XL.1 - Une vie à deux 

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Samedi 10 octobre 1998, 20h, à Boston

Un vrai coup de cœur. Cet appartement avait été un véritable coup de cœur pour le jeune couple, après les nombreuses visites qu’ils avaient effectuées. Carla et Josh avaient écumé toutes les petites annonces de Boston, ratissé toute la ville à la recherche de l’endroit parfait, et ils avaient fini par le trouver. Au 6, Colborne Road, ils allaient construire leur petit nid d’amour. Carla s’était occupée de la décoration, les goûts de Josh étant trop rudimentaires. Ce fut ainsi que les couleurs dominantes devinrent le rouge, le rose, le prune et toutes les couleurs associées à la féminité.

En regardant Josh se débattre avec la tringle du rideau, Carla sentit son cœur fondre. Après leur arrivée à Boston, ils avaient entamé toutes les démarches nécessaires pour obtenir son visa, et chaque jour passé aux côtés de son petit ami avaient conforté Carla dans l’idée qu’elle avait pris la bonne décision. Cet homme était merveilleux, et il rendait Carla heureuse. C’était tout ce qu’elle souhaitait, qu’elle vive une vie de bonheur, accomplissant ses désirs un à un. Pour son premier, qui était de voyager, Josh lui avait promis de l’emmener cet été à San Diego, en Californie, avant de remonter toute la côte Ouest, jusqu’à Seattle. Leur road-trip devait durer tout le mois de juillet, et Carla avait hâte de s’y trouver.

Le soir-même, Evelyn et Darryl venaient dîner. Les deux jeunes femmes s’étaient encore rapprochées, devenant les meilleures amies du monde. Carla avait appris à deviner les pensées de sa confidente derrière chaque regard, et Evelyn avait compris que la jeune espagnole avait l’âme plus tourmentée que ce qu’il n’y paraissait. Quant à Darryl, c’était toujours avec une certaine appréhension que Carla le rencontrait. Même si son entichement pour lui s’était apaisé, elle n’était toutefois pas indifférente à sa proximité. Carla détestait cette chaleur qui la gagnait quand Darryl se trouvait proche d’elle, ou les frissons qui la parcouraient quand il lui effleurait la peau, mais elle ne savait comment faire taire son corps.

- Aaaaah !

Carla accourut, mais c’était trop tard, Josh était tombé du haut de son tabouret. Ses gestes trop brusques lui avaient fait perdre l’équilibre, et le voilà qui se retrouvait sur le parquet.

- Por Dios ! Josh, tu vas bien ?

Ce dernier acquiesça, encore sonné de sa chute. Les fesses endolories, il prit appui sur l’épaule de Carla pour se relever, mais il était trop lourd, et la jeune espagnole perdit l’équilibre. Ils se retrouvèrent tous deux au sol, et ce fut Josh le premier à éclater de rire. La situation était vraiment grotesque, et Carla ne tarda pas à le rejoindre dans son fou rire. Leur quotidien prévoyait d’être vraiment très drôle.

***

Lundi 16 novembre 1998, 23h, à Boston

- Te quiero, déclara Carla en embrassant l’épaule de Josh.

Il lui avait fallu du temps, et elle en était bien consciente, mais elle en était maintenant persuadée. Elle aimait Josh, et elle espérait bien que la vie qu’ils menaient continuerait jusqu’à ce qu’ils soient vieux. Carla était heureuse avec lui, et même si entendre une chanson espagnole lui faisait monter les larmes aux yeux, ou si elle jurait chaque matin en sentant le froid mordant sur son visage, elle ne regrettait pas son pays. Carla aimait Josh, et rien n’aurait pu lui faire cesser cet amour.

- Eh bien, t’en as mis du temps, lui rétorqua gentiment Josh. Mais je t’en veux pas, parce que je t’aime aussi.

***

Jeudi 31 décembre 1998, 23h59, à Boston

- Trois … Deux … Un … Bonne année !

