XXV - Retrouvailles chaotiques

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Lundi 23 juillet 2018, 9h30, à Milwaukie

- Tu penses qu’elle est encore en colère contre nous ? se renseigna Madeline en posant une assiette de toasts grillés sur la table.

- Mamá n’est jamais en colère, arrête de t’inquiéter.

- Mais elle semblait tellement déçue, et furieuse même qu’on se soit comportés de cette façon.

- Elle ne nous en voudra pas, je te le promets.

Madeline ne rétorqua rien, ayant perçu le craquement d’une marche. Carla était donc réveillée. Et elle descendait à la cuisine. Madeline ne l’avait pas revue depuis la veille, lorsqu’elle était partie en claquant la porte derrière elle. La jeune capitaine n’avait fait que dormir de la journée, et n’avait donc pas croisé sa marraine à son retour. Ezequiel l’avait seulement réveillée vers vingt-et-une heures, pour qu’elle mange un petit bout, et aussitôt son assiette de pâtes avalée, Madeline s’était laissée emportée par Morphée.

Sur les coups de huit heures, ce matin, Madeline s’était réveillée, n’ayant plus aucun sommeil à rattraper. Elle en avait profité pour se rendre dans le centre-ville, et acheter à l’épicier bio des oranges fraîches et deux pots de confitures. De retour chez Ezequiel, la jeune blonde s’était attelée à la préparation d’une pâte pour pancakes, moment qu’avait choisi Ezequiel pour se lever. Ravi de découvrir une table bien fournie, il avait décidé de mettre la main à la patte, lui aussi, et s’était occupé de griller des toasts, le péché mignon de sa mère.

- Buenos días, niños, annonça Carla en s’approchant de son fils pour l’embrasser.

- Holá Mamá, ¿ Cómo estás ?

- Bien. Maddie, c’est toi qui as préparé tout ça ? ajouta-t-elle en se tournant vers sa filleule.

- Oui, Carla. Tu sais, je suis vraiment désolée pour hier, vraiment, vraiment. J’aimerais me faire pardonner.

- Querida, je ne t’en veux pas, vous êtes jeunes et tu étais toute chamboulée, hier. Mais je ne veux plus que vous recommenciez vos manigances, ¿ Está claro ?

- ¡ Sí ! répondirent en chœur les deux amis.

Carla sourit, satisfaite, et ébouriffa les cheveux de son fils lorsqu’elle passa derrière lui, pour se préparer son café. Elle informa les deux jeunes gens qu’elle se rendrait chez les Peterson, dans la journée, car elle devinait qu’Evelyn avait besoin d’elle.

- … et tu ferais bien de faire pareil, conseilla-t-elle à Madeline. Je parie que ta mère est dans tous ses états. Elle a déjà perdu une fille, ne t’éloigne pas d’elle.

- N’essaie pas de me faire culpabiliser, Carla. Je ne suis pas encore prête à les revoir. Je n’irai pas.

- Mais il faut que vous en parliez, tous les trois, en famille.

- Notre famille ne compte pas trois personnes, mais quatre. Theo aussi a le droit de savoir, pourtant, je suppose que personne ne prévoit de lui en parler.

- Ton frère a dix ans, sois raisonnable. Il l’apprendra plus tard, quand le moment viendra, mais pour l’instant, ce serait l’embêter plus qu’autre chose.

- Qu’est-ce qu’on attend, qu’il ait seize ans ? S’ils ne sont pas prêts à assumer leurs actes, et devant tout le monde, tant pis pour eux. Je veux que Naomi devienne un sujet de conversation que je peux évoquer le dimanche, alors qu’on est tranquillement installés à jouer au Monopoly. C’est ma sœur, et celle de Theo. Il doit aussi le savoir.

- Maddie, tu exagères, là, intervint Ezequiel. Ton frère est encore jeune, et puis, il n’a pas connu Naomi, il ne comprendrait rien si on venait à tout lui raconter du jour au lendemain.

- Et moi, je n’ai aucun souvenir, ça revient au même.

Ezequiel soupira, preuve de son mécontentement. Il détestait quand sa meilleure amie se montrait aussi tête de mule, car tous les arguments du monde ne pourraient pas la convaincre. Dans ces moments-là, elle était persuadée d’avoir raison, et restait campée sur ses positions, sans laisser la chance aux autres de lui proposer un point de vue différent.

