XXVI - Marshmallows grillés

15 minutes de lecture

Lundi 23 juillet 2018, 21h30, à Elk Rock Island

Un verre à la main, Madeline écoutait l’air de guitare que leur jouait Paul, les yeux perdus dans les flammes du feu devant elle. Si elle levait à peine la tête, elle pouvait distinguer Lorell et le guitariste d’un soir se contempler, des étoiles pleins les yeux. Ces deux-là se tournaient autour depuis des mois, attendant chacun que l’autre fasse le premier pas. Soit ils étaient idiots, soit ils aiment flirter. Puis, la phrase de Carla revint en mémoire à la jeune blonde. C’est simple, les feux de camps étaient les endroits où les couples se créaient. En sera-t-il le cas pour eux ?

Lasse d’être toujours entourée de couples, ou de gens simplement amoureux l’un de l’autre, Madeline se tourna vers le lac. Bientôt, le soleil allait se coucher, se réverbérant sur l’eau, et ira se cacher derrière les arbres. Elk Rock Island - seulement Elk Rock, pour les jeunes habitués - était un petit coin de paradis, presque coupé de toute civilisation. Seules les quelques maisons que l’on pouvait apercevoir, aux alentours, rappelait à quiconque se trouvant sur la petite île qu’il n’était pas complètement seul. Avec d’un côté, le lac et de l’autre, la forêt, c’était l’emplacement idéal pour une soirée tranquille entre amis. Le seul petit inconvénient résidait dans le composant de l’île : la roche ! Élément plutôt embêtant pour prendre une position confortable, mais les jeunes gens s’en attristaient guère. Elk Rock était leur endroit favori, et c’était toujours avec un fort enthousiasme et dans une ambiance festive et amicale que les lycéens se retrouvaient pour une soirée en plein air.

- Viens t’amuser avec nous, Maddie ! L’eau est délicieuse ! lui proposa Ezequiel, qui se baignait dans le lac avec la presque totalité de ses amis.

Les trois qui manquaient à l’appel étaient : elle, Madeline, qui avait pourtant revêtu son maillot de bain avant de partir, mais qui n’éprouvait aucune envie de se mouiller, ainsi que Paul et Lorell, trop occupés à se conter fleurette. Pourquoi personne ne les embête pour qu’ils piquent une tête dans l’eau, plutôt que de s’acharner sur moi ? pensa Madeline, un poil irritée.

- Non merci, répondit-elle sobrement, ne voulant pas montrer son agacement.

Ezequiel soupira, mais ne s’avoua pas vaincu. Il glissa quelques mots à Faith, qui hocha négativement la tête. Elle semblait en désaccord avec ce qu’il lui proposait, mais après une petite minute de discussion, elle le laissa aller, non sans adresser à Madeline un sourire navré. Le jeune hispanique, un sourire carnassier sur les lèvres, se dirigea droit sur sa meilleure amie. Trempé de la tête aux pieds, il entreprit de secouer ses cheveux au-dessus d’elle, lui donnant un avant-goût de la température de l’eau. Avant-goût qui ne plût pas véritablement à Madeline.

- Arrête, Ezi ! Je t’en supplie, arrête ! tentait-elle de l’arrêter, tout en essayant de se cacher de ses deux mains. L’eau est complètement gelée ! Si tu crois que ton petit numéro va me donner envie d’aller dans l’eau, tu te fous le doigt dans l’œil. Jamais je ne vais me baigner là-dedans !

Ezequiel se stoppa, s’agenouillant près d’elle. Il aperçut des frissons lui parcourir la peau, et Madeline frotta ses mains contre ses bras pour se réchauffer.

- Une fois dedans, tu vas voir qu’elle est très bonne, lui assura-t-il. Allez, Maddie. Écoute, je sais que tu es anéantie en ce moment, que tout ce que tu voudrais, c’est te terrer dans ton lit, mais ce n’est pas en te repliant sur toi-même que tu surmonteras cette épreuve. Tu ne peux pas t’arrêter de vivre parce qu’un simple mensonge a chamboulé ton quotidien.

- Ezi, « un simple mensonge n’a pas chamboulé mon quotidien », mais l’a carrément mis en vrac. J’ai l’impression que tout mon monde s’écroule, en ce moment même, que toutes mes certitudes disparaissent. J’ai peur, tu comprends ? J’ai la trouille que Naomi ne soit pas le seul secret de famille, la panique me gagne à l’idée de découvrir que d’autres casseroles se cachent dans ce que j’ai de plus cher, et je ne cesse de penser aux répercussions, qui ne peuvent être que terribles. J’appréhende tout ce que ce « simple mensonge » va entraîner, tous les gens que ça va faire souffrir, tous les changements irréversibles qui vont suivre, termina-t-elle, le souffle court.