Des confettis s’envolèrent, et au milieu de la piste de danse, Josh embrassa Carla. Celle-ci s’accrocha à son cou, heureuse. Voilà plus de quatre mois qu’ils étaient à Boston, et jamais elle n’avait été plus heureuse. Elle réussissait haut la main son école de pâtisserie, elle aimait un homme merveilleux et avait des amis géniaux. La veille, elle avait eu sa mère au téléphone, et d’une voix chevrotante d’émotion, cette dernière lui avait avoué être fière d’elle et de la jeune femme qu’elle était devenue. Carla, qui n’avait pas été habituée à de telles déclarations de la part de sa mère, avait éclaté en sanglots, des sanglots de bonheur. Elle avait enfin l’impression d’être à sa place, d’avoir remporté les épreuves que Dieu lui avait lancées, et d’être arrivée au bout du chemin. Celui de l’accomplissement, du bien-être absolu.

Carla avait mal aux mâchoires à force de rire et de sourire, de parler et de chanter, mais elle n’avait pas mal aux jambes pour danser. Prenant Evelyn par la main, elle alla se déhancher au milieu d’autres jeunes femmes, grisée par l’ambiance de fête et par les verres de punch qu’elle avait bu. Puis, le dos contre celui de sa meilleure amie et les bras en l’air, elle le vit. Au milieu de la foule, il était là, à la regarder. Leurs yeux se croisèrent, il les détourna aussitôt, engageant la conversation avec un ami à lui, mais Carla l’avait remarqué. Même si ça n’avait été que quelques secondes, un instant fugace, elle savait ce que ses yeux avaient vu, et c’était Darryl, un verre à la main, et les yeux posés sur son corps.

***

Vendredi 5 janvier 1999, 18h, à Boston

- J’en étais sûr ! C’était couru d’avance que tu me le mettrais un jour sur le dos !

- Tu racontes n’importe quoi, je ne te rends coupable de rien ! L’Espagne me manque, son soleil et les rues de Madrid, ma famille et la maison de mon enfance, tout ça me manque, mais jamais je n’ai dit que c’était de ta faute !

- Pourtant, je le vois dans ton regard. Si tu ne m’avais pas rencontré, ou pire, si je ne t’avais jamais proposé de me suivre ici, tu serais toujours à Madrid, à déambuler dans les rues de ta chère ville ! Alors, sois un peu honnête, et dis-moi en face que tu m’en veux de t’avoir fait quitter ton pays !

- Pourquoi tu tiens tant à ce que je t’accuse, hein ? Venir ici, c’est le choix que j’ai fait, et il ne me semble pas que tu me menaçais d’un couteau sous la gorge au moment de prendre ma décision, si ? Alors, je ne sais pas ce que tu vois dans mon regard, mais tu ne sais apparement pas le lire !

- Ah, parce que maintenant, je ne te connais pas ? Y’a beaucoup de trucs comme ça que tu me caches ? Tu vas bientôt me dire que tu ne m’aimes pas, que contrairement à ce que tu dis, tu n’es pas heureuse ici. Puisque apparemment je ne te connais pas, éclaire-moi !

- Tu dis n’importe quoi, Josh ! T’es en train de tout mélanger et ça ne ressemble plus à rien ! Ce n’est pas parce que la ville où j’ai passé dix-huit années de ma vie me manque que je ne t’aime plus ! Tu sais ce que c’est, que de quitter ta vie ? Parce que c’est ce que j’ai eu l’impression de faire, en prenant cet avion. L’impression que je laissais la Carla d’avant à Madrid, et que je devenais une nouvelle femme, étrangère à tout ce qu’était Carlota. C’est dur, de quitter son pays, mais je l’ai fait, Josh ! Je l’ai fait pour toi, je te rappelle ! Et jamais, jamais, tu ne m’entendras t’en accuser !

- T’insistes pourtant bien sur le fait que tu es partie POUR moi, non ? Si ce n’est pas m’accuser, qu’est-ce que c’est, alors ?

