XXIII - Albums photos

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Dimanche 22 juillet 2018, 10h55, à Milwaukie

- J’en ai marre de jouer au Monopoly, c’est toujours pareil, ce jeu, se plaignit Madeline.

- Qu’est-ce que tu proposes d’autre, dans ce cas ? répliqua son père, tout en reposant la boîte en carton, suscitant les protestations de Theo.

- Hmm … Je sais pas trop. Oh, si, on pourrait regarder les albums photos ! Ça fait longtemps, non ?

- Euh … Oui, c’est vrai. Mais ils sont rangés tout en haut de notre armoire, je n’ai pas le courage de les attraper. Tu es sûre de ne pas vouloir jouer à un autre jeu, simplement ?

- Non, s’il te plaît, regardons les albums ! Et puis je peux me charger d’aller les récupérer, si tu veux. J’ai juste à prendre un tabouret et je serai assez grande, déclara Madeline en se levant déjà.

Cependant, elle savait que ses parents l’en empêcheraient. Tous les albums étaient rangés au même endroit, et ils ne couraient jamais le risque que leur aînée découvre la moindre image de Naomi. S’ils savaient …, pensa Madeline.

- Non, t’inquiète, je m’en occupe. Tu ne vas pas savoir lesquels sont les vôtres, se précipita Darryl, en poussant sa fille vers le canapé.

- Pourquoi on ne changerait pas un peu ? Nos photos, on les connaît par cœur. Par contre, on n’a jamais vu votre album. Pour dire, je ne me suis jamais vue au mariage. Je ne sais même pas à quoi ressemblait la robe que je portais.

Evelyn lança un regard alerté à son époux. Il était hors de question de céder, la moitié de leur album était composé de clichés montrant Naomi. Leur fille en faits-elle exprès, de proposer de feuilleter leur album ? Ou les doutes d’Evelyn prenaient-ils le dessus, et cette demande n’était que pure innocence ?

- Moi, j’aime bien nos photos ! s’exclama Theo, qui reçut un regard noir de sa sœur.

- Alors va pour les vôtres. Désolée, Maddie, mais la majorité a décidé.

- À quel moment tu as entendu Maman dire qu’elle préférait nos albums ? demanda Madeline en se tournant vers sa mère.

Cette dernière, essayant de faire abstraction de la boule qui obstruait sa gorge, répondit le plus naturellement possible :

- Je vote pour ceux de Maddie et Theo aussi. Je préfère de loin admirer mes enfants petits, que de me voir en robe de mariée.

Comprenant qu’elle ne pourrait convaincre ses parents, Madeline abandonna, se renfrognant dans le canapé. Darryl monta deux à deux les marches pour aller récupérer les fameux albums, tandis que Theo s’installait aux côtés de sa sœur. Il l’interrogea du regard, ayant ressenti son mécontentement, et Madeline lui lança un sourire rassurant. Elle n’est pas fâchée, en conclut Theodore, soulagé.

- Et voilà les bêtes ! lança joyeusement Darryl en redescendant au salon, d’énormes albums dans les bras. Qu’est-ce qu’on a pu prendre de photos de vous, les enfants !

Le quadragénaire entreprit de déplacer un sofa, le plaçant face à celui où se tenaient assis ses deux progénitures. Il s’installa face à son fils, tandis qu’Evelyn prenait place à sa gauche.

- Par lequel on commence ? sonda Theo en se tournant vers sa sœur.

