XXII - Rencontre manquée

20 minutes de lecture

Vendredi 20 juillet 2018, 10h10 (heure de la côte Est), à New York

- Tu en es sûre ? Ce n’est pas grave, tu sais, on pourra toujours revenir, assura Faith.

- C’est hors de question ! Pour la millionième fois, je ne rentrerai pas à Milwaukie avant demain.

- Vraiment ? Je comprendrais parfaitement que tu favorises Naomi à New York.

- Je te le répète pour la dernière fois, mes recherches peuvent attendre. Naomi a disparue depuis onze ans, et un jour de plus ou de moins ne changera pas grand-chose, à mon avis. Allez, dépêche-toi, maintenant, on a du shopping à faire.

Madeline tira Faith par le bras, l’entraînant vers la station de métro de Morgan Avenue. Les deux jeunes filles avaient choisi la journée pour faire des folies sur la Cinquième Avenue, la plus célèbre place new-yorkaise pour faire du lèche-vitrine. Entre grands magasins et boutiques de luxe, il était impossible de ne pas trouver son bonheur là-bas. Encore quarante-cinq minutes, à alterner entre métro et marche à pieds, et la mythique avenue serait aux deux amies !

En attendant, Faith insistait auprès de Madeline pour rentrer le jour-même chez elles. Depuis que la jeune capitaine lui avait conté la folle histoire de Naomi, et son projet de commencer une enquête en espérant retrouver sa trace, Faith voulait à tout prix reprendre l’avion, direction Milwaukie ! Elle estimait qu’entreprendre des recherches concernant sa petite sœur disparue était plus important qu’un voyage à New York, et Faith était prête à mettre son rêve de côté, et donc, rentrer en avance, pour permettre à sa meilleure amie de débuter son enquête le plut tôt possible. Ce à quoi avait refusé catégoriquement Madeline. Son billet retour était daté du lendemain, et elle ne se rendrait à l’aéroport qu’à ce moment précis.

- Dis-moi, est-ce que tu en veux à Ezequiel ? Pour t’avoir caché l’existence de Naomi durant toutes ces années, la questionna Faith en s’engouffrant dans la rame de métro.

Elle s’inquiétait de la réponse de Madeline. Cette dernière lui avait avoué être grandement en colère contre ses parents, et Faith avait aussi appris que c’était Ezequiel qui avait raconté la disparition à Madeline. Et s’ils se retrouvaient de nouveau fâchés, alors que sa meilleure amie avait enfin accepté leur relation ? Ils devraient recommencer à zéro, et Faith n’avait aucune envie de cela.

- Absolument pas. Il n’était qu’un gamin, à l’époque, et il a grandit avec cette interdiction de m’en toucher deux mots. Il n’est en rien fautif, contrairement à mes parents.

- Tes parents voulaient te protéger, Maddie, et c’était dans cet unique but qu’ils te l’ont caché.

- Oh, non, Faith, ne me dis pas que tu es de leur côté. Ils m’ont menti, à moi, leur propre fille. Notre famille n’est pas complète, et je ne le découvre que maintenant. C’est injuste, et c’est leur faute.

- Je comprends ce que tu ressens. Et je suis de ton côté, Maddie. Je serai toujours de ton côté, qui que soit ton adversaire.

Faith insista sur ce « qui », et Madeline en comprit le sous-entendu. Même si cet adversaire se révélait être Ezequiel, sa meilleure amie serait avec elle. D’ailleurs, elle l’avait déjà prouvé, en se refusant d’être avec son petit ami, car elle savait que Madeline en souffrirait. Cette dernière pouvait avoir confiance en Faith. Elle n’était pas sa meilleure amie pour rien.

- Merci d’être là pour moi, Faith. Je t’aime, tu sais ? lui avoua Madeline, qui avait senti son cœur fondre à la déclaration de son amie.

- Oui je le sais, et moi aussi, je t’aime. Énormément. Bon, trop de guimauve, on arrête, ajouta-t-elle après un rapide câlin. Parlons plutôt de ton enquête. Par quoi est-ce qu’on va commencer ? Poser des questions aux voisins ? Ils sont là depuis un bout de temps, ils doivent sûrement savoir quelque chose.

- Hmm … Oui, il y a de grandes chances. Mais, est-ce que tu as dit « on » ?

