XXVII - Règlement de comptes

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Mardi 24 juillet 2018, 13h40, à Milwaukie

Confortablement allongée sur un transat, Madeline écoutait Ezequiel lui faire le récit de la fin de soirée, la meilleure partie selon lui, qu’elle avait - à son plus grand désespoir - raté.

- … et là, comme ça, alors qu’on est tous posés, tranquilles, à écouter le feu crépiter et à regarder les étoiles, il l’attrape et l’embrasse. Mais vraiment, même Lorell était super étonnée, enfin après le baiser, parce qu’à ce moment-là, on ne voyait pas vraiment l’expression de son visage. Personne ne parlait, ça faisait bien trente bonnes minutes qu’on était tous allongés. Je ne sais pas depuis combien de temps il étudiait la question, mais personne n’en revenait.

- Tu me fais regretter d’être partie, c’est malin. Je pensais qu’il ne se passerait plus rien d’intéressant, moi, annonça Madeline dans une moue déçue.

- C’est pas tout, après qu’ils aient eu fini, ils se sont levés et sont partis, sans dire au revoir. Ils ont presque couru. Paul a même oublié sa guitare à côté du sac de Lorell.

- Non ?! Il faut absolument que je l’appelles, pour savoir s’ils sont ensemble ou pas, maintenant.

- Même pas besoin d’en avoir un des deux au téléphone pour savoir qu’ils se sont bien amusés toute la nuit, et qu’ils vont sûrement recommencer, répliqua Ezequiel d’un ton aguicheur.

- Bien sûr, le sexe. Tu penses un peu que les gens ressentent des choses, qu’ils ont des sentiments ?

- Oui, mademoiselle, je te signale que je suis en couple, et très amoureux, alors je sais ce que c’est que de ressentir des choses. E je sais aussi, qu’à un moment, dans un couple, même amoureux, on couche ensemble. C’est la vie. On va pas se regarder dans le blanc des yeux pendant une décennie, tout en contant fleurette. Ne me dis pas que Jared et toi ne l’avez jamais fait ?

- Non mais … j’y crois pas, est-ce que ça te regarde ?! lui lança-t-elle d’un air choqué.

- Vous vous êtes protégés au moins ?

- Mais t’as fini, oui ?! le réprimanda-t-elle, en lui assénant un coup de poing sur l’épaule.

Ezequiel ria, si fort qu’il manqua perdre l’équilibre et tomber de son transat. Tout d’un coup, la sonnerie du téléphone de Madeline se fit entendre, et lorsqu’elle l’eut attrapé, elle découvrit une photo d’elle et sa mère sur l’écran. Hésitante, Madeline laissa planer son doigt au-dessus de son portable, sans oser répondre. Elle n’était pas sûre d’être prête, et rien que d’imaginer entendre la voix de sa mère lui pinçait le cœur. La sonnerie se stoppa, seule, et Ezequiel l’interrogea du regard.

- C’était ma mère, mais je n’ai pas osé répondre.

- C’était peut-être important, rappelle-la, lui conseilla son meilleur ami.

- Ouais …

Madeline déverrouilla son téléphone, et se rendant dans son journal d’appels, elle cliqua sur « Maman ». Elle attendit, la boule au ventre, que celle-ci réponde, chaque bip agrandissant son appréhension.

- Ah Maddie, ça va, ché …, euh … hmm … Tu vas bien ?

- J’ai connu mieux, lui répondit-il sobrement.

- Oui, je comprends … Enfin, je t’ai appelée parce que Theo refuse d’aller à son entraînement si ce n’est pas toi qui l’y conduis. Alors, je …

- On est mardi. Qu’est-ce qui s’est passé hier ?

- Damin ne pouvait pas assurer le cours, alors il l’a repoussé à aujourd’hui. Tu pourrais peut-être venir, si tu n’as rien d’autre à faire ? Enfin, si tu veux, sinon …

- J’arrive, la coupa-t-elle.

Puis, ne sachant pas quoi ajouter de plus, Madeline raccrocha. Elle respira un grand coup, espérant de cette façon se libérer du poids qui lui comprimait la poitrine. La voix hésitante de sa mère, d’habitude si confiante, lui avait en porté un coup.

- Je dois y aller, apprit-elle à Ezequiel. Theo veut que ce soit moi qui l’amène à son entraînement de baseball, sinon il refuse de s’y rendre.

- Oh, très bien… Je peux t’accompagner, si tu le souhaites.

