XXVIII - La boîte secrète

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Mardi 24 juillet 2018, 20h30, à Milwaukie

- Je peux aller lui régler son compte une deuxième fois, si tu veux.

- Ezi, la violence ne résout rien, on ne te l’a jamais dit ?

- Si, mais ça fait un bien fou. On ne te l’a jamais dit ? l’imita Ezequiel sur un ton moqueur.

- Tu sais …, commença Madeline, gênée. Je ne t’ai jamais … remercié, pour cette fois où tu as été te venger pour moi. Alors, du fond du cœur, merci Ezi. Et je pense qu’il en avait bien besoin.

- De rien, Maddie, c’est mon devoir de te protéger. Mais c’était aussi parce que ça me démangeait depuis des années. Est-ce qu’un jour, tu m’expliqueras enfin ce que tu faisais avec lui ?

- Oh, s’il te plaît, Ezequiel ! On a déjà eu cette conversation des centaines de fois, au tout début de notre relation, tu ne penses pas qu’on a fait le tour du sujet ?

- Si, mais …

- Il n’y a pas de « mais », le coupa froidement Madeline. J’étais amoureuse de lui, je voulais être avec lui, point barre. Maintenant, je veux passer à autre chose, et qu’on arrête d’en parler, d’accord ?

- D’accord, Maddie. Mais si un jour, tu as besoin, sache que mes poings sont prêts …

- Ezi ! Tu vas arrêter, oui ? l’arrêta-t-elle en lui décochant un coup dans l’épaule, de toute la force qu’elle possédait.

Ezequiel vacilla à peine, et découvrant l’air sérieux et presque violent de sa meilleure amie, il comprit qu’elle avait eu pour projet de lui faire du mal. Cette constatation lui procura un fou rire, bientôt communicatif. Les deux amis rirent ensemble, évacuant le stressa accumulé depuis quelques jours. Lorsqu’ils cessèrent enfin, Madeline avait les larmes aux yeux, et fut heureuse de se rendre compte que ses larmes étaient positives. Quelque chose qui ne lui était pas arrivé depuis ce qui lui semblait un siècle.

- T’as quand même une sacrée force pour un petit gabarit comme le tien, remarqua Ezequiel, toujours amusé.

Madeline lui tira puérilement la langue, et lui assena un autre coup. Mais Ezequiel la vit venir, cette fois-ci, et esquiva le coup. Il retomba contre ses oreillers, l’esprit ailleurs. Madeline s’étonnait de ce soudain changement d’humeur, mais ne lui posa aucune question. Elle avait appris, avec le temps, de laisser venir Ezequiel. Lorsqu’on insistait, le jeune hispanique avait tendance à se braquer, et se replier sur lui-même, avec avec ses proches. Alors Madeline attendit qu’il prononce un mot, mais Ezequiel, les yeux rivés sur le plafond, n’avait pas l’air enclin à le faire.

Madeline se glissa à ses côtés. Elle laissa ses pensées vagabonder, et revit sans tarder le regard désespéré de sa mère, qu’elle avait posé sur elle quand Madeline avait ramené Theo, après son entraînement. La jeune capitaine repensa à la main tendue d’Evelyn, et à son propre mouvement de recul. La souffrance qui traverse les iris bleus de sa mère, le poignard qui lui taillade la poitrine. La rage s’était peu à peu remplacé en manque. Un manque de plus en plus grand, et que même l’amour de Carla et son fils ne pouvaient remplacer. Sa mère lui manquait, comme jamais auparavant. Leurs séances shopping, leurs après-midis à cuisiner des gâteaux, leurs soirées avachies dans le canapé, à regarder des romances à l’eau de rose. La complicité qui les unissait, leur capacité à se comprendre d’un regard, leurs goûts presque similaires et la connaissance parfaite qu’elles avaient l’une de l’autre. Autant de choses qui créaient ce manque béant dans le cœur de Madeline. Elle souhaitait plus que tout retrouver sa mère, même si cela signifiait oublier sa rancœur, et leur pardonner. Elle se sentait si éloignée de sa famille que Madeline était prête à reconsidérer ses sentiments. Passer outre l’amertume, l’emportement, la fureur. Et préférer l’amour, la tendresse et l’acceptation.

- Maddie ?

- Hmm …, répondit-elle, rêveuse.