- Mierda, Josh ! Je ne sais pas ce que tu cherches, mais tu ne le trouveras pas !

- Ah oui ? Et si c’est le bonheur que je cherche, tu es en train de me dire que je ne pourrai l’atteindre avec toi ?

- Tu sais bien que je ne parlais pas de ça, arrête de tout mélanger.

- T’as raison, je vais arrêter. Maintenant, même.

- Quoi ? Josh, attends …

- Laisse-moi, Carla.

- Josh !

Une porte claqua, et Carla fondit en larmes.

***

Mercredi 27 janvier 1999, 19h, à Cambridge

- Il paraît que c’est compliqué, en ce moment ?

Darryl, les sourcils froncés, jaugeait Carla du regard. Il craignait sa réaction, ayant osé l’interroger sur sa vie intime. Evelyn lui avait bien précisé de garder cela pour lui, mais voir ses amis malheureux le rendait malade, et il n’avait pu s’empêcher de s’en mêler.

- J’ai fait l’erreur de dire un soir que l’Espagne me manquait, surtout en cette saison, et Josh l’a pris personnellement. Il pense que je lui en veux d’avoir quitté Madrid, alors que c’était ma décision. Il ne semble pas vouloir accepter que je prenne l’entière responsabilité de mes choix, et, en effet, ça complique beaucoup de choses.

- Josh est un bon gars, mais il est peut être très borné, lui répondit Darryl en se rapprochant d’elle. Je pense que parce qu’il craint que tu lui tiennes rigueur de ton départ, il voudrait de l’entendre dire, comme ça, c’est dit et on n’en parle plus, ou presque. Il voit ça comme un pansement, tu vois ? Il faut le retirer vite pour que ça fasse moins mal. Eh bien, Josh pense que si tu lui dis rapidement que tu lui en veux, le mal sera fait et vous pourrez passer à autre chose. Ce qu’il n’a pas compris, c’est que tu ne le tiens responsable de rien du tout.

- Mais comment lui faire comprendre ? J’ai essayé trente-six manières, mais il reste campé sur ses positions. Il est persuadé que je lui en veux mais que je n’ose pas le lui avouer. Je ne sais plus comment lui dire qu’il se trompe, ça ne fait qu’empirer les choses.

- Je peux essayer, si tu veux. Je sais que tu es heureuse ici, je le vois chaque jour. Un regard extérieur pourrait peut-être lui faire comprendre qu’il se trompe.

- Tu peux toujours essayer, ça ne pourra pas être pire.

Darryl acquiesça, et lui prenant la main, il lui assura que les choses allaient s’arranger. Carla hocha la tête, mais elle n’entendait plus ses paroles. Elle ne voyait que leurs doigts entrelacés, la bouche de Darryl si proche de la sienne, ses yeux émeraude plantés dans les siens. Elle sentit le rouge lui monter aux joues, et se dégagea rapidement du canapé sur lequel ils étaient assis. Darryl avait-il aussi senti l’électricité dans l’air ? Ou tout ceci n’était-il qu’une illusion de la part du cerveau de Carla ?

Cette dernière se retourna, et elle constata que Darryl était tout aussi gêné. Il fuyait son regard, en tripotant un capuchon de bière qui se trouvait sur la table basse. Carla n’avait pas rêvé, ce courant était bien passé.

- Bien, vous êtes prêts ? les questionna Evelyn en émergeant de la salle de bain.

- C’est toi qu’on attend depuis dix minutes, répliqua Darryl, tandis que leur amie espagnole restait silencieuse.

Son cœur faisait des bonds, encore sous l’effet des mains de Darryl sur les siennes. Le béguin que Carla croyait parti aux oubliettes semblait refaire surface, et Carla détestait cette idée.

***

Dimanche 14 février 1999, 10h15, à Boston

Carla se réveilla, accompagnée de l’odeur des croissants frais. Depuis que la boulangerie française avait repris le commerce du coin de la rue, Josh et elle s’arrêtaient souvent pour prendre une baguette ou des pâtisseries, un véritable délice.