- Non, c’est bon, je vais me débrouiller. De toute manière, je prends Theo et je le ramène après. Je pense ne même pas descendre de la voiture.

- Maddie, n’oublie pas que tes parents souffrent autant que toi, et que la situation ne s’arrangera pas si tu les évites, lui rappela-t-il d’un ton désapprobateur.

- Ezi … Je t’ai fait une promesse, hier, non ? Lorsque je serai prête, j’irai les voir, mais le moment n’est pas encore venu. Je n’en ai pas la force, tu comprends ?

- Oui, désolé, fais comme tu l’entends, à ton rythme.

- Merci bien. À tout à l’heure, Ezi.

Madeline l’embrassa rapidement sur la joue, et consultant l’heure sur son téléphone, se hâta d’aller récupérer son sac. Si Madeline ne perdait pas de temps, son frère serait à l’heure à son entraînement. Donc, même si elle avait voulu toucher deux mots à ses parents, le temps l’en empêchait. Cette constatation la soulagea, et ce fut le cœur plus léger qu’elle pris place au volant de sa Chevrolet.

***

13h48

Madeline klaxonna une seconde fois. Garée devant sa maison, elle attendait l’arrivée de Theo. Ce dernier accourut enfin, suivie de près par Evelyn. La mère de famille adressa un signe de la main à sa fille, auquel Madeline répondit par un timide sourire. Lorsque son frère ouvrit la portière, la jeune blonde garda le regard fixé sur la route, et démarra en trombe dès que le déclic de sa ceinture se fit entendre.

- Tu es toujours fâchée avec Papa et Maman ? lui demanda Theodore sans prendre la peine de la saluer d’abord.

- Oui.

Le jeune garçon afficha une moue fortement déçue, et malheureuse. Il se renfrogna dans son fauteuil. Lui qui avait monté cette ruse pour que ses parents et sa sœur se parlent, c’était raté. Il détestait voir ses parents tristes, et ne pas croiser Madeline au petit-déjeuner. Elle lui manquait terriblement. Il avait l’impression que la maison n’était plus la même sans sa présence. En plus, personne ne voulait le mettre au courant du conflit familial, et ce n’était pas faute de ne pas poser de questions !

- Pourquoi tu es en colère contre eux ? renchérit Theodore.

- Parce que j’ai découvert qu’ils m’avaient caché un énorme secret, et pendant très longtemps.

- Un secret grave ?

- Oui, en quelque sorte. Tu sais, je ne suis pas seulement en colère, je suis aussi très déçue et très triste. Je n’arrive pas à oublier le mal que j’ai ressenti lorsque j’ai appris le secret, et c’est ce qui m’empêche de leur parler.

- Pourquoi ils te l’avaient caché ?

- Pour me protéger.

- Ah, et c’est mal, ça ? De vouloir protéger quelqu’un

- Non, bien sûr que non, mais … c’est plus compliqué que ça. Theo, je sais que tu n’aimes pas nous voir nous disputer, et je suis vraiment désolée, mais pour l’instant, je n’ai pas envie d’en discuter avec eux ou d’arranger la situation. D’abord, je dois me concentrer sur moi, parce que le secret m’a complètement chamboulée, tu comprends ? Mais ne t’en fais, je reviendrai à la maison, c’est juste que ça risque de prendre un petit de temps.

Theo acquiesça, sans en demander davantage. Madeline continua à rouler, comme seul bruit le son de la radio. À leur arrivée devant le lieu d’entraînement, Madeline aperçut Damin, au loin. Il lui adressa un signe de la main, accompagné d’un sourire immense.

- Je crois qu’il t’aime bien, annonça sérieusement Theo.

- Qui ça ?

- Bah, Damin ! Il te regarde toujours quand tu pars, et à chaque fois, il a l’air un peu triste.

- Tu dois te tromper, frangin. Allez, file, au lieu de raconter n’importe quoi !

- Tu l’aimes pas, toi, Damin ? C’est parce que t’es encore amoureuse de Jared, c’est ça ?

- Non, ça n’a rien à voir. Écoute, bonhomme, je ne connais pas Damin. Je veux dire, je sais juste qu’il s’appelle comme ça et qu’il entraîne les petits au baseball. Pour pouvoir te dire que je l’aime bien, il faudrait que j’en apprenne plus sur lui, tu vois ce que je veux dire ?

- Oui, je crois … Mais est-ce que tu vas te remettre avec Jared ?

- Non, absolument pas. Où te viennent des idées pareilles ?

- Là, répondit-il en indiquant de l’index le coin de la rue.