- Qu’est-ce que tu répondrais si je te disais que j’ai aperçu une boîte à chaussures à moitié dissimulée dans la chambre de ma mère ? Et que je pense que je ne devrais en aucun cas la trouver, et encore moins l’ouvrir ?

- De la laisser à sa place ? tenta Madeline, tout à fait revenue à elle.

Elle doutait que la réponse convienne à son meilleur ami, qui n’avait rien perdu pour attendre. Madeline avait à peine eut le dos tourné, qu’il s’était empressé d’aller jeter un œil dans la chambre de Carla !

- Mauvaise réponse, déclara-t-il sans susciter la surprise de Madeline. Moi, j’aurais plutôt dit, qu’est-ce que t’attends pour aller la chercher ?

- Ezi … Je t’ai déjà répété, l’autre jour, que je refusais de fouiller dans les papiers de Carla. Et ça n’a toujours pas changé.

- Maddie, tu ne vas rien fouiller, puisque c’est moi qui vais y mettre les mains. Tu seras une simple spectatrice, rien de plus. Ça ne pose pas de problèmes à tes principes, ça, si ?

Madeline poussa un soupir de contrariété. Elle savait qu’il ne servait à rien de résister, Ezequiel gagnait toujours. Et cela la mettait hors d’elle ! Elle lui avait bien spécifié ne pas vouloir mettre le nez dans les affaires personnelles de sa marraine, et voilà que son fils trouvait le moyen de détourner ses paroles à son avantage. Car ce qu’il disait prenait tout son sens. Techniquement, si Madeline n’y touchait pas, elle ne fouillait pas. Mais, pour elle, c’était la même chose ! Cependant, elle ne tenta pas de s’opposer. C’était perdre du temps et de l’énergie inutilement.

- Repère bien son emplacement, histoire de la remettre à sa place exacte ensuite, déclara-t-elle simplement.

Ezequiel lui adressa un sourire franc, avant de déposer un baiser sur son front. Il sauta de son lit, et se précipita dans le couloir. Il revint presque aussitôt, la fameuse boîte à la main.

- La voici !

Carla était au travail, et les deux amis n’avaient pas à craindre d’être pris en flagrant délit de voyeurisme sur la vie personnelle de sa propriétaire. En tant que « technicienne de service » - dans un jargon plus familier, femme de ménage, - Carla possédait un emploi du temps variable. Elle pouvait être de corvée aussi bien le matin que le soir, mais depuis quelques temps, elle troquait ses matinées contre les soirées de sa collègue, Alice Jones. Ce qui laissait aux jeunes gens plusieurs heures devant eux.

Ezequiel posa la boîte devant Madeline, assise en tailleur sur le lit. Elle découvrit un emballage des plus simples, appartenant à une marque de chaussures espagnole qu’elle ne connaissait pas.

- Prête à ouvrir la boîte de Pandore ?

- Moi, je ne fais rien. Je te rappelle que je suis une simple spectatrice. Alors, si toi, tu es prêt, vas-y. Je te regarde.

Ezequiel lui décocha un regard stupéfait. Il ne pensait pas que Madeline appliquerait ses dires. Cette histoire d’être spectatrice était un argument qu’il avait déniché rapidement pour la faire céder. Pas quelque chose qu’il pensait vraiment. Il ne s’attarda pas, découvrir le contenu de la boîte lui brûlait les doigts.

Sans quitter Madeline des yeux, le jeune hispanique souleva le couvercle et le déposa à sa droite. Puis, il dirigea son regard vers l’intérieur du carton. À l’intérieur, des photos, beaucoup de photos, se chevauchaient les unes sur les autres. De couleurs passées, elles semblaient toutes dater d’il y avait au moins une quinzaine d’années, les coins abîmés pour certaines, tandis que d’autres paraissaient réellement jaunies.

Madeline contemplait les clichés, reconnaissant Carla sur la première. Elle jaugea son meilleur ami du regard, qui n’avait pas bougé d’un poil. Il semblait hypnotisé par les instantanés, peut-être choqué de découvrir sa mère à un âge aussi jeune ? Ou y’avait-il autre chose ?

