XXXI - Réunion familiale 

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Mardi 24 juillet 2018, 23h20, à Milwaukie

Cela faisait cinq minutes que Madeline était plantée devant sa maison, ne sachant pas quoi faire. Devait-elle frapper, pour prévenir de son arrivée ? Ou plutôt entrer comme à son habitude et crier à tue-tête qu’elle était là ? Et si tout le monde dormait ? Seule la lumière du salon était encore allumée, mais il n'était pas rare que le dernier Peterson à se coucher ait oublié de l'éteindre.

Carla avait insisté pour rester jusqu’à ce Madeline passe le pas de la porte d'entrée. Elle se tenait donc dans sa Ford Mondeo, le regard rivé sur le corps immobile de sa filleule. Qu’attendait-elle donc pour courir embrasser sa famille ? Puis, elle vit les épaules de Madeline remonter, comme si elle prenait une grande inspiration. Enfin ! La voilà qui avança, montant les marches de son perron. Lorsqu’elle se retrouva le nez devant la porte d’entrée, elle se retourna et adressa un dernier signe d’au revoir à sa marraine. Cette dernière lui répondit par un large sourire et enclencha la première. Il était temps pour Carla de rentrer chez elle.

Fébrile, Madeline posa une main sur la poignée et appuya doucement. La porte s’ouvrit dans un léger grincement, et du plat de la main, Madeline la poussa un peu plus. Une délicieuse odeur de pancakes envahit ses narines, et un rire enfantin fit le chemin jusqu’à ses oreilles. Theo.

Les jambes tremblantes, Madeline entra dans le vestibule, refermant la porte derrière elle en prenant garde de ne pas la claquer. Elle voulait observer à loisir sa famille avant de devoir entamer une sérieuse discussion. Elle passa donc une tête dans le salon, et découvrit les Peterson assis au sol, réunis autour de la table basse. Sur celle-ci trônait un plat de pancakes, entouré de toutes sortes de pots en verre pour les agrémenter.

Comme si Theodore avait senti la présence de son aînée, il releva la tête, et son regard croisa celui de Madeline. Cette dernière n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche pour annoncer à tous son arrivée que Theo se jetait dans ses bras. Madeline se planta dans l’entrée du salon, et lâchant son sac au sol, elle accueillit son frère en le serrant e toutes ses forces. Les cheveux de son benjamin avaient, comme toujours, cette divine odeur de pomme et Madeline réalisa que, de tous les membres de sa famille, c’était son frère et son énergie débordante qui lui avaient le plus manqué. Après l’avoir envahi de baisers, que Theo avait bien volontiers acceptés, la jeune capitaine le posa délicatement sur la terre ferme. Le couple Peterson, attendri, contemplait cette démonstration d’affection entre leurs deux enfants. Evelyn, les yeux humides et les joues rosies de bonheur, souriait devant le retour de sa fille. Quant à Darryl, il couva son aînée d’un regard rassurant, lui signifiant qu’il ne lui en voulait pas d’avoir quitté leur maison.

Madeline savait qu’une conversation s’imposait d’urgence, mais ce soir, elle voulait seulement profiter de leurs retrouvailles, s’imprégner de la bonne humeur ambiante et partager un moment de gourmandise avec les êtres les plus chers à ses yeux. Prenant la main de Theo, Madeline descendit les quelques marches qui conduisaient au salon, et alla s’installer en face de ses parents.

- Bonsoir tout le monde, les salua-t-elle.

- Bonsoir à toi, Maddie. Content de te voir rentrer à la maison, chérie.

- Contente d'être rentrée, Papa, affirma Madeline en retour.

Evelyn, quant à elle, était trop émue pour prononcer un mot. Elle se contenta de tendre la main vers sa fille, que celle-ci étreignit sans l’ombre d’une hésitation. Sentir la paume de Madeline dans la sienne procura un bonheur intense à Evelyn. Sa fille était enfin de retour parmi sa famille !

Theo servit alors un pancake à sa sœur, et la soirée se poursuivit dans une ambiance légère et joyeuse, comme n'importe quelle soirée en famille.

***

1h15

Dans la cuisine, Madeline aidait sa mère à placer leurs couverts sales dans le lave-vaisselle. Theodore s’était endormi il y avait maintenant une bonne demi-heure, laissant Madeline terminer la soirée, seule, avec ses parents. Ils avaient discuté calmement de leur dispute, ainsi que de Naomi et des circonstances de sa disparition. Le couple Peterson avaient expliqué à leur fille le pourquoi de leur mensonge, et avant été ravis de constater qu’elle avait enfin compris leurs raisons. La jeune blonde s’était ensuite excusée pour son comportement, ses paroles blessantes et les jours douloureux qui avaient suivis. Darryl avait conclu en avouant qu’ils étaient une famille, qu’ils s’aimaient et ne devaient jamais l’oublier.

