XXXIX.2 - Comment tout a commencé 

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Mercredi 19 août 1998, 17h, à Madrid

- C’est pour ça que mes parents ne partaient jamais en vacances, confia Evelyn à son amie espagnole. Ils détestaient les adieux. Refaire ses valises, rendre les clés, la dernière baignade, la dernière glace, le dernier rayon de soleil réchauffant ta peau, puis prendre la route et dire au revoir à tout ça, à tes vacances, qui ne sont déjà plus qu’un souvenir, ce n’était pas pour eux. Je les comprends mieux, maintenant. On part vendredi et je n’ai qu’une peur, c’est de reprendre l’avion en te voyant rester à l’aéroport, te faire coucou les larmes aux yeux tandis que je retourne à Boston, et toi, ici, occupant toujours les rues qui ont accueilli notre amitié. Je n’ai pas envie de partir, Carla, je ne veux pas te quitter, quitter Madrid et tout ce qu’on a vécu ici.

Au bord des larmes, Evelyn proclamait déjà son discours d’adieu, à deux jours de la fin des vacances. Elle qui s’était attachée à Carla aussi vite que lorsqu’on tombe dans les vagues, elle la considérait presque comme sa sœur. C’était peut-être beaucoup, de dire une telle chose, mais Carla en connaissait plus sur sa vie que ses amis de Boston, qu’elle côtoyait pourtant depuis des années. Et Carla, elle, n’avait pas hésité à se confier à Evelyn. Sa bienveillance, sa douceur, son calme, tout en elle faisait qu’on ne pouvait tout bonnement pas ne pas l’apprécier.

- Qu’est-ce que vous foutez ? Dépêchez-vous !

Josh, de l’eau jusqu’à la taille, adressait de grands signes de la main aux deux jeunes femmes, mais plus particulièrement à celle pour qui il avait eu le coup de foudre durant ces vacances. Ses longs cheveux bruns, sa peau caramel, ses yeux noisettes rehaussés de longs cils noirs, son sourire craquant, tout ce qui composait Carla l’avait fait tomber amoureux d’elle. Son rire cristallin, son accent adorable, son goût prononcé pour le chocolat, sa parfaite maîtrise de l’anglais, ses rêves de voyage, son désir de devenir la pâtissière la plus reconnue d’Espagne, étaient des qualités qui avaient séduit Josh. Le coup de grâce avait été le dimanche soir, lorsqu’elle lui avait demandé s’il comptait bientôt l’embrasser, parce qu’elle en mourrait d’envie. Et là, Josh était tombé dans une passion extrême pour cette femme formidable.

De son côté, Carla aimait la douceur du regard de Josh, ses joues rougies par le soleil, ses cheveux fous, sa carrure musclée, sa tendance à protéger ceux qu’il aime, la façon qu’il avait d’entourer ses épaules de ses bras, son souhait de toujours bien faire, et sa bonne humeur communicative. Carla aimait se coller à lui quand la fraîche tombait et sentir sa main sur la sienne. Elle adorait lorsque Josh caressait ses cheveux du bout des doigts et lorsqu’il l’embrassait dans le cou. Par-dessus tout, elle avait senti son cœur faire un bond lorsqu’il avait prononcé ces mots dont elle rêvait depuis gamine : « Je t’aime ». Josh le lui avait avoué la veille, alors qu’ils admiraient le coucher de soleil, nus sur leur petit bout de plage. Carla n’avait pas su quoi lui répondre, n’ayant aucune connaissance de l’amour. Elle croyait aimer Pedro, mais avait découvert que leur histoire n’avait été qu’une amourette d’adolescents, qui n’avait rien à voir avec le vrai amour. Ce qu’elle ressentait pour Josh était plus fort que les sentiments qui l’avaient animée pour Pedro, mais elle ignorait encore si c’était de l’amour pur et véritable. Alors, elle avait planté son regard dans le sien, et lui avait répondu : « Être dans tes bras est ce que je préfère au monde ». La réponse avait semblé lui convenir, et souriant jusqu’aux oreilles, il l’avait enlacée tendrement avant de lui faire encore l’amour.

- Je crois que Josh est sérieusement amoureux de toi, déclara subitement Evelyn, qui voyait d’un œil affectueux son ami se plier en quatre pour combler sa belle, le regard transi d’amour.

- Je sais, répondit simplement Carla. Il me l’a dit, hier soir.