Oubliant ses principes et ses promesses, Madeline prit l’initiative de saisir la première photo. Carla y posait, âgée d’environ vingt ans de moins, entourée du couple Peterson, tout aussi jeunes. Bras dessus, bras dessous, ils souriaient de toutes leurs dents à l’objectif. Un autre homme composait le quatuor d’amis, quelqu’un que Madeline se souvenait vaguement avoir croisé dans sa vie, même si elle ne saurait dire quand exactement. Le père d’Ezequiel ? Était-ce pour cette raison qu’il était resté interdit devant les clichés ? Parce qu’il découvrait le visage de son géniteur, pour la première fois de sa vie ? Madeline avait l’impression de le reconnaître. Son cerveau lui indiquait-il qu’elle n’avait pas complètement perdu tous ses souvenirs d’avant ses six ans ? Car c’était durant cette année que le père d’Ezequiel les avaient abandonnés, lui et sa mère. Un espoir naquit dans le cœur de Madeline. Elle n’avait pas tout oublié de cette période. Un jour ou l’autre, sa mémoire lui reviendrait complètement, et ses souvenirs de Naomi avec.

Sans une parole, Madeline la tendit à son meilleur ami, s’emparant de la suivante. Seules Evelyn et Carla y apparaissaient. Collées l’une à l’autre, en maillot de bain, elles semblaient heureuses d’être là où elles étaient. Carla avait les cheveux tellement longs que la photo ne permettait pas d’en voir le bout de ses pointes. Quant à Evelyn, elle était coiffée d’un chignon négligé, surmonté d’une paire de lunettes de soleil qui ressemblait en tous points à l’accessoire fétiche de sa fille.

Reproduisant son geste précédent, Madeline laissa Ezequiel découvrir ce suons instantané. La jeune capitaine se saisit d’une troisième photographie, celle d’un couple, heureux et souriant. Carla, à gauche, apparaissait avec une tresse et un bikini différent de celui de la photo d’avant. L’homme à ses côtés, le même que sur le premier cliché, tenait la mère d’Ezequiel à la taille, le regard dévorant amoureusement son visage. Madeline comprenait mieux sa mère, lorsqu’elle lui assurait que l’homme qui avait partagé la vie de Carla était fou d’elle. Car sa position proche de Carla, et ses yeux reflétant l’amour et le désir le prouvaient. Il était difficile de croire que, moins de dix ans plus tard, ce même homme s’enfuyait, abandonnant femme et enfant derrière lui.

Madeline reproduit son petit manège, et remarqua qu’Ezequiel avait laissé la photo de leurs deux mères sur le côté, préférant se concentrer sur le visage de son père. Il ne semblait pas prêt à détacher ses yeux de ce premier cliché, et Madeline n’osa pas le déranger. Elle se contenta de créer une pile des photos consultées, laissant à son meilleur ami tout le temps qu’il lui fallait pour les regarder à son tour. Bientôt, tous les instantanés étaient posés sur le lit, ne restait dans la boîte que des feuilles pliées en deux. À travers le papier, Madeline pouvait discerner des écritures, au stylo noir, et devina alors que c’étaient des lettres.

- Ezi ? Tout va bien ? lui demanda-t-elle délicatement.

- Hmm … Je découvre pour la première fois le visage de mon père, et je suis en train de me demander sérieusement pourquoi ma mère n’a jamais voulu me montrer ces photos.

- Elle a sûrement ses raisons. Étranges, d’ailleurs. Après tout, on n’a jamais vu cet homme, c’est pas comme s’il se révélait être quelqu’un d’important dans notre vie et que ça t’aurait anéanti ou quoi, il est juste un inconnu sur une photo.

- Tu as raison, c’est tellement étrange. Maintenant, je connais son nom et son visage.

- C’est quoi, déjà, son nom ?

- Josh. Josh McGregor.

***

21h45

Voilà une bonne heure que les deux jeunes amis passaient au peigne fin chaque photo, découvrant ainsi leurs parents alors qu’ils n’avaient qu’une vingtaine d’années. Tous les clichés semblaient avoir été pris le même été, celui que devinait Madeline être celui de leur rencontre. À chaque nouveau cliché, Ezequiel et elle y allaient de leur petit commentaire, s’amusant du look de l’époque et des grimaces ridicules de leurs parents.

- Nous les avons toutes vues, annonça Ezequiel après qu'il ait eu posé le dernier Polaroïd devant lui.

- Exact. On range ça à sa place, alors ? lança naturellement Madeline, en priant pour que son meilleur ami n'ait pas remarqué les feuilles restantes dans la boîte.

- Sans lire ces lettres que t'essaies en vain de cacher ? Tu rigoles, j’espère.