Leur relation s’était légèrement améliorée depuis le dîner chez Evelyn et Darryl, deux semaines et demie auparavant. Carla avait l’impression que Josh avait reconnu ses torts, et même s’il ne le lui avait pas avoué, le preuve était qu’ils se disputaient beaucoup moins.

- Réveillée, mon amour ?

Mon amour. Des semaines que Josh ne l’avait pas surnommée ainsi. Ce dernier entra dans la chambre, un plateau dans les mains. Le sourire aux lèvres, il vint s’asseoir aux côtés de sa dulcinée.

- Je suis désolé, s’excusa-t-il en lui tendant une rose rouge. J’ai pourri l’ambiance de ces dernières semaines en t’accusant de quelque chose dont j’étais le seul coupable. Excuse-moi. Excuse-moi mille fois pour mes paroles, pour les cris. Je n’aurais jamais dû tout remettre en doute, nous, notre histoire, juste à cause de mes craintes personnelles.

- Tu es pardonné.

- Déjà ? Je t’avais préparé un magnifique discours, et tout ça. Je le finissais par te dire je t’aime et joyeuse St-Valentin.

Son air de chien battu amusa Carla. Enfin, elle retrouvait l’homme pour qui elle avait tout quitté, traversant l’Atlantique sans un doute ni un regard en arrière. Son cœur reçut comme un nouveau souffle, un souffle qui sentait le bonheur et l’amour.

- Eh bien joyeuse St-Valentin à toi aussi, mon amour, lui répondit Carla en l’embrassant tendrement. Et moi aussi, je t’aime.

Dans un mouvement commun, le plateau alla se réfugier à côté du lit tandis que Josh s’engouffra sous la couette, et l’amour reprit vie.

***

Mardi 30 mars 1999, 21h, à Somerville

Carla ne se sentait qu’à moitié à l’aise au milieu de tous ces étudiants en droit. Elle, l’étrangère apprenant la pâtisserie, n’avait rien à faire dans cette prestigieuse maison, que le fils d’un grand avocat du pays avait emprunté à ses parents en cette occasion spéciale. Une réunion de tous les étudiants en droit d’Harvard, à laquelle Darryl avait eu le plaisir de convier le jeune couple. Pour voir du monde, avait-il dit. Ici, tous les hommes avaient ressorti le costard et la cravate, tandis que les femmes étaient élégamment vêtues de leurs robes de soirées et de leurs éclatantes parures de bijoux.

Une coupe de champagne à la main, Carla se sentait ridicule dans sa simple robe de satin noire, deux petits diamants aux oreilles et les cheveux relevés en un chignon fou. Toutes les femmes qui la dépassaient portaient de longues robes de soirée aux couleurs harmonieuses, les cheveux parfaitement coiffés et laqués et avaient la prestance digne de la Première Dame des États-Unis. Carla, elle, avait l’impression de faire tâche.

Elle s’apprêtait à aller chercher Josh pour lui demander de rentrer chez eux, là où elle se sentait à l’aise, quand une main retint son bras. Se retournant, elle se retrouva face à Darryl, aussi beau qu’à l’accoutumée dans son costume noir.

- Tu ne t’ennuies pas trop ? s’enquit-il en tirant sur son nœud papillon.

- L’ennui n’est pas le pire.

Darryl fronça les sourcils, signe qu’il ne comprenait pas sa remarque. Carla poursuivit :

- J’ai la désagréable impression d’être le poney au milieu des étalons. Je suis ridicule ici, et je n’arrive pas à la cheville de toutes ces filles qui ont l’air d’être nées des escarpins aux pieds et le sourire accroché aux lèvres.

- Je ne suis pas d’accord. Tu es loin d’être ridicule, et je peux te dire que j’ai entendu un groupe d’étudiantes vanter tes mérites. Quelle silhouette !, continua-t-il en imitant grossièrement la voix de ces étudiantes d’à peine vingt ans. Quels cheveux ! Tu as vu sa robe ? Simple mais tellement élégant ! Oh, et sa peau caramel ? Je tuerais pour avoir la même. Tout le monde la regarde, je suis trop jalouse.

