XXXVIII - Terrible nouvelle

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Vendredi 27 juillet 2018, 14h35, à l’aéroport international de Portland

- Mon père vient d’essayer de m’appeler … Trois fois, déclara Madeline en consultant son téléphone. Qu’est-ce qu’il veut ?

- Aucune idée, mais tu devrais le rappeler, ça doit être important.

Madeline n’en était pas convaincue, mais obtempéra tout de même. Darryl répondit aussitôt, ne laissant pas assez de temps à Madeline pour préparer ce qu’elle allait lui dire.

- Euh … Bonjour. Tout va bien ?

- Non, rien ne va et c’est pour ça que je voulais t’avoir. Carla a fait un malaise, des voisins l’ont retrouvée inconsciente dans sa cuisine, ce matin, mais ils ignorent depuis combien de temps elle était là. Elle est à l’hôpital de Milwaukie. Je compte sur toi pour le dire à Ezequiel ?

- Évidemment, c’est toujours moi qui doit lui apprendre les mauvaises nouvelles …

- Maddie, il s’agit de la santé de ta marraine, là. Oublie un peu ta colère, tu veux bien ?

- Au revoir, Papa.

Madeline raccrocha, les mains tremblantes. Un malaise, ce n’était pas si grave, si ? Carla devait sans doute être fatiguée en ce moment, surtout avec tous les évènements récents. Son cœur s’est seulement senti affaibli, il a besoin de repos. Rien de plus. Rien de grave. Elle devait maintenant en convaincre Ezequiel.

- Alors ? s’enquit ce dernier lorsque Madeline rangea son téléphone dans son sac. Ça a été rapide, qu’est-ce qu’il te voulait, au juste ?

- Me prévenir que … Carla a fait un malaise. Elle est actuellement à l’hôpital, mais je ne pense pas que ce soit grave.

- Ah oui, et comment tu peux en être aussi sûre ? T’es médecin, maintenant ? Ou mieux, voyante ? s’emporta le jeune hispanique en envoyant valser le sac qu’il tenait à la main. Putain, fait chier !

- Ezi, calme-toi, c’est juste la fatigue. Ces derniers jours ont été compliqués, c’est le moyen qu’a trouvé son corps pour dire stop, pour se reposer. S’il te plaît, calme-toi.

Madeline s’approcha de son meilleur ami, lui passant un bras autour de ses épaules. Ses yeux brillaient, ses mains tremblaient. Ezequiel avait l’air d’un enfant de cinq ans, vulnérable, apeuré à l’idée de perdre sa maman. Il avait beau ne pas montrer ses sentiments, ou que très rarement, sa mère restait la personne la plus importante de sa vie. Il l’avait fait souffrir, il lui avait parfois crié dessus ou provoqué des crises de larmes, mais Carla était sa mère, et il avait besoin d’elle. Seulement, il venait juste d’en prendre conscience.

- Je vais t’emmener à l’hôpital, d’accord ? Allez, viens, l’entraîna Madeline.

Ezequiel se laissa faire, désorienté. C’est ma faute, ne cessait-il de se répéter en se dirigeant vers la voiture de Madeline. Et de telles pensées noires l’occupèrent durant le trajet jusqu’à l’hôpital où se trouvait sa mère, inconsciente. Tout est ma faute. C’est à cause de moi si elle a fait un malaise. Voici le résultat de toute la peine que je lui ai donnée. C’est ma faute. Ma faute, ma faute, ma faute

- Ezi ? Tu veux que je t’accompagne ?

L’intéressé émergea de ses idées sombres, se rendant compte qu’il se trouvait déjà devant l’entrée de la bâtisse blanche, aux odeurs d’antiseptique et à l’ambiance aussi mortuaire que dans un cimetière un jour d’enterrement. Ezequiel détestait les hôpitaux, depuis tout petit. C’était toujours dans ce maudit bâtiment qu’on apprenait les mauvaises nouvelles : une maladie, la mort d’un proche. Mais le pire, c’était de traverser ces couloirs en entendant des patients gémir de douleur ou tousser jusqu’à en cracher du sang. Ezequiel détestait vraiment les hôpitaux.