Son regard bleu pétillant la fit fondre, et elle oublia sa rancœur l’espace de quelques secondes. Son frère était l’incarnation de la naïveté. Pour l’instant, pensa Madeline, qui le voyait grandir de jour en jour. Mais pour l’instant, et même s’il était la plupart du temps, très observateur, il n’était pas encore assez grand pour se rendre compte de ce qui se tramait derrière son dos. L’énorme secret que tentaient de préserver leurs parents. Jusqu’ici, Madeline n’avait pensé qu’à elle, et à sa souffrance. Et son égoïsme avait chassé de son esprit Theo. Comment le vivrait-il, lui, de découvrir une grande sœur cachée ? Une personne qu’il n’avait jamais connue, et pour qui sa famille se déchirerait. Car Madeline n’était pas prête à se laisser faire, et le jour où cette histoire verrait le jour, elle n’aura pas peur de crier haut et fort ce qu’elle en pense. C’était certain que le jeune garçon en pâtirait également, et Madeline ne devait pas l’oublier.

- Le tien, bien sûr, lui répondit Madeline en chassant ses idées noires d’un imperceptible mouvement de tête.

Avec un enthousiasme qui amusa la jeune capitaine, Theo rabattit la couverture en carton de son album sur la table basse. La famille découvrit alors un bébé jouflu, les yeux fermés et la bouche dessinée en une moue adorable. Evelyn sentit l’émotion la gagnait, comme chaque fois qu’elle posait les yeux sur la photo d’un de ses enfants, encore nouveau-né. Cette partie n’intéressant pas particulièrement Theo, il tourna rapidement les pages, jusqu’à arriver à son premier anniversaire.

- Regardez-moi ces yeux, tu es bien le fils de ta mère, toi, déclara Darryl, le doigt pointé sur les iris bleu azur de son benjamin.

- À ta naissance, l’infirmière n’en revenait pas. Elle me répétait, à chaque fois qu’elle venait dans ma chambre, que c’était incroyable qu’un nouveau-né ait de tels yeux. C’était la première fois de sa carrière qu’elle voyait ça, et crois-moi, cela faisait un bout de temps qu’elle travaillait en tant qu’infirmière. Le jour où j’ai quitté l’hôpital, elle m’a dit qu’elle prierait chaque jour pour que tu ne perdes jamais cette nuance aussi intense. Apparement, Dieu l’a écoutée, puisque tes iris sont toujours aussi bleus, ajouta Evelyn.

À ce moment précis, Madeline aurait aimé questionner ses parents sur la naissance de Naomi, savoir si elle aussi, ses yeux bleus l’avaient été dès sa naissance, ou si sa couleur avait varié en grandissant. Et elle aurait encore plus apprécié que ses parents lui répondent, aussi naturellement que si elle demandait la météo du lendemain. Parce que Madeline aurait plus qu’adoré que sa petite sœur disparue ne soit pas un sujet tabou, mais qu’au contraire, elle puisse l’évoquer et partager cela avec sa famille. Tu peux encore changer ça. Tu es la seule à pouvoir le faire, médita Madeline. Serait-ce une erreur, d’avouer la vérité ? Le regretterait-elle ? Madeline était persuadée que cela allait détruire sa famille, mais y’avait-il une moindre chance pour que cela la renforce ? La jeune capitaine ne voulait pas y mêler son petit frère, mais une partie d’elle lui rappelait qu’il faisait autant partie qu’elle de la famille, et qu’un jour où l’autre, il serait au courant. Tenaillée par ces interrogations et des doutes, Madeline ne prêtait plus attention à ce qui se déroulait autour d’elle. Les paroles prononcées ne faisaient pas chemin jusqu’à son cerveau, et n’étaient que du brouhaha incessant pour elle.

- Maddie ?

Et si elle tirait à pile ou face ? Était-ce une façon convenable de choisir entre révéler le secret ou non ? Après tout, le décider en plein âme et conscience ou se fier au hasard, quelle différence, quand on n’avait aucune idée de la marche à suivre ? Dans un tel moment, Faith pencherait pour le hasard, car pour elle, rien de mieux que les « signaux de Dieu » pour nous mener sur le bon chemin.

- Maddie ? Ohé, tu es avec nous, chérie ?