Madeline réalisa alors qu’elle avait débité son discours d’une traite, sans prendre la peine de reprendre sa respiration. Elle levait enfin le voile sur ses plus profondes peurs, et craignait qu’en s’arrêtant, même une seule seconde, elle s’effondrerait et serait incapable de poursuivre.

- Maddie, des gens souffrent déjà. Toute ta famille, Theo y compris. Et puis, maintenant, c’est trop tard pour penser à la suite, c’est découvert, et que tu te fasses un sang d’encre pour tout ce que ça va entraîner n’y changera rien. La vie suit son cours, que tu sois d’accord, ou non, que tu le redoutes, ou pas. Allez, viens, termina-t-il d’une voix douce.

Pour la faire céder plus facilement, et plus vite, Ezequiel la fixa avec des yeux de cocker. Comme toujours, et à sa plus grande satisfaction, Madeline soupira, signe qu’elle cédait. Alors, il lui prit délicatement la main, et la força à se lever. Encore un peu réticente, Madeline resta posté sur son bout de rocher, refusant de faire un pas. Elle avait l’impression de ne pas avoir le droit de prendre du plaisir, alors que ses parents souffraient et que Naomi était quelque part dans la nature. Madeline n’avait pas encore commencé ses recherches, alors qu’elle s’était promis de les entreprendre dès son retour de New York. Elle se sentait coupable, et mal vis-à-vis de sa sœur, comme si elle la trahissait.

Faith, qui remarqua sa meilleure amie encore hésitante, l’encouragea en criant son nom, et en frappant des mains. Elle fut immédiatement suivie par leurs amis, et le brouhaha qu’ils créaient perturba un instant la bulle de Lorell et Paul. Quand ils comprirent la situation, ils retournèrent à leur discussion, hautement plus intéressante, pour eux.

- Allez, ne te fais pas attendre plus longtemps.

Les encouragements de ses amis, le regard rassurant d’Ezequiel et le reflet miroitant du soleil déclinant dans l’eau persuadèrent Madeline de se baigner. Dans un sourire enjoué, elle retira chaussures, short et gilet de plage, avant de suivre son meilleur ami dans le lac.

- Aaaah ! s’écria-t-elle lorsque qu’un de ses orteils toucha l’eau. Mon Dieu, elle est glaciale. Tu vas me le faire payer !

Alors qu’il ne s’y attendait pas, Madeline se rua sur Ezequiel, mettant tout son poids pour le faire plonger. Mais son ami avait de vifs réflexes, et se dégagea avant que Madeline ne lui tombe sur le dos. Cette dernière, ratant sa cible, tomba à plat ventre dans l’eau. Tout son corps fut enveloppé de l’eau frigorifiante, lui rafraîchissant l’esprit au passage. J’ai le droit de m’amuser ! s’avoua-t-elle. Et c’est tellement bon que je vais en profiter jusqu’à m’écrouler de fatigue.

***

23h

Regroupés autour du feu crépitant, la bande d’amis faisait griller des marshmallows sur des brochettes en bois. Paul avait abandonné sa guitare pour passer le bras autour des épaules de Lorell, et tous deux partageaient un seul pic de bois, et donc, une seule guimauve à chaque fois. À la droite de Madeline, Ezequiel et Faith s’amusaient à faire noircir leurs bonbons et à les fourrer dans la bouche de l’autre. Quelques places plus loin, Cherry et Donovan se tenaient par la main, la tête de l’ancienne capitaine des cheerleaders reposant sur l’épaule de son petit ami. Tant d’amour faisait rêver Madeline, et dans la bonne ambiance de la soirée, la jeune fille reprenait espoir quant à trouver son âme sœur, un jour, elle aussi.

- Alors, comment se passent les entraînements, Maddie ?

- Merveilleusement bien, je pense que je me débrouille pas mal. On avait ajouté des figures nouvelles pour le spectacle de l’année dernière, et on s’en est sorties comme des chefs !

- Maddie est une excellente capitaine, peut-être même la meilleure. Sans vouloir te vexer, ajouta Faith à l’attention de Cherry.