En finissant les pancakes restants, Madeline avait parlé à ses parents de la soirée sur Elk Rock Island, de son bonheur de retrouver ses amis et de s’amuser après tous ces évènements malheureux. L’infidélité de Jared, la découverte de Naomi, l’amour entre ces deux meilleurs amis … mais Madeline se sentait enfin épanouie, et ses parents en furent très heureux. Elle ironisa aussi en déclarant qu’Ezequiel s’était révélé être un grand sentimental, lors de son départ de Monroe Street. Ses parents avaient ri aux éclats, et Madeline avait senti une intense chaleur irradier sa poitrine. Ses confessions avaient pris fin après que Madeline ait rapidement évoqué sa discussion avec Jared. Elle se contenta du minimum, seulement que son ex-petit ami avait voulu la reconquérir, mais qu’elle était - et pas peu fière de l’être - définitivement passée à autre chose.

- Maman ? l’interpella Madeline en refermant la porte du lave-vaisselle.

- Oui, chérie ?

- Est-ce que Carla te parlait de sa vie amoureuse, quelque fois ?

Madeline avait encore en mémoire la dernière lettre de sa marraine, et souhaitait, autant qu’Ezequiel, comprendre le sens de ses paroles.

- Comment ça ?

- Eh bien … Est-ce qu'elle te racontait sa vie avec le père d'Ezequiel ? S’ils se disputaient, par exemple ? Est-ce qu’elle te faisait part de ses doutes, de son malheur ? Ou est-ce qu'elle était plutôt du genre à tout garder pour elle ?

- Maddie, déclara gravement Evelyn en reposant son torchon. Qu’est-ce qui te fait croire que Carla n’était pas heureuse en ménage ?

- Ce n’est pas ce que je veux dire, Maman. Mais, tu es bien placée pour savoir que dans un couple, il y a des hautes, comme des bas. Et je me demandais juste si Carla était du genre à raconter les bas, c’est tout.

- D’accord. Dans ce cas, est-ce que Faith te parle de son histoire avec Ezequiel ? Lorsqu’elle ne sent pas bien et veut confier ses états d’âme tourmentés ?

- Bien sûr. On se dit tout depuis gamines. Mais quel est le rapport avec Carla ? Demanda Madeline, fortement intriguée.

- Elle est ma meilleure amie. Depuis notre rencontre en Espagne, nous sommes chacune la confidente de l’autre. Je connais d’elle des secrets que je suis la seule à savoir. Dès qu’elle va mal, c’est vers moi qu’elle se tourne, comme quand elle va bien, d’ailleurs. Je suis au courant de ses failles et ses faiblesses, comme elle pour moi. Tu sais, Faith et toi êtes encore jeunes, et vos soucis ne sont encore que ceux de deux adolescentes. Mais, tu verras que lorsque vous serez adultes, vous aurez plus que besoin l'une de l'autre pour faire face à la vie, et vous serez chacune la première à connaître les tracas de l’autre. C'est comme ça que ça marche, l’amitié, Maddie, et ce, jusqu’à la mort. Voilà, tu as ta réponse. Elle te convient ?

- Euh … Oui. Merci, Maman. Je ne m’attendais pas à autant, mais ça me va. Et donc, est-ce que tout allait bien entre Carla et le père d’Ezi ?

- Tu as décidé de m’imposer un interrogatoire ? Carla m’a parlé de vos manigances, tu sais. Tu as essayé de lui soutirer des infos, et vu que t’as échoué, tu tentes avec moi, c’est ça ?

- Non, c’est juste que … Ezi n’en peut plus, de ne rien savoir sur son père. Il n’a même pas le droit de connaître son nom. Son nom ! Tu te rends compte ? Il a plus que besoin de réponses, pour avancer dans la vie, mais Carla n'arrive pas à le comprendre, et elle refuse de lui en donner. Je veux seulement l’aider.

- Et c’est tout à ton honneur, chérie, mais tu t’adresses à la mauvaise personne. J’ai toujours promis à Carla de ne jamais, jamais, rien révéler à Ezequiel concernant son père, et ce n'est pas demain la veille que je vais trahir ma promesse. Compris ?

Madeline soupira. Elle mettait tellement d’espoirs en cette conversation. Elle voulait seulement apprendre les raisons de la séparation de Carla et Josh lors de sa grossesse, rien de plus. Et cette histoire ne concernait pas que le géniteur d’Ezequiel, alors, peut-être qu’Evelyn allait céder. En tout cas, Madeline ne se démonterait pas. Ce n’était pas son habitude !

- Je ne te demande rien de tel. Tu sais bien que je suis la première à respecter une promesse, mais ma question ne compte pas vraiment dedans …

- Vas-y toujours …

- Pourquoi le père d’Ezi a quitté Carla, alors qu’elle venait d’apprendre qu’elle était enceinte ?

