XXXVI - Retour vers le passé 

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Jeudi 26 juillet 2018, 9h50, à Milwaukie

Madeline se réveilla, les paupières et la tête lourde. Un coup d’œil vers son téléphone lui confirma ce qu’elle redoutait : il était déjà l’heure qu’elle se lève. Ezequiel et elle avaient passé la nuit à glaner des informations concernant Josh, et avaient réussi à trouver une adresse, à laquelle ils allaient se rendre aussitôt atterris à New York. Leur avion décollait à 12h20, et à cause des six heures de vol, ainsi que du décollage horaire entre la côte Ouest et Est, les deux amis avaient dû mentir pour espérer rencontrer Josh la journée même.

D’après Internet, il était devenu concessionnaire de vieilles automobiles dans l’Upper East Side, et Ezequiel avait eu l’idée de se faire passer pour un acheteur très intéressé, mais qui ne pouvait venir que tard dans la journée. Après plusieurs minutes de négociations, le jeune hispanique était arrivé à un arrangement avec celui qui avait été son père : Josh les attendrait exceptionnellement jusqu’à 22h00, mais pas plus longtemps. Madeline et Ezequiel n’avaient donc pas à traîner une fois arrivés à New York, et encore moins à rater leur avion.

- Allez, debout là-dedans ! éveilla Madeline. Il ne faut pas qu’on soit en retard à l’aéroport.

Ezequiel grogna pour toute réponse, cachant son visage sous son drap. Il n’avait décidément pas assez dormi, et ne se sentait pas prêt à se mettre debout. De son côté, Madeline, qui avait trop peur de se rendormir si elle refermait les yeux ne serait-ce que pendant l’espace de quelques secondes, s’évertua à chercher un sac de voyages dans l’immense désordre que représentait la chambre de son meilleur ami. Trouvant un sac à dos sous des vêtements de sport, elle lui lança en pleine figure. Ezequiel, qui était retombé dans les bras de Morphée, sursauta.

- Mais qu’est-ce qui te prends ? se scandalisa-t-il d’une voix pâteuse, encore à moitié ensommeillé.

- Je te rappelle que tu m’as tenu éveillée la moitié de la nuit pour récolter des infos sur Josh, parce que tu voulais aller à New York le plus tôt possible. Alors, lève-toi, ou on va rater l’avion que tu attends depuis tes sept ans !

Cette piqûre de rappel eut l’effet escompté. Ezequiel n’attendit pas une seconde de plus, et lançant son drap à ses pieds, il commença à rassembler des affaires. Leurs billets achetés comptaient l’aller ainsi que le retour, et ils n’avaient donc que vingt-quatre heures pour rencontrer Josh - en espérant que ce soit le bon -, le convaincre qu’il était bien Ezequiel Ramírez, et trouver un moyen pour lui faire dire les raisons qui l’avaient poussées à quitter Milwaukie.

- Il faut que je passe chez moi pour faire mon sac, et une fois bouclé, je reviens te chercher, ok ?

- D’accord. De toute façon, il était hors de question que je laisse ma Mustang sur le parking de l’aéroport.

- Pourquoi est-ce que tu crois que c’est moi qui nous emmène ? rétorqua Madeline.

***

21h38 (heure de la côte Est), à l’aéroport de La Guardia, New York

Heureusement pour les deux jeunes amis, ils n’avaient aucune valise à récupérer, car la file d’attente leur aurait fait perdre un temps précieux, déjà qu’il ne leur en restait plus beaucoup. Madeline et Ezequiel avaient encore vingt minutes pour dénicher un taxi et se rendre jusque dans l’Upper East Side, avant que Josh ne ferme la porte de son garage.

- S’il vous plaît ! hurla le jeune hispanique quand une voiture jaune passa devant lui.

Le yellow cab s’arrêta, et les deux jeunes gens s’engouffrèrent dans le véhicule. Ezequiel prononça à vive allure l’adresse de la concession de Josh, et dut le répéter à deux reprises avant que le chauffeur ne la comprenne et s’engage sur la route.

- Excusez-moi, mais combien de temps il nous faut pour y arriver ? se renseigna Madeline auprès du conducteur qui sifflotait, sans aucune idée de ce qui était en jeu.

- Bah, j’sais pas, je dirais un bon quart d’heure, p’t-être même plus, avec toutes ces bagnoles.

