XXXII - Je suis ton père

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Mercredi 25 juillet 2018, 10h45, à Milwaukie

Comme au bon vieux temps, Madeline fut réveillée par les sauts effrénés de son frère sur son lit. Fidèle à lui-même, il confondait son matelas avec un trampoline. Mais, ce matin, Madeline était trop heureuse de retrouver Theo et ses habitudes agaçantes pour ronchonner.

- Il est l'heure de te réveiller, Maddie ! Maman a envie de manger une glace pour ton retour.

- Mais il est quelle heure ? demanda-t-elle d'une voix railleuse.

- Il n'y a pas d'heure pour manger une glace, allez, dépêche-toi, la pressa Theo en tirant sur sa couette.

- Oui, oui, laisse-moi le temps de m'habituer à la lumière, déjà.

N'écoutant pas la demande de son aînée, Theo alla ouvrir son armoire, et piochant au hasard un T-shirt et un short, les lui lança. Madeline examina les vêtements, et au vu de leur discordance, elle devina que son frère s’était contenté de prendre les premiers de leurs piles respectives. Theodore lui répéta d’accélérer le mouvement, tout en lui assurant qu’elle n’avait besoin d’aucun maquillage pour aller déguster leur en-cas glacé. Madeline sut qu’elle n’avait plus la moindre chance de se réveiller en douceur, et se leva en maugréant. Elle se dirigea vers son armoire, et entreprit de choisir des affaires plus accordées.

- Tu n’as aucun goût en matière de mode, frangin, remarqua Madeline.

- On t'attend en bas, répliqua Theo, sans se formaliser de la critique de sa sœur.

***

11h05

Fin prête, Madeline saisit sa paire de lunettes solaires fétiche, son téléphone et descendit rapidement les marches. Dans le salon, Evelyn et son fils étaient assis sur le canapé central, des cartes en main. Lorsque la -presque- quadra aperçut sa fille, elle s’excusa pour son réveil brutal.

- J’ai juste émis l’hypothèse qu’on pourrait aller manger une glace tous les trois, mais Theo a pris ça au pied de la lettre et t’a réveillée avant que je puisse l’en empêcher, ajouta Evelyn.

Madeline balaya ses excuses d’un geste de la main. Elle connaissait aussi bien Theo que sa mère, et cette dernière n’avait pas à s’excuser pour le caractère énergique et impulsif de son fils. La jeune capitaine but un verre de jus de fruits pour unique petit-déjeuner, et attrapa seulement, la volée, une barre de céréales aux fruits rouges. Au cas où la glace ne me suffirait pas, pensa-t-elle.

- Maman ! Theo ! Je suis prête, on y va !

Madeline sortit de la cuisine, et fut étonnée de trouver le canapé vide. Elle constata que les cartes étaient posées sur la table basse, à la va-vite. Où étaient subitement passés sa mère et son frère ? Madeline tourna la tête vers la gauche, vérifiant la présence des clés de la Mazda d’Evelyn. Le pot était vide, signe que Theo et sa mère l’attendaient simplement dans la voiture. Mais pourquoi étaient-ils partis précipitamment, et sans la prévenir ? Ce fut alors que Madeline perçut une ombre dans son champ de vision. Levant les yeux, elle découvrit Evelyn et son fils, droits comme des I, devant la porte d’entrée, en position de garde-à-vous. Ils semblaient tous deux ravis de leur bêtise.

- Nous sommes disposés à obéir à vos ordres, commandant ! rugit Theo avec fierté.

Madeline s’amusa de bon cœur de leur blague. Le premier à l’avoir appelée « commandant » avait été son père, un jour que Madeline avait décidé avec autorité préférer aller au parc plutôt qu’au centre commercial. Et ce surnom était resté, chaque membre de sa famille l’utilisant lorsque sa domination refaisait surface. N’importe qui d’autre aurait pu se vexer que l’on lui signale à chaque fois son caractère autoritaire, mais pas Madeline. La susceptibilité était loin de la définir et Madeline trouvait, au contraire, que ce surnom affectueux était une preuve que sa famille l’aimait, malgré les ordres qu’elle pouvait leur donner.