- De quoi tu parles ? La seule fois où il est parti, c’est en 2007. Jamais avant, répondit Evelyn, catégorique.

- Tu peux aussi bien me dire que tu ne veux pas me l’avouer, Maman. Je ne le prendrai pas mal, je t’assure.

- Maddie, ce n’est pas un mensonge. Je n’ai aucune idée d’où tu peux tenir ça, mais le père d’Ezequiel était le plus heureux des hommes lorsqu’il a appris qu’il deviendrait père.

- Mais imaginons qu’elle le lui ait dit quelques temps plus tard. Et qu’avant ça, il avait rompu. Tu pourrais en deviner les raisons ?

- Maddie, ne va pas chercher de mystère là où il n’y en a pas. Le père d’Ezequiel était très, très, très, amoureux de Carla. Il était enchanté d’apprendre qu’ils allaient devenir parents. Tu sais bien que je n’ai jamais réellement compris pourquoi il les avait abandonnés du jour au lendemain. Sa femme et son fils. Ils étaient tout pour lui ! Enfin bon … Laissons le passé là où il est, tu veux ?

- Oui, d’accord, accepta-t-elle, déçue de ne pas en avoir appris plus.

- Il ne faut pas que cette histoire te mine, chérie. Tu as déjà assez de soucis à gérer comme ça. Ezequiel est un grand garçon, il peut mener sa croisade tout seul.

- Il n’est pas aussi fort que tout le monde le pense, Maman. Et c’est pour ça que je me dois de l’aider.

- Écoute-moi bien, Maddie. L’après-midi où j’ai rencontré Carla, j’ai vu le père d’Ezequiel tomber raide dingue amoureux d’elle. Et jusqu’au jour il a fui, sans que je sache pourquoi, il ne s’est pas passé un jour où il a cessé de l’aimer. Il n’a même jamais eu de doutes quant à son amour pour elle. Parfois, la vie ne s’explique pas, c’est tout. Alors, si tu veux l’aider à obtenir des réponses, cherche là où il y a quelque chose à trouver, d’accord, chérie ?

- Oui, Maman. Je ne sais pas pourquoi j’ai pensé ça, sûrement que j’ai mal compris quelque chose que Carla a dit.

Evelyn acquiesça, mais ne fut pas convaincue. Jamais son amie n’évoquerait Josh ou sa vie avec lui en présence de Madeline. D’ailleurs, elle n’en parlait jamais, même avec elle. Comment sa fille avait-elle pu avoir une idée pareille, dans ce cas ?

- Je vais aller me coucher. Bonne nuit, M’man.

Madeline l’embrassa sur la joue, avant de l’étreindre rapidement. Evelyn oublia l’espace de quelques secondes ses interrogations, profitant des bras aimants de son aînée. Elle lui avait tellement manqué ! Puis, la jeune blonde s’écarta et sortit de la cuisine. Elle revint presque aussitôt, et lança à sa mère :

- Dis, Maman, tu pourrais me raconter votre rencontre, un jour ? Je veux dire, en détails. Tu as toujours été vague sur le sujet mais je meurs d’envie depuis que je suis petite de connaître l’histoire.

- Oui, d’accord. Je le ferai avec plaisir, chérie. Pourquoi on ne verrait pas ça demain ? Et, Maddie ? ajouta-t-elle alors que l’intéressée hochait affirmativement la tête. Je suis contente que tu sois de retour à la maison.

Madeline lui sourit, d’un sourire empli de tendresse et d’amour. Elle se dirigea vers le salon, où son père, imperturbable à l’heure avancée, lisait tranquillement son journal. La jeune capitaine récupéra ensuite son sac, qui gisait toujours près du mur du salon. Elle se hâta alors de rejoindre sa chambre. Que son petit nid douillet lui avait manqué !

La discussion avec Evelyn avait indiqué à Madeline de ne plus évoquer ce qu’elle avait appris grâce aux lettres. Apparement, sa mère n’était pas au courant de toute l'histoire entre Carla et ce Josh, et elle n’avait aucunement besoin de savoir que sa fille en connaissait plus qu’elle. Madeline décida de garder ces lettres pour elle, et utiliser leurs informations pour orienter sa prochaine discussion avec sa mère. Grâce aux feuillets - qu’elle refusait de lire au départ, - elle pourrait en apprendre encore plus, il suffisait juste qu’elle sache s’en servir.

Face à Madeline, son lit semblait l’appeler. Ses yeux peinaient à rester ouverts, et elle sentait ses forces la quitter. Il était temps pour elle de dormir, car tous ces derniers évènements l’épuisaient, aussi bien moralement, que physiquement.

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