Cette dernière fit un geste bref de la main, signalant que ces paroles ne l’atteignaient aucunement. Au contraire, elle était ravie de constater que sa protégée s’en sortait admirablement bien, et se sentait fière de l’avoir nommée capitaine. Son instinct ne s’était pas trompée, Madeline était la recrue parfaite pour ce rôle !

- Je pense que je viendrai vous voir un de ces jours, à la rentrée. L’équipe me manque beaucoup.

- Et tu manques aussi à l’équipe ! Crois-moi, les filles seront aux anges de te revoir, lui assura Madeline, qui avait hâte de sa visite prochaine.

Pour elle, ce serait l’occasion de prouver à Cherry qu’elle prenait très à cœur son statut de capitaine, et que son aînée avait le bon choix en la choisissant elle, plutôt qu’une autre. Ce qu’elle ignorait, c’était que Cherry le savait, avant même de l’avoir observé.

Pour confirmer les propos de leur chef, Khloe, Emilee et Faith hochèrent vigoureusement la tête. Cherry avait été une excellente capitaine, et toutes l’appréciaient beaucoup. Quelle joie de la retrouver à un entraînement !

Dans le silence, chacun continua de faire griller son marshmallow, parfois accompagné du rire discret de Faith ou du souffle de Paul, en profitant seulement du moment présent, et des personnes présentes autour du feu.

***

1h20

Assise au bord du lac, les pieds dans l’eau et les yeux fermés, Madeline essayait de faire le vide dans sa tête, se concentrant uniquement sur le clapotis que ses doigts créaient sur les flots. Mais son esprit était trop perturbé, et trop plein, pour qu’elle réussisse à oublier l’espace de quelques minutes, même quelques secondes. Alors, elle rouvrit ses paupières et profita de la vue qui s’offrait à elle. Le croissant de lune se miroitait dans l’eau calme, rendant le paysage apaisant.

Madeline perçut des pas s’approcher, et Ezequiel s’assit à ses côtés. Sans un mot, il saisit une pierre et la lança, produisant ainsi des ricochets sur la surface liquide. Enfants, les deux meilleurs amis s’amusaient à se mesurer l’un à l’autre dès qu’ils étaient à proximité d’une étendue d’eau et de galets. Depuis le nombre d’années, Madeline n’avait jamais gagné, n’ayant jamais réussi à créer un seul ricochet. Elle ne comprenait pas la façon de procéder, malgré les explications très claires d’Ezequiel, et encore aujourd’hui, elle n’arrivait pas à le faire.

- Alors, tu t’es bien amusée ? lui demanda-t-il posément.

- Oui, énormément, même. Vous avez eu raison d’insister, toi et Faithie, ça m’a permis de penser à autre l’espace de quelques heures.

- Tant mieux.

Alors que Madeline se sentait sereine, pas le moins du monde fatiguée, elle sentit l’épuisement l’accabler. Leurs chahutages dans l’eau et l’heure avancée avaient raison d’elle, et Madeline bâilla à répétition.

- Je vais rentrer moi, annonça-t-elle en étouffant un énième bâillement. Je tombe littéralement de sommeil.

- D’accord, j’appelle Faith et on y va.

- Non, ne vous dérangez pas pour moi, enfin. J’en ai pour à peine vingt minutes à pied. Restez, et amusez-vous encore.

- Il est hors de question que tu rentres seule en pleine nuit, Maddie, déclara-t-il d’un ton ferme.

- Ezequiel, je n’ai plus six ans, je peux me débrouiller seule.

- Tu ne sais pas ce qui peut arriver. Je vais faire l’aller-retour, d’accord ? Comme ça, je te raccompagne et je rejoins Faith à la fête ensuite.

- Ce n’est pas comme si j’avais le choix, de toute façon, n’est-ce pas ?

Ezequiel confirma d’un hochement de tête, et interpella Faith pour la prévenir qu’il ramenait la jeune capitaine. La jeune blonde s’approcha et embrassa Madeline, lui souhaitant une bonne nuit. Elle ajouta qu’elle avait été plus qu’heureuse que Madeline se soit joint à eux, surtout qu’elle semblait ravie de sa soirée. L’intéressée acquiesça, et repartit rejoindre sa place près du feu, reprenant sa conversation avec Emilee.

Madeline salua rapidement tous ses amis, rappelant au passage la promesse de Cherry de venir les voir à un entraînement. Puis, elle suivit Ezequiel jusqu’à sa voiture, qui lui ouvrit galamment la portière, avant de s’installer devant le volant. Il démarra et les deux jeunes gens s’éloignèrent, réduisant cette soirée à un simple souvenir.

