XLI - Début d'enquête

10 minutes de lecture

Samedi 28 juillet 2018, 10h25, à Milwaukie

Madeline avait très peu dormi de la nuit, s’inquiétant non seulement beaucoup pour Carla, mais se posant aussi des questions. Beaucoup trop de questions. Concernant la visite qu’ils avaient faite à Josh, ce qu’ils avaient appris le concernant et surtout, le prénom de sa fille. Madeline avait bien tenté de se raisonner elle-même durant la nuit, mais aucun argument n’arrivait à la convaincre et elle restait persuadée qu’il n’y avait aucun hasard dans la situation. Deux filles qui portaient le même prénom, toutes les deux liées d’une façon ou d’une autre à sa personne, ceci ajouté à tous les événements qui s’enchaînaient depuis plus de trois semaines, ce ne pouvait pas être une simple coïncidence ! Alors, s’il existait bel et bien un lien entre tout cela, quel était-il ? Madeline l’ignorait encore, mais elle comptait bien passer les jours suivants à le découvrir.

Par où devrais-je commencer ? se demandait la jeune fille en rejoignant la cuisine. Bien sûr, elle pouvait tenter de réclamer les vidéos de surveillance du 4 juillet, et verrait peut-être si Willow avait pris le bus ou une voiture pour la ramener chez elle. Mais après, qu’allait-elle faire ? Parcourir la ville à la recherche de la voiture, ou retrouver les passagers de ce bus ? Cela lui prendrait un temps fou, avec une chance de réussite trop mince. Alors, elle allait creuser du côté de Josh. Il avait vécu pendant plusieurs années ici, peut-être que les habitants de la ville pourraient lui en apprendre plus sur lui ? Madeline savait que la propriétaire du Two Sisters Play Cafe vivait ici depuis plus de vingt ans, et si Josh avait bien été le shérif de la ville, elle devait sûrement le connaître. Mais avant, Madeline allait rendre une petite visite à sa marraine.

***

11h15, au Providence Milwaukie Hospital

- Carla, bonjour, la salua Madeline à son entrée dans la chambre. Comment tu te sens ?

- Ça va mieux, querida, je me sens déjà reprendre des forces.

- Tant mieux. Et Ezi, il n’est pas là ? Je pensais le croiser ici.

- Il est rentré prendre une douche et se reposer un peu.

Madeline acquiesça et s’assit près de sa marraine, lui prenant la main. Jusqu’à aujourd’hui, jamais elle n’avait vu Carla si affaiblie. Sa marraine avait toujours été pleine d’entrain, de joie de vivre, de vie tout simplement ! Elle ne s’arrêtait jamais, ayant sans cesse quelque chose à faire : de la cuisine, du ménage, de la couture, du jardinage, de la lecture, Carla ne prenait jamais de pause. Madeline la soupçonnait même de danser la salsa dans son sommeil. Alors, la voir dans un lit d’hôpital, pâle comme un linge et le sourire las faisait mal au cœur de Madeline.

- Maddie ? l’interpella Carla.

- Hmm ?

- Ezequiel risque d’être un peu … ailleurs, ces temps-ci. Je lui ai raconté mon histoire avec ton père, et je crois que cela l’a un peu affecté.

- Tu as vraiment fait ça ?

- Oui, il était temps, tu sais. Après tout, ce sont ses origines, il est de son droit de les connaître. Si tu veux, je pourrais te raconter cette histoire aussi, puisqu’elle concerne ton père et ton … demi-frère. C’est ta famille, alors cette histoire est aussi un peu la tienne.

- Peut-être plus tard, Carla. Pour l’instant, je digère encore le fait que mon père ait trompé ma mère et qu’Ezi soit mon demi-frère. Mais je serais ravie de l’entendre un jour, ajouta-t-elle plus doucement pour ne pas blesser sa marraine, qui avait l’air de s’en vouloir terriblement depuis ces annonces bouleversantes.

Mais pour l’instant, elle avait d’autres chats à fouetter.

- Écoute, je passais juste en coup de vent, reprit Madeline. Histoire de prendre de tes nouvelles, mais je suis pas mal occupée alors je vais y aller.

- Déjà ?

Carla paraissait déçue bien qu’elle tenta un sourire. Madeline faillit revenir en arrière quand le visage de Willow s’interposa dans ses pensées. Voilà trop longtemps que cette histoire traînait, et il était temps pour la jeune fille de la régler.

- Je suis désolée, je te promets de repasser le plus tôt possible.

Puis Madeline embrassa rapidement sa marraine avant de courir hors de la chambre. Elle détestait décevoir les gens, voir la souffrance passer dans leur regard, et si elle était restée une seule seconde de plus, elle aurait été incapable de repartir.

La jeune fille jeta un coup d’œil à l’horloge de l’entrée de l’hôpital. 11h25. Le Two Sisters Play Cafe allait déjà être rempli par les habitués et ceux de passage, désirant goûter aux délicieux pancakes du chef cuisinier. La propriétaire n’allait pas avoir le temps de répondre à ses questions. Alors, en attendant la fin du coup de bourre, Madeline décida d’aller se renseigner au meilleur endroit pour ce qui concernait le passé : les archives de la ville.

