XXXIII - La fin d'un amour

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Mercredi 30 juin 1999, 17h25, à Boston

Carlota avait reçut un texto de Darryl lui indiquant qu’il quittait l’université et qu’il la rejoignait chez elle. Mais cela faisait déjà trente minutes que la jeune femme attendait, postée derrière le rideau prune, dans l’espoir d’apercevoir la Ford Escort de son amant. Elle se rassurait en se disant qu’à cette heure, la circulation devait être dense entre Cambridge et Boston. Une petite voix dans sa tête lui criait qu’il roulait lentement pour retarder leurs retrouvailles, mais Carla s’efforça de se concentrer sur l’extérieur. Depuis un mois, la jeune espagnole avait l’impression que Darryl s’éloignait d’elle, et même s’il lui avait promis que ses études lui prenaient tout son temps, Carla n’était pas dupe. La main sur le ventre, elle s’inquiéta. Changerait-il de comportement en apprenant sa grossesse ? Se réjouirait-il de devenir papa ? Quitterait-il Evelyn pour vivre avec elle ?

Tant d’interrogations qui occupaient toutes ces pensées ces dernières vingt-quatre heures. Elle avait découvert qu’elle était enceinte la veille, et un rendez-vous chez le médecin avait estimé la date de conception de l’enfant le 15 juin. Pas de doute possible, Darryl en était bien le père.

Le matin même, Josh lui avait demandé si elle était sincèrement heureuse, avec lui, ici, à Boston. Carla lui avait simplement répondu que oui, elle nageait dans le bonheur. Elle n’avait, bien sûr, pas ajouté que son état de bien-être était le résultat de sa liaison avec le meilleur ami de son petit ami. Mais elle devait bien lui annoncer un jour ou l’autre, surtout que son ventre allait grossir de plus en plus. Elle ne pouvait tout de même pas faire croire à Josh que cet enfant était de lui ? Si ? Déjà, Carla détestait être infidèle, mais son amour pour Darryl était trop intense pour stopper leur aventure. Et puis, elle était persuadée que leur simple liaison deviendrait bientôt une histoire sérieuse.

La Ford bleue de Darryl se gara bientôt devant l’immeuble, 6 Colborne Road. L’appartement que Carla occupait avec Josh se trouvait au deuxième étage, et la jeune femme eut tout le loisir de contempler l’homme dont elle était amoureuse. Son polo vert sapin faisait ressortir l’émeraude de ses yeux, et ses manches courtes laissaient découvrir de beaux bras musclés. Ses cheveux, châtains clairs, étaient ébouriffés comme si Darryl venait de sauter du lit. Il passa une main nerveuse dedans, et Carla sentit son cœur se pincer. L’heure ne semblait pas à la joie. Bientôt, le jeune homme disparut de l’angle de vision de Carlota, et cette dernière eut juste le temps d’atteindre la porte que Darryl sonnait déjà.

- Bonjour, la salua Darryl timidement.

Carla lui répondit par un sourire, avant de s’effacer pour le laisser entrer. Elle tenta de l’embrasser, mais le jeune homme se déroba avant que leurs bouches ne se rencontrent. Des larmes perlèrent au coin des yeux de la jeune espagnole. L’éloignement de l’homme qu’elle aimait la faisait atrocement souffrir.

Dépassant le placard de l’entrée, le couple déboucha sur la pièce principale. Cuisine, salon, salle à manger, ce séjour avait plusieurs utilités. Darryl, sans prononcer un mot, alla se tenir derrière la première fenêtre, à sa gauche. Il avait réfléchi toute la journée à la façon dont il ferait son annonce, mais n’en avait trouvé aucune qui convenait. Dans tous les cas, il briserait le cœur de son amante, mais Darryl savait qu’il devenait impossible de continuer à vivre comme cela.

- Darryl, commença Carla, j’ai …

- Je te quitte.

Le jeune étudiant en droit se retourna, faisant face à Carla. Leurs yeux se rencontrèrent, et il aurait voulu fuir ce regard meurtri qu’elle lui lança. Il aurait dû trouvé une autre formule, moins brusque, moins glacial, mais il pouvait enrober ses paroles sous un beau discours, que le résultat en serait le même. Darryl avait décidé que leur lisaient devait cesser.

Carla, le cœur en miettes, essaya de déceler un doute dans les iris émeraudes de son vis-à-vis. Elle ne voulait pas croire qu’il était bien sûr de son choix, car ce serait pour elle moins douloureux. Mais elle lut dans ses yeux une détermination sans faille, et elle sut que c’était bien la fin de toute une histoire.