- Ezequiel, je pense qu’on en a assez appris pour aujourd’hui, tu ne crois pas ? Des lettres, c’est tellement perso.

- Des photos, aussi, ça ne t’a pourtant pas empêchée de toutes les regarder.

- C’est vrai mais … dans les lettres, les gens expriment leurs sentiments, ils racontent des épisodes de leur vie qu’ils n’oseraient jamais évoquer à voix haute. Des lettres, c’est un peu comme un journal intime, sauf qu’on les adresse à quelqu’un d’autre que soi, et qu’une personne les lit, mais au fond, c’est le même principe.

- Maddie, imagine si elles proviennent de mon père, je suis peut-être à deux doigts de découvrir pourquoi il ne m’a donné aucune nouvelle depuis son départ. C’est important pour moi, comme ça sera important pour toi de découvrir des photos de Naomi, des dessins d’elle ou des petits mots qu’elle aurait gribouillés. S’il te plaît.

Madeline lui tendit la boîte à contrecoeur, où toutes ces feuilles, si intimes, s'apprêtaient à être lues. Ezequiel se saisit de la première, la déplia et la parcourut du regard, avant de la lire entièrement. Comme Madeline il y a quelques instants, il allongea son bras pour la lui donner, lorsque sa lecture fut terminée. Devant le manque de mouvement de son amie, Ezequiel leva les yeux de la deuxième lettre qu’il avait déjà prise, l’interrogeant du regard.

- Je refuse, Ezi.

- Je te jure qu’il n’y a rien de trop perso, elle est écrite de la main de ma mère.

- De Carla, mais pourquoi … ?

- Parce qu’elle n’a jamais eu le courage de l’envoyer, c’est ce qui est marqué. Elle dit aussi qu’elle en écrira d’autres, mais qu’aucune ne sera jamais postée. Je crois qu'elle écrit à l'homme dont elle est amoureuse, donc il y a de grandes chances pour que ce soit mon père.

Toujours inactive, Madeline se contenta de fixer Ezequiel avec un regard réprobateur. Elle était absolument contre l’idée de fouiner dans les affaires de Carla, et lui avait bien spécifié. Les photos représentaient déjà une incartade à ses principes, et Madeline ne vouait en aucun cas réitérer la chose. Ezequiel pouvait essayer de l’attendrir avec ses yeux de cocker, Madeline ne céderait pas ! Des Polaroïd, pass encore, surtout que ses propres parents se trouvaient sur pratiquement tous, mais des lettres, écrites de la main de sa marraine, qu’en plus, elle avait pris soin de cacher ? Äs question.

- Maddie, si tu ne prends pas cette feuille maintenant, je te les lirai toutes à voix haute, car il est hors de question que je sois le seul à devoir prendre connaissance de la vie sentimentale de ma mère.

- Si tu n'as pas envie de connaître la vie amoureuse de Carla, tu n'as qu'à reposer ces lettres, répondit Madeline d’une voix autoritaire.

- Sûrement pas ! Elles sont une aubaine pour moi, Maddie. Voilà trop de temps que je demande des réponses concernant mon père, et elles sont enfin sous mon nez. Maddie, s'il te plaît, on s'est embarqués là-dedans à deux, je veux terminer ça à deux aussi, répliqua Ezequiel. Et ça fait partie du deal, je te rappelle.

- Pas du tout ! On s’était mis d’accord pour s’entraider, mais lire ces feuilles ne requiert pas mon aide. Et ne me fais pas ces yeux de chien battu, ajouta-t-elle. Est-ce trop dur pour toi de te voir refuser quelque chose ?

- Touché ! Surtout venant de toi, je n’accepte aucun refus. Maddie, je t'en supplie, j'ai besoin de toi sur ce coup-là. Je suis persuadé que je suis sur le point de découvrir quelque chose de crucial sur mon père, et j'ai besoin que tu sois là pour me soutenir. Peux-tu faire ça pour moi ?

- Comme toujours, c'est toi qui gagne.

Ezequiel lui adressa un sourire triomphant, accompagné d'un regard semblant signifier : « je sais bien que t'allais céder à un moment ou à un autre ». En parfaite petite boudeuse, Madeline lui tira la langue et croisa ses bras sur la poitrine. Elle voulait prouver à son ami que même si elle avait accepté, elle ne le ferait pas avec plaisir, bien au contraire.

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