Ils n’eurent pas l’occasion de continuer la conversation, car la sonnette retentit.

- Qui ça peut bien être, d’une heure aussi matinale ? lança Carla en se levant pour aller ouvrir à leur invité surprise.

Les deux jeunes amis haussèrent les épaules, aucun d’eux n’attendait une quelconque visite. Puis Carla accueillit joyeusement sa visiteuse, et la voix de Faith résonna dans la maison. Un immense sourire naquit sur le visage d’Ezequiel, et lorsque sa petite amie apparut à l’entrée de la cuisine, il sauta presque de sa chaise pour aller l’embrasser.

- Y bueno … Je n’avais jamais vu mon fils comme ça. Il a l’air très épris de Faith, tu ne trouves pas, querida ? l’interrogea Carla en s’asseyant aux côtés de Madeline.

- Oui, je crois qu’ils sont vraiment très amoureux l’un de l’autre.

Comme Jared et moi, il n’y a pas si longtemps, pensa amèrement Madeline. Lui aussi courait courait pour me prendre dans ses bras lorsqu’il me voyait. Lui aussi m’embrassait à en perdre haleine dès qu’on se retrouvait. Lui aussi m’aimait véritablement. Enfin, je croyais. D’un mouvement de tête, la jeune capitaine chassa ces souvenirs nostalgiques, qui lui donnait envie pleurer, à chaque fois. Elle devait vraiment passer à autre chose, et rapidement !

- Faith, tu as déjà mangé ? la questionna Carlota, en atteignant déjà un bol.

- Juste une barre céréale sur la route.

- Alors viens t’asseoir, cariño, Maddie nous a préparé de délicieux pancakes.

Faith lança un regard surpris à sa meilleure amie, elle ne l’avait pas encore remarquée. Elle s’empressa d’aller la prendre dans ses bras pour la saluer, tout en lui lançant un regard interrogateur.

- Je te raconterai plus tard, lui chuchota Madeline.

L’intéressée acquiesça, avant de prendre place en face de sa « belle-mère », Ezequiel à sa gauche, et Madeline, à sa droite. Le jeune hispanique ne pouvait s’empêcher d’admirer la jolie blonde, en la couvant d’un regard pétillant et attendri. Quant à Faith, un sourire éclatant ne quittait plus son visage. Elle ne cessait de lui lancer des rapides coup d’œil, auquel il répondait en lui caressant discrètement la cuisse, ou en lui frôlant volontairement la main. En les contemplant, Madeline avait honte de s’être comportée comme une petite fille capricieuse. Leur amour lui paraissait maintenant comme une évidence, et si la jeune capitaine aurait eu l’occasion de remonter quelques semaines en arrière, jamais elle ne s’imposerait à leur couple.

- Dis-moi, Faith, qu’est-ce qui t’amène ici ? lui demanda gentiment Carla.

- Eh bien, j’ai reçu un texto de Khloe, une fille de notre équipe, ajouta-t-elle à l’attention de la femme assise en face d’elle. Elle n’est plus privée de sortie, et pour fêter ça, elle propose un feu de camp à Elk Rock. Je venais pour inviter Ezequiel, et comptais me rendre chez Madeline ensuite, mais … enfin, puisque tu es là aussi, tant mieux ! termina-t-elle en compressant la main de sa meilleure amie, comme pour la soutenir.

Madeline était presque sûre que Faith avait deviné la raison de sa présence ici. Son regard réconfortant semblait l’indiquer, en tout cas.

- ¡ Qué gran idea ! s’exclama Carla, enthousiaste. En Espagne, on faisait souvent, même tout le temps, des feux de camp. En général, le premier se faisait dès début avril, et le dernier, fin octobre, après, l’eau était décidément trop froide. Mais l’été, il y en avait un, pour dire, tous les jours, avec de la musique, des … euh … ¿ Ezequiel, malvaviscos ?

- Des marshmallows, Mamá.

-, des marshmallows ! Et puis, on dansait, on se baignait, on s’embrassait. C’est simple, les feux de camps étaient les endroits où les couples se créaient.