- Euh … Oui, répondit Faith, déstabilisée. Pourquoi ? Tu comptais le faire toute seule, peut-être ? C’est tout à fait compréhensible, mais je me disais que ce serait bien si tu avais quelqu’un sur qui te reposer, non ? Je pense que ça sera assez éprouvant, et tu ne devrais pas à avoir en supporter autant, toute seule, je veux dire.

- Oui, bien sûr, tu as raison. Complètement, même. Je ne dois pas être seule. Mais, sans vouloir te … décevoir, je ne le serai pas. Je veux dire, sans que tu y participes, j’ai déjà un … allié.

- Oh …

Faith n’ajouta rien. Le chagrin se lisait sur son visage, et Madeline en eut un pincement au cœur. La jeune capitaine lui pressa l’épaule, un sourire désolé sur le visage. Elle aurait voulu lui annoncer qu’elle l’inviter à se joindre à elle et Ezequiel, mais un deal était un deal. Et Madeline l’avait accepté. De plus, elle connaissait son ami d’enfance, et savait qu’il n’accepterait pas que Faith soit là pour les recherches sur son père. Mis à part Madeline, qui lisait en lui comme dans un livre ouvert, personne n’était au courant de la souffrance qu’il éprouvait à grandir sans son géniteur. Et il n’était sûrement pas près à ce que sa petite amie le découvre vulnérable, triste, aux antipodes de sa « coolitude » habituelle.

- Ezequiel ? demanda simplement Faith, pour confirmer ses soupçons.

- Hmm … je suis désolée de t’éloigner de cette histoire. Crois-moi, j’ai autant besoin de toi que d’Ezi, mais nous avons fait un deal, et je dois le respecter.

- Quel genre de deal ?

- On s’entraide tous les deux. Lui, pour ma sœur, et moi, pour son père. Excuse-moi, Faithie.

- Ne t’excuse pas, voyons, rétorqua Faith en lui lançant un sourire rassurant. C’est tout à fait normal. Tu as un deal, et je serais la première à être fâchée si tu ne le respectais pas. C’est votre affaire à tous les deux, et vous devez la réaliser ensemble. Sans personne d’autre. Je ne te cache pas que je suis déçue de ne pas jouer aux détectives, moi aussi, mais je comprends tout à fait. Et tu sais que je serai là si tu as besoin de moi, à n’importe quel moment. Si vous avez besoin de moi. D’accord ?

Faith accompagna sa question d’un haussement de sourcils, incitant Madeline à lui répondre. Cette dernière acquiesça, incapable de prononcer un mot. Sa meilleure amie était mise de côté, et elle trouvait le courage de la rassurer, tout de même. Elle ne boudait pas, ne se révoltait pas, non, elle souriait. Alors que Madeline se sentait atrocement mal de repousser l’aide de Faith, cette dernière semblait le prendre bien. Sereinement. Et Madeline l’admirait pour cela. Elle avait eu raison d’avouer l’autre fois à Ezequiel que personne n’arrivait à la cheville de sa meilleure amie, pas même elle. Encore une fois, elle prouvait toutes ses qualités, son caractère exemplaire. Elle était la meilleure des amies, et Madeline savait la chance de l’avoir à ses côtés depuis huit ans. J’espère que ça durera encore longtemps, pensa la jeune capitaine, son regard planté dans celui de Faith. Des larmes de reconnaissance lui montaient peu à peu aux yeux, et sans le ding annonçant leur arrêt, Madeline n’aurait pu les retenir.

Faith remarqua les yeux brillants de son amie, mais n’en prit pas compte. Elle ne voulait l’embarrasser, et puis, elle n’avait besoin d’aucun mot pour comprendre ce que ces larmes représentaient. Comme depuis huit ans, Madeline la remerciait d’être là pour elle. Et Faith savait que sa confidente n’hésiterait jamais à la solliciter si besoin. Aucune nécessité de s’exprimer oralement, donc, puisque chacune connaissait l’ampleur de leur amitié.

Ce fut sans un mot que les deux cheerleaders quittèrent la station de métro, débouchant sur Lorimer Street. Comme toujours, elles s’extasièrent devant l’effervescence new-yorkaise. Les Klaxons des taxis, le pas de course des habitants, le bruit assourdissant du métro qui passait. Rien n’était habituel pour les deux jeunes Orégonaises, elles adoraient cela ! Elles se sentaient plongées dans un autre univers, loin du calme de Milwaukie et de ses rues ennuyeuses. Ici, tout allait vite, tout le monde était pressé, et si certains pouvaient le détestaient, les deux amies, elles, en profitaient.

