XLIII - Je te retrouverai

12 minutes de lecture

Samedi 28 juillet 2018, 12h40, au Providence Milwaukie Hospital

Sur la route vers l’hôpital, Madeline avait reçu un message de la part d’Ezequiel. Ce dernier était chez Faith pour rencontrer ses beaux-parents. Il lui avouait qu’il comptait demander officiellement à ses parents le droit d’emménager avec sa petite amie à la rentrée, en leur expliquant à quel point il l’aimait et combien il serait respectueux avec elle. Il avait terminé son message avec un emoji représentant deux doigts croisés et un cœur. Madeline avait senti son cœur se remplir d’amour pour ses deux meilleurs amis.

Sur le chemin, elle avait raconté à Damin tous les moindres détails de l’histoire, à commencer par sa rencontre avec cette Willow au supermarché, puis la découverte de sa petite sœur kidnappée il y avait onze ans, comment ils avaient découvert que son père était aussi celui de son meilleur ami, Ezequiel, leur voyage à New York pour rencontrer Josh et la révélation que celui-ci avait une fille prénommée Willow. Elle avait terminé son récit par la conviction qu’elle avait depuis plusieurs jours : « Tout ceci a un lien, j’en suis persuadée ». Malgré tout, il manquait à Madeline tous les éléments du puzzle pour reconstituer les événements de A à Z, même si le schéma devenait de plus en plus net.

- Mademoiselle, s’il vous plaît !

Une infirmière trottinait derrière Madeline, mais celle-ci était tellement déterminée qu’elle ne l’entendit même pas l’interpeller plusieurs fois. Ce fut Damin qui l’arrêta en lui faisant signifier qu’on essayait de lui parler.

- Mademoiselle, les visites ne sont pas autorisées à cette heure. Je suis désolée mais je vais devoir vous demander de partir.

- C’est vraiment urgent, l’implora Madeline qui avait plus que besoin d’interroger sa marraine pour clarifier des éléments de son enquête. Je vous assure que je ne serai pas longue. J’ai juste quelques questions à poser à ma marraine et …

- Je vous le répète, vous n’êtes pas autorisée à visiter les malades à cette heure-ci, insista l’infirmière en se faisant plus ferme. Veuillez vous diriger vers la sortie, s’il vous plaît.

D’abord, Martha, puis maintenant cette infirmière. Madeline pourrait-elle enfin mettre fin à ce calvaire ?

- Je suis désolée mais je ne peux pas partir, c’est très urgent, je vous assure. Je ne dérangerais pas ma marraine si j’avais le choix.

- Mademoiselle, si vous refusez, je serai dans l’obligation d’appeler la sécurité et croyez-moi, je ne voudrais pas en venir à de telles extrémités.

- Eh bien, moi, je voudrais être en train de me prélasser sur une belle plage de Californie et pourtant je me rends au chevet de ma marraine malade parce que je n’ai pas d’autre choix ! Alors faites ce que vous voulez, envoyez des agents de sécurité à mes trousses si vous le souhaitez mais personne ne m’empêchera d’aller poser à ma marraine la question qui changera peut-être le cours de toute ma vie !

Sonnée, l’infirmière scruta Madeline, les joues rouges et le souffle court, puis Damin, qui lui lança un regard implorant en articulant un « S’il vous plaît ». L’infirmière regarda aux alentours mais puisque personne ne circulait dans les couloirs de l’hôpital, elle leur fit signe d’y aller en appliquant un index sur sa bouche. Madeline la remercia silencieusement et continua son chemin à grands pas.

Arrivant devant la porte de Carla, la jeune blonde eut un instant d’hésitation. Et si son hypothèse était confirmée par les dires de sa marraine ? Et si ce qu’elle redoutait le plus s’était effectivement déroulé ? Et si les révélations fracassantes n’avaient pas encore pris fin ? Et si sa famille ne s’en relevait jamais ?

La main sur la poignée, Madeline essaya de chasser ces questions qui la faisaient douter. Ne s’engageait-elle pas sur un chemin trop dangereux ? Il ne s’agissait pas seulement d’elle, mais aussi de son entourage entier. Leurs vies déjà chamboulées pourraient connaître un nouveau tsunami. Perdue dans ses réflexions, la main que posa Damin sur ses épaules la fit sursauter. Elle avait au moins trouver un nouvel allié dans ce combat. Un allié très beau, ajouta-t-elle pour elle-même.