- Tu as oublié que vous buviez, vous fumiez, vous snifiez … ajouta Ezequiel en rigolant, et en amusant les deux jeunes filles au passage.

- Ezequiel, soy seria, ce sont mes meilleurs souvenirs d’adolescence. Et personne ne snifait, pour ton information. Nous n’étions pas des drogués, enfin !

- Par contre boire et fumer, si ?

- Inutile de te le cacher, c’est à une de ces soirées que j’ai fumé ma première et dernière cigarette. Mais je suppose que vous ne buvez pas que du jus d’orange, à toutes vos fêtes lycéennes, je me trompe ?

Ezequiel ne répondit pas, enfournant un toast dans sa bouche. De toute façon, sa mère n’attendait aucune réponse, elle la connaissait déjà. Même si son fils avait tendance à l’oublier, elle aussi avait été jeune, et avait connu la joie des soirées entre amis et les (légers) excès d’alcool. Dans une ambiance conviviale, la tablée continua à discuter feux de camp et souvenirs d’adolescence.

***

13h45

Allongée à même l’herbe, dans le jardin d’Ezequiel, Madeline écoutait Faith lister le nom des invités du soir-même. Elle n’avait pas la tête à faire la fête, et espérait trouver dans les personnes présentes une raison de ne pas s’y rendre.

- … Khloe, bien évidemment, Lorell, Emilee, Dylan, Paul, Cherry, Donovan, et nous. Je crois bien que c’est tout.

- Pas de Lizbeth, ni de Jared, alors ? s’assura Madeline, un tantinet déçue.

- Non, Khloe m’a affirmé ne pas les avoir prévenus. Et puisque ces enfoirés s’affichent partout ensemble, tout Milwaukie a compris que toit et Jared aviez rompu. Donc, aucun risque que quelqu’un le convie à notre petite fête. Alors, c’est bon, tu viens ?

- Je ne sais pas trop …

- Allez, Maddie, ça va être sympa. Et puis, tu as toujours adoré les feux de camps sur Elk Rock !

- Mais oui, Faith a raison, allons nous amuser un peu, ça va nous changer de cette ambiance pleine de … secrets et de disputes, ajouta Ezequiel. Tu as besoin de prendre l’air, et c’est l’occasion idéale ! Tu n’as pas envie de te baigner dans le lac et manger des marshmallows grillés, en écoutant un air de guitare ?

Madeline lui répondit par un haussement d’épaules, accompagné d’une moue peu enthousiaste. Ezequiel soupira en retour, reportant son attention sur sa petite amie. Il l’embrassa dans le cou, et Madeline détourna les yeux, gênée. Quand elle les voyait se tenir la main, se sourire, tout allait bien, mais dès qu’ils s’embrassaient, Madeline se sentait très mal à l’aise. Le temps que je prenne l’habitude, se dit-elle.

- Tiens, au fait, Khloe m’a précisé que tu pouvais amener un ou deux potes à toi, déclara Faith à l’attention de son petit copain. Histoire que tu ne te retrouves pas trop perdu, puisque tu ne fréquentes aucun des invités, excepté nous, bien entendu.

- Moi, perdu ? Je suis le charme incarné, bébé, je peux me faire pote avec n’importe qui.

- Hmm … C’est ça. Calme-toi quand même avec ton charme, je te rappelles que je suis là pour te surveiller, Don Juan.

Faith lui lança un regard faussement menaçant, et Ezequiel éclata de rire. Il l’attrapa par la taille, avant de la faire rouler pour se retrouver au-dessus d’elle. Il lui déposa un chapelet de baisers sur le menton, donnant à Madeline l’irrépressible envie de s’éloigner d’eux. Elle saturait de porter la chandelle, et ressentait le besoin de réfléchir après les évènements de la veille.

- Bien ! s’exclama-t-elle en se levant précipitamment. Je vais aller faire un tour, moi.

- Quoi ? Oh, désolée Maddie, on a tendance à oublier que nous ne sommes pas seuls, parfois, s’excusa Faith, dont les joues s’étaient empourprées.

- Ne vous en faites pas pour moi, j’ai envie de me promener, c’est tout. Et puis, si vous voulez que je vienne à la fête, il faut que je récupère mes affaires de plage, chez moi. Je vous rejoins ici pour dix-neuf heures, c’est bon ?

