter de fausses accusations sur l’un des leurs, qu’ils disaient parti depuis déjà plusieurs jours. Parce que cet homme, Madeline, était le shérif de la ville : Josh McGregor. Mais personne ne nous a pris au sérieux, les enquêteurs nous ont dit que son âge avait joué des tours à mon époux, que l’homme qu’il avait aperçu ne pouvait être leur chef, que ce n’était qu’une ressemblance troublante. Alors, ils nous ont demandé de ne parler à personne de ce que Maximilian croyait avoir vu, pour ne pas mettre la famille sur une fausse piste qui les décevrait forcément. Ils ont été tellement convaincants que Maximilian a fini par douter de lui, mais moi je savais que ce qu’il avait vu était vrai. Il s’était précipité dans le salon en criant qu’on avait enlevé « la petite voisine ». Il n’arrivait pas à se calmer, je m’en souviens comme si c’était hier. Puis, on a entendu les cris de ta mère, qui appelait désespérément Naomi. Et j’ai su que le pire était arrivé. La police est arrivée très vite, et nous pensions que Naomi serait retrouvée en quelques heures, puisque nous connaissions son ravisseur. Mais onze ans ont passé, et Naomi reste toujours introuvable. Parce que la police n’a pas voulu remettre en cause l’un des leurs, parce qu’il était plus difficile d’admettre que le shérif de la ville avait commis un crime que de dire qu’on ne la retrouvait pas faute de piste à exploiter. Madeline, je tiens tout de même à m’excuser. Si c’était à refaire, j’irais voir tes parents, sans écouter Maximilian qui m’en dissuadait. Je leur révélerais tout. Je te révèle tout aujourd'hui parce que je te connais, et je sais que tu en feras bon usage. Je sais que Maximilian ne s’est pas trompé, je l’ai vu dans ses yeux. Madeline, peut-être que si tu retrouves le shérif McGregor, tu retrouveras ta sœur. Tu en es capable, Maddie chérie. Tu es la seule qui puisse réunir ta famille, alors cours. Et surtout, n’oublie pas, écoute ton cœur. Même dix ans, vint ans ou un siècle après, il n’oublie jamais les personnes que tu as aimées et il te guidera jusqu’à elles. Je te souhaite bonne chance.

Ta fidèle amie, Freda.

- Tu pleures, murmura Damin d’une voix encore endormie. C’est la lettre ?

- On l’a vu. J’arrive pas à croire qu’on l’a vu et que personne n’a rien fait pour retrouver Naomi, commença à s’emporter Madeline en parcourant de nouveau les lignes qui accusaient explicitement Josh.

- Vu qui ?

- Celui qui a enlevé ma sœur. La mari de ma voisine l’a aperçu, mais parce qu’il était de la police, les enquêteurs n’ont rien voulu faire. Ils ont dit qu’il s’était trompé, qu’il avait mal vu. Et ils ont laissé filer Naomi, alors qu’on aurait pu la perdre seulement quelques heures. Au lieu de ça, on elle est perdue depuis onze ans.

- Attends, attends. Tu sais qui a fait ça ?

Damin s’était relevé, et semblait complètement éveillé. Madeline ne lui avait pas fait part de sa théorie, et il ignorait encore l’identité du ravisseur.

- Oui. C’est Josh McGregor, celui sur lequel on a fait des recherches ce matin. L’ancien shérif de la ville. C’est lui qui a enlevé ma sœur.

- Mais je croyais qu’il était un ami de ta famille ?

- Moi aussi, jusqu’à ce matin, je le croyais, déclara Madeline en sentant sa volonté de retrouver sa sœur s’affermir encore un peu plus.

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