Carla éclata de rire. Elle avait du mal à imaginer ces étudiantes de Harvard lui chanter des louanges. Elle ne portait pas une robe de créateur, ou des escarpins hors-de-prix. Ces bijoux provenaient d’une échoppe de Madrid, et se résumaient à deux boucles d’oreilles. Sa coiffure était l’œuvre d’elle-même, devant le miroir de sa salle de bain, et pas celle d’une coiffeuse nationalement reconnue.

- Je t’assure que c’est vrai. Tu veux qu’on aille leur demander ?

Le regard inquisiteur, Darryl s’était déjà tourné vers la foule, invitant à Carla à le suivre. Cette dernière hocha négativement la tête, Darryl lui avait déjà nettement remonté le moral.

- Et toi, qu’est-ce que tu fais à perdre ton temps avec moi ? T’as pas un ou deux grands avocats du pays avec qui tu voudrais discuter ?

- Leur compagnie ne vaut pas la tienne. Et toi, où est passé Josh ?

- Je l’ai perdu. Il discutait avec je ne sais qui quand j’ai été me rechercher à boire, et lorsque je suis revenue, ils s’étaient tous deux volatilisés.

- Quel abruti, déclara sobrement Darryl en jetant un coup d’œil circulaire dans la salle.

Evelyn les remarqua et leur fit coucou de la main, entourée de deux jolies brunes aux cheveux brillants et aux robes splendides. Carla sentit son ventre se tordre, la désolation accablant ses épaules. C’était une fille comme Evelyn qui était faite pour ce genre de soirées, qui était faite pour être la compagne d’un futur avocat comme Darryl. C’était Evelyn qui était une vraie femme de ce monde, auquel n’appartiendrait jamais Carla, malgré tous ses efforts. Ce désolant constat lui fit monter les larmes aux yeux, et la jeune espagnole ressentit le besoin de s’éloigner de toute cette foule.

- Carla !

Elle entendait Darryl la suivre de près, malgré ses grandes enjambées. Elle aurait pu s’arrêter, lui dire qu’elle avait juste besoin de prendre l’air, mais même sa proximité l’étouffait. Ses sentiments pour Darryl ne s’étaient jamais effacés, malgré ce qu’elle croyait. Ils s’étaient juste cachés dans un coin de son âme, laissant son amour pour Josh prendre plus d’ampleur. Comment était-ce possible ? Comment pouvait-elle aimer un homme, son petit ami, mais avoir une bouffée de chaleur à chaque fois qu’un autre posait les yeux sur elle ? Carla aimait Josh, c’était une certitude. Dès qu’elle le regardait, elle sentait son cœur s’attendrir. Cependant, il y avait comme un petit quelque chose qui l’empêchait de se jeter pleinement dans sa relation avec lui. Et ce petit quelque chose semblait s’appeler Darryl.

- Carla, tu ne te sens pas bien ?

Darryl avait fini par la rattraper, alors qu’ils étaient dehors. L’air frais revigora Carla, qui ne s’était pas rendue compte à quel point il faisait chaud à l’intérieur.

- Carla, ça va ? Réponds-moi !

L’interpellée fut choquée du ton employé par son ami. Pourquoi devenait-il tout à coup violent dans ses paroles ? Avait-elle fait quelque chose de mal ?

- Oui, oui, ça va. Pourquoi t’énerves-tu ?

- Je ne me suis pas énervé. Ok, peut-être un peu, capitula-t-il devant les sourcils relevés de Carla. Mais tu m’as fait peur, t’es devenue toute pâle et t’as couru dehors. Ne me refais plus jamais ça, d’accord ?