- Euh … Oui, ça me semble pas mal, mais tu ne rentreras pas avant ? s’inquiéta Ezequiel, qui voyait d’un mauvais œil le fait que sa meilleure amie se balade dans les rues dans son état actuel.

- Non, pourquoi ?

- Bah, c’est dans … un peu moins de cinq heures, ça fait pas beaucoup de temps pour un simple tour, ça ?

- Tu l’as dit toi-même, j’ai besoin de prendre l’air, et puis, il ne va rien m’arriver, arrête de t’inquiéter pour rien. J’ai mon portable, au cas où tu voudrais te rassurer de mon emplacement exact. Allez, à ce soir !

Sans laisser le temps à Ezequiel de répliquer un autre argument pour la garder chez lui, Madeline s’engouffra dans la maison. Elle grimpa les marches quatre à quatre, et récupéra son tote bag, dans lequel elle vérifia la présence de ses écouteurs. C’est bon, murmura-t-elle pour elle-même. Elle enfila ensuite une paire de sandales tropéziennes, et choisissant une musique dans son téléphone, elle sortit dans la rue.

***

18h05

Madeline se tenait devant sa maison, plantée comme un piquet, tremblante. Elle tentait de calmer sa respiration, mais cela lui semblait peine perdue. Se retrouver devant chez elle lui rappelait sa dernière conversation avec ses parents, les cris, les pleurs de sa mère, sa crise de larmes qui avait suivi. Et ces souvenirs la mettaient dans un état second. Elle ne voulait pas affronter ses parents de nouveau. Elle ne supporterait pas de lire sur leurs visages la culpabilité après ses propos, la tristesse et la souffrance qu’elle leur faisait endurer. Sa rage s’était légèrement dissipée, après avoir livrer ce qui lui pesait sur le cœur, mais elle en voulait encore. Trop. Elle n’arrivait pas à se raisonner, malgré qu’elle soit consciente d’être déraisonnable. Et Madeline craignait que son reste de colère n’aggrave les choses si elle devait parler à ses parents. Elle ne souhaitait pas leur infliger une douleur supplémentaire en refusant de leur adresser la parole, mais dès qu’elle pensait à Naomi et à sa disparition qui datait de onze, la révolte lui tiraillait les entrailles. Elle était incapable de s’en débarrasser.

Carlota, présente chez les Peterson depuis le matin, avait les larmes aux yeux de regarder ses amis blancs comme des linges, tenaillés par la peur de perdre leur aînée. Alors, aux alentours de quinze heures, elle avait envoyé un message à sa filleule, lui spécifiant que ses parents ressentaient le besoin inévitable de la voir et de lui parler. En tant que marraine, elle se sentait le devoir de guider Madeline dans cette pente glissante. Une querelle de famille laissait toujours des marques, mais moins elle durait dans le temps, et moins ces marques étaient visibles. De plus, Theo réclamait sa sœur depuis la veille, posant sans cesse la question de quand elle reviendrait, et de pourquoi elle était soudainement partie. Le couple Peterson était resté vague, en lui assurant qu’il la reverrait très bientôt.

Quelques minutes après lui avoir envoyé son texto, Carlota avait reçu la réponse de Madeline. Cette dernière lui annonçait qu’elle passerait prendre son maillot de bain, pour ce feu de camp sur Elk Rock Island, et qu’elle verrait ses parents à ce moment. Sauf qu’il était dix-huit heures passés, et toujours aucun signe de Madeline.

Dehors, Madeline se décida à dépasser le portillon. Doucement, elle s’avança dans l’allée menant à sa porte d’entrée. Elle avait repoussé cet instant toujours et toujours, durant l’après-midi, mais il était temps qu’elle prenne son courage à deux mains, parce que l’heure avançait, et il faudrait bientôt qu’elle retourne chez Ezequiel pour partir à Elk Rock Island. Les mains crispées sur les anses de son sac, Madeline mettait un pied devant l’autre, sans brusquerie. La bouel au ventre et la gorge serrée, elle fut tentée de faire demi-tour. Et si elle rentrait par le garage ? Elle arriverait plus facilement à éviter ses parents qu’en passant par la porte d’entrée. Subitement, cette dernière s’ouvrit à la volée, et Theo courut se réfugier sans les bras de sa sœur. De toutes ses forces, Madeline le serra contre elle, enfouissant sa tête dans les cheveux de son frère, à l’éternelle senteur de pomme. Quant à Theodore, il gardait les bras noués autour du cou de celle qui lui avait tant manqué depuis la veille.