- Je sais que ça peut faire peur de faire face à son destin, mais si jamais tu es, à cet instant précis, traversée par des milliers de questions, dis-toi que la plus importante est : et si ce que tu t’apprêtes à faire peut rendre à ta famille la petite fille qu’ils ont perdue ?

Je me l’étais promis, Naomi, pensa Madeline. Je te retrouverai, coûte que coûte. Et Madeline actionna la poignée, ouvrit la porte qui laissa découvrir une Carla tricotant calmement sur le fauteuil près de la fenêtre.

- Te revoilà, cariño ! Entre, ne reste pas à la porte comme ça ! Mais, les visites ne sont pas interdites, à cette heure ? Eh bien, non, puisque tu es là. J’ai perdu la notion du temps à être enfermée dans cette maudite chambre. Le médecin m’a dit … Maddie, querida, que se passe-t-il ? Tu es pâle comme un linge.

- Madrina, j’ai à te parler. C’est très important.

Madeline s’avança, le visage grave et Carla sut, à ce moment précis, que leurs vies ne seraient plus jamais les mêmes.

***

14h10, à Milwaukie

Elle avait mis du temps, mais Madeline avait réussi à convaincre Carla de sa théorie. Mis ensemble, tous les éléments concordaient. C’était maintenant sûr : Madeline avait résolu le mystère de la disparition de sa sœur, et elle allait la rendre à sa famille.

- Yes ! J’ai trouvé un vol ce soir ! annonça, victorieuse, Madeline alors qu’elle rentrait chez elle accompagnée de Damin. Ce dernier n’avait pas voulu la laisser seule alors qu’elle traversait un tourment d’émotions.

- Tu pars dès ce soir, alors ?

- Oui, j’ai déjà perdu onze ans, alors je ne perdrai pas une seconde de plus !

Courant presque dans l’allée, elle entra en trombe chez elle, sans avoir remarqué la voiture de son père garée devant le garage. Elle ne le vit pas non plus sortir du salon, le visage tiré par la fatigue, et elle se cogna contre lui violemment.

- Merde ! Mais Papa, qu’est-ce que tu fais là ?

- Je viens d’apprendre une triste nouvelle, et je n’arrive pas à te joindre. Je suis rentré à la maison mais tu n’y étais pas, je commençais à m’inquiéter.

Darryl aperçut alors le jeune homme qui accompagnait Madeline, dont le visage lui disait vaguement quelque chose. Ce dernier remarqua le regard inquisiteur du père et pris les devants pour se présenter.

- Bonjour monsieur, je suis Damin. Damin Williams. L’entraîneur de baseball de votre fils.

- Oh oui, c’est ça ! Je savais bien que je vous avez déjà rencontré. Mais que faites-vous, tous les deux ? Madeline, tu sembles bizarre.

- Écoute Papa, je n’ai pas le temps, là. Je suis en train de … de changer notre vie, d’accord ? Il faut que j’ailles à New York, d’ailleurs, alors si tu pouvais me laisser passer, dit-elle tout en le poussant vers le côté.

- Attends, attends, jeune fille. New York ?! Mais tu y étais il y a deux jours ! Qu’est-ce qu’il se passe, bon sang ?

D’un air fatigué, le visage de Darryl s’était coloré subitement de par la colère qui le prenait. Damin préféra s’éloigner, laissant le père et la fille discuter. Avisant le jardin par la baie vitrée du salon, il se glissa furtivement jusqu’à la balançoire.

- Je ne peux rien t’expliquer tant que je n’en suis pas certaine à 100%, déclara Madeline en remerciant silencieusement Damin de s’être retiré de la conversation. Cependant, j’ai grand espoir d’avoir raison. Papa, je t’assure que c’est important.

- Ezequiel t’accompagnes, j’imagine ?

- Il ne répond ni à mes appels, ni à mes messages alors non, il ne vient pas avec moi cette fois.

- Es-tu en train de me dire que tu t’en vas seule dans cette ville immense ? Non, non, hors de question, refusa Darryl en secouant la tête.

- J’ai déjà réservé mon billet, mon avion part ce soir. J’y vais, un point, c’est tout. C’est pour la famille, Papa. Pour nous reconstruire, pour nous retrouver, tous ensemble.