Madeline reconnut alors son ex-petit ami s’avançant vers leur voiture. Les mains dans les poches, il fixait Madeline.

- Qu’est-ce qu’il fout ici, cet enfoiré ? ronchonna-t-elle.

- Je t’ai entendue, Maddie.

- Oups, pardon, Theo, c’est juste que je ne m’y attendais pas du tout. Tu veux bien aller t’entraîner, maintenant ?

Theodore acquiesça, tout en lançant un regard noir à Jared. Il espérait secrètement que sa sœur tombe amoureuse de Damin, et que son entraîneur puisse l’aider quand il viendrait voir Madeline à la maison. En plus, il aimait beaucoup Damin. Il était sûr que jamais il ne pourrait faire de mal à sa sœur.

- Je reviens te chercher après ? se renseigna Madeline alors que son frère passait la grille de l’entrée.

Celui-ci lui adressa un sourire, tout en levant les deux pouces en l’air. Il courut ensuite vers ses camarades, où l’attendait Zoey. Puis il se retourna, et aperçut Jared se pencher à la fenêtre de Madeline. Délaissant son amie quelques minutes, il rejoignit Damin.

- Bonjour, Dam ! Je peux te poser une question ?

- Bien sûr.

- Comment on fait pour connaître des choses sur quelqu’un ? Je veux dire, pour apprendre à plus connaître une personne ?

- En général, on l’invite à un rendez-vous. Au restaurant, par exemple, ou au cinéma. Mais si tu parles pour Zoey et toi, tout ça me paraît un peu tôt.

- Non, je parle pour Maddie. Elle dit que pour l’instant, elle ne t’aime pas vraiment, mais c’est parce qu’elle sait pas assez de trucs pour toi. Alors, peut-être que si tu l’invitais à aller voir un film, ça changerait, non ? Après, je dis ça, c’est pour toi. J’ai bien vu que tu l’aimais bien, ma sœur, mais elle, elle aime pas trop ceux qu’elle connaît pas.

Damin écarquilla les yeux. Comment ce gamin de dix ans avait-il deviné son attirance pour Madeline ? Était-ce si flagrant ? Il releva le visage, et découvrant qu’elle discutait avec un jeune d’environ son âge, il sentit son visage se crisper. Oui, peut-être était-ce vraiment visible.

À l’entrée du parc North Clackamas, Jared avait un bras posé sur le capot, la tête rentrée à moitié dans l’habitacle. Il essayait de convaincre Madeline de discuter avec lui, mais elle se révélait être une vrai tête de mule. Il devrait bien le savoir, pourtant ! Après huit mois passés ensemble, il ne connaissait que trop bien son caractère entêté.

- Allez, accorde-moi seulement dix minutes. Peut-être quinze. Mais pas plus, je te le jure.

- Jared, je te le répète encore une fois, j’ai des trucs à faire !

- Ça peut bien attendre un quart d’heure. C’est vraiment important. Je ne t’embêterais pas, sinon.

- Je doute vraiment de l’importance d’une telle discussion. Trouve un autre argument et reviens me voir plus tard. Allez, salut !

- Et si on mangeait une glace ? proposa-t-il sans se démonter. Il me semble qu’il nous reste quelques combinaisons de parfums à tester.

À ce souvenir, le cœur de Madeline se serra. Elle savait que c’était une ruse pour l’avoir par les sentiments, et cela la mit encore plus en rogne. Il se servait d’elle, quel culot !

- Je te demande juste une glace et quelques minutes de ton temps. Rien de plus.

Son regard implorant, et l’amour que lui portait encore Madeline la firent céder.

- Dépêche-toi de monter avant que je ne change d’avis.

Jared sourit, triomphant. Il contourna rapidement la voiture, et prit place sur le siège occupé peu de temps avant par Theo. Madeline souffla assez fort pour qu’il perçoive son agacement, mais rien ne pouvait faire défaillir Jared. Il l’avait convaincue !

***

14h10

- Maddie, je tiens à m’excuser. Du plus profond de mon être, je suis désolé. Je regrette tellement qu’aucun mot n’existe pour exprimer ce que je ressens, depuis ce jour où tu nous as trouvés chez moi. Je m’en veux comme je ne m’en suis jamais voulu de quelque chose, j’ai envie de me frapper tous les jours, pour oublier la douleur qui me tenaille. Parfois, j’imagine qu’on se retrouve, et pendant un court moment, la souffrance laisse la place à un doux sentiment. Malheureusement, je sais que j’ai merdé comme jamais, et qu’il me faudra bien plus que des mots pour te reconquérir mais je suis prêt à tout pour toi. Tout, tu entends ? Je …

- Tu l’as revue, après.