***

11h40, à la Multnomah County Library

- Ce sont des recherches purement personnelles, répéta Madeline à la documentaliste en face d’elle. J’aimerais connaître un peu plus l’histoire de la ville qui m’a vue grandir, voilà tout.

- Désolée, mais je ne suis pas en mesure de vous laisser consulter des documents juste parce que le plaisir vous en prend. L’accès aux archives est strictement réglementé, mademoiselle. Sans autorisation spéciale du maire ou d’une personne habilitée, je crains de devoir vous renvoyer chez vous.

- Madame, nous savons toutes les deux que le maire a bien d’autres choses à faire que de signer un pauvre petit bout de papier m’autorisant à consulter de vieux bouquins, argumenta Madeline en espérant attirer la sympathie de la dame en face d’elle, ce qui semblait perdu d’avance, comme le signifia son regard noir.

- Le pauvre petit bout de papier, comme vous dites, vous est indispensable pour consulter vos « vieux bouquins », insista la documentaliste en haussant le son, visiblement vexée que l’on ose insulter ce qu’elle avait pour but de conserver précieusement. Je vous le répète, mademoiselle, je suis navrée mais je ne peux pas. Au revoir, et bonne fin de journée.

Sur ces paroles, la documentaliste tourna les talons et se précipita vers un adolescent qui tournait les pages de son livre trop vite, « risquant de l’abîmer sans qu’aucune réparation ne soit possible ». Madeline, dépitée de son échec, sortit de la bibliothèque municipale en traînant des pieds. Navrée, tu parles …

Elle se retrouvait dorénavant sans piste à explorer, et sans aucune idée d’une nouvelle à suivre.

- Madeline ?

À l’entente de son prénom, la jeune fille se retourna et se retrouva face à Damin, l’entraîneur de baseball de son frère. Ses cheveux bruns mal coiffés lui donnaient l’air de sortir du lit, et ses yeux dorés firent s’envoler des papillons dans le ventre de Madeline. Damin était très séduisant, attirant beaucoup les filles, mais Madeline avait assez donné avec les « hommes à femmes ». Se ressaisissant, elle lui lança un sourire poli.

- Damin, salut.

- Tu es toute seule ? lui demanda-t-il en jetant un œil autour de lui, comme si quelqu'un pouvait s’être caché derrière un arbre.

- Oui, je voulais consulter quelques archives mais je me suis fait refouler, alors …

- T’as eu affaire à Martha ?

Qui ?

- Euh … j’en sais rien à vrai dire, je viens peu souvent à la bibliothèque. Tu connais la documentaliste ?

- J’adore les BDs depuis que je suis gamin et ça fait des années que je viens en emprunter ici, alors oui, je connais Martha. Tu disais qu’elle a refusé que tu accèdes aux archives ? Cela ne m’étonne pas d’elle, elle a tout le temps peur que tout le monde abîme ses livres. Elle les protège comme une mère protège ses enfants.

Madeline rit de la comparaison. Elle imagina la documentaliste pète-sec donner le biberon à une pièce de Shakespeare avant de la bercer pour qu’elle s’endorme.

- Je vais t’aider, lui affirma Damin en se dirigeant vers la porte d’entrée.

- C’est gentil mais ça ne sert à rien. Il me faut un papier officiel pour pouvoir consulter les archives, et tant que je ne l’ai pas, je n’entre pas. Fin de l’histoire. Merci quand même.

Madeline tourna les talons, prête à rentrer chez elle tuer le temps avant de tenter sa chance au café.

- Pas aussi vite !

Damin la rattrapa avant de l’attirer vers elle par le bras. Manque de chance, Madeline perdit l’équilibre et se cogna contre le torse de Damin.

- Tout va bien ? Je suis désolé, j’ai été trop vite.

Relevant la tête, Madeline croisa le regard ocre du jeune entraîneur. C’était la première fois qu’elle le voyait d’aussi près, et elle remarqua dans ses iris de minuscules paillettes dorées qui rendaient son regard pétillant, et encore plus charmant. La peau de son visage avait l’air douce, et Madeline pouvait sentir l’odeur masculine de l’après-rasage qu’il avait dû utiliser le matin même. De près, Damin était encore plus beau, avec sa fossette au menton et ses longs cils noirs.

- Madeline, ça va ?

Et merde, depuis combien de temps est-ce que je suis bloquée sur son visage magnifique ?

- Hmm … oui, oui. J’avais un peu le tournis, c’est pour ça. J’ai préféré attendre que ça passe avant de faire le moindre mouvement. Désolée.

Se relevant, Madeline s’écarta rapidement du corps de Damin. Et de son regard pailleté, en même temps.

- Est-ce tu veux bien qu’on re-tente ensemble ?

De tomber dans tes bras ? Avec plaisir.

- Quoi donc ?

- Te faire accéder aux archives. C’est bien ce que tu veux, non ?

- Ah oui, oui, c’est ça. Quelle idiote, se maudit-elle intérieurement. Tu penses que tu peux y arriver ?