- Et qu’as-tu répondu ? Si ce n’est pas indiscret de te le demander.

- Une phrase qui signifiait la même chose.

Carla aurait pu être la plus heureuse des femmes. Elle avait fait la rencontre de nouveaux amis, devenus plus proches d’elle que n’importe qui dans sa vie. Un homme aux nombreuses qualités était tombé amoureux d’elle, et la traitait comme une reine. Pourtant, Carla s’endormait chaque soir, un pincement au cœur. Elle avait beau ressentir un sentiment sincère et profond pour Josh, c’était un regard vert émeraude qui venait hanter ses rêves, la nuit. C’étaient les mains de Darryl qu’elle se surprenait à admirer, à la terrasse d’un café. C’était sa bouche qu’elle prenait plaisir à imaginer sur son cou, son ventre et sur son corps tout entier. Elle aurait aimé connaître la sensation de ses lèvres sur les siennes, leur douceur, leur chaleur, leur goût. Carla ne pouvait s’empêcher de jeter un œil sur le torse musclé de Darryl, lorsqu’il se déshabillait avant d’aller se baigner. Elle n’arrivait pas à chasser le rêve qu’elle avait fait, quelques nuits auparavant, où ils marchaient main dans la main, dans les rues de Madrid.

- Qu’est-ce que vous allez faire, une fois que nous serons retournés à Boston ? l’interrogea Evelyn, interrompant le flot de ses pensées.

- Je n’en ai aucune idée, nous n’en avons pas encore parlé. Je crois qu’aucun de nous deux n’a envie d’aborder le sujet.

Carla se sentait coupable de fantasmer ainsi sur le petit ami de sa nouvelle amie et confidente, tandis qu’elle, elle s’inquiétait de son avenir amoureux. Pourquoi la vie ne se déroulait-elle jamais comme on le voudrait ? Pourquoi Carla n’avait pas eu le coup de foudre pour Josh, comme lui pour elle, au lieu de rêver secrètement de son meilleur ami ? Tout serait plus simple si on pouvait décider des actions de notre cœur.

- On part bientôt, venez profiter de la mer, tant qu’on peut encore le faire, les appela de nouveau Josh.

Evelyn se leva, rejoignant bientôt les deux hommes dans l’eau bleue. Le trio s’en allait dans deux jours, signifiant que dans deux jours, ils ne deviendraient que les amis d’un été. Carla oublierait bientôt Josh et Darryl, et ce qu’elle ressentait pour chacun d’eux. Elle reprendrait sa vie, loin de la tornade américaine qui avait bousculé son été. Tout redeviendrait normal.

- T’as l’air triste … tout va bien ? s’enquit Josh en s’asseyant à ses côtés, laissant les deux amoureux dans les vagues.

Darryl, même les cheveux plaqués sur le crâne et les yeux rougis par le sel de la mer, était beau à mourir. Carla sentit son cœur se pincer, pourquoi ne restait-elle pas concentrée sur Josh ? Pourquoi ne le pouvait-elle tout simplement pas ? C’est bien sympa l’amour, mais il apporte quand même pas mal de problèmes.

- C’est la nostalgie du départ, c’est tout.

- Tu sais, je connais un bon moyen de te l’éviter. Adieu tristesse et bonjour la joie, le départ ne te ferait pas couler une seule larme.

- Oh vraiment ? Tu as le remède imparable contre la mélancolie des fins de vacances ? Eh bien, je t’écoute, répliqua Carla, amusée.

Bien que Josh soit moins beau que son meilleur ami, il était plus amusant. Toujours le mot pour rire, ou du moins pour faire sourire, il savait comment faire chasser les idées noires. Carla adorait ce trait de sa personnalité, car elle détestait être mélancolique ou broyer du noir, et Josh l’en empêchait toujours.

- Viens avec nous, déclara sérieusement Josh, le regard planté dans celui de sa dulcinée. Prends tes affaires et envole-toi à Boston avec nous. Je me suis renseigné, il existe de très bonnes écoles de pâtisserie là-bas, et tu peux encore t’inscrire. En plus, tu parles parfaitement bien l’anglais. Je ne veux pas te quitter, et me rappeler de toi comme un simple amour de vacances. C’est peut-être encore tôt pour te demander de déménager de l’autre côté de l’océan, mais je suis convaincu que ça marchera, nous deux. Carla, je t’aime, et je désire du plus profond de mon être continuer à t’aimer après la fin de l’été, pendant tout l’automne et toutes les autres saisons à venir.