Et Ezequiel ? Madeline devrait lui demander conseil. Son meilleur ami avait toujours de bons conseils à lui fournir. Dans un autre sens, il ne serait pas complètement objectif, car la famille de Madeline était aussi la sienne, et il ne souhaitait en aucun cas la voir se déchirer. Et puis, cette décision revenait pleinement à la jeune blonde, et se faire influencer par quiconque reviendrait à ne pas avoir le plein pouvoir sur ses réflexions. Ni sur ses actes. Si actes il doit y avoir.

- Madeline !

L’intéressée sursauta. Trois paires d’yeux la scrutait, le regard empli d’interrogations. Depuis combien de temps avait-elle décroché, obnubilée par ses pensées ?

- Oui ? Pardon, j’étais ailleurs.

- On l’avait remarqué. Mais je te rappelle que c’est toi qui as demandé à regarder les albums, et j’aimerais que tu te concentres un peu, lui intima Darryl, d’un ton calme, mais autoritaire.

- Oui, excuse-moi, Papa.

Madeline reporta son attention sur les photos, et découvrit un mini-Theo, déguisé en pirate, un cache-œil lui barrant le visage. Madeline se souvenait de ce moment, elle avait insisté pour réaliser le cliché elle-même, raison pour laquelle on ne la voyait pas poser en tenue de sorcière à ses côtés. Cet Halloween-là, ils avaient récolté tellement de sucreries que ses parents avaient dû en jeter. À l’époque, la jeune Madeline aimait à penser que leurs tenues et maquillages faisaient peur à voir, et que c’était pour cette raison que la chasse avait été excellente. En vérité, c’étaient la bouille adorable de Theo, qui tenait à peine sur ses jambes, du haut de ses dix-huit mois, et son sourire craquant qui avaient eu raison des habitants. Peu importe, Madeline s’était régalée, cette année-là.

- Ton premier Halloween, se remémora nostalgiquement Evelyn. Enfin, le premier auquel tu as participé, puisque en 2008, tu avais seulement six mois, et seulement deux dents dans la bouche !

Darryl rit à l’anecdote, et Theodore passa à une autre pages de photos. La neige recouvrait presque tous les clichés, et on peinait à apercevoir le petit Theo, qui dépassait seulement d’une tête les centimètres de poudreuse.

- Oh mais c’est vrai, il avait tellement neigé, cet hiver-là. Tu t’en souvenais, Darryl ?

- Bien sûr ! Le bonhomme de neige que j’avais fait avec Maddie faisait presque le double de Theo !

Comme pour prouver sa bonne foi, la page suivante de clichés présente ce fameux bonhomme de neige, entourée de Darryl et ses deux enfants. Et comme dit par le père de famille, la structure neigeuse dépassait largement le petit dernier, de quasiment sa taille.

Les photos suivantes ont été prises lors de Noël. Le sapin illuminé, les guirlandes colorées, le feu de cheminée et les chaussettes sur l’âtre, tout respirait l’ambiance festive de la fin d’année.

- Cette année-là, on a fait un Noël en grande pompe. Mamie Eugenia, Papy James, Papy Franck, Tante Georgia et Falco, Tante Marilyn et Louis, avec votre cousin Christopher, tout le monde était présente. Le premier Noël avec la famille au complet ! déclara fièrement Darryl.

- Sans elle, évidement … marmonna Madeline dans sa barbe, les mots dépassant sa pensée.

Elle était si obnubilée par Naomi qu’elle en oubliait la présence de ses parents à ses côtés. Et ces derniers avaient très bien compris ses paroles. D’un même mouvement, le couple Peterson dévisagea leur aînée, qui continua de se concentrer sur les clichés. Elle savait qu’elle avait parlé trop fort, et espérait qu’ils laisseraient couler si elle ne relevait pas le visage. Peine perdue.

- Qu’est-ce que tu as dit, Maddie ? la questionna son père, les dents serrés et le visage crispé.