- Au fait, tu ne m’as pas dit comment s’étaient passées tes retrouvailles avec tes parents.

- On ne peut pas vraiment dire qu’il y a eu retrouvailles, je leur ai adressé à peine quelques mots.

- Maddie …, déclara-t-il sur un ton de reproche.

- S’il te plaît, ne t’y mets pas non plus, j’en ai assez que du regard désapprobateur de Carla. N’en rajoute pas, je t’en prie. Je suis consciente que je me comporte comme une gamine écervelée et capricieuse, mais je n’arrive pas à faire autrement. Si demain, toutes tes convictions se démolissent à cause d’un secret énorme que ta mère t’aurait caché, tu sauterais dans ses bras ?

- Non, je ne pense pas …, avoua-t-il, vaincu.

- On est d’accord. Je préfère m’éloigner, réfléchir dans mon coin, plutôt que de les voir et leur lancer des trucs horribles à la tronche. Quand je serai calmée, et prête à les affronter, je rentrerai chez moi. J’en t’en fais la promesse, Ezi. Mais pour l’instant, je reste chez toi.

Madeline lui serra la main, posée sur le levier de vitesse, et planta son regard émeraude dans celui de son ami, lui prouvant sa bonne foi. Ezequiel reporta son attention sur la route, mais attrapa la main de la jeune blonde pour l’étreindre à son tour.

Bientôt, Ezequiel s’arrêta devant sa maison, sur Monroe Street. Il tendit ses clés à Madeline, lui précisant de ne pas fermer derrière elle, pour qu’il puisse rentrer à son tour. Madeline acquiesça, et après un bref câlin, elle descendit de sa Mustang. Elle le suivit du regard, repartant en sens inverse, et une fois la voiture rouge disparue de son champ de vision, elle remonta l’allée.

Madeline entra doucement dans la maison, faisant bien attention ne faire aucun bruit. Vu l’heure tardive, elle était persuadée que Carla dormait à poings fermés, et elle ne voulait pas la réveiller. La jeune capitaine posa délicatement les clés sur le guéridon de l’entrée, dans le pot en argile prévu à cet effet, un objet fabriqué par Ezequiel lors de sa toute première année à l’école. Puis, la jeune blonde continua son chemin, dépassant le salon sans apercevoir le corps dans le fauteuil de Carla.

- Je t’attendais, déclara cette dernière.

Madeline sursauta, laissant échapper un cri de stupeur. Sa marraine se tenait droite contre le dossier du siège, les mains croisées sur ses cuisses, le visage impassible.

- Quelque chose ne va pas ? demanda la jeune fille, remise de ses émotions.

- Maddie, tu sais que je suis contre tes façons de te comporter, et que je suis réticente à l’idée que tu sois ici plutôt que chez toi …

- Carla, la coupa-t-elle, je sais déjà tout ça. Mais, ni toi, ni personne ne pourra me faire changer d’avis. Ce sont mes choix, je les assume, et j’aimerais que tout le monde les accepte, même si cela vous coûte.

- Je respecte tes choix, querida, et c’est pour ça que je t’attendais. Pour te dire que même si cela me fait mal au cœur, tu peux rester ici le temps que tu auras besoin. Tu es chez toi, Maddie. Et en tant que marraine, je dois de t’épauler, et te conseiller lorsque tout est un peu flou dans ta tête. Sache que je suis là, si tu veux parler, pleurer ou passer tes nerfs, tu m’as moi. Même si nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde, en ce moment, je t’aime, comme depuis le jour où tu es née, et jusqu’à l’éternité. Dieu t’a mise dans cette situation, et c’est de mon devoir de t’aider à la surmonter.

- Ce n’est pas Dieu, Carla, mais Papa et Maman.

- Tu te trompes, querida, Dieu est responsable de la vie, et de nous, pauvres mortels. Mais Dieu est bon, et s’il a semé cette embûche sur ton parcours, ce sont pour de bonnes raisons.

Même si Madeline doutait de ses paroles, et voulait interroger Carla sur les raisons positives qu’elle pouvait trouver à l’enlèvement de Naomi, elle ne dit rien. La jeune capitaine se contenta de se réfugier dans les bras de sa marraine, la remerciant pour son discours et lui promettant de régler cette affaire au plus vite.

- Je suis désolée pour tout ça, Carla, ajouta Madeline. Si je pouvais, je reviendrais en arrière et je changerais tout.