- Alors, tu veux que je vienne avec toi ? Si c’est ce que tu veux, je me gare et on va voir Carla ensemble, mais si tu préfères être seul avec ta mère, je le comprendrai.

- Je … euh … bégaya le jeune homme, peu sûr de ce qu’il souhaitait.

En fait, ce qu’il aurait voulu, c’était rentrer tranquillement chez lui en se demandant s’il devait avouer à sa mère qu’il avait retrouvé son père biologique. Non, ce qu’il désirait vraiment, c’était de se pelotonner dans les bras accueillants de celle qu’il aimait plus que tout au monde, même plus que sa propre personne, mais à qui il ne lui avait pas assez montré.

- Ezi ? l’interrogea de nouveau Madeline, sérieusement inquiète de voir son ami dans un état pareil. Était-il seulement capable de monter jusqu’à la chambre où se reposait Carla, sans trébucher dans les marches ou faire un malaise lui-même ?

- Je vais … y aller … tout seul. Rentre chez toi, le voyage a été crevant.

Sur ces paroles, Ezequiel sortit de la voiture, et marcha comme un automate jusqu’à l’accueil de l’hôpital. Là, il donna son nom et demanda le numéro de chambre de sa mère. L’infirmière le lui donna, et, toujours dans le flou le plus total, il prit la direction de l’ascenseur. Il n’avait même plus conscience de ce qui se passait autour de lui. Les médecins qui discutaient entre eux. Les enfants qui pleuraient dans la salle d’attente. Ceux qui couraient dans les couloirs, seule occupation qu’ils avaient trouvé pour tuer leur ennui. Leurs mères qui les rappelaient à l’ordre, sans succès. Puis, il se trouva devant la porte 112B. Respirant un grand coup, il frappa. Une voix masculine lui pria d’entrer. Une voix qu’il ne connaissait que trop bien, et qui s’assemblait maintenant à l’image d’un père.

- Darryl, articula seulement Ezequiel.

- Bonjour. Elle dort, pour l’instant. Les médecins m’ont dit qu’elle devrait se réveiller dans la journée, ce n’est rien de bien grave, juste une accumulation trop excessive de fatigue, de stress et d’angoisse. Je te laisse avec elle.

Darryl se leva difficilement du fauteuil sur lequel il était assis depuis plusieurs heures, à veiller sur la femme qu’il avait négligé durant une décennie complète. À l’époque, l’abandonner alors même qu’il savait être le père de l’enfant qu’elle portait lui semblait être une simple erreur. Quelque chose qu’il regretterait peut-être plus tard. Mais aujourd’hui, il comprenait que son erreur s’était transformée en une impardonnable trahison. Non seulement envers sa femme, qu’il avait trompée et qui était partie dans un autre état, refusant tous ses appels, mais aussi envers Carla, qui lui vouait une confiance aveugle, qu’il avait brisée en quelques mots, ce fameux mercredi de juin 1999.

En passant derrière Ezequiel, il lui étreignit rapidement l’épaule, signe de son soutien. Cependant, le jeune hispanique était trop troublé par la vue de sa mère, inconsciente sur son lit d’hôpital, pour prêter attention à une quelconque marque d’attention de la part de celui qui l’avait vu souffrir du départ de son père, sans jamais penser à lui avouer la vérité. Bientôt, la porte claqua, et Ezequiel se retrouva seul dans la pièce aux murs blancs, où le silence pesant lui donnait mal à la tête. Il s’approcha doucement de sa mère, et lui prenant la main, il commença à s’excuser dans sa langue maternelle, espérant la réveiller plus tôt.