Quant à Evelyn, elle avait les mains tremblantes, et ses yeux reflétaient sa panique. Alors, elle avait raison, sa fille était au courant pour sa sœur. Il ne fallait surtout pas s’énerver, ne pas hausser le ton, s’expliquer calmement. Sauf que son mari et sa fille avaient le même caractère de cochon, et ils auraient vite fait de monter dans les tours.

- Qu’Elle n’était pas là. Voilà ce que j’ai dit, répondit Madeline en soutenant le regard de son père, adoptant la même mine sévère.

Si son aînée avait eu un fusil à la place des yeux, Darryl serait déjà mort trois fois. Son regard était dur, comme jamais il ne l’avait été. Le père de famille en eut le souffle coupé, et sachant que son épouse devait être complètement épouvantée, il lui attrapa la main et la serra fort, pour la rassurer. Mais il savait que la discussion qui allait suivre serait mouvementée. Madeline avait un fort caractère, et son impulsivité lui faisait oublier de réfléchir avant de parler. Elle aura vite monté le ton.

- Qui n’était pas là ? C’est qui, « elle » ? Vous parlez toujours entre grands, sans jamais m’expliquer, j’en ai marre ! geignit Theodore.

Darryl et sa fille se tenant comme deux chiens de faïence, Evelyn fit le tour du canapé pour se poster aux côtés de son fils. Elle lui chuchota à l’oreille :

- Je suis désolée, mon chéri, de te mettre de côté, mais on doit avoir une conversation avec Maddie. Tu pourrais t’entraîner un peu au baseball, qu’est-ce que tu en penses ?

En soupirant, Theodore acquiesça. Il se leva, et alla récupérer sa batte et une balle dans le placard de l’entrée. Tout en traînant des pieds, il se rendit dans le jardin, se positionnant sous le chêne, son endroit favori. Il ne prit pas la peine de fermer la baie vitrée, comme il en avait l’habitude, mais cette fois-ci, Evelyn le fit. Si le ton devait monter - ce dont elle était sûre, - elle ne souhaitait pas que son benjamin l’entende.

D’un geste sec, Darryl referma l’album, sans quitter Madeline des yeux. Cette dernière détestait son calme olympien, qui signifiait qu’il était furieux. C’était le calme avant la tempête, comme on dit. Evelyn se plaça de nouveau à la gauche de son mari, et cacha ses mains tremblantes sous ses cuisses.

- Je crois qu’il est temps qu’on parle, Madeline.

Retour à son prénom complet, signe supplémentaire que son père bouillonnait de l’intérieur. Mais même si Madeline en était consciente, elle ne craignait pas son père. Pas aujourd’hui. Il pouvait afficher un regard dur comme le fer, et pincer ses lèvres au plus haut point, Madeline s’en fichait. Aujourd’hui, c’était elle qui avait le dessus. Ses parents avaient menti, lui avaient caché un terrible secret, et même si son père criait de mécontentement, c’étaient eux les fautifs. Pas Madeline.

- Alors, explique-nous pourquoi tu as dit une chose pareille.

- Quoi donc ? Quelle « chose » ? rétorqua innocemment Madeline.

- Ne joue pas à ce petit jeu avec moi, Madeline !

Déjà, son père haussait le ton. Sa femme le calma en appuyant sa main sur son avant-bras, mais Darryl était remonté. Il se leva brusquement, faisant les cent pas derrière le sofa où il était assis quelque secondes plus tôt. Madeline le suivait du regard, attendant qu’il poursuive.

- Alors, de quoi es-tu au courant ?

- De suffisamment de choses pour pouvoir vous accuser de mensonge ! Depuis onze ans, vous me le cachez, est-ce que ça allait durer encore longtemps ? Ou est-ce qu’un jour, vous alliez vous rendre compte qu’il serait bon de m’en parler ? Parce que je vous rappelle qu’on parle de ma petite sœur ! Une personne, qui a vécu avec moi durant quatre ans, qui est de ma famille, de mon sang ! Et depuis plus d’une décennie, vous me la cachez !!