- Theo ? Theo ? Chéri, où es-tu ? Theo !

Evelyn apparut sur le seuil de la porte, et poussa un énorme soupir de soulagement en constatant que son fils n’était nulle part d’autre que dans leur allée. Elle réalisa ensuite qu’une deuxième personne était présente : sa fille. Ses cheveux blonds se confondaient avec ceux de son petit frère, et Evelyn ne l’avait pas aussitôt remarquée. À ce moment, Madeline releva la tête, et croisa le regard de sa mère. Ses yeux étaient froids, sans émotions.

- Je dois récupérer quelques affaires, Theo. Tu veux bien me lâcher ? lui demanda-t-elle doucement.

- Non, sinon tu vas encore t’en aller. Je ne veux plus que tu partes comme ça, Maddie. Pourquoi t’as disparu sans me le dire ? Maman n’arrête pas de pleurer depuis hier.

- C’est compliqué, bonhomme, très compliqué. Je suis désolée, tu ne sais pas à quel point. Crois-moi, si je pouvais, je faciliterais les choses, mais c’est malheureusement impossible. Allez, laisse-moi aller chercher mon maillot, frangin.

À contrecœur, Theo desserra son emprise, libérant sa sœur. Madeline le remercia d’un sourire, et posant son regard sur lui, elle remarqua ses yeux brillants. Elle ressentit un immense pincement au cœur, s’en voulant terriblement de lui faire subir tout ceci.

- Bonjour, Maddie, la salua sa mère quand Madeline monta les quelques marches de leur perron.

- Bonjour.

Sans un mot de plus, la jeune capitaine dépassa Evelyn, et se dirigea vers les escaliers. Du coin de l’œil, elle aperçut Carla et Darryl, assis sur le canapé central. Elle devina son père la dévisager lors de son passage devant eux, mais ne tenta pas de l’appeler.

Dans sa chambre, Madeline attrapa son sac de plage et y enfourna un maillot une pièce noir. Elle retrouva sa serviette de plage sur le dessus de son armoire, et la jeta dans son sac. Elle jeta un coup d’œil circulaire, s’assurant de ne rien oublier, quand son regard se posa sur son bandeau vert bouteille, qu’elle adorait porter lors de soirées en bord de mer. Elle pouvait y entortiller ses cheveux dans une coiffure élégante, et considérait qu’il se mariait parfaitement avec ses lunettes de soleil vintage. Où sont-elles, d’ailleurs, celles-là ? réfléchit Madeline en s’emparant du bout de tissu vert.

Elle entreprit de retourner complètement sa chambre, affolée à l’idée d’avoir perdu son accessoire fétiche. Elle rampa sous son lit, mais le seul objet qu’elle en ressortit fut le dossier volé dans le bureau de Darryl. Madeline s’assit en tailleur, et feuilleta de nouveau les dessins, réalisés par sa cadette. Comme lors cette fameuse nuit, où elle avait découvert le pot-aux-roses, la première feuille qui se présenta à elle fut la représentation des deux fillettes sous l’arc-en-ciel. Il y a une semaine, Madeline ne connaissait pas l’identité des deux personnages, mais aujourd’hui, elle se reconnaissait, et elle devinait Naomi à ses côtés.

Prise d’une immense tristesse à le vue de l’amour que lui portait sa sœur, Madeline se laissa glisser à terre, et éclata en sanglots. Elle détonnait elle-même d’avoir encore tant de larmes à verser, alors que pleurer était devenu son passe-temps ces quelques derniers jours. Jamais, dans sa vie, Madeline n’avait autant versé de perles salées. Comme quoi, il y a une première fois à tout, pensa-t-elle amèrement. Celle-ci, je m’en serais bien passée.

