XLII - Qui es-tu, Josh ?

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Samedi 28 juillet 2018, 11h57, à la Multnomah County Library

Il avait fallut aux deux jeunes gens un bon quart d’heure avant de trouver les archives qui parlaient de l’ancien shérif. Jusqu’ici, Damin n’avait posé aucune question à la jeune blonde sur la raison qui la poussait à faire des recherches sur ce Josh, qui avait quitté la ville la décennie précédente. Madeline lui en était silencieusement reconnaissante, n’étant pas prête à révéler l’histoire de sa famille à un garçon qui lui était presque inconnu. Parce qu’à part croiser le jeune entraîneur tous les mardis à l’occasion des entraînements de son frère, Madeline ne connaissait pas réellement Damin.

- Est-ce que c’est lui ? la questionna le jeune homme en lui tendant une photo sur laquelle se tenait bien droite une équipe de police. Il pointait le doigt sur un homme d’une trentaine d’années, les cheveux châtains foncés et la carrure imposante. Madeline le reconnut instantanément : c’était bien l’homme qu’elle et Ezequiel avaient retrouvé à New York.

- Oui, c’est Josh.

- Josh « dit Jo » McGregor, policier hors-pair et shérif remarquable. Ce n’est pas moi qui le dit, ajouta Damin en lui tendant un deuxième cliché qui montrait l’ancien policier souriant à l’objectif et tenant par les épaules un homme qui devait être son collègue. Derrière l’image était écrit le message que venait de lire Damin, suivi de quelques lignes qui vantaient les mérites de Josh et qui disaient à quel point il allait manquer à la ville.

- Je ne comprends pas, dit Madeline tout en retournant le cliché. Ce message ressemble à un message d’adieu, sûrement un cadeau de la part de cet homme avec lui sur la photo. Pourquoi c’est dans les archives, et pas chez lui ? Pourquoi ne pas avoir gardé les cadeaux de ses collègues ? Est-ce que ça signifie qu’il a détesté être shérif de la ville, ou que contrairement à ceux qui travaillaient avec lui, il ne les appréciait pas ? Tu dirais quoi, toi ?

- Honnêtement, j’en sais rien. Je ne le connais pas, ce Josh. Avant aujourd’hui, je n’en avais jamais entendu parler, alors je ne peux pas vraiment t’aider.

- Je ne connais son existence que depuis quelques jours, donc je n’en sais pas vraiment plus que toi, avoua Madeline en relisant les quelques lignes, comme si elles allaient lui révéler un secret qui leur aurait échappé.

Damin lui lança un regard interrogateur.

- Tu fais des recherches sur un homme que tu ne connais presque pas ?

- C’est plus compliqué que ça … Pour faire court, cet homme a fait partie de mon enfance, c’était un proche de ma famille jusqu’à ce qu’il disparaisse un beau jour. Aujourd’hui, je veux découvrir ce qui s’est réellement passé lors de son départ.

- Et après ? Lorsque tu sauras, tu en feras quoi ?

- Je compte bien percer le mystère de mon enfance.

Sans ajouter un mot, Madeline farfouilla dans le carton qu’elle venait de dénicher. Des dossiers d’enquêtes aujourd'hui bouclées, une pile de feuilles volantes auxquelles elle ne comprenait rien. Le deuxième carton renfermait le même contenu : de la paperasse, toujours et seulement de la paperasse.

Au bout du quatrième carton, Madeline se laissa glisser contre le mur. Elle n’avait aucune idée du temps écoulé depuis qu’ils fouillaient dans les archives, mais à part quelques photos de l’équipe policière d’il y a dix ans et des cadeaux de collègues que Josh avait abandonnés ici, Madeline n’avait rien trouvé de mieux.

- Tu abandonnes ? lui demanda gentiment Damin, les yeux parcourant un papier.

- J’ai vidé quatre cartons sans rien trouver, c’est le bordel complet et quand Martha va descendre, elle va me hurler dessus et me virer dehors sans que j’aie rien découvert, lâcha la jeune fille, dépitée, ce qui fit naître un sourire amusé sur les lèvres du jeune entraîneur.

Depuis qu’ils avaient déniché les cartons qui étaient censés renfermer des réponses aux questions de Madeline, Damin s’était assis et lisait calmement chaque feuille. Madeline se demandait comment il pouvait rester aussi détendu alors qu’ils en étaient au même point qu’il y a trente minutes, mais rien ne semblait pouvoir perturber le calme olympien de Damin.

- C’est travailler avec les enfants qui t’a rendu aussi calme ? se renseigna Madeline en se levant pour s’asseoir en face de lui.

- Non, j’ai toujours été un enfant sage, et l’adolescence n’a rien modifié à mon caractère. Mais c’est un sacré avantage pour travailler avec les enfants, en effet.