Evelyn sursauta devant la violence des propos. Accusés de mensonge, de cachotterie, eux ?! Ils avaient protégé leur fille du mieux qu’ils le pouvaient, et voilà qu’elle leur en voulait. Beaucoup. Entendre ces mots de la bouche de sa fille était un véritable choc pour Evelyn, qui avait toujours imaginé avoir cette conversation lorsque Madeline serait devenue une adulte accomplie.

Quant à Darryl, il avait stoppé ses allers et venues dans le salon. Le regard de nouveau rivé à celui de sa fille, il la scruta. Sa poitrine s’élevait et s’abaissait à un rythme rapide, signe que son cœur s’était emballé suite à son emportement. Darryl jeta un œil dehors, et se rassura quand il aperçut Theo se concentrer sur sa balle. Il ne s’était pas rendu compte de la tournure des évènements.

- Déjà, tu n’as pas à nous parler sur ce ton, Madeline ! Et sache que nous assumons nos actes. Nous avions nos raisons, tout à fait valables, de te le cacher. Après que Naomi ait disparu, la souffrance rythmait notre quotidien, à ta mère et moi. Notre douleur s’agrandissait de jour en jour, mais heureusement, nous t’avions toi. Une adorable fillette, qui avait la joie de vivre. Il était hors de question pour nous de te voler ton enfance en te racontant ce tragique épisode de notre vie. Tu étais une gamine, et tu n’aurais pu supporté ce poids sur tes épaules. Tu aurais grandi en souffrant, et tu serais devenue une ado renfermée. C’est ce que tu avais préféré, vivre dans la souffrance ? Crois-moi, Madeline, notre décision était la bonne.

- La bonne ?! Non, mais tu rigoles ? Mentir à sa fille, une bonne décision ?!

- Nous ne t’avons pas menti !

- Si ! En me faisant croire que mon frère était le second enfant de la famille, vous m’avez menti ! En me répétant que j’ai été fille unique jusqu’à mes sept ans, vous m’avez menti ! Tous les jours, vous m’avez menti, simplement parce que vous ne m’avez jamais parlé de ma sœur ! Et les répercussions de votre mensonge, vous y avez pensé ? Vous êtes-vous seulement inquiétés du jour où je l’apprendrai ? À moins que vous ne pensiez que j’accepterais cette nouvelle sans me sentir trahie ? Ou peut-être aviez-vous prévu de me le dissimuler jusqu’à ma mort ?!

À ces mots, Evelyn fondit en larmes. Elle comprenait la rage de Madeline, ce sentiment de déloyauté, mais jusqu’à aujourd’hui, elle était convaincue d’avoir pris la bonne décision. Le rôle d’un parent est de protéger son enfant. Et à l’époque, cacher la disparition de Naomi était le meilleur moyen pour protéger leur fille. Mais entendre ces reproches virulents la faisait maintenant douter. Et pleurer.

- Madeline, calme-toi ! lui ordonna Darryl en apercevant sa femme, en larmes.

- C’est hors de question ! Vous ne pouvez vous en vouloir qu’à vous-même pour cette situation. Ma colère n’est que le juste retour de vos agissements ! De vos mensonges !!

Darryl s’approcha vivement de sa fille, prêt à la remettre à sa place par une gifle. Mais le cri apeuré de son épouse, et les yeux brillants de Madeline l’arrêtèrent juste à temps. Avant qu’il ne commette l’irréparable. Il se recula, et s’assit dans le canapé, aux côtés d’Evelyn. Celle-ci pleurait toutes les larmes de son corps, incapable de les retenir. Depuis tant d’années qu’elle se contenait, elle fait bien le droit de se laisser aller à ses émotions.

- Maman, tu ne dis rien ? l’interrogea sa fille, devant le silence de ses deux parents.