- Vous m'avez tellement manquée, déclara Madeline avant de fondre sur eux et les câliner.

Une fois leur étreinte terminée, Evelyn invita ses enfants à sortir de la maison, et ils furent partis pour déguster une glace.

***

11h20

Le trajet en voiture se déroula dans la bonne humeur, ainsi que la commande leur petite gourmandise. Ils avaient ensuite décidé de s’installer à une table de pique-nique, dans le parc près de la trente-septième avenue, traversé par la rivière Johnson Creek. Actuellement, la famille discutait joyeusement, une brise légère soufflant dans leur dos. Soudainement, une boule d’énergie s’abattit sur Evelyn, du nom de Janice. Lorsqu’il la reconnut, Theo rougit légèrement, il savait que Zoey suivait. La concernée, une batte de baseball à la main, vint aussitôt s'asseoir ses côtés. Janice, toujours aussi souriante, fit le tour de la table pour venir embrasser Madeline, après un rapide câlin à Evelyn.

- Peter, quelle bonne surprise ! Comment vas-tu ?

- Parfaitement bien, Eve. Bonjour à toi, Madeline. Il se trouve que j'emmenais Zoey frapper quelques balles, peut-être que Theo peut se joindre à elle ? proposa-t-il en se tournant vers les deux enfants, déjà partis s’entraîner sans qu’un adulte les remarque. Eh bien, on dirait qu'ils y ont pensé avant moi, ajouta Peter avec un petit rire.

- Apparemment, oui. Dis, pourquoi n'irais-tu pas te promener avec Janice, tant qu'on surveille nos deux sportifs ? Ce sera beaucoup plus amusant pour elle de se balader avec son père, plutôt que d'être réduite à faire la ramasseuse de balles pour sa soeur, non ?

- Oui, tu as raison, bonne idée, approuva le père de famille. On se retrouve là d'ici une petite heure ?

- Cela me semble parfait, à tout à l'heure, alors, finit Evelyn dans un sourire.

Peter lui renvoya son sourire, avant de tendre la main vers sa cadette, qui n'avait pas quitté les genoux de Madeline durant l’échange. Elle l'embrassa une dernière fois, puis Evelyn, avant de se précipiter vers son père. Peter continua son chemin, non sans avoir adressé un dernier signe de la main à Evelyn et son aînée, tandis que les deux joueurs de baseball continuaient de s'amuser, sans que Zoey ait remarqué le départ de son paternel.

Maintenant que Madeline se retrouvait seule avec sa mère, elle espérait bien en apprendre plus sur la rencontre en Espagne entre ses parents et Carla, ainsi que sur le père d'Ezequiel.

- Alors Maman, cette rencontre à Madrid, tu me la racontes ?

- Tout de suite ? répliqua Evelyn, étonnée.

Depuis la veille, elle s’interrogeait sur l’engouement tout particulier de Madeline pour cet évènement de sa vie. Avant, sa fille avait bien posé quelques questions, mais les réponses simples et un tantinet vagues que lui avait faites sa mère avaient semblé lui suffire. Pourquoi en voulait-elle plus aujourd’hui ?

- Oui, pourquoi pas ? On n'est que toutes les deux, et on a le temps, alors, je t'écoute.

- Très bien, si c'est ce que tu veux, accepta Evelyn. Alors, pour commencer, il faut savoir que nous étions partis en vacances à trois, ton père, celui d'Ezequiel et moi. Les deux hommes étaient les meilleurs amis du monde depuis leur enfance, et sortir avec ton père, ça signifiait sortir avec celui d’Ezequiel aussi. Ils passaient leur temps ensemble, et moi avec. Alors quand le père d'Eze...

- Maman, la coupa Madeline. Pourquoi tu ne dis pas son nom ? Ce serait plus simple, et plus rapide, que de répéter toujours le père d'Ezequiel a fait ci, ou a dit ça, non ?