- Theo me répète toujours que tu es un super entraîneur.

- Il est un super élève. Comme tous les autres, d’ailleurs. On travaille toujours mieux lorsque ceux à qui on apprend ont envie d’apprendre. Mais tu dois sûrement le savoir, non ? Theo m’a parlé que tu étais capitaine de l’équipe de pom-pom girls de ton lycée ?

- Oui, et j’ai été tenté bien des fois de toutes les étrangler. C’est plus difficile de garder disciplinées des filles de 16 ans que des enfants de 10. Surtout quand l’équipe de football a la bonne idée de faire son footing sans t-shirt.

Madeline pensait qu’elle ferait rire son vis-à-vis, ou au moins le faire sourire. Mais ce dernier perdit toutes ses couleurs avant de poser sur la jeune fille un regard grave.

- Je ne voulais pas te rendre mal-à-l’aise, s’excusa Madeline qui se maudit d’avoir rendu l’atmosphère pénible alors qu’ils s’entendaient jusqu’ici très bien. Oublie cette histoire de torses nus …

- Ce n’est pas ça qui me préoccupe, Madeline.

- Alors, quoi ? lui demanda-t-elle, soucieuse.

- Tu as une petite sœur ?

Madeline sentit un poignard lui lacérer le cœur. Elle avait encore du mal à se dire qu’elle avait eu une petite sœur, que sa famille avait perdue parce qu’elle avait été incapable de garder l’œil sur elle pendant dix minutes.

- Hmm … oui, avoua-t-elle les yeux brillants de larmes. Mais comment … ?

- J’ai son dossier devant moi, lui annonça-t-il en le lui tendant. Naomi Peterson, disparue le 4 juillet 2007, à l’âge de 4 ans. C’est bien ta sœur ?

Enfin, Madeline découvrait le dossier de l’enquête. Allait-elle en découvrir plus que ce qu’elle ne savait déjà ?

- C’est pour ça que tu voulais consulter les archives ? Je comprends que tu aies préféré le cacher, c’est ta famille. D’ailleurs, je vais te laisser si tu préfères être seule pour lire ce dossier …

- Non ! Je veux dire, tu peux rester, ajouta-t-elle en baissant d’un ton. Je ne sais pas si j’aurai la force de me relever après la lecture. Je préfère que tu restes ici, j’ai besoin de compagnie. S’il te plaît.

Damin acquiesça, tendant sa main pour caresser la sienne, en signe de soutien. Madeline lui sourit, avant de se plonger dans la lecture du dossier.

***

12h50

Madeline avait lu le dossier en long, en large et en travers, mais n’avait repéré aucun élément d’analyse très pertinent. Il se constituait surtout de dépositions, la sienne et celle de sa mère, les deux seules présentes au moment du fait. Une enquête de voisinage avait eu lieu, mais elle n’avait rien donné. Sans aucun indice supplémentaire, l’affaire avait vite été bouclée. Le compte-rendu était simple : « Personne n’a rien vu, rien entendu. L’équipe n’est pas en mesure de continuer une enquête sans aucune piste ». Et l’affaire s’arrêtait là.

Bien que déçue, Madeline pouvait comprendre que la police n’ait pas continué ses recherches. Dans les alentours, aucun voisin n’avait aperçu quelque chose, même d’insignifiant. Il faisait très chaud, cet été-là, et la plupart déclarait qu’ils avaient laissé leurs volets clos toute la journée, et ne s’étaient aventuré dehors à aucun moment de la journée. Voilà à quoi se résumait le dossier : à des déclarations de gens qui n’avaient rien vu, et à un compte-rendu qui déclarait explicitement que retrouver Naomi était peine perdue.

- Alors ? murmura Damin qui n’osait troubler Madeline dans un moment pareil. Il ne savait quelle allait être sa réaction, lui qui avait eu le temps d’apercevoir la conclusion décevante.

- Rien de neuf … Les voisins n’ont rien vu, personne n’a rien entendu, même pas le moteur d’une voiture. Que veux-tu faire quand tu n’as aucune piste, pas même un modèle de voiture à surveiller ?

Damin haussa les épaules. Il ne ferait rien, mais le dire tout haut risquait de rendre encore plus évident que Madeline n’avait aucune chance d’avancer dans son enquête. Il osa quand même une question :

- Alors, c’est pour ça que tu cherchais des informations sur ce Josh McGregor ? Pas parce que c’était un ami de ta famille, mais parce que c’est lui qui a enquêté sur la disparition de ta petite sœur ? C’est ça ?