- Je vais user de mon charme, lui lança-t-il en lui adressant un clin d’œil.

Cela ne fait pas de doute, pensa Madeline, encore rêveuse de leur rapprochement physique. Perdue dans ses pensées, la jeune fille prit du retard et se retrouva seule dans la rue, tandis que Damin s’était engouffré dans la bibliothèque. Quand elle le rejoignit à petites foulées, il lui demanda ce qu’elle était restée faire, seule, dans la rue.

- Je faisais mes lacets, répondit-elle, faute de trouver mieux.

Mais plutôt que de poursuivre son chemin sans prêter attention à ce qu’elle venait de lui répondre, il jeta un œil à ses pieds. Ses pieds chaussés de sandales à boucles. Madeline se sentit rougir, honteuse de s’être faite prise en flagrant délit de mensonge, mais Damin ne fit aucune remarque, se contentant de hausser les sourcils d’un air interrogateur, une lueur d’amusement dans le regard.

- Ah, Damin, comme je suis heureuse de te voir, l’accueillit la dénommée Martha en voyant le jeune homme. Et … encore vous ?

Ayant aperçu Madeline, la documentaliste perdit son sourire et lança à Damin un regard mi-accusateur, mi-étonné, sûrement de le voir s’encombrer d’une personne aussi ingrate que la jeune blonde qui avait osé insulter les archives de « vieux bouquins ».

- Bonjour Martha ! Je viens rendre les dernières BDs que j’ai empruntées. Et j’amène ici avec moi une amie qui souhaiterait consulter les archives, mais tu l’as déjà rencontrée, n’est-ce pas ?

- En effet, répondit Martha sur un ton froid qui ne laissait rien cacher de son animosité envers Madeline. Et je lui ai déjà expliqué que sans autorisation, les archives lui resteraient fermées.

- C’est qu’elle a besoin de consulter d’anciens documents pour un projet scolaire, une sorte de reconstitution du Milwaukie d’il y a plusieurs décennies.

En l’entendant prononcer le mot « scolaire », Madeline tenta de lui lancer des signaux d’alerte. Elle avait précisé à la documentaliste peu aimable qu’elle désirait consulter les archives à titre personnel, et celle-ci s’en rappelait parfaitement.

- Ah oui ? s’étonna-t-elle en jaugeant du regard la jeune fille. Un projet scolaire ? Je croyais que vous m’aviez parlée d’un projet personnel, non ? Vous ne savez pas vous-même pourquoi vous avez besoin des archives ?

- Eh bien, si … C’est que, je me suis dit que si je vous parlais de mon projet scolaire, vous penseriez que je mens puisque ce sont les vacances. Il y a peu de jeunes qui profitent de leurs vacances pour avancer dans un projet scolaire, n’est-ce pas ? J’ai cru avoir plus de chance en prétextant un projet personnel, voilà tout.

Damin lui adressa un pouce en l’air discrètement. Il était vrai que Madeline s’était brillamment dépatouillée.

- Cela ne change rien au fait que vous n’avez pas d’attestation officielle à me présenter. Je suis navrée, mademoiselle, mais votre projet scolaire va devoir patienter jusqu’à ce que l’on vous fournisse l’autorisation nécessaire.

- Martha, intervint Damin en lui présentant une moue adorable de petit garçon qui quémande des bonbons à sa maman. Je sais que tu peux la lui donner, cette autorisation. Madeline a besoin de son projet pour faire valider son examen de fin d’année, et pour ça, elle doit consulter les archives. Tu ne vas pas lui faire rater son diplôme juste parce qu’elle n’a pas un simple papier à te donner ?

- Damin, tu es adorable à vouloir aider ton amie, mais elle aura toute l’année scolaire pour créer son projet, alors à sa place, je n’attendrais pas trop longtemps avant d’aller demander mon autorisation.

- Martha, tu sais que ça va prendre des plombes. L’année scolaire sera terminée que la demande de Madeline ne sera toujours pas arrivée en haut de la pile. Écoute, tu nous laisses entrer et je te promets de ne pas la quitter des yeux une seule seconde. Tu me fais confiance, n’est-ce pas ? Je t’assure qu’aucune archive ne sera abîmée. Je te le jure sur la tête de toutes les meilleures BDs du monde.

Martha ouvrit la bouche puis se ravisa. Elle jeta un coup d’œil à Madeline, qui lui offrit le plus beau sourire dont elle était capable, puis la documentaliste revint à Damin.

- Je vous accorde une heure, et pas une seconde de plus.

- Merci Martha, je te promets que tu ne te rendras même pas compte qu’on est passés par là.

Damin lui offrit un baiser sur la joue, faisant rougir la documentaliste et Madeline la remercia plus sobrement avant de se faufiler rapidement vers le sous-sol, tandis que Damin récupérait la clé. Ils se précipitèrent en bas en se félicitant de leur tour, rigolant à gorge déployée de l’air enfantin de Damin et du sourire hypocrite de Madeline, qui avaient tout de même réussi à faire ployer « Martha la coriace ».

Annotations

Vous aimez lire Astre ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0