XIX - Conversation maternelle

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Lundi 16 juillet 2018, 11h45, à Milwaukie

Madeline se trouvait dans la salle à manger, occupée à dresser la table tandis que sa mère préparait le repas dans la cuisine. Plongée dans ses pensées, la jeune fille n’écoutait plus les bavardages d’Evelyn, de l’autre côté du couloir. Celle-ci le remarqua et essaya de capter son attention, sans succès. Quand sa fille revint vers elle pour prendre les couverts, elle l’intercepta.

- Chérie, tu m’écoutes ?

- Oui, Maman, mentit Madeline.

- Qu’est-ce que je disais, dans ce cas ?

- Euh … Aucune idée, désolée.

Sa mère soupira, tout en secouant négativement la tête. Les lèvres pincées, elle n’osait aborder le sujet qui lui tenait à cœur. La veille, Madeline s’était montrée agacée et n’avait presque pas prononcé un mot de la journée. Evelyn savait qu’on avait du mal à se remettre d’une première rupture, et elle aurait aimé en discuter avec Madeline, mais redoutait que sa fille ne se rebiffe.

Quant à la jeune blonde, elle ne pensait qu’à une chose, ou plutôt à une personne : Naomi. Lorsqu’Ezequiel était parti de chez elle, la veille, elle avait réfléchi à la première piste à exploiter. Elle avait pensé à Mme Rockoff, qui devait, sans aucun doute, être au courant, mais craignait que sa vieille voisine n’en touche deux mots à sa mère. Alors, dès qu’elle avait émergé des bras de Morphée ce matin, elle examinait toutes les possibilités

- Est-ce que tout va bien, Maddie ? Avec ce que tu as vécu ces derniers temps …

- Si tu veux parler de ma rupture, je m’en sors très bien. Je ne pense plus du tout à lui, pour dire vrai, l’interrompit froidement Madeline.

Evelyn fronça les sourcils, autant parce qu’elle était surprise du ton glacial de son aînée, mais aussi car elle s’étonnait de la voir passer à autre chose aussi vite. Un premier amour ne s’oubliait pas aussi facilement, et elle suspectait sa fille de lui mentir. Pourtant, cette dernière disait vrai. Elle ne pensait plus du tout à Jared. Mais ce n’était parce qu’elle avait passé outre leur rupture, ses pensées étaient juste concentrées exclusivement sur sa petite sœur. Mais cela, elle ne l’avouerait pas à Evelyn. Pas maintenant, en tout cas.

- Du coup, on discutait de quoi ?

- De Carla. Elle est tellement heureuse qu’il sorte avec Faith. Elle avait peur qu’il ne trouve jamais une fille bien, qui puisse lui faire respecter la gent féminine. Même s’il n’en parle jamais, elle est au courant que jusqu’ici, il était plutôt du genre à collectionner les petites amies.

- Ezi n’a pas de petites amies, seulement des conquêtes.

- C’est bien ce que je disais. J’espère que ça durera longtemps entre deux. Et puis, en y réfléchissant, ils vont bien ensemble, tu ne trouves pas ?

Madeline acquiesça, l’esprit ailleurs, de nouveau. Cette fois-ci, elle repensait à la conversation qu’elle avait eu la veille avec son meilleur ami. Il avait avoué être amoureux de Faith, pour la première fois de sa vie, et Madeline en avait été toute émue. Carla ne se trompait pas en affirmant qu’il avait dégoté une fille bien, car Faith était ce qu’Ezequiel aurait pu rêver de mieux. D’ailleurs, Madeline se demanda s’il avait tenu sa promesse d’aller lui confesser son amour. Il ne lui avait pas donné de nouvelles, et n’avait pas reçu de message de sa meilleure non plus. Peut-être étaient-ils encore ensemble ? Pourtant, ils avaient dû se quitter à un moment donné. Les parents de Faith n’auraient jamais accepté qu’un garçon passe la nuit dans le lit de leur fille et Bob tuerait celui qui oserait braver l’interdiction.

Il avait beau ne pas être son père biologique, Bob était tout aussi surprotecteur. D’ailleurs, Faith était sa vraie fille pour lui, et lui le véritable père de la jeune fille. Faith l’avait toujours surnommé « Papa », sans jamais cesser, même quand elle avait pris que Bob était en fait son beau-père.

Alors qu’elle avait seulement deux ans, le géniteur de Faith avait trouvé la mort dans un accident de voiture. Elle n’en avait donc gardé aucun souvenir, le connaissant seulement grâce aux photos que sa mère lui montrait chaque soir. Abigayle tenait à ce que sa fille connaisse le visage de son père biologique, et lui racontait un souvenir ou une anecdote le concernant avant qu’elle ne s’endorme.