- Non, non, je venais vraiment pour Josh. Mais …

Quelque chose chiffonna Madeline. La jeune fille revint en arrière et parcourut de nouveau le dossier. Sa mère lui avait dit que son père et Josh étaient inséparables à l’époque de leur rencontre avec Carla, et Madeline supposait que leur amitié avait perduré jusqu’à ce que sa marraine et le shérif se quittent. Pourtant, à aucun moment le nom de Josh McGregor n’était mentionné dans le dossier.

- Madeline ? l’interpella doucement Damin. Est-ce que tout va bien ?

- Il y a quelque chose qui cloche … La photo qui présente toute l’équipe de police, la première que tu as trouvée, où est-ce qu’elle est ?

Damin, qui était non seulement patient, mais aussi très méticuleux, la retrouva en deux temps, trois mouvements.

- Là, qu’est-ce que tu cherches ?

- Est-ce qu’il y a une date quelque part ? Celle à laquelle elle a été prise, par exemple ?

Damin l’examina mais aucune annotation ne figurait au dos.

- Je ne vois rien.

- Merde.

Le cerveau de Madeline tournait à plein régime. Elle tenait quelque chose, elle le savait mais encore fallait-il qu’elle en obtienne la preuve.

- Attends, je crois que je vois quelque chose.

Les sourcils froncés, Damin tentait de déchiffrer un détail sur le cliché.

- Il y a un calendrier sur la droite. Le mois commence par un … « J », mais c’est coupé après.

- Donc juin ou juillet, mais de quelle année ?

- Là, je ne sais pas, répondit Damin en haussant les épaules.

Madeline s’empara de la photo à son tour, espérant qu’elle verrait quelque chose de plus que son ami. Mais à part le bout de calendrier, l’espace était occupé par toute l’équipe de police.

- Il me faudrait vraiment l’année de cette photo …

- Est-ce que tu veux bien me dire pourquoi ?

- Je crois que je tiens quelque chose, mais je ne veux pas me précipiter. La deuxième ! Où est la deuxième photo ?

Madeline commença à farfouiller parmi tous les papiers qu’elle avait entassés sur la table, faisant tomber la moitié par terre. Si jamais Martha venait leur rendre une petite visite, elle ferait une crise cardiaque en découvrant le bazar qu’avait mis Madeline dans ses chères petites archives.

- La voilà, déclara simplement Damin en la lui tendant, sans avoir fait voler aucune feuille ou poussé un carton au sol.

- … Juin 2007 ! Je le savais !

- Quoi donc ?

- Imagine un instant que ton meilleur ami vient de perdre sa petite fille, que quelqu’un a kidnappé alors qu’elle jouait tranquillement chez elle, et que tu es le shérif de la ville. Prendras-tu en main l’enquête ?

- Je pense que je le ferais, oui, même si parfois, lorsque tu es trop impliqué, tu es rejeté de l’enquête.

- Sauf que tu es le shérif, c’est toi le chef. Alors, qu’est-ce que tu fais ?

- Je dirige l’enquête, bien sûr. Pour être sûr qu’aucun élément n’est négligé, pour mettre les hommes les plus efficaces sur le coup, pour rendre cette petite fille à mon meilleur ami.

- On est d’accord, affirma Madeline, satisfaite d’avoir trouvé la piste qui allait la conduire à la résolution de l’énigme.

- Je ne vois pas le problème. Il a mal mené l’enquête ?

- Il ne l’a pas menée du tout, au contraire. Alors que les photos prouvent qu’il était encore présent en juin, lorsque le 4 juillet, ma sœur est kidnappée, il a comme disparu de la ville.

- Peut-être que la raison qui l’a poussé à partir a eu lieu avant l’enlèvement de ta sœur.

- Je me souviens d’une lettre qu’il avait postée sur le site Internet de la ville et qu’on a retrouvé avec Ezequiel lorsqu’on le cherchait. Elle datait de septembre, et il écrivait dedans qu’il ne reviendrait pas à Milwaukie parce qu’il était temps pour lui de penser à sa propre personne et pas aux autres, et il disait vouloir réaliser les rêves qu’il n’avait jamais eu le temps de réaliser.

- Et ?

- Sur le moment, j’ai pensé qu’il était parti en septembre de la ville. Mais s’il était déjà parti avant, pourquoi annoncer plusieurs mois après son départ qu’il ne reviendrait pas alors qu’il s’en doutait sûrement, puisqu’il est parti sans un au revoir pour son fils ?

- Son fils ? Madeline, je ne te suis plus très bien.

C’était compréhensible. Madeline savait de quoi il était question, elle. Mais pas Damin. Pouvait-elle lui conter toute l’histoire alors qu’elle ne le connaissait que très peu, voire pas du tout ? Était-il un homme de confiance ? Pour l’instant, il l’avait aidée à pénétrer les archives et cherchait avec elle depuis une heure alors qu’il ne savait pas exactement ce qu’il devait trouver.

- Viens avec moi, je te raconterai sur le chemin.

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