- Écoutez, on doit y être au plus tard à 22 heures, vous ne connaissez pas des raccourcis ?

- Possible, mais ce sera plus cher, ma p’tite dame, répondit l’homme avec un sourire malicieux.

- Eh bien on paiera, mais accélérez !

***

21h59 (heure de la côte Est), dans l’Upper East Side, New York

Le taxi s’arrêta devant une enseigne qui indiquait « McGregor concession », et tandis que Madeline lui tendait la monnaie, Ezequiel courut vers la porte, à travers laquelle on voyait une lumière encore allumée. Rempli d’espoir, le jeune hispanique frappa, attendant que celui qui avait été son père daigne lui ouvrir. Et si ce Josh McGregor n’était pas celui qu’ils cherchaient ? Ce prénom et ce nom étaient communs dans leur pays, et dans une ville aussi grande et développée que New York, ils devaient courir les rues.

Alors qu’il continuait à marteler la porte, Madeline le rejoignit. Posant une main sur son avant-bras, elle lui fit comprendre silencieusement qu’il devait se calmer. Mais l’excitation était trop grande, et l’adrénaline qui pulsait dans ses veines n’arrangeait en rien la situation.

Tout d’un coup, une ombre apparut derrière la porte, et un cliquetis se fit entendre. La porte allait bientôt s’ouvrir. Ezequiel retint son souffle, paralysé de peur. Il allait rencontrer celui qu’il tentait désespérément de retrouver depuis dix ans. Si c’est le bon, se rappela mentalement Ezequiel. Il effaça ces mauvaises pensées, appelant toutes les bonnes ondes à lui.

- Oui ?

Un homme d’une quarantaine d’années se tenait devant le duo. Habillé d’un costume gris et le visage rasé de près, il ressemblait à un véritable businessman, l'attaché-case noir en moins.

- Bonsoir, je m’appelle …, commença Ezequiel.

- Écoute, jeune homme, je n’ai pas le temps, ok ?

- Mais écoutez-moi au moins une seconde, j’ai fait le trajet depuis …

- Je m’en fiche, mon bonhomme, l’interrompit une nouvelle fois ce monsieur, qui commençait à sérieusement s’impatienter. Je suis un homme d’affaires, et tu vois, là, j’attends des clients. Je n’ai pas le temps pour des bavardages inutiles. Allez, au revoir !

L’homme referma la porte. Mais c’était sans compter sur Madeline. Cette dernière était fatiguée, le voyage en avion l’ayant rincée, et de plus, elle supportait depuis la veille un Ezequiel surexcité. Ce n’était sûrement pas pour repartir sans n’avoir rien obtenu. Alors, elle avança furtivement son pied, bloquant la porte et obligeant l’homme à lui faire face.

- Je m’appelle Madeline Peterson, et voici mon ami, Ezequiel Ramírez. Nous venons de Milwaukie, Oregon, et avons de bonnes raisons de penser que vous êtes le Josh McGregor que nous cherchons.

- Celui qui a été mon père jusqu’à mes sept ans, termina Ezequiel.

L’homme face à eux se retrouva décontenancé. Était-ce bien son fils, en tout cas, celui qu’il avait aimer tout comme, devant lui ? Ce grand jeune homme, à la carrure sportive et beau comme un dieu, était-il le petit garçon bagarreur qu’il avait quitté il y a tant d’années ?

- Ezequiel ?

- C’est moi. Êtes-vous bien le Josh que nous recherchons ?

Ce dernier acquiesça. Jamais il n’aurait pu penser que le jeune hispanique viendrait jusqu’à lui. Il avait quitté la petite ville de Milwaukie pour la Grosse Pomme, et pensait qu’en étant à l’autre bout du pays, il ne reverrait jamais des fantômes de son passé.

- Nous avons fait le voyage pour vous rencontrer, et on espérait que, peut-être, vous accepteriez de répondre à quelques unes de nos questions ?

- Ce ne sera pas long, ajouta Madeline, comptant sur lui pour qu’il accepte.

Josh n’en croyait pas ses yeux. Son fils était devant lui, accompagné de Madeline, qui portait encore des couettes la dernière fois qu’il l’avait vue. Était-ce une bonne idée de remuer le passé ?

- Je vous en prie, le supplia Ezequiel.

Il n’en fallut pas plus que le regard implorant d’Ezequiel. Josh alla chercher ses affaires, et leur proposa d’aller boire un café chez Edgar.