En se rendant à la station de métro de Lorimer Street, elles découvrirent une fresque immense. Elle représentait un paysage marin, avec la mer bleue et du sable jaune pâle. Des maisons colorées surplombait la côte rocheuse, et quelques parasols rouge et blanc étaient plantés sur la plage. Le dessin était en totale contradiction avec l’environnement new-yorkais, où le gris régnait partout. La route, les trottoirs, les murs des petits immeubles, ceux des hauts buildings, tout était grisâtre. Et cette touche de couleur venait égayer parfaitement la ville. Encore un élément qui séduisait Madeline et Faith.

- Je crois que je vais tomber amoureuse de cette ville, annonça cette dernière quand elles reprirent le chemin vers le métro.

- Ezequiel ne te suffit pas ? Il est pourtant encombrant …

Faith éclata de rire à sa remarque, et l’ambiance s’allégea. Fini la morosité, la tristesse et la déception, bonjour la joie et le bonheur ! Bras dessus, bras dessous, les deux cheerleaders pressèrent le pas. Elles avaient hâte d’atteindre la Cinquième Avenue, autant pour le shopping que pour faire la découverte d’un endroit mythique de New York.

***

12h40

Assise sur un pouf en cuir rouge, Madeline patientait devant la cabine qu’empruntait Faith. Cette dernière essayait une chemise ample, couleur écru, agrémentée d’une poche sur le côté gauche, et une jupe bleu marine, décorée de trois boutons effet or le long de la cuisse droite. C’était la quatrième fois que Faith revêtait une tenue complète, et Madeline espérait que ce serait la bonne. Voilà une bonne demi-heure qu’elles se trouvaient dans Zara, et si elles avaient rapidement trouvé leur bonheur en rayon, côté cabine, Faith bloquait un peu. Un coup, le pantalon n’était pas assez long à la cheville, une autre fois, le gilet lui tombait trop bas sur les jambes. Madeline avait eu le temps d’essayer les vêtements qu’elle avait choisis et régler ses achats, que Faith réfléchissait toujours sur le T-shirt de sa première tenue.

- Alors, votre amie ? interrogea la vendeuse à l’attention de Madeline.

- Je ne sais pas encore. Faith ? l’interpella-t-elle.

L’intéressée tira le rideau, le sourire aux lèvres. Elle tourna sur elle-même, laissant découvrir à Madeline une jupe élégante et une chemise ravissante. La tenue lui allait à ravir, et la vendeuse semblait du même avis que la jeune capitaine.

- Cette jupe à l’air faite pour vous ! Et cette chemise, en accord parfait avec votre bas. Vous êtes vraiment très jolie !

Faith rougit devant tant de compliments, et la remercia d’un timide « Merci ». La vendeuse s’éloigna pour s’occuper d’une nouvelle cliente, et Faith en profita pour demander l’avis de Madeline.

- Je suis tout à fait d’accord avec elle. Ça te va à ravir !

- Tant mieux alors, parce que j’adore vraiment la jupe. Du coup, je vais prendre ça, le short à petit pois, et la combinaison à imprimé. Il faut juste que je prenne la taille en-dessous pour la combi. Tu veux pas aller la chercher pour moi, tant que je me changes ? On se retrouve en caisse.

Madeline acquiesça, et se rendit en boutique. Elle déambula dans les rayons, jusqu’à repérer la fameuse combinaison multicolore. Elle chercha frénétiquement la taille S parmi les étiquettes, mais n’en trouva aucune. Merde, jura Madeline entre ses dents. Si Faith ne pouvait acheter le vêtement, elle tiendrait à en essayer un autre, et c’était reparti pour un séjour d’une heure en cabine ! Madeline avisa une vendeuse, et de dirigea vers elle pour la questionner sur la combinaison. Elle espérait qu’une taille S se cachait en réserve. Le regard rivé sur la jeune femme, pour ne pas risquer de la perdre de vue, elle ne remarqua pas l’homme, qui, les yeux sur l’étiquette d’une veste, arrivait sur sa droite. Inévitablement, Madeline et l’homme d’une quarantaine d’années se bousculèrent. La jeune capitaine leva la tête vers lui pour s’excuser, et rencontra des iris marron foncé ronds de surprise. Le choc, peut-être ? L’homme la dévisageait, et ne semblait pas revenir de ce qu’il avait sous les yeux. Madeline le scruta un instant, mais ne le reconnut aucunement. Il devait sûrement la confondre avec quelqu’un d’autre. Après tout, New York contenait assez d’habitants pour qu’il y ait une fille de son âge qui lui ressembla un tant soit peu. La jeune capitaine ne s’attarda pas plus longtemps, elle avait d’autres chats à fouetter !