- … Je suis … désolée, chérie, si tu te sens trahie aujourd’hui. Mais ton père a parfaitement raison, c’était la meilleure, et la même la seule, solution à prendre.

- Évidement, tu es en total accord avec Papa. Mais dites-moi, vous n’avez pas d’autre excuse. Non, parce que là, vous êtes en boucle. C’était la meilleure solution à prendre, on a fait ça pour te protéger, et bla bla bla. Pourquoi ne pas avouer, tout simplement, que vous n’avez pensé qu’à vous, à l’époque ?! Vous vous êtes dits que puisque je n’avais aucun souvenir, autant me laisser dans cet état, ça vous fera moins de problèmes. Pas besoin de me tenir au courant, de m’expliquer la situation. Non, c’est tellement encombrant une gamine qui pose tout le temps des questions, autant la laisser oublier sa propre petite sœur !

- Tu dis n’importe quoi, Madeline ! Tu étais notre priorité, et nous n’avons pensé qu’à toi ! Et si tu connaissais les circonstances, tu comprendrais mieux notre choix de se taire.

- Oh bah très bien, je vous écoute. Racontez-moi les circonstances. Je meurs d’envie de connaître votre avis sur la question, annonça sarcastiquement Madeline.

Ses parents se consultèrent du regard, mais aucun ne prit l’initiative de combler les attentes de leur fille. Évidement qu’aucun d’entre eux n’avait envie de raconter l’enlèvement, leur aînée souffrait déjà assez comme cela.

- Même ça, vous n’en êtes pas capable ? Pas grave, je connais déjà toutes les circonstances.

- Madeline, quoi que tu saches, ça s’est passé totalement différemment de ce que tu peux en penser, affirma doucement Darryl, comme s’il craignait de la brusquer.

- Que des foutaises ! Tu n’en penses pas un mot ! Pourquoi tu ne serais pas un peu honnête, Papa ? Vas-y, je suis sûre que t’en meurs d’envie depuis onze ans. Libère-toi ! C’est le moment ou jamais.

- Madeline, tu vas trop loin ! tenta de la stopper sa mère, qui sentait que la conversation prenait un tournant indésirable.

Mais c’était trop tard, Madeline était partie sur sa lancée. La rage contenue depuis une semaine explosait enfin, et elle ne pouvait plus contrôler ses paroles. Elle n’avait plus aucun filtre, et tant pis pour les répercussions, Madeline livrait ce qu’elle avait sur le cœur.

- Ne fais semblant d’avoir ton mot à dire, Maman ! Depuis le début, tu laisses gérer Papa, parce que t’es incapable d’oublier ce qui tourne en boucle dans ta tête, depuis le jour où on a enlevé ta petite fille ! Allez, dites-le ! Montrez-vous franc et avouez-le, putain !

- Je ne vois pas du tout de quoi tu peux bien parler, Madeline. Maintenant, reprends tes esprit et finissons cette conversation dans le calme, annonça Darryl d’un ton presque professionnel.

- Encore des conneries ! Bien sûr que tu sais de quoi je parle, et tu sais quoi, je vais le reconnaître à votre place. C’est ma faute ! Ma faute si votre fille adorée a été kidnappée, ma faute si vous souffrez depuis toutes ces années, ma faute, ma faute, ma faute ! Allez, libérez-vous ! Dites-le, putain, puisque vous vous contenez depuis onze ans !

- Madeline, c’est faux ! On ne l’a jamais pensé. À aucun moment de notre vie, on t’a tenue responsable de la disparition de Naomi.