- Darryl, c’est impossible …

- Je suis désolé, Carla. Mais ça fait plus de deux mois et demi, maintenant. On a merdé ce premier soir, et on aurait dû s’arrêter là. Sauf qu’on ne l’a pas fait, et maintenant, on doit en payer les pots cassés. Je sais que c’est douloureux, et que tu me détestes à ce moment précis, mais on savait tous les deux qu’un jour, ça arriverait. N’est-ce pas ? Tu as Josh, et moi, Evelyn. Ne gâchons pas nos vies pour une amourette idiote.

Carla croyait rêver. L’homme qu’elle pensait être celui de sa vie, le père de l’enfant qu’elle portait, qualifiait leur amour d’ « amourette idiote ». Avaient-ils vraiment vécu la même relation ? Elle en doutait. Ils avaient passé presque trois mois à s’aimer, s’embrasser, se cacher pour profiter pleinement de leurs sentiments. Et maintenant, Darryl considérait que ce n’était qu’« une amourette idiote » ?

- Ne dis pas ça …, le supplia Carla.

- Pardonne-moi d’être violent, mais c’est la vérité. Nous deux, ce n’est qu’une histoire de passage, pas sérieuse et il est temps que quelqu’un s’en rende compte. Je suis désolé que ce moi, car tu peux me croire ou non, mais j’aurais préféré que ce soit toi qui me quitte. Tu aurais probablement moins souffert. Bon, je dois y aller. Au revoir, Carla.

Sur ces paroles, Darryl la dépassa et rejoignit la porte d’entrée. Avant de sortir de l’appartement, il lança un dernier regard à Carla. Cette dernière, le cœur brisé en mille morceaux, se sentit tout de même un peu mieux. Parce que dans ses iris émeraudes, elle lisait un amour inconditionnel, un amour qu’il lui portait. Il pouvait essayer de paraître froid, mais les yeux ne mentaient jamais. Même sous sa détermination, l’amour pointait le bout de son nez. C’était la fin d’une histoire, mais pas d’un amour. Car, avant qu’il ne disparaisse, Carla sut qu’il l’aimait toujours, et peut-être même que c’était pour la vie.

***

18h

Le téléphone de Carla sonnait. Pour la troisième fois consécutive. Et un coup d’œil vers l’écran de son portable avait confirmé ses pires craintes : c’était Evelyn qui tentait de la joindre. Mais comment lui répondre, et discuter avec elle comme d’habitude, alors qu’une demi-heure auparavant, Darryl, son petit ami depuis le lycée, avait rompu avec elle, sa meilleure amie ?

La sonnerie cessa, et le vibreur indiqua l’arrivée d’un texto : « T fâchée ? ». Fâchée ? Non. Désespérée ? Oui. Les larmes ne cessaient de couler depuis que Darryl avait claqué la porte. Mais impossible de lui répondre cela. Carla réfléchit à la meilleure excuse possible. Ne trouvant rien de mieux, elle envoya un simple « Cuisine » avant d’éteindre complètement son téléphone.

En pensant à sa meilleure amie, Carla pleura de plus belle. Elle était enceinte de son amant, homme qu’aimait plus que tout Evelyn. Cette dernière lui faisait aveuglément confiance depuis leur rencontre à Madrid, et voilà comment Carla la remerciait. En couchant avec son petit ami. Instinctivement, Carla posa une main sur son ventre. Elle avait réfléchi à la possibilité d’avorter. Après tout, cet enfant allait grandir avec un papa qui n’était pas son père biologique, et Carla détestait les mensonges. Et puis, si le bébé ressemblait à Darryl ? Elle perdrait tout. Mais Carla aimait déjà cet enfant, et interrompre sa grossesse lui paraissait impossible à faire. Tant pis si, à la naissance de son bébé, tout son entourage américain lui tournait le dos, car à ce moment, elle aurait gagné ce qu’elle désirait le plus au monde : un enfant.

***

19h

Josh passa la porte de chez lui, heureux de retrouver enfin son chez-soi. La journée avait été fatigante, et il commençait à en avoir marre de devoir courir après des voyous pour vol à l’étalage, du matin jusqu’au soir.

- Je suis rentré ! cria-t-il à l’attention de sa petite amie.

Aucune réponse. Déposant son sac dans le placard de l’entrée, il avança jusque dans la pièce principale. Personne. Il vérifia la chambre. Carla était souvent fatiguée depuis quelques jours, et il n’était pas rare qu’elle s’assoupisse dans leur lit. Mais personne ne dormait sur le matelas. Ne restait plus que la salle de bain. En appuyant sur la poignée, il eut la surprise de découvrir que c’était fermé à clé.