Tandis que Madeline s’éloignait, l’homme se pinça, pour être sûr de ne pas rêver. Elle, ici ? Mais cette jeune blonde était-elle bien Madeline Peterson ? L’homme en doutait, il ne l’avait pas vue depuis une décennie. Cependant, ces yeux émeraudes, ces cheveux couleur du blé, et surtout, ce grain de beauté sur la joue droite, lui étaient caractéristiques. Elle n’avait pas tellement changé, depuis ses six ans. Seulement qu’elle avait mûri. Les chances de la rencontrer ici, en plein Zara, et à New York, lui paraissaient complètement nulles. Et pourtant, voilà qu’il venait de percuter de plein fouet la sœur de Naomi. La petite qu’il avait kidnappée, onze auparavant, et qui attendait sagement chez eux que son père rentre du travail. Il avait décidé de lui acheter cette veste, qu’elle avait repérée sur Internet quelques jours plus tôt. Jamais il n’aurait cru rencontrer Madeline ! Mais heureusement pour lui, elle ne l’avait absolument pas reconnu, malgré qu’elle l’ait côtoyé les six premières années de sa vie.

***

Samedi 21 juillet, 16h57 (heure de la côte Est), Aéroport JFK, à New York

- Je tellement triste que ce soit déjà fini, annonça Faith, le regard rivé sur le tarmac.

Elle accompagna sa déclaration d’un soupir, créant un nuage de buée sur le hublot. Le matin, les deux amies avaient eu le mouron de rendre la clé de leur chambre d’hôtel. Et durant la journée, elles n’avaient cessé de regretter que le temps passe aussi vite. Le matin, elles avaient escaladé les marches du Rockefeller Center, et avaient pu admirer une vue époustouflante sur le quartier alentour, mais surtout sur l’Empire State Building. Les deux amies avaient enchaîné les photos, et devant l’heure qui tournait, elles avaient été obligées de redescendre pour profiter du temps qu’il leur restait. Pour le déjeuner, elles s’étaient rendues au Chelsea Market, un des plus célèbres marchés couverts de New York, surtout réputé pour ses restaurants. Il y en avait pour le goût de chacun, et les deux cheerleaders avaient partagé un homard au Lobster Place. Le prix était loin d’être excessif, et les deux amies avaient été ravies de découvrir ce crustacé, que jamais elle n’avaient eu la chance de manger auparavant. Ensuite, elles avaient pris leur dessert au Chelsea Creamline, spécialisé dans les milkshakes. Elles n’avaient pas été déçues et avaient promis à la serveuse de vanter leurs mérites à Milwaukie. Enfin, par pure gourmandise, elles étaient entrées dans Fat Witch Bakery, une délicieuse pâtisserie qui proposait un nombre impressionnant de cupcakes. Madeline avait proposé d’en acheter six, qu’elles pourraient grignoter lors de leur promenade sur la High Line, cette voie ferrée reconvertie en parc. Faith, qui bavait devant chaque pâtisserie, avait tout de suite accepté, et les deux amies étaient parties pour la High Line avec leur en-cas. Une fois leur balade terminée, elles avaient dû retourner à l’hôtel, pour récupérer leurs valises qu’elles avaient laissées en conciergerie, et avaient pris un taxi jusqu’à l’aéroport. Maintenant, elles étaient à trois minutes du décollage, et chance déprimait de quitter le sol new-yorkais.

- Promets-moi qu’on reviendra, déclara Madeline, qui se sentait accablée de reprendre le chemin de leur maison. Dans quelques heures, elle retrouverait ses soucis quotidiens, la tension familiale et n’en avait aucune envie.

Faith lui attrapa ma main, et la serrant fort, lui fit une promesse silencieuse. Le voyage les avaient épuisées toutes deux, aussi bien physiquement - avec tous les kilomètres parcourus - qu’émotionnellement. Les confessions de Madeline avaient remué beaucoup de choses à l’intérieur, autant pour la principale concernée que pour sa meilleure amie. Mais ces quelques jours avaient le mérite de les avoir rapprochées. Les deux amies était déjà très proches avant, mais maintenant, elles avaient l’impression que quelque chose de plus fort, de plus intime, s’était installé entre elles. Un véritable lien indéfectible, qui durerait toute leur vie.