Quelques mois après le tragique accident, tandis qu’Abigayle pensait ne jamais surmonter cette épreuve, elle avait rencontré Bob lors d’un séminaire professionnel. Il l’avait charmé durant ces trois jours, et Abigayle lui avait annoncé avoir déjà une petite fille. Bob avait répondu avoir toujours rêver avoir des enfants, et être prêt à élever cet enfant comme le sien si Abigayle voulait de lui. Ces paroles l’avait séduite, et elle était tombée amoureuse de cet homme exceptionnel. Dès la première rencontre entre Faith et Bob, beau-père et belle-fille étaient devenus extrêmement fusionnels, convaincant Abigayle d’avoir fait le bon choix. Bob avait tout de suite aimé la fille de cette femme pour qui il avait eu le coup de foudre, et avait même pleuré le jour où elle l’avait appelé « Papa » pour la première fois. Depuis, ces trois-là vivaient heureux, ravis de la famille qu’ils avaient créée. Bob et Abigayle étaient fous l’un de l’autre, comme au premier jour. Pourtant, ils n’avaient jamais tenté d’avoir un deuxième enfant, et ne s’étaient jamais mariés non plus. Faith s’en était toujours étonnée, et quand elle avait, une fois, posé la question à sa mère, celle-ci lui avait répondu qu’ils n’en avaient seulement jamais trouvé l’occasion. La jeune blonde aurait apprécié avoir une petite sœur ou un petit frère, ou même les deux, mais ses parents considéraient qu’il était aujourd’hui trop tard, qu’ils étaient devenus trop âgés pour revivre une grossesse, et se replonger dans les couches et les nuits blanches. Quant au mariage, ils assuraient n’y avoir jamais pensé.

Evelyn claqua des doigts devant le visage de sa fille, la tirant de ses pensées, une fois de plus.

- Tu es vraiment dans la lune, en ce moment, chérie.

- Désolée, j’ai juste plein de choses en tête.

- À ton âge ? Qu’est-ce que ça sera quand tu seras adulte, alors ? tenta Evelyn pour récolter un sourire de son aînée.

Mais Madeline ne répondit pas, et pas l’ombre d’un rictus ne passa sur son visage. Elle aurait voulu répondre à sa mère qu’être adulte n’était pas pire que de découvrir l’existence de sa sœur, cachée depuis plus de dix ans. Sauf que Madeline ne pouvait pas répliquer ainsi, malgré l’envie qui la rongeait. Evelyn ne s’attarda pas plus sur l’humeur morose de la jeune blonde, et appela son fils pour qu’il les rejoigne à table.

- Où est Papa ? demanda Madeline, tandis que sa mère retirait un couvert.

- Au bureau. Il ne mangera pas avec nous ce midi.

- Mais il y passe tout son temps, il ne peut pas le quitter ne serait-ce qu’une heure ?

- Ton père travaille sur un gros dossier, en ce moment, et ne peut se permettre de prendre une heure pour déjeuner avec sa famille.

- Pourquoi, son client est un esclavagiste ? répliqua sarcastiquement Madeline.

- Ne dis pas n’importe quoi ! Ce n’est pas le client, mais l’affaire qui requiert toute l’attention de ton père, et tu le sais très bien, alors épargne-moi ta mauvaise humeur. Crois-moi, il préférerait être ici plutôt que coincé au cabinet.

- Pourtant, on voit bien où est-ce qu’il a choisit d’être, marmonna la jeune fille, mais pas assez bas pour que sa mère ne comprenne pas.

- Comment oses-tu accuser ton père de travailler ? Ce n’est pas par plaisir qu’il se triture chaque jour les méninges pour résoudre ce cas compliqué, et on le sait tous. Même ton frère ne se plaint pas, alors qu’il a seulement dix ans. Alors arrête de faire ta petite fille gâtée, et garde pour toi tes réflexions mesquines, la rabroua sèchement sa mère, qui ne reconnaissait pas la fille qu’elle avait élevée.

Malgré l’air contrarié de sa mère, Madeline décida d’insister. Elle en voulait terriblement à ses parents, et n’arrivait à contenir la rage qui bouillonnait en elle. Dans son esprit, toute cette histoire était leur faute, et son fort caractère l’amenait à exprimer sa colère et son irritation, à travers ces paroles qu’elle ne pouvait retenir.

- Ce n’est pas de bosser que je l’accuse, mais de se tenir éloigné de sa famille. C’est vrai, après tout, il pourrait tout aussi bien se concentrer sur ce dossier dans son bureau, près de nous. Mais il a trouvé une bonne excuse pour s’échapper de la maison.