***

22h10 (heure de la côte Est), au Edgar’s Cafe, dans l’Upper East Side, New York

- Merci, Ed.

Josh lui tendit la carte des cafés, et une fois le propriétaire parti préparer leur commande, il jaugea du regard les deux adolescents en face d’eux.

- Alors, comme ça, vous êtes au courant de tout ?

Sur le trajet, les deux amis n’avaient cesser de parler, et Josh avait cru comprendre que le secret que partageait Carla et Darryl avait été découvert. Par ces deux spécimens, en prime. Ils avaient l’air d’avoir le don d’enquêter, ces deux-là.

- Oui, répondit Ezequiel. Tout récemment, en fait. Ça fait des années que je te cherche, et là, je viens d’apprendre qu’en fait, c’est Darryl mon vrai père. Mais ça n’empêche pas que je me pose toujours la même question, celle qui me ronge depuis ton départ : pourquoi m’avoir abandonné ?

Josh laissa tomber ses mains sur la table. Comment lui annoncer que la trahison avait été plus forte que l’amour qu’il avait pour son fils ? Comment confier qu’il avait préféré fuir sa femme et son meilleur ami, plutôt que de rester pour lui, comme se doit de le faire un bon père ? Tout simplement, comment avouer sa faute ?

- Ce n’était pas facile, crois-moi. Avec Carla, ça faisait plusieurs semaines que ça n’allait plus. Je m’accrochais désespérément alors que rien ni personne ne pouvait sauver notre couple. Un jour, on s’est disputé, et …

Se remémorer cette scène lui fit monter une boule d’émotions dans la gorge. Il avait la vive impression de la revivre. Il revoyait Carla, face à lui, les joues rouges et le regard furibond, en train de lui crier dessus. Il ne souvenait pas des raisons exactes de cette dispute précise, seulement qu’ils étaient souvent en désaccord concernant l’éducation de leur fils. À cette époque, il savait que leur amour était voué à l’échec, mais il n’avait pas voulu l’accepter. Il en avait payer les conséquences.

- … et, reprit-il, ça lui a échappé. Je me souviens avoir dit qu’étant mon fils, je pouvais décider de ce qui était le mieux pour toi. Mais ce que je considérais comme étant meilleur, Carla pensait le contraire. Alors, après nombreux cris, elle m’a sorti que tu n’étais pas mon fils, et que je n’avais rien à dire sur ton éducation. J’ai insisté longtemps pour qu’elle me révèle enfin que c’était Darryl, ton père biologique. J’étais abasourdi, je ne voulais pas y croire, au début. Puis, le soir-même, quand tu es rentré à la maison et que j’ai croisé ton regard, que je connaissais pourtant depuis sept ans, tout m’a paru clair. Je n’ai plus eu de doutes. Je t’ai couché ce soir-là, et une fois endormi, j’ai pleuré tout en te disant adieu. J’avais besoin de partir. De voir du monde nouveau, loin de ma femme et mon meilleur ami, ma plus proche famille, qui m’avaient trahi. Je m’excuse pour t’avoir fait du mal, sincèrement. Tu sais, je n’ai pas cessé de penser à toi durant toutes ces années. Je me demandais sans cesse quel jeune ado tu étais devenu, ce que tu aimais faire, quel était ton caractère, même si je ne doutais pas que tu sois resté un brin bagarreur. Je me suis beaucoup inquiété.

- Et jamais tu ne t’es dit : « tiens, et si je prenais des nouvelles » ?

- J’y ai pensé, figure-toi. Des milliers de fois. Mais, l’idée de me retrouver face à ta mère, ou Darryl, m’a toujours fait reculer. Même l’idée d’avoir Carla au téléphone m’était insupportable. Ta mère était la femme de ma vie, et je l’aimais plus que tout. Sa trahison m’a brisé le cœur, que je n’ai jamais réussi à complètement réparer, d’ailleurs. Je me doute que pour l’instant, tu ne comprennes pas bien, ou pas du tout, même. Mais, un jour, toi aussi tu connaîtras le véritable amour, le grand, celui de toute une vie. Ce jour-là, demande-toi ce que tu deviendrais si cette femme pour qui tu es prêt à mourir venait à te trahir. Peut-être qu’à ce moment, tu me comprendras.

- Se retrouver brisé, je veux bien, mais abandonner son enfant ?