***

19h45, à l’Aéroport international de Portland

Les deux jeunes filles étaient sur le parking de l’aéroport, toutes deux les fesses posées sur leurs valises, attendant que la voiture d’Ezequiel fasse son apparition. Il avait envoyé un message à Madeline, lorsqu’elle et Faith récupéraient leurs bagages sur le tapis roulant, lui indiquant qu’il avait récupéré sa Chevrolet le soir de leur départ, grâce au double que conservait Evelyn, et qu’il viendrait les chercher toutes deux lui-même. Apparement, il ne tenait pas à ce que Madeline prenne le volant avec la fatigue accumulée de leur voyage.

Mais pour l’instant, aucun signe du jeune hispanique. Aucune voiture qui entrait sur le parking n’était sa Ford Mustang - de 1967, aimait à préciser son propriétaire - et il ne répondait ni aux textos, ni aux appels. Voilà vingt bonnes minutes que les deux amies patientaient, pourtant, le trajet jusqu’à Portland ne durait que dix minutes.

- Encore la messagerie, pesta Faith. Mais qu’est-ce qu’il fout, bon sang ?!

- Il est sûrement au volant, c’est pour ça qu’il ne nous répond pas.

- À l’heure qu’il est, on devrait déjà être chez nous, à raconter notre fabuleux périple à nos parents. Mais au lieu de ça, on est là, à poireauter comme deux idiotes, en …

Faith n’eut pas le temps de terminer sa phrase que la Mustang d’Ezequiel apparut. Jetant un œil aux alentours, il ne mit que quelques secondes à repérer les deux voyageuses. Pas compliqué, puisqu’elles étaient les seules personnes sur le parking. Il leur adressa un immense sourire, trop heureux d’enfin les retrouver. Que ces trois jours lui avaient paru longs, sans elles !

Tandis qu’Ezequiel leur laissait découvrir sa parfaite dentition, Madeline guetta discrètement la réaction de sa meilleure amie. Celle-ci avait un sourire béat sur les lèvres, et s’était déjà mise sur ses pieds pour accueillir son petit ami.

- Je suis désolé, les filles, commença Ezequiel en sortant de sa voiture. J’ai été pris par le temps et …

Sans plus de cérémonies, Faith se jeta dans ses bras. Elle l’enserra, quitte à l’étouffer, respirant son parfum qui lui avait tant manqué durant ces trois jours. Puis, elle l’embrassa avidement, comme si sa vie en dépendait. Devant cette démonstration de tant d’amour, Madeline détourna les yeux. Elle n’était pas encore habituée à voir ses deux meilleurs amis aussi proches, et puis, elle n’était pas complètement remise de sa rupture. Pas du tout même, et les voir se prouver leur amour de cette façon rappelait à Madeline ses baisers passionnés avec Jared. Pas une bonne idée.

Madeline entreprit de caser leurs valises dans le coffre de la Mustang, tandis que les deux amoureux ne se décollaient toujours pas. Pensant qu’ils ne le ferait pas tant qu’elle ne serait pas intervenue, Madeline leur lança :

- Vous savez qu’on est sur une place publique ? Vous allez commettre un attentat à la pudeur si vous ne retirez pas vos langues maintenant.

Ses deux amis éclatèrent de rire, mais obéirent, après un dernier baiser rapide. Puis, Ezequiel vint saluer Madeline, adossée contre la portière, côté conducteur, de la voiture.

- Quand même …, lui ronchonna cette dernière, faussement grognon.

Son ami d’enfance lui planta un baiser sur le front, avant de lui ouvrir la portière galamment. Madeline prit place sur la banquette arrière, sans ressentir la moindre amertume envers Faith, qui lui piquait son statut de privilégiée en s’asseyant côté passager. La jeune capitaine avait dépassé cela, et ce fut avec une pointe d’émotion - heureuse - qu’elle remarqua la main droite d’Ezequiel se poser naturellement sur la cuisse de Faith.

***

20h45, à Milwaukie

Coincée entre Ezequiel et Faith, sur le canapé, Madeline picorait des chips, posées dans un bol juste devant elle. Sa meilleure amie faisait le récit de leur visite à Liberty Island, l’agrémentant de photos de la vue époustouflante du haut de la Statue de la Liberté.