- Tais-toi, Papa ! Si c’est pour continuer de me mentir, je préfère que tu arrêtes de parler ! Parce qu’on sait tous qu’il faut toujours un coupable, et cette fois-ci, c’est moi ! J’aurais dû rester à ses côtés, comme toute grande sœur responsable, mais vu que je suis trop égoïste, je l’ai laissée pour aller chercher cette foutue poupée ! Et elle a disparue, de ma faute ! Je n’ai pas été responsable, je n’ai pensé qu’à moi, et à cause de moi, vous avez perdu votre fille ! Alors, accusez-moi, maintenant que vous le pouvez ! Dites enfin ce que vous avez sur le cœur, putain !

Madeline s’était levée, et était passée à l’attaque. Elle était consciente qu’elle allait beaucoup trop loin, mais la douleur cuisante qu’elle avait ressenti en découvrant l’existence de Naomi était encore fraîche. Et ses parents une étaient la cause. Ils doivent payer, pensa amèrement Madeline.

- C’est pour cette raison que vous ne m’avez jamais permis de garder Theo pour aller au cinéma ou au restaurant, continua la jeune capitaine. Vous répétiez que j’étais trop jeune, mais au fond de vous, vous aviez trop peur qu’il disparaisse, de ma faute ! Vous aviez déjà perdu une fille à cause moi, vous ne vouliez pas risquer de perdre votre fils. Imaginez, devoir vivre avec votre coupable de fille ! Parce que c’est ce que je suis pour vous, la coupable ! La fautive ! Soyez au moins honnêtes sur ce point !!

- Papa ? interpella Theo, sur le seuil du salon.

Trois visages se tournèrent vers lui, et il découvrit sa mère en pleurs, sa sœur aussi rouge qu’une tomate, un doigt accusateur pointé vers ses parents, et son père, aussi blanc qu’un linge. Tout penaud, il n’osait entrer dans la pièce.

- Ma balle a volé chez le voisin, tu peux aller la récupérer ? reprit le jeune garçon.

- Bien sûr, mon grand, j’y vais tout de suite.

Darryl se précipita vers la porte d’entrée, non sans avoir lancé à Madeline un dernier regard d’avertissement, semblant signifier que la conversation n’est pas terminée. Puis, il sortit de la maison, et un calme étrange s’empara de la bâtisse. Les récents cris avaient laissé place à un silence pesant, que Madeline supportait encore moins que lur dispute interrompue.

Evelyn s’essuya les joues du revers de la main, espérant que son fils ne s’en soit pas rendu compte. Theo détestait au plus haut point les querelles, et encore plus si elles comprenaient sa sœur et ses parents. Evelyn ne voulait pas voir le quotidien de son fils chamboulé à cause d’une histoire de famille qui ne le concernait même pas. En tout cas, pas directement. Bien sûr, il devrait être au courant, un jour, mais Evelyn n’était pas encore prête.

- Pourquoi tu criais, Maddie ? lui demanda Theo, peu rassuré.

- Oh pour rien, frangin. Les parents et moi avons juste un … petit différent à régler. Ne t’inquiète pas, ce sont juste des histoires de grands.

- Mais c’est toujours comme ça ! Moi aussi, je suis grand, j’ai dix ans ! Je vais rentrer en dernière année de l’école élémentaire, je te rappelle !

- Je sais bien, mais pour ce genre d’histoires, tu n’es pas encore assez grand. Mais je te promets que ça viendra.

Theodore ne sembla pas convaincu, mais n’insista pas. La porte claqua alors, et Darryl apparut, la balle de baseball dans la main.

- Tiens, champion, et fais attention maintenant.

L’intéressé s’empara de sa balle, acquiesça, et se rua dehors pour reprendre son entraînement. L’ambiance redevint électrique, et chacun retenait son souffle, attendant qu’un autre prenne la parole. Mais après ces confessions, personne n’osait prononcer un mot.

- Je vais aller chez Ezi pendant quelques jours, annonça simplement Madeline, en se dirigeant vers l’escalier, pour aller chercher quelques affaires.

- Madeline, nous n’avons pas terminé, lui rétorqua froidement son père.

- Moi si, je n’ai absolument plus rien à vous dire.

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