- Mamá, lo siento muchísimo. Lamento lo que he hecho, lo que he dijo. Mamá, por favor, perdóname. Lo siento, lo siento

Toutes les fois où il l’avait accusée de ne pas vouloir lui révéler l’identité de son père, créant cris et pleurs, lui revinrent en mémoire. Ses crises de nerfs, quand elle lui avouait qu’elle avait rencontré un homme, si bien qu’elle avait fini par abandonner les rencards, repoussant tout individu masculin qui s’approchait un peu trop d’elle. Ezequiel l’avait obligée à passer sa vie à craindre toutes les réactions de son fils, il lui avait volé sa vie.

Ce constat terrible le fit éclater en sanglots. Il avait ruiné la vie de sa mère, trop aveuglé par ses désirs destructeurs et trop égoïste pour s’occuper d’elle. Toute sa vie, il n’en avait eu que pour lui. Il avait fait souffrir sa mère, sans s’en préoccuper, et continuant toujours à la blesser avec l’homme qui les avait abandonnés, tous les deux. Il avait abîmé les filles qu’il avait fréquenté, les laissant tomber amoureuse de lui alors qu’il savait qu’il les laisserait de côté sitôt sa conquête conquise. En fait, il avait reproduit avec les filles ce que Josh avait fait à sa mère. La séduire, lui promettre une vie meilleure, puis partir, la laissant souffrir. Ezequiel reproduisait à la perfection les actes de son père, actes qu’il détestait plus que tout. Il n’était pas mieux que lui.

- Mamá, tu m’entends ? Je me rends compte de toutes mes erreurs aujourd’hui, et tu dois te réveiller pour m’écouter m’en excuser. Parce que je regrette tellement toutes ces années à te faire pleurer, à te hurler dessus alors que ce que tu avais le plus besoin, c’était d’un câlin de ton fils. Pardonne-moi pour tout ce que j’ai dit et fait. Je veux que tu sois heureuse, Mamá, comme je le suis enfin aujourd’hui. Je l’ai retrouvé, Josh, et je me sens mieux. Il a sa vie à New York, et moi, la mienne ici. Je n’ai besoin de rien d’autre, je connais mon histoire maintenant, je peux me construire, devenir un homme. T’entends ça ? J’en ai fini avec mon père, ou mes pères, devrais-je dire. Tout est terminé, toutes ces années de souffrance, ces cris, ces sanglots, j’en ai terminé. Je veux une vie paisible et heureuse, où plus aucun obstacle ne viendra nous déranger. Je veux que tu trouves un homme qui sache t’aimer comme tu le mérites, je veux que tu sois fière de moi, je veux que tu viennes me visiter lorsque j’aurai entrepris mes études. Je veux que tu dois là à mon mariage, à la naissance de mes enfants. Je veux que tu couvres mes gosses de cadeaux, comme tu m’as couvert de ton amour. Putain, Mamá, j’ai besoin de toi. Réveille-toi, je t’en supplie. Mamá

En pleurs, Ezequiel se tut. Le bip du monitoring cardiaque était le seul bruit qui venait perturber le silence parfait de cette chambre d’hôpital. Il paraît qu’on se rend compte de la valeur de ce que l’on possède seulement seulement lorsqu’on perd l’objet de sa possession. À ce moment précis, rien n’était plus vrai pour Ezequiel. Alors que sa mère était allongée, la respiration régulière et le visage blafard, il réalisa qu’elle était tout pour lui et qu’il ne s’en remettrait pas s’il venait à la perdre. Ezequiel aimait sa mère, et il avait besoin de lui dire. Elle devait se réveiller.

***

Vendredi 27 juillet, 19h, au Providence Milwaukie Hospital

Ezequiel s’était endormi sur le fauteuil, près de sa mère à qui il n’avait pas lâché la main. Il n’entendit pas l’infirmière qui passa vérifier l’état de santé de Carla. Il n’entendit pas son téléphone sonner, résultat de l’appel de Madeline, qui s’inquiétait autant pour lui que pour sa marraine. Il n’entendit pas non plus Darryl, qui revint en début de soirée, mais qui, voyant son fils dormir, décida de revenir prendre des nouvelles le lendemain. Il n’entendit alors pas sa mère murmurer son nom, lorsque celle-ci se réveilla.