Sur la route qui les ramenait à Milwaukie, Faith avait proposé d’organiser une soirée spéciale « compte-rendu de voyage », chez elle. L’occasion de raconter à tout le monde leur périple et leur ressenti, sans devoir le répéter durant des semaines à tout le monde. Madeline s’était empressée d’approuver trouvant en cette soirée une occasion en or pour ne pas se retrouver seule avec ses parents. La rage, qu’elle avait mise de côté à New York, était revenue vivement en apercevant le panneau indiquant qu’ils entraient dans la « fabuleuse ville de Milwaukie ». Et Madeline n’était pas prête à affronter ses parents, tout en devant cacher au maximum ses véritables sentiments.

C’était pourquoi ils se retrouvaient tous dans le salon de Faith, à grignotait des gâteaux apéritifs, tout en écoutant la narration de leur périple new-yorkais. Parfois, Abigayle y allait de sa petite anecdote, souvenir de ses propres voyages dans la Grosse Pomme.

- Et aujourd’hui, qu’avez-vous fait ? demanda Darryl.

- Visites et balade, lui répondit froidement sa fille.

Les invités tournèrent tous la tête en direction de Madeline. Celle-ci défia son père du regard, comme pour l’inciter à répliquer. Ce qu’il ne fit pas. Darryl laissa couler, sans pour autant se dérober du regard. Il sentait la fureur de son aînée, et ignorait quelle en était la cause. Cela attendrait, il était hors de question de laver leur linge sale en public.

Comme si l’ambiance n’était pas devenue aussi glaciale que l’Antarctique, Faith entreprit de détailler leur programme de la journée. Elle lista chaque boutique visitée, non sans vanter les mérites de la Cinquième Avenue, qui regorgeait d’enseignes en tout genre.

- … L’heure de se rendre à l’aéroport est vite arrivée, et après, vous vous doutez des évènements. On voulait d’ailleurs vous remercier, une fois de plus, de nous avoir permis d’aller à New York. Ce voyage était vraiment incroyable, et nous sommes plus qu’heureuses de l’avoir fait. N’est-ce pas, Maddie ? l’invita Faith à prendre la parole, tout en lui décochant un léger coup de coude.

- Oui, bien sûr, c’était vraiment sensationnel. Merci.

Carlota enchaîna sur un autre voyage, celui qu’organisait Evelyn, et la questionna sur l’avancée des préparatifs. Abigayle se mêla à la conversation, lui donnant quelques conseils, s’étant elle-même rendue à Los Angeles, dans sa jeunesse.

- Mais tu as parcouru le monde entier, ma parole ! s’exclama Evelyn, qui ignorait cette facette de sa personnalité.

Bob ajouta qu’il était fier d’être l’homme d’une véritable globe-trotteuse, et Darryl - qui, jusqu’ici, soutenait le regard que n’avait pas détourné Madeline - lui demanda, sans sérieux, pourquoi il ne l’épousait pas pour en être le mari officiel. La conversation continua, sans que Madeline puisse être de la fête, la rancœur lui tenaillant trop l’estomac.

- Essaie de te détendre, Maddie, lui souffla sa meilleure amie à l’oreille. Ils vont se douter de quelque chose si tu continues à te comporter de cette façon.

- Et alors ? Ça donnerait un peu de piment à cette soirée, tu ne trouves pas ? répliqua l’intéressée d’un ton venimeux, qu’elle ne se connaissait pas elle-même.

- Je ne sais pas qui tu es ce soir, mais sûrement pas la Maddie que je connais. Parce que celle que je connais aurait fait l’effort d’être agréable, rien que pour prouver que ce voyage lui a plu. Et elle n’aurait jamais fusillé son propre père du regard.

Sur ces paroles, Faith se retourna vers Ezequiel. Elle l’interrogea sur ces activités de ces quatre derniers jours, lui susurrant des mots doux entre deux phrases. Madeline, qui se retrouvait seule avec sa colère, déclara à l’assemblé qu’elle rentrait chez elle, le besoin de se reposer se faisant ressentir. Elle appuya ses affirmations d’un bâillement, et après avoir refusé que ses parents la raccompagnent, pour profiter de leur soirée, elle embrassa tout le monde. Bientôt, elle passa la porte d’entrée de chez Faith, et eut le plaisir de se sentir apaisée. Maintenant qu’elle avait quitté ses parents, elle ne risquait plus d’exploser à tout moment.