- Maddie … Je sais que j’ai fait beaucoup de mal à la famille, mais c’est de ma faute. Entièrement de ma faute. Et c’est à moi d’essayer de recoller les morceaux avec ta mère pour que nous ayons une chance de renouer en tant que famille. Ce sera sûrement long et éprouvant, je le sais bien, et je sais déjà que nous allons tous souffrir, même Theo, et cela me tue rien que d’y penser, mais nous nous aimons, et nous nous devons d’essayer. Ta mère revient en début de semaine prochaine, on devrait profiter de ce laps de temps pour parler un peu tous les deux. Je sais que ta vie a pas mal été secouée ces derniers temps. D’abord Naomi, maintenant ma paternité longtemps dissimulée. Tu m’en veux, je le sais bien, mais garder tout pour soi, ce n’est pas bon, tu sais ?

- Papa …

- Je n’ai pas terminé. Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour ton bien, pour le bien de tous. Si je n’ai rien révélé de mon aventure avec Carla à ta mère, c’était parce qu’elle en aurait beaucoup trop souffert. Quand Carla est tombée enceinte et que j’ai deviné être le père, j’ai longtemps hésité, mais j’aimais tellement ta mère. Et puis, elle s’est mise à parler de bébé et elle est tombée enceinte. C’était trop tard, car en révélant tout, j’aurais brisé deux cœurs, dont le tien, alors même que tu n’étais pas encore née. Je n’avais pas pu être là pour mon premier enfant, mais je me suis fais la promesse d’être là pour mon deuxième, et de toujours tout faire pour le protéger et que jamais il ne souffre. Sauf que l’on a beau tout faire pour éviter que le pire n’arrive, il arrive quand même. Et j’en prends l’entière responsabilité. Mais j’ai besoin de vous pour …

- Papa ! Ce n’est pas ta faute si Naomi a été kidnappée, si on ne l’a jamais retrouvée, et surtout si tu as voulu me protéger en me le cachant. Tu m’as permis de m’épanouir et de passer une enfance heureuse, mais il est temps de faire face à la réalité aujourd’hui. Papa, je vais retrouver Naomi et réunir notre famille.

- Oh, Maddie. C’est courageux de ta part mais …

- Je vais la retrouver, Papa. Et je vais la ramener à la maison, je te le promets, affirma Madeline en plantant son regard émeraude dans celui, similaire, de son père. Papa, je ramène Naomi à la maison.

Darryl vacilla. La lueur de conviction qu’il lisait dans le regard de sa fille fit renaître au fond de son cœur un élan d’espoir depuis longtemps enfoui. C’était triste à dire, mais Darryl avait fini par penser qu’on ne retrouverait jamais sa seconde fille, et il l’avait abandonnée. Elle et l’idée de lui faire regagner un jour le familier familial. Mais Maddie semblait convaincue de ce qu’elle lui avançait, et Darryl faisait aveuglément confiance en son aînée.

- Alors, je t’accompagne.

- Non, toi, tu t’occupes de faire revenir Maman et Theo le plus vite possible. Si ma théorie se révèle exacte - et je n’en doute pas un seul instant -, il est fort probable que je vous appelle pour que vous me rejoignez à New York. Tous les trois. Bon, je dois aller préparer mon sac.

Madeline se dirigea vers l’escalier, puis se retourna lorsqu’elle atteignit la première marche.

- Papa ? l’interpella-t-elle. Quoi que tu aies fait, quelque soient les erreurs que tu as commises, je t’aime. Ne l’oublie jamais.

Ému, son père ne put prononcer un mot, alors qu’il avait tant à dire à sa fille. Si forte et courageuse. Elle endurait les épreuves depuis plusieurs semaines et pourtant, elle faisait front et continuait à se battre. Il était fier d’elle. Il l’aimait.

- Au fait, Papa, tu n’avais pas une nouvelle à m’annoncer ?

Ah mince, pensa Darryl. Devait-il lui annoncer ou attendre son retour de New York, lorsque tout sera devenu plus calme ?

- Papa ?

- Maddie … Je suis navré mais j’ai appris aujourd'hui que … Mme Rockoff est décédée cette nuit. D’une crise cardiaque. Sa fille m’a appelé ce midi, sa mère a laissé une lettre pour toi. Je l’ai posée sur ton lit. Je suis désolé, chérie.

Sa tendre voisine avait succombé. Ses récits allaient lui manquer, ses coussins en velours couleur pêche aussi, ses sourires et ses conseils, sa sagesse. Oui, Mme Rockoff allait terriblement manquer à Madeline, elle qui avait été d’une si grande importance dans la vie de la jeune fille. La vieille dame avait tenu le rôle de grand-mère alors que Madeline n’en possédait qu’une encore vivante mais ne la voyait que très peu. Sa voisine avait toujours su trouver les mots pour réconforter Madeline lorsque celle-ci allait mal, elle avait toujours été à son écoute, lui servant ses gâteaux préférés tout en suivant patiemment ses aventures de jeune adolescente. Et elle n’avait pas pu lui dire au revoir.