- Carla, tu es là, mon amour ?

Aucune réponse. Il tenta d’ouvrir la porte une deuxième fois, mais la porte ne s’était pas déverrouillée comme par magie. Il perçut le bruit de l’eau qui coulait, puis de produits qu’on range. Bientôt, Carla apparut devant lui.

- Bonsoir, chéri. Tu vas bien ?

L’intéressé acquiesça, tout en examinant sa petite amie. Quelque chose n’allait pas, mais il n’arrivait à déceler quoi. Lorsqu’elle le dépassa, il remarqua qu’elle avait les yeux étrangement rouges. Avait-elle pleuré ? Ou était-ce le résultat d’un produit qui aurait rencontré ses iris ?

- Moi, oui, lui répondit-il. Toi, en revanche …

Carla se stoppa. Il avait remarqué. Elle avait eut beau se remaquiller et essayer de camoufler ses joues striées de larmes, il avait vu ses yeux encore rougis. Elle n’avait plus le choix, maintenant. C’était dur de s’imaginer lui annoncer après sa rupture avec Darryl, mais comme dit toujours sa mère, même après un malheur, la vie continue.

- C’est le cas. J’ai appris une nouvelle … qui m’a quelque peu remuée.

Josh, alerté, s’était approchée d’elle. Le visage de sa dulcinée était préoccupé. Était-ce une mauvaise nouvelle ? Il avait cru deviner que son pays natal lui manquait beaucoup ces derniers temps. Avait-elle décidé de retourner en Espagne ? Pire, était-il arrivé quelque chose à un membre de sa famille, et elle se sentait coupable d’être à Boston plutôt qu’à Madrid ?

- Dis-moi tout, ma chérie. Que s’est-il passé ?

- Je … J’ai découvert hier que j’étais … Enfin, que je suis …

- Quoi donc ?

- Enceinte. Je suis enceinte.

Mais pas de toi, pensa Carla silencieusement. Elle repoussa cette réflexion négative, et se concentra plutôt sur le visage de son partenaire. Les sourcils froncés, il semblait étudier la question. Pensait-il à ce qu’elle avorte ? Ou avait-il deviné qu’il n’était pas le père de cet enfant ? Non, c’est impossible, se rappela la jeune espagnole. Ses pensées ne devaient pas partir en vrille, ou elle risquait de dévoiler quelque chose d’inopportun.

- C’est … euh … comment dire ? C’est …, bégayait Josh. Inattendu ! Voilà le mot, c’est inattendu.

- Je sais bien. Ce n’est pas le meilleur moment pour avoir un enfant, mais …

- C’est super ! la coupa Josh. Je suis tellement heureux, tu ne peux pas savoir. On va avoir un enfant ! Un mini-nous, la consécration de notre amour, un bébé, quoi ! Dis-moi que tu es aussi aux anges.

Carla le jaugea du regard. Heureuse, elle ? Elle avait le cœur ruiné et venait d’annoncer à l’homme qui partage sa vie sa grossesse, résultat d’une liaison adultère. Alors non, elle ne pouvait pas être ce qu’on qualifie habituellement d’« heureuse ».

- Bien sûr. Je suis ravie.

Au point où elle en était, elle n’était plus à un mensonge près. Et puis, elle avait toujours rêvé d’avoir un enfant. Un garçon, même. Et elle savait déjà qu’elle l’appellerait Ezequiel. Si, en revanche, son bébé se révélait être une fille, elle hésitait entre plusieurs prénoms. Alida, Delicia, Felisa, ou bien Maria, elle n’en avait encore aucune idée.

- Pourquoi as-tu l’air aussi triste alors ?

- Je ne suis pas triste ! J’ai juste passé la journée à m’inquiéter. Je ne savais pas si tu prendrais bien la nouvelle ou pas, et j’avais tellement peur que tu ne veuilles pas de cet enfant … Il faut que mon cerveau accepte l’idée que je n’ai plus à m’en faire. Ne t’inquiète pas, tout va bien. Très bien, même.

Josh en fut soulagé, et après que Carla lui ait confirmé ses dires d’un immense sourire, il l’enserra de ses bras robustes. Il aimait tellement cette femme, et voilà qu’ils s’apprêtaient à devenir parents. Josh espérait que ce serait un garçon, aussi grand et bien portant que lui. Un homme, un vrai, qui hériterait de son regard charmeur et sa force de persuasion, et qui prendrait de sa mère sa douceur et sa peau mate. Pour les yeux, pas de jaloux, leur enfant les aura marrons, comme ses parents.

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