Carla acquiesça. Elle, elle aurait voulu qu’il disparaisse de sa vie, parce que tout aurait été plus simple sans lui, mais elle ne pouvait décidément pas le lui demander. En même temps, elle appréciait l’attention qu’il lui portait, son regard préoccupé et sa main qui était venue naturellement se poser sur son bras. Mais Darryl remarqua son geste, et comme si la peau de Carla avait été brûlante, il retira vivement sa main. La jeune femme détestait cela, l’impression qu’une certaine gêne s’était installée, les empêchant d’être tout à fait naturels l’un avec l’autre.

- Ça va mieux ? s’enquit Darryl, son inquiétude intensifiant la douleur dans la poitrine de Carla. L’air frais t’a fait du bien ?

Carla hocha la tête, les yeux perdus dans l’émeraude de ceux de son vis-à-vis. Pourquoi la vie est-elle si compliquée ?

- Parce qu’elle ne vaudrait pas la peine d’être vécue si elle était simple, répondit Darryl.

Carla lui adressa un regard surpris. Avait-elle réellement parlé à voix haute ? Si c’était le cas, elle devait vite rentrer chez elle, avant de raconter une bêtise.

- Tu ne penses pas ? continua-t-il, sans se préoccuper du malaise apparent de son amie.

- Que le plaisir de la vie réside dans le fait qu’elle soit compliquée ?

- Le plaisir, je ne sais pas, mais l’intérêt, oui. Ce serait quoi, une vie simple, ou il n’y a pas de choix à faire, de décision à prendre et où il faudrait juste suivre le chemin indiqué ? Tu ne penses que ce serait un bon moyen pour faire une dépression, si ce ne serait le meilleur ? On a beau s’en plaindre, au fond, on aime ses complications. On aime ces instants de crise intérieure, ces réflexions intenses qui doivent nous mener à faire le bon choix, sans qu’on le fasse, au final. On aime se torturer, être partagé entre deux idées et devoir faire le choix qui s’impose. On aime tous ces moments qu’on dit détester parce que ce sont ceux qui nous font sentir vraiment vivants.

- Tu sembles avoir bien étudié la question.

- C’est parce que je suis en pleine crise intérieure, et même si je me maudit chaque soir pour mes sentiments et idées contradictoires, j’aime me sentir vivant, pas toi ?

- Je ne savais pas que ça allait mal entre Evelyn et toi. J’en suis désolé.

- Ce n’est pas le cas, mais tu n’as pas répondu à ma question.

- Je pense qu’elle mérite que j’y réfléchisse un minimum, tu ne crois pas ?

- Eh bien, moi, j’en ai marre de toujours réfléchir.

Darryl fondit sur elle, et sans lui laisser le temps de le repousser, non que Carla en avait envie, il l’embrassa. Mais ce n’était pas un baiser tendre que s’échangent deux amoureux. Non, ce baiser était des plus passionnés, le résultat d’un désir depuis trop longtemps enfoui. Darryl, les mains sur les hanches de sa belle espagnole, enroulait sa langue autour de la sienne, tandis que Carla était pendue à sa nuque. Les deux jeunes gens s’embrassaient avec ardeur, oubliant les alentours, le brouhaha de la fête, le vent dans les feuillages et le craquement des branches. Il ne restait plus qu’eux, partageant un baiser fougueux.

- Non, non, non … répéta Carla en s’écartant de son complice de délit. On ne peut pas, on ne pas.

- Carla, je suis désol …

- Non ! Ce serait pire. Si tu l’es vraiment, c’est que tu regrettes et je ne veux pas que tu regrettes. C’était magique, ce baiser, mais ça ne doit plus se reproduire, d’accord ? Promets-le moi, lui demanda Carla, affolée et s’enfuyant déjà vers la maison.

- Si c’est ce que tu veux …

- Promets-le moi !

- Je te le promets, Carla.

Il n’en fallut pas plus à la jeune femme, et elle partit à grandes enjambées vers l’entrée de l’immense bâtisse, désireuse de rentrer au plus vite chez elle. Loin de cet amant impétueux, de ce trouble qu’il provoquait en elle, et surtout, loin du plaisir coupable qu’elle ressentait après leur baiser.

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