- Quoi ?

- Après ce fameux jeudi matin, tu t’es affiché avec elle partout. En soirée, chez le glacier, avec nos amis. Elle t’a suivi comme un vrai petit chien. Alors, ne me parle pas de douleur ou je ne sais quoi, alors que tu as continué de t’amuser avec elle.

- C’est faux ! J’étais mal, vraiment mal. J’essayais juste de penser à autre chose, mais ça ne marchait pas. Tu es la seule qui compte, Maddie. Je t’assure, je m’en fous complètement d’elle, c’est toi que j’aime.

- J’ai comme la désagréable impression que tu te fous de ma gueule.

- Non ! Je te jure que je n’ai pensé qu’à toi, tout le temps. D’ailleurs, tout le monde me reprochait d’être mentalement absent !

- Donc, tu n’as pas recouché avec elle, depuis que je vous ai retrouvés à poil dans ton lit ?

- Maddie, le plus important, c’est que je sois persuadé que je t’aime, non ?

- T’es encore plus con que ce que je ne pensais ! Bien sûr que non, ce n’est pas le plus important ! Putain, mais tu réfléchis, un peu ? Tu te pointes comme une fleur, à me sortir un grand discours sur l’amour et toutes ces conneries, alors que tu te la tapes encore ?! Non, mais t’es vraiment sérieux, là ?! Tu ne pensais tout de même pas que j’allais retomber dans tes bras, alors que tu t’es comporté comme le dernier des connards ? Et que tu continues encore, en plus ? Tu me prends pour une idiote ? Pour la dernière des imbéciles ?

- Non, je ne t’ai jamais considérée comme une idiote. Tu es la plus parfaite des filles, Maddie, je …

- Ta gueule, putain ! Tu dis n’importe quoi. Je n’aurais jamais dû accepter de venir, c’était une perte de temps, déclara-t-elle en se levant du banc sur lequel ils s’étaient installés.

- Maddie, attends, s’il te plaît, attends, la supplia-t-il en lui attrapant le poignée. J’étais dans un état déplorable, je n’arrêtais pas de boire et …

- Et elle s’est encore retrouvée par hasard dans ton lit ? C’est ça ? Tu veux que je te dises, que tu m’aies trompée n’est pas le pire dans l’histoire, pour moi. Le pire, c’est qu’à un moment où tu étais censé être amoureux de moi, tu as été attiré par une autre fille. Tu l’as charmée tout en prévoyant de me trahir, à un moment ou à un autre. Tu as eu envie d’elle, alors qu’on était ensemble. L’acte en lui-même, c’est déjà tellement horrible, mais moi, ce qui m’as fait le plus mal, c’est tout l’avant, la pensée de me tromper, l’idée qui germe dans ton esprit, ta décision de le faire, alors que tu te disais m’aimer plus que tout au monde ! Voilà pourquoi je te déteste, parce que tu l’as séduite, comme tu m’as séduite moi. Tu la désirais et tu as tout fait pour coucher avec elle, parce que t’en avais envie ! Voilà ce qui m’a tuée le plus, l’envie. Alors ne viens me trouver avec tes phrases préparées à l’avance, espérant que je retombe dans le panneau, d’accord ? Débrouille-toi pour te trouver un autre pigeon, moi, j’ai assez donné !

Madeline jeta la glace à terre, et lui tournant le dos, retourna à sa voiture. La tête haute, fière de n’avoir versé aucune larme - alors qu’elle était devenue une véritable fontaine depuis quelques jours - elle s’installa à son volant. Ne pas avoir craquer était-ce le signe qu’elle était enfin passée à autre chose ? Ou cette discussion avait-elle terminé de lui prouver qu’elle avait tort d’accorder encore à Jared un minimum d’amour ?

- Maddie, laisse-moi une dernière chance ! Je t’en supplie ! l’implora Jared, à genoux sur le trottoir.

Sans plus s’occuper de lui, Madeline démarra au quart de tour, dépassant le banc et le misérable être à côté. Si Jared était sincèrement mal, tant mieux pour lui. Il n’a que ce qu’il mérite, pensa Madeline.

Attrapant son téléphone quand elle eut tourné au bout de la rue, elle appela Faith. Elle avait besoin de lui parler, besoin de lui avouer qu’elle avait gagné. Elle n’aimait décidément plus Jared, et elle voulait le fêter avec sa meilleure amie.

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