- Ezequiel … mi hijo, despiértate …

Voyant qu’il ne réagissait pas à son appel, Carla remua ses doigts dans la main de son fils. Celui-ci maugréa, perturbé dans son sommeil, puis ouvrit les yeux. Ce fut alors qu’il croisa le regard de sa mère.

- Mamá !

Ezequiel se rua dans les bras de sa mère, oubliant sa fatigue. Il respira son parfum, lui caressa les cheveux. Il retrouvait enfin sa mère, qu’il avait l’impression d’avoir perdue depuis une éternité.

- Mon fils, tout va bien, le rassura Carla.

- Non, Mamá, tout ne va pas bien. Tu as fait un malaise, et c’est ma faute. Tout est ma faute.

- Ne dis pas de telles choses, Ezequiel ! J’étais fatiguée, c’est tout. Mais ça va mieux, je te le promets.

- J’ai eu tellement peur, Mamá, tellement peur …

Ezequiel s’éloigna à contre-coeur des bars de sa mère, s’asseyant sur le bord du lit. Il mourrait d’envie de lui dire qu’il avait retrouvé Josh, et que la page était enfin tournée, mais il craignait de lui provoquer un nouveau malaise. C’était sans compter Carla, qui connaissait assez son fils pour deviner dans ses pensées.

- Tu me caches quelque chose ?

- Je regrette, Mamá. Toutes ces années de souffrance que je t’ai causées, toutes les fois où je t’ai fait pleurer, où je t’ai criée dessus. Je ne me rendais pas compte de la douleur que je t’infligeais, et j’en suis désolé.

- Mon fils … Moi aussi, je suis désolée. Je n’ai pas su voir ta peine de petit garçon de ne pas connaître son père. J’aurais dû te raconter l’histoire, on n’en serait sûrement pas là aujourd’hui. Mais n’oublie jamais qu’on ne peut pas revenir en arrière, c’est impossible. Par contre, on peut décider de changer la donne pour l’avenir. C’est pour ça que je vais te conter ton histoire, Ezequiel, celle que tu me demande depuis des années. Je crois qu’il est temps que tu connaisses l’entière vérité.

Carla se redressa, ses yeux plantés dans le regard émeraude de son fils. Son cœur battait à tout rompre, et ses mains tremblotaient. Elle était nerveuse à l’idée de raconter à son fils ce qui avait été ses plus belles années, mais aussi, les pires de sa vie. Elle ignorait s’il était assez grand pour tout entendre, mais ce qu’elle redoutait le plus, c’était elle. Était-elle prête à livrer son histoire ?

- Mamá, tu n’es pas obligée, tu devrais plutôt te reposer, tenta de la convaincre Ezequiel, qui, même s’il mourrait d’envie d’en apprendre plus, savait que sa mère restait encore faible, et qu’il fallait qu’il prenne soin d’elle.

- J’y tiens, mi hijo. Viens là, l’invita Carla en se décalant vers la gauche, laissant à son fils assez de place pour qu’il vienne se coller à elle.

Ezequiel grimpa sur le lit, et vint poser sa tête sur l’épaule de sa mère. De sa main droite, celle-ci commença à lui caresser les cheveux. Le jeune hispanique se revit petit garçon, lorsqu’après un cauchemar, sa mère venait le consoler en lui chantant des berceuses espagnoles.

- Tout a commencé ce fameux été de 1998, commença Carla en se revoyant dans la rue où elle avait rencontré le trio d’américains, le soleil derrière elle. Je me baladais tranquillement, une glace à la main, quand je me suis heurtée à quelqu’un. Confuse, je me suis excusée en espagnol, lorsqu’il m’a avoué avec un accent à couper au couteau qu’il ne parlait pas ma langue. C’est alors que j’ai croisé son regard, ses yeux verts émeraude. C’était Darryl, et j’étais loin de me douter que renverser une glace sur un inconnu changerait à jamais le cours de ma vie.

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