Après quelques minutes à laisser ses sentiments s’exprimer, Madeline rangea les papiers dans la pochette marron. Si elle avait eu le courage - et le temps, - elle aurait consulté les rapports de police, espérant y dénicher une quelconque piste pour son enquête personnelle. Mais puisqu’elle ne s’en sentait pas assez forte, et que l’heure avançait à grands pas, Madeline se releva. Elle remarqua aussitôt sa boîte de lunettes en cuir, posée simplement sur sa table de chevet. Elle contourna rapidement son lit, et vérifiant que sa paire de solaires s’y trouvait bien, elle quitta sa chambre, le sac dans une main et la pochette secrète dans l’autre.

Rejoignant le rez-de-chaussée, elle s’avança à grands pas dans le salon, sans faire attention aux battements affolés de son cœur. Ses parents et Carla la dévisageaient, cette dernière lui adressant un discret hochement de tête approbateur.

- Je vous rends ça, je n’en ai plus l’utilité, maintenant, déclara-t-elle froidement en posant le dossier sur la table basse.

Inutile de leur préciser qu’elle avait pris une photo de tous les documents s’y trouvant, pour ses recherches. Darryl, les sourcils froncés, se pencha pour consulter la chemise marron. Depuis le temps qu’elle était rangée dans son bureau, il en avait presque oublié son existence. Les élastiques retirés, il aperçut le dessin, et une larme roula sur sa joue. Evelyn s’empara à son tour de la feuille, et laissant ses yeux rougis parcourir les coups de crayon, ses mains se crispèrent. Voilà comment Madeline avait tout découvert. Elle avait trouvé le moyen de récupérer cette pochette, et l’acte de naissance s’y trouvant était assez explicite pour décrire la situation.

Carla, elle, ne consulta pas les dessins. Elle dévisageait Madeline, l’invitant d’un regard très suggestif de prendre place près de sa mère, à l’autre bout du canapé. Elle avait même la main sur son sac à main, prête à s’enfuir pour les laisser en famille.

Mais Madeline n’était pas prête. Même si voir ses parents aussi malheureux n’effaçaient pas le goût de trahison qu’elle avait dans la bouche. C’était pour son bien, certes, pour la protéger de la douleur dont ils étaient eux-mêmes victimes, mais un mensonge reste un mensonge. Et Madeline avait en horreur les cachotteries. Comme Jared, de tous les moyens qu’il possédait pour la faire souffrir, il avait choisi la tromperie, le pire de tous, pour Madeline. Peut-être qu’elle lui en voulait autant, pas seulement parce que leur histoire s’était terminée brutalement par sa faute, mais parce qu’il avait choisi ce qu’exécrait le plus Madeline pour le réaliser.

À l’attention de Carla, Madeline hocha négativement la tête, lui faisant comprendre qu’elle ne s’installerait pas tranquillement à leurs côtés. Il ne faut pas rêver, non !, avait envie de hurler Madeline à sa marraine. Les affronter était déjà un grand pas pour elle, elle n’en ferait pas plus aujourd’hui.

- Je vais dire au revoir à Theo et je m’en vais, annonça-t-elle impassiblement.

Ses parents n’avaient pas le temps de relever la tête que Madeline était sorti hâtivement dans le jardin. Theo, assis sur une racine du chêne, jouait mollement avec sa balle de baseball. Madeline l’interpella, et quand il leva la tête, il parut déçu. Le sac que sa sœur tenait était la preuve qu’elle ne restait pas.

- Tu repars, hein ? lui demanda-t-il en l’entourant une fois de plus de ses bras.

- Je suis désolée, Theo, tellement désolée pour tout ça.

- Est-ce que bientôt, tout redeviendra comme avant ?

- Je l’espère de tout mon cœur. Mais pour l’instant, je ne peux pas te le promettre. N’oublie jamais que je t’aime, d’accord ?

- D’accord.

Dans une dernière étreinte, Madeline embrassa son frère, puis s’écarta. Il lui lança un sourire penaud, et restant planté là, il la regarda s’éloigner, les larmes aux yeux. Madeline n’avait pas le courage de repasser devant ses parents et Carla, alors elle emprunta le chemin qui passait derrière le garage, et s’enfuit de chez elle comme une voleuse.

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