- Très bien … Il s'appelait Josh, mais c'est tout ce que tu sauras, compris ?

- Oui, M’man. Donc, quand Josh ... ?

- Quand Josh proposa de partir en vacances, à l'été 98, il était évident que nous partirions à trois. C'est moi qui décida d'aller à Madrid, c'était une ville que j'avais toujours rêvé de visiter, et c'était l'occasion ou jamais. Nous avions décidé d'y rester trois semaines, alors le 31 juillet, nous avons pris l'avion, à trois, et nous sommes revenus, trois semaines plus tard, à quatre. Mais chaque chose en son temps. Nous avons donc pris l'avion, un voyage de nuit, et nous sommes arrivés le lendemain matin, fatigués, mais heureux. Il faisait un temps magnifique, et les vacances commençaient enfin. Nous avons tout de suite profité de la mer et du soleil. La première semaine, nous avons alterné entre visites touristiques, siestes sur la plage et dîners dans de petits restos artisanaux. Cela faisait une semaine et demie que nous avions atterris, et le douze août, je m’en souviendrais toute ma vie, nous nous promenions en ville, tranquillement, quand une jeune espagnole renversa sa glace sur ...

- Josh, compléta Madeline sans réfléchir.

- Ce serait la suite logique, tu as raison, mais ce n'est pas comme ça que ça s'est déroulé. En fait, Carla a percuté ton père ...

- Papa ?! demanda Madeline précipitamment, qui croyait avoir mal compris.

- Oui, Papa. Il était habillé d'un t-shirt blanc, qui s'est retrouvé maculé de glace au chocolat. Le pauvre se contenait pour ne pas embarrasser plus Carla, qui était déjà tellement mal à l’aise ...

Madeline n’écoutait plus le récit de sa mère. Elle croyait défaillir. Avait-elle bien entendu ? Bien compris ? Non, c’était impossible … Madeline n’avait lu qu’une seule et unique fois les lettres de Carla, mais elle se souvenait des mots de chacune d’elles, comme si elle venait de les parcourir. Elle se souvenait qu’une des lettres évoquait sa rencontre avec l’homme qu’elle aimait, à l’époque de ses confessions. Une rencontre pour le moins originale puisque c’est en renversant sa glace sur lui qu’elle lui avait parlé pour la première fois. Mais Madeline avait peut-être déformé les propos de sa marraine. C’est en bousculant un homme qu’elle a ensuite rencontré celui qu’elle aimait. Ce n’était simplement pas le même homme.

- ... à la plage tous les quatre, et Carla …, continuait Evelyn, sans avoir remarqué l’angoisse qui s’emparait de sa fille à chaque seconde qui passait.

- Maman, excuse-moi, mais j'ai oublié que je devais appeler Ezi, la coupa Madeline brusquement, en se levant précipitamment du banc.

Elle espérait que son meilleur ami serait chez lui, et qu’il pourrait lui fournir l’information dont elle avait besoin pour ne pas s’évanouir de panique.

- Maddie, tu vas bien ? Tu es toute pâle, et tu sembles agitée, s’inquiéta Evelyn.

- Oui, oui, c'est juste que je viens de me rappeler que j'avais promis à Ezi de l'appeler après nos retrouvailles et que j'ai oublié. Il a seulement besoin que je le rassure. Je reviens dans cinq minutes, promis.

Sans attendre de réponse de la part d’Evelyn, Madeline s’éloigna hâtivement. Elle priait Dieu - en qui elle ne croyait pas - pour s’être trompée. Darryl ne pouvait pas faire partie de l’histoire, pas de celle-ci, pas de celle de Carla. La boule au ventre, Madeline cliqua sur le nom de son meilleur ami dans ses contacts. Je t’en supplie, réponds, réponds, le suppliait-elle silencieusement.