- À l’époque, tu étais plutôt proche de Darryl. Il était le tonton blagueur, farceur, et avec toi, il redevenait le gamin qui adorait faire des bêtises dans le dos des parents. J’avais l’impression, peut-être injustifiée, que mon départ ne changerait rien à ta vie. Je pensais bêtement que Darryl me remplacerait, et qu’à la longue, tu finirais par m’oublier. J’en suis profondément désolé, Ezequiel.

Cette conversation à cœur ouvert émouvait beaucoup Madeline, qui, les larmes aux yeux, alla se rafraîchir aux toilettes. Son meilleur ami de toujours était en plein discussion avec le père de ses sept premières années, et elle avait du mal à y croire. Le rêve que nourrissait Ezequiel depuis tant de temps se concrétisait enfin. Sera-t-il de même pour elle ? Retrouvera-t-elle un jour Naomi, à qui elle pensait sans cesse, même si elle s’efforçait de la reléguer dans un coin de sa tête ?

En revenant à table, elle fut plongée dans une conversation sur les vieilles voitures. Apparemment, les deux hommes n’avaient pas de sang en commun, mais partageaient cette passion tous les deux.

- Je l’ai entièrement rénovée moi-même ! annonça fièrement le jeune hispanique. Et j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux.

- Pourquoi ne passeriez-vous pas demain, au magasin ? Je viens de recevoir un petit bijou, tu pourrais l’essayer, qu’est-ce que tu en penses ?

- Nous repartons demain, en fait. Je ne sais pas si nous aurons le temps de faire quoique ce soit.

Josh parut déçu, mais n’en dit rien. Il termina son café, puis se rendit compte que Madeline n’avait pas ouvert la bouche depuis qu’elle l’avait forcé à les écouter. Sa présence en disait long sur la relation qui les unissait, mais sinon, il ne connaissait rien de la Madeline d’aujourd’hui.

- Et toi, Mimi ? … Pardon, je veux dire, Madeline. C’est drôle, je n’ai pas perdu l’habitude durant toutes ces années. Enfin bon, quelle formidable jeune fille es-tu devenue ?

- Je … Eh bien, je … bafouilla l’intéressée, décontenancée par ce soudain intérêt par sa personne, et surtout par le surnom qu’il avait employé pour elle.

Elle sentit la tête lui tourner, puis un souvenir refit surface. Dans les bras d’un homme ressemblant fortement à celui qui se tenait assis devant elle, elle rigole à gorge déployée, tandis qu’une fillette pleurniche en tendant les mains vers eux. Ne pleure pas, Nana, déclare l’homme en attrapant la fillette. Ah, Miminana, mon duo de princesses adoré !

- Maddie, tu vas bien ? s’inquiéta Ezequiel auprès de son amie.

- Oui, oui, pardon. Je me rappelais juste un truc. Ça te dérange si on rentre ? Je suis vraiment crevée.

- Non, bien sûr, on va y aller.

Ezequiel s’excusa auprès de Josh, qui, ne s’en formalisant pas le moins du monde, leur proposa de les conduire jusqu’à leur hôtel. Il paya les cafés, sans se préoccuper de l’insistance de son fils pour régler leurs boissons, puis les raccompagna.

Sur le chemin, Ezequiel le questionna sur sa vie actuelle, comment était New York, s’il s’était remarié.

- Et des enfants ?

- J’ai une fille, effectivement. Mais sa mère et moi ne sommes plus ensemble.

- Je suis désolé … je ne voulais pas ressasser les mauvais souvenirs, s’excusa Ezequiel.

- Pourtant, tu es là, ajouta gentiment Josh.

Le jeune espagnol ne sut pas quoi répondre. Il se sentit soudain gêné de se trouver dans cette voiture, avec cet homme, qui n’avait en rien demandé à ce qu’Ezequiel vienne rappeler des souvenirs douloureux. Et si, aveuglé par son désir de réponse, il n’avait fait que faire souffrir cet homme, en lui rappelant le passé ?

- Je ne voulais pas te mettre mal à l’aise, Ezequiel. Je suis heureux que tu sois là, tu sais ?

- Moi aussi, je suis heureux.

- Elle s’appelle comment ? Votre fille ? se renseigna Madeline, qui s’en voulait un peu d’écourter les retrouvailles père-fils, et espérer se racheter en en apprenant un maximum sur ce Josh.

- Willow. Elle s’appelle Willow.

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