- Et pourquoi ton père souhaiterait une chose pareille ?

- J’en sais rien, ce n’est pas comme s’il me disait tout. Je suppose qu’il essaie de ne pas penser à quelque chose.

À ses paroles, Evelyn devint pâle comme un linge. Les yeux de sa fille exprimaient une assurance qu’elle lui avait toujours connue, mais qu’elle ne trouvait pas à sa place dans de telles circonstances. Depuis quand Madeline avait deviné la situation ? L’avait-elle seulement devinée ? Le ton qu’elle employait était celui d’une affirmation, et pas d’une supposition, comme elle l’avait déclaré. Evelyn avait-elle raté l’épisode où sa fille grandissait et ne croyait plus aux façades de bien-être qu’elle et son mari s’efforçaient d’ériger ?

- C’est comme toi, reprit Madeline, tu peux me dire pourquoi tu consacres autant de temps à préparer ton voyage pour Los Angeles ? Tu n’es jamais à la maison en ce moment, et ce n’est pas trois pauvres dérogations qui demandent à ce que tu parcours tout l’Oregon, si ?

- Ce n’est pas simple de vouloir emmener des enfants handicapés autre part que dans leur salle de classe, affirma Evelyn en tentant de cacher le tremblement de sa voix.

- Dis plutôt que t’essaies aussi de fuir la maison. Tout serait plus simple si vous ne passiez pas votre temps à mentir. Je sais que tu ne vas pas bien, même si tu t’efforces de démontrer le contraire, et c’est pire. Ne me fais-tu pas assez confiance ? De quoi as-tu peur ?

- Je suis juste fatiguée, Maddie.

- C’est ce qu’on dit tous, mais au fond, on sait tous que c’est faux. Je suis ta fille, je mérite la vérité ! Dans une famille, on n’est pas censés se cacher des choses ! Une famille, c’est fait pour se soutenir et retrouver le sourire quand on l’a perdu. Une famille, c’est la seule chose qui nous reste quand tout va mal, quand tout s’effondre. La famille est le pilier de toute une vie, mais apparemment, vous ne l’avez pas compris, toi et Papa.

Sur ces mots, Madeline quitta la pièce. Son discours était sincère, et malgré la rage qu’elle ressentait envers ses parents en ce moment, elle savait que dans dix ans, dans vingt ans, ils seraient toujours là pour elles. Avec toutes les épreuves et surprises que la vie lui réservait, c’est sur sa famille que Madeline pourrait compter quoi qu’il arrive, et elle ne le savait que trop bien.

- Theo, on mange ! l’appela sa sœur du salon.

Le petit garçon était assis sur une racine du chêne centenaire, lavant ses chaussures de baseball pour l’entraînement d’aujourd’hui. Attendant qu’il la rejoigne, Madeline le contempla, penchant au-dessus d’une cuvette remplie d’eau, concentré sur sa tâche. Soudainement, un flash s’invita dans son cerveau. L’arbre. Une silhouette assise au même endroit. Un visage flou, mais enfantin. Du rose. Puis tout disparut. Madeline se sentit tanguer sur ses jambes, et se rattrapa contre le mur. Elle avait comme le pressentiment que le visage flou était celui de sa sœur, et l’idée de retrouver un souvenir de Naomi lui donnait le vertige. Quand son frère la rejoignit, ils se dirigèrent ensemble vers la table de la salle à manger, où Evelyn les attendait, le teint livide. Madeline ne lui posa aucune question, elle se doutait que cette couleur presque maladive sur le visage de sa mère était le résultat de son discours. Elle espérait que sa mère ait retenu ses paroles plus que sincères, et qu’elle ne les oublierait jamais.

***

13h58

Madeline se garait actuellement devant l’entrée du parc North Clackamas, repérant au loin Damin, l’entraîneur de son frère. Ce dernier, quant à lui, étudiait minutieusement le terrain à la recherche de Zoey. Ce fut déçu qu’il se retourna vers sa sœur pour la saluer, avant de quitter la Chevrolet de Madeline. Alors que Theodore passait les portes grillagées du terrain, sans entrain, Madeline remarqua la Prius blanche de Peter prendre place derrière elle. Voilà qui allait remonter le moral de son frère ! Actionnant ses feux de détresse, Madeline descendit rapidement de sa voiture pour aller saluer poliment Peter. Zoey lui adressa un coucou de la main, avant de courir rejoindre ses coéquipiers. Janice, assise sur la banquette arrière, lui sourit à pleines dents. Madeline échangea quelques mots avec le père de famille, avant que celui-ci ne s’échappe pour se rendre à un rendez-vous. La jeune capitaine se rapprocha de sa Chevrolet, et leur dédiant un dernier signe de la main, elle les regarda partir.