- Quand aura lieu l’enterrement ?

- Mardi. J’ai dit à sa fille que tu tiendrais sûrement à y assister, et elle m’a répondu qu’elle serait ravie de te rencontrer. Apparement, Mme Rockoff lui parlait souvent de toi. Elle va nous manquer à tous.

Madeline acquiesça. Elle se souvint de sa dernière visite chez sa voisine. « Ton cœur, Maddie, écoute ton cœur. Même dix ans, vint ans ou un siècle après, il n’oublie jamais les personnes que tu as aimées ». Aujourd’hui, Madeline comprenait le message qu’avait voulu lui transmettre Mme Rockoff. Alors qu’à ce moment, elle n’avait aucune de qui étaient ces « personnes que tu as aimées », maintenant, elle savait que sa vieille voisine lui parlait de Naomi. Mme Rockoff connaissait la vérité, et son conseil était de suivre son cœur. C’est ce que Madeline avait décidé de faire : suivre son instinct, et elle espérait cela lui porterait chance.

***

14h30

Dans son sac, Madeline avait glissé quelques vêtements, la lettre de Mme Rockoff qu’elle avait prévu de lire dans l’avion et une photo de Naomi et elle au mariage de leurs parents qu’elle avait pris dans un album au passage. Elle comptait sur ce cliché comme sur sa bonne étoile.

Madeline rejoignit Damin, qui n’avait pas quitté la balançoire du jardin. Il avait le nez levé vers le ciel, et semblait calme, apaisé, alors qu’une tornade de sentiments était en train de faire fureur dans le cœur et l’esprit de Madeline.

- Je te remercie, Damin, commença-t-elle en s’approchant de lui. Pour tout. Tu m’as été d’une grande aide aujourd’hui, et grâce à toi, je vais résoudre l’enquête que tout le monde a abandonnée depuis dix ans. Je n’oublierai jamais ce que tu as fait pour moi, pour ma famille. Sans toi, je n’en serais pas là aujourd’hui.

Damin se leva de la balançoire, sans prononcer un mot. Simplement, il la prit dans ses bras, et c’était tout ce dont avait besoin Madeline. Des bras réconfortants, protecteurs, et dans lesquels elle se sentait en sécurité. Elle avait l’impression qu’ainsi enlacée, rien ne pouvait lui arriver. Mais bientôt - bien trop vite à son goût -, Damin se dégagea. Plantant son regard dans celui de la jeune blonde, il lui caressa du bout des doigts la joue.

- Je l’ai fait pour toi, Madeline.

Pas un mot de plus, un regard suffisait. Un regard qui disait tout ce qu’il n’osait pas lui avouer. Son attirance pour elle, son désir d’être à ses côtés à chaque seconde, son envie de l’embrasser. Mais Madeline traversait une période compliquée, et le moment n’était pas aux déclarations d’amour.

- Merci, Damin.

Tu es un ami extraordinaire, pensa silencieusement Madeline. Je t’aurais bien gardé avec moi jusqu’au bout de l’aventure. Je crois que tu me plais bien. Non, que tu me plais beaucoup. Tes lèvres ont l’air délicieuses, et si je m’approchais un peu, je pourrais …

- Bon, je ne te retiens pas plus longtemps. Merci pour tout, encore une fois.

- C’était avec plaisir.

Damin lui sourit, même si une lueur de déception traversa son regard. Lui faisant un dernier signe de la main, il se dirigea vers la baie vitrée. Il allait la quitter.

- Damin !

On ne se connaît que très peu, mais tu en as fait tellement plus que certains de mes amis. Reste. Ne pars pas. Viens avec moi à New York. Accompagne-moi jusqu’au dénouement de ces évènements fous. Ne me quitte pas alors qu’on est si près du but. J’ai encore besoin que tu m’épaules. Autant de formulations que Madeline aurait pu prononcées pour retenir Damin. Mais elle le connaissait depuis tellement peu qu’elle n’osa pas.

- Merci encore.

Damin lui adressa un dernier signe de tête et disparut. Madeline se retrouva seule. Et elle avait peur de devoir faire face à la réalité sans allié à ses côtés.

Annotations

Vous aimez lire Astre ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0