Madeline tremblait de tout son être, et sa gorge, tellement sèche, lui faisait un mal de chien dès qu’elle avalait sa salive. Son corps tremblait, et des frissons la parcoururent, malgré la chaleur extérieure. Elle avait peur, très peur. L’angoisse la tenaillant la fit asseoir au pied d’un arbre. Elle ne souhaitait pas s’écrouler pour cause de stress trop intense.

- Maddie ? Ne me dis que tu veux déjà revenir …, déclara Ezequiel lorsqu’il décrocha enfin.

- Va chercher les lettres de Carla, le coupa Madeline. Il faut absolument que je vérifie un truc. C'est très important, Ezi.

- D'accord, d'accord, j'y vais, pas la peine de prendre ce ton avec moi. Tu sembles complètement affolée, tout va bien ?

- Magne-toi, Ezequiel !

- Très bien, un peu de patience, je ne vole pas encore.

Madeline ne répondit pas, elle était trop tourmentée pour relever sa pointe d’humour. Imaginer un instant que Darryl et Carla avaient pu avoir une aventure faisait naître en elle des sentiments nouveaux. Un mélange de colère et de dégoût, avec un soupçon de tristesse. Ses parents s’aimaient depuis le lycée, et Madeline croyait en leur amour dur comme fer. Elle s’était tout simplement trompée.

- Maddie, tu es là ? l’interpella Ezequiel au bout du fil.

- Oui, oui. Trouve-moi le passage où Carla parle d'une glace renversée. Je crois que c'est dans les premières.

- D'accord, mais pourquoi tu veux savoir ça ?

- Ne pose pas de questions et cherche, Ezi, lui ordonna-t-elle. Je t'expliquerai plus tard.

- Est-ce que tu as du nouveau concernant mon père ?

- Je ne sais pas encore, mais si tu me retrouves ce passage, il est probable que oui.

Madeline entendit alors le bruit des papiers qu’on froisse, et percevait le souffle de son meilleur ami, nettement plus calme que le sien.

- C'est bon, j’ai ! Qu'est-ce que tu veux savoir, au juste ?

- Lis-moi tout le paragraphe, lui intima-t-elle.

- Hmm ... Ok, alors : "Je suis tellement heureuse en ce moment-même. Je t'ai toi, et je ne voudrais rien d'autre au monde. Qui aurait cru que presque huit mois après avoir quitté mon pays que j'adore tant, je sois aussi heureuse ? Je crois bien que de tous mes actes insensés que j'ai pu faire jusque ici, celui-ci est le meilleur. Il m'apporte joie, amitié, amour, tout ce dont peut rêver une femme dans sa vie. C'est drôle quand on y pense, sans ma glace renversée sur ton t-shirt, je ne t'aurais jamais adressé la parole, nous n'aurions jamais passé un été tous ensemble et je ne serais jamais ici, avec toi." Tu veux la suite ?

- Non, c'est bon, répondit Madeline, accablée. J’ai ce qu’il me fallait …

- Tu peux m'expliquer maintenant ?

- Ce n'est pas sur Josh que Carla a renversé sa glace ce jour-là, Ezi, et ça explique tout. Le fait que ton père l'ait quittée avant de connaître ton existence, nos yeux de cette même nuance émeraude, Carla qui ne pouvait pas parler de son histoire d’amour à ma mère, sa meilleure amie, et …

- Attends deux secondes ! l’arrêta Ezequiel qui ne comprenait pas ce que lui disait Madeline. Qu’est-ce que tu racontes ? Qui est mon père ?

- C’est horrible … Ezi, toutes ces années de mensonge. Ça recommence, tu m’entends ? Encore et toujours des cachotteries.

- Madeline, je ne comprends strictement rien ! Dis-moi clairement ce qui se passe.

- Ton père est … Je veux dire, il n’est pas celui que …, bégayait Madeline, qui ne savait comment l’annoncer.

- N’aies pas peur, Maddie. Même si tu ne me l’annonces pas de la bonne manière, ce n’est rien. Je suis prêt à tout encaisser. Alors, réponds-moi, qui est mon père ?

- Le mien, Ezi. Tu es mon demi-frère.

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