Quand la Prius quitta son champ de vision, Madeline reporta son attention sur le terrain. Theo était en pleine conversation avec Zoey, le petit duo reculé du reste du groupe. Elle resta quelques instants à les contempler, si mignons. Ils se dévoraient du regard, et même de là où elle était, Madeline devinait les joues rougies de son frère. Parfois, elle enviait Theodore, encore si innocent, si naïf, si enfant. Sa plus grande préoccupation était sa coiffure, et l’opinion que pouvait avoir Zoey sur lui. C’était tellement loin des inquiétudes de Madeline ! Soupirant d’abattement, Madeline s’engouffra dans sa Chevrolet. À aucun moment, elle ne perçut le regard de Damin sur elle. Un regard mêlé de tendresse et de désir.

***

14h08

- Allô, Faith, c’est moi, s’annonça Madeline quand sa meilleure amie décrocha.

- Je sais bien, dois-je te rappeler la magnifique photo qui s’affiche sur mon écran lorsque tu m’appelles ?

- Non merci, ça ira, ronchonna la jeune capitaine.

La photo en question la représentait, de la glace au chocolat recouvrant son visage jusqu’au bout du nez, tandis qu’elle tentait de lécher son menton pour en perdre le moins possible. Humiliant.

- Je peux être chez toi dans cinq minutes, tu es libre ?

- Pour toi, toujours. Et puis, ce n’est pas comme si j’avais tellement le choix, si ?

- Hmm, attends que je réfléchisse, fit semblant d’hésiter Madeline. Non, pas vraiment.

- Et mon petit doigt me dit que ta venue a un rapport avec celle d’Ezequiel, hier.

- Tu sais que tu serais très douée comme détective ? Tu as un bon sens exceptionnel !

- Moi, je dirais plutôt que tu es affreusement prévisible ! Et aussi trop curieuse !

Dans un grand éclat de rire, Madeline tourna sur Harrison Street. Elle passa devant la station essence Texaco, puis la salle de bowling, nommée aussi originalement que possible Milwaukie Bowl. À cette heure de la journée, peu de voitures se trouvaient sur le parking.

- Dis, ça fait longtemps qu’on s’est pas fait un bowling, fit remarquer Madeline, qui considérait cette activité comme hautement divertissante.

- Hmm, c’est vrai. Il faudrait organiser ça. Bon je te laisse, je n’aimerais pas que tu te fasses arrêter parce que je t’ai retenue au téléphone !

Faith raccrocha sans plus attendre. Madeline en fut fort étonnée, car jamais personne de sa connaissance ne s’était fait arrêté dans la ville. Milwaukie se trouvait à une dizaine de minutes de Portland, et l’attention des forces de l’ordre était plus concentrée sur la plus grande ville de l’Oregon, plutôt que sur leur petite bourgade. Selon Madeline, Faith avait coupé court à leur conversation pour une autre raison, et elle ne manquerait pas de se renseigner.

***

14h18

- Ça veut dire que vous êtes ensemble, alors ?

Madeline, confortablement installée dans l’œuf suspendu de Faith, un bol de M&M’S entre les mains, écoutait avec intérêt le récit de sa meilleure amie. Celle-ci, installée en tailleur sur son lit, racontait en détail la conversation qu’elle avait eu avec Ezequiel, la veille.

- Oui !

Faith semblait aux anges, et Madeline était franchement heureuse pour elle. Sa narration lui avait coloré les joues d’un rouge tendre, tandis que ses yeux pétillaient de bonheur. Malgré la nostalgie que Madeline ressentait au souvenir de ses propres débuts avec Jared, elle partagea sa joie, lui souriant largement. Elle était maintenant convaincue que leur couple serait le plus heureux de tous, et qu’ils sauraient chacun faire honneur à l’amour de l’autre.

Déjà, Madeline remarquait la transformation de son plus vieil ami. Du statut de bad boy ténébreux, il s’était transformé en petit ami romantique. Remarquant les quelques voitures garées devant chez Faith, Ezequiel n’avait pas voulu l’embarrasser devant des invités, et il était rentré chez lui. Là-bas, il lui avait écrit une lettre, lui révélant ses sentiments, et lui donnant rendez-vous dans son jardin à minuit précise. L’heure venue, il l’avait attendue, posé nonchalamment sur un tronc d’arbre. Dès qu’il l’avait aperçue, son visage s’était illuminé d’un large sourire, et il s’était hâté de la prendre dans ses bras. Ils avaient longuement discuté, versé quelques larmes, et s’étaient beaucoup embrassés. Le meilleur moment de sa vie, selon Faith. Et pour Madeline, la preuve qu’Ezequiel était plus qu’honnête en affirmant être amoureux de la jolie blonde. C’était d’ailleurs parce qu’il avait envoyé un message à sa dulcinée que celle-ci s’était empressée de mettre brusquement fin à la conversation téléphonique d’avec Madeline.