- Ne pense pas à ce que tu aurais pu faire auparavant, car c’est trop tard, mais comment tu vas gérer cette histoire à l’avenir. N’oublie pas que tes parents t’aiment, et il ne faut pas que tu leur en veuilles d’avoir voulu te protéger.

- Je sais …, soupira sa filleule.

Sans en ajouter, Carla resserra son emprise autour du corps de Madeline, et commença à dessiner des cercles dans son dos, comme le faisait habituellement Ezequiel pour la consoler. Mère et fils se ressemblaient tellement, que Madeline se demandait parfois quels étaient les traits de caractère que son meilleur ami avait hérité de son père.

- Allez, chica, au lit maintenant, il est tard et puis, je pense que tu en as assez supporté pour la journée.

- Tu as raison, Carla. Mais juste une question avant, est-ce que mes parents prévoyaient de me le révéler, un jour ?

- Oh querida … Je ne peux pas répondre à ta question, pour la simple et bonne raison que nous ne parlions que très rarement d’elle. Nous ne l’évoquions qu’au quatre juillet, jour de sa disparition, et encore, pas toujours. La douleur était trop intense, et discuter d’elle ne la calmait jamais. Mais je suis certaine que dans un coin de leur tête, ils y avaient pensé, ils ne savaient juste pas quel était le bon moment.

- Dis-moi, comment était-elle ?

- Maddie, je croyais que tu devais aller te coucher ?

- Je ne suis plus fatiguée, j’ai envie d’en connaître davantage sur elle.

- Très bien, installe-toi là, dans ce cas, l’invita-t-elle en lui désignant la place du canapé, presque collée à son fauteuil. Eh bien, pour commencer, elle avait les mêmes yeux que ta mère, d’un bleu extraordinaire. Elle avait les cheveux châtains, très lisses, et une petite bouille d’ange. Vous n’aviez rien en commun, physiquement. Toi tu étais blonde, les yeux verts, le visage ovale. Mais quand on vous voyait côte à côte, on ne pouvait que deviner que vous étiez les deux sœurs. Vous formiez une magnifique famille, tous les quatre.

- Et son caractère ?

- C’était une petite fille adorable, très sûre d’elle. Elle était aussi têtue comme une mule, si elle avait une idée en tête, même du haut de ses quatre ans, elle allait jusqu’au bout. Comme toi …, ajouta Carla pensivement. Elle également douce comme un agneau, et très généreuse. Une fois, elle devait avoir trois ans, on était au marchand de glace, toutes les trois. Le petit garçon devant nous a fait tomber son cornet. Le pauvre, il était en larmes. Alors, le plus naturellement du monde, Naomi s’est approchée de lui et lui a tendu sa glace. Il n’osait pas accepter, mais ta sœur l’a persuadé, et elle n’a jamais voulu que je lui en achète une autre, parce qu’elle disait que c’était son choix de lui donner la sienne. Elle avait gardé son sourire éclatant, alors qu’elle se retrouvait sans glace, qu’elle la réclamait depuis des jours.

- Elle n’en a pas mangé, du coup ?

- Vous avez partagé la tienne, un coup de langue chacune votre tour. C’était drôlement amusant à voir. Vous étiez si complices ! Elle adorait copier tes manières, tes expressions de langage, c’était simple, tu étais son modèle.

- Elle semble exceptionnelle…

- Elle l’était. Tu sais, elle charmait n’importe qui, avec ces yeux translucides. Les passants dans la rue, le facteur, même le chien de votre ancien voisin s’asseyait à ses pieds, alors qu’il n’obéissait à personne ! C’était réellement une enfant incroyable.

- J’aimerais tellement m’en souvenir, déclara Madeline mélancoliquement. Tu crois que je pourrais me faire hypnotiser, ou quelque chose dans le genre ? Les gens font ça, parfois, pour revivre une scène de leur vie ou se rappeler de quelque chose.

- Et quel en est le résultat ? Des désillusions, querida. Des déceptions. Il ne faut croire qu’en toi-même, un jour, tu récupéreras tes souvenirs. Laisse juste le temps s’en occuper.

- Ça fait déjà onze ans, Carla.

- Ne perds pas espoir, c’est la pire chose que tu pourrais faire.

- Après avoir laissé ma petite sœur se faire kidnapper, bien sûr.

- Corazón, ne te rends pas coupable de quelque chose qui n’est pas ta faute. Le seul responsable dans l’histoire, c’est celui, ou celle, qui l’a enlevée, et uniquement cette vilaine personne. ¿ Entendido ?

- , Carla. Buena noche.

- Buena noche, querida. Hasta mañana.

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