- Oh … Euh … Je ne sais pas quoi dire … C’est tellement d’un coup.

Habiter à Boston ? Avec un homme qu’elle connaissait depuis dix jours ? C’était une histoire complètement folle. Sa vie était à Madrid, sa famille, ses amis, ses projets, tout était ici. Certes, elle rêvait de voyager, mais s’installer à Boston, n’était-ce pas précipité ? Si, ça l’est, lui répondit sa conscience, encore raisonnable. Que ferait-elle dans un pays qu’elle ne connaît que par la télévision ou les magazines ? Et puis, Josh n’avait pas eu l’air de penser à toutes les démarches nécessaires pour obtenir la nationalité, ou du moins, un visa pour séjourner aux États-Unis. Elle n’irait tout de même pas en tant que clandestine ?

- Carla … l’interpella Josh, lui prenant le menton pour figer son regard brun dans celui de la belle espagnole. Pars avec moi. On a vécu des vacances merveilleuses, les plus belles de toute ma vie. Nos balades main dans la main, nos baignades, nos nuits sur ce petit bout de plage, les glaces qu’on a partagées, les rues de Madrid où on s’est embrassé, tout, absolument tout ce qui s’est passé depuis qu’on s’est rencontré a été parfait. Et moi, je veux que cette perfection nous accompagne encore plus loin que ces vacances, je veux qu’on en fasse un petit quelque chose de splendide, pour une véritable vie à deux.

L’amour qu’il lui portait brillait dans son regard, et Carla pouvait être sûre que ce n’était pas de la rigolade, une demande un peu dingue pour s’amuser. Josh était vraiment sincère, il la désirait, il la voulait dans sa vie. Carla ressentait également quelque chose pour lui. Certes, son cœur ne chavirait pas complètement pour cet homme, et Darryl constituait une ombre sérieuse au tableau, mais l’homme attendrissant qui se tenait devant elle n’aurait pas de mal à la faire tomber raide amoureuse de lui, Carla n’en doutait pas. Si elle acceptait, elle était sûre de bientôt se trouver transie d’amour pour lui. Et puis, Carla avait trouvé en Evelyn une amie fidèle, une confidente loyale et presque une sœur. La perspective de partir n’était pas repoussante, loin de là. Elle était juste un peu … folle.

- Je sais que c’est énormément te demander, ajouta Josh, et tu as jusqu’à notre départ pour prendre ta décision. Tu as encore deux jours, ok ? Réfléchis autant que tu veux pendant ce temps et donne-moi ta réponse quand tu seras sûre d’elle.

- Non.

- Quoi ? Écoute, je sais que Boston est loin, que toute ta vie est ici mais prends le temps de considérer au moins la chose. Si deux jours, ce n’est pas assez, prends jusqu’à la fin de l’été, je pourrais toujours revenir te chercher, mais …

- Non, Josh, répliqua doucement Carla. Je ne réfléchirai pas plus longtemps, ou … je risque de changer d’avis. Parce que c’est oui. Je pars avec toi, avec vous. Je fais mes valises et à nous Boston.

La surprise se peignit sur le visage du jeune américain, puis le bonheur. Il poussa un cri de joie, avant d’enlacer et embrasser Carla. Aux anges, il ne cessait de sautiller comme un enfant qui vient d’ouvrir ses cadeaux de Noël, gesticulant dans tous les sens à l’attention de ses amis, toujours dans l’eau. Il leur hurla de venir sur la plage, puis se tournant vers Carla, il l’embrassa entre deux « Je t’aime ». Cette dernière ria de bon cœur, elle était maintenant convaincue que sa vie à Boston ne serait pas terne en compagnie de cet homme. Elle apprendrait à l’aimer complètement, follement et à lui retourner l’amour qu’il lui portait.

- Elle a dit oui, déclara fièrement Josh à l’approche du jeune couple.

Les deux américains crièrent de joie, et Evelyn sauta dans les bras de son amie, tandis que Darryl félicita Josh d’une franche accolade. Carla comprit alors que Josh avait discuté de son projet à ses amis, et en voyant le bonheur affiché par les trois visages autour d’elle, elle sut qu’elle avait fait le bon choix.

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