***

1h45

Madeline tendit la main vers sa bouteille d’eau, encore à moitié endormie. Elle mit enfin la main dessus, et la secouant, elle ronchonna devant son contenu vide. Avec toutes les chips qu’elle avait englouties, Madeline mourrait de soif depuis son coucher, c’est-à-dire, trois heures auparavant. Et elle avait déjà bu un litre entier d’eau.

Sur la pointe des pieds, elle descendit l’escalier qui la séparait du second étage. Dans la salle de bain, elle glissa le goulot de sa bouteille sous le robinet et la remplit d’eau fraîche. Alors que Madeline s’apprêtait à remonter se coucher, elle crut entendre un cri étouffé. Theo ferait-il un cauchemar ? Elle tendit l’oreille vers sa chambre, mais ne perçut que le souffle régulier de son frère, profondément endormi. J’ai sûrement dû rêver …, pensa Madeline.

Persuadée que ce n’était que le fruit de son imagination, la jeune capitaine posa le pied sur la première marche, direction son lit ! Pourtant, un deuxième son, identique du premier, se fit de nouveau entendre.

- Je ne suis pas folle, quand même ! murmura Madeline.

Désireuse d’en savoir davantage, elle fit demi-tour, et descendit au premier étage. Si ça n’était pas son frère, c’était sans aucun doute ses parents. Le pied dans le couloir, elle perçut un faible filet de lumière sous leur porte, preuve qu’ils étaient réveillés. Jamais sa mère ne pourrait s’endormir sans le noir le plus complet. Madeline s’approcha à pas de loups, et se posta sur le côté droit de l’embrasure, ne souhaitant pas que ses pieds fassent de l’ombre, et qu’elle soit prise en flagrant délit d’espionnage.

- Pourquoi ne veux-tu pas me croire ? Je te dis que c’est tout à fait probable ! protesta Evelyn, d’un ton paniqué.

- Eve, plus personne n’en parle depuis des lustres, je dirais bien dix ans. Quand tout le monde a comprit que nos chances de retrouver notre fille étaient nulles, ils sont passés à un autre sujet de discussion. C’est trop de douleur, personne n’oserait en parler. Et tous les documents sont fermés à double tour dans mon bureau. Comment veux-tu qu’elle l’ait appris ?

- Je n’en ai strictement aucune idée ! Mais tu as vu son regard ce soir ? Elle nous fusillait à tour de rôle, et elle n’a presque pas ouvert la bouche, elle qui est une vraie pipelette, en temps normal. Et je te rappelle qu’elle revenait de quatre jours passés à New York, même l’individu le moins bavard aurait des tonnes de choses à raconter. Je te le répète, il y a quelque chose qui cloche.

- Elle a découvert que son petit ami la trompait, elle est anéantie, tenta Darryl pour rassurer sa femme, même s’il doutait lui-même de ses propos. Laisse-la s’en remettre avant de tirer des conclusions trop hâtives.

- Lundi, elle a laissé entendre que tu étais souvent absent pour ne pas penser à quelque chose, tout comme moi, et elle nous a accusés de lui mentir. J’ai le pressentiment qu’elle sait quelque chose, peut-être pas tout, mais assez pour être folle de rage envers nous.

- Désolée de te l’apprendre, mon amour, mais ton sixième sens n’est pas infaillible. Tu te trompes, j’en suis sûr. Maddie ne sait rien, assura-t-il d’un ton confiant, sans pouvoir ôter cette petite voix qui lui soufflait qu’il mentait.

- J’espère, Darryl, j’espère vraiment que j’ai tout faux. Parce que je ne veux pas qu’elle l’apprenne, termina Evelyn dans un sanglot étouffé.

Le père de Madeline ne répondit rien, et la jeune fille perçut le bruit de draps. Son paternel devait sûrement réconforter sa mère en la prenant dans ses bras. Elle n’attendit pas plus longtemps pour rejoindre sa chambre, à pas feutrés. Maintenant, ses parents avaient des doutes. Que faire ? Leur en parler, et s’expliquer ? Le garder pour elle ? Tout en se désaltérant, Madeline réfléchit à la meilleure option. Mais aucune ne lui semblait bonne. Alors, elle se tourna, et se laissa emporter par le sommeil. On dit toujours que la nuit porte conseil.

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