- Et toi, Maddie, avec Jared … ? se renseigna, comme si de rien n’était, Faith.

- Rien de nouveau. De toute façon, c’est du passé. Je ne pense plus à lui et c’est tant mieux comme ça !

Faith examina attentivement sa meilleure amie, dubitative. Elle ne croyait pas un mot de ce que Madeline avançait, et espérait voir la preuve qu’elle mentait sur son visage, pour mieux insister. Mais le regard que lui lança Madeline semblait sincère, et pas une once de tristesse n’assombrissait ses iris émeraudes.

- Donc, ça ne te fais rien si je te dis que je les ai aperçus, lui et Liz, au glacier, hier ?

- Non, rien du tout. Crois-moi, je suis passée à autre chose.

Pour éviter le regard de Faith, la jeune capitaine plongea son nez dans les cacahuètes enrobées de chocolat. Sinon, elle aurait deviné aussitôt qu’elle mentait. Car cette information lui avait provoqué un vif pincement au cœur, encore pire que quand elle les avait aperçus collés l’un à l’autre à la fête des jumelles. Parce que quand les beaux jours avaient fait leur apparition, Jared et elle s’étaient lancé le défi de manger toutes les combinaisons doubles de glaces possibles. La dernière fois qu’ils s’y étaient rendus, quinze auparavant, ils avaient réalisé être bientôt au bout de leur pari, puisqu’il leur restait seulement deux combinaisons. Maintenant, c’était avec Elle qu’il allait déguster cette gourmandise glacée. Lui avait-il souffler l’idée du défi ? Et si oui, avait-il précisé qu’il l’avait imaginé avec Madeline ? Ou au contraire, avait-il oublié tous les souvenirs partagés, au même moment où il avait vu leur coupe définitivement détruit, sans en être bouleversé plus que cela ?

Sans s’en rendre compte, Madeline laissa échapper une larme, bientôt suivie par une seconde. Faith s’empressa d’attraper un mouchoir, et de se glisser aux côtés de sa meilleure amie pour lui essuyer ses joues déjà humides.

-Dire que j’ai failli te croire, murmura-t-elle tristement.

Elle retira délicatement le bol de sucreries des mains de Madeline, avant de le poser sur sa commode, derrière elle. Elle enserra alors ses bras autour du corps de Madeline, posant sa tête contre son épaule, secoué par les sanglots.

- Il ne mérite pas tes larmes, Maddie.

L’intéressée hocha la tête, lui signifiant qu’elle ne le savait que trop bien. Sa mère le lui avait répété pendant ses deux jours d’hibernation, tandis qu’elle essayait déjà de s’en convaincre. Pourtant, elle ne pouvait retenir ses sanglots. Elle lui en voulait, certes, mais elle pleurait aussi à cause d’elle, parce qu’elle était incapable d’envisager de passer à autre chose, et cela la rendait folle.

- Je … l’aimais … tellement, chuchota Madeline, d’une voix entrecoupée de sanglots.

- Pourquoi utilises-tu le passé ? rétorqua Faith. J’ai bien l’impression que c’est encore d’actualité.

Elle avait bien raison. Malgré la trahison, la douleur, le cœur brisé et tout le reste, Madeline n’arrivait pas à se débarrasser de son amour pour lui. Sa mère lui avait dit que serait long, et éprouvant, mais Madeline souhaitait que cette souffrance disparaisse au plus vite, sans avoir à attendre pendant des lustres. D’après Evelyn, le mieux était de se changer les idées, de sortir, de rencontrer ses amis et s’amuser. Sauf que chaque recoin de la ville lui faisait penser à Jared, et c’était indélébile. Si elle voulait penser à autre chose qu’à lui, il lui fallait quitter Milwaukie. Et cette réflexion développa en elle une folle envie d’aventure. Elle s’imaginait déjà prendre la route, découvrir du pays et oublier tous ses tracas. Pas seulement l’infidélité de Jared, mais aussi ses découvertes sur Naomi, la conversation houleuse qu’elle avait eu avec sa mère la journée même, devoir affronter ses parents qui lui mentaient depuis des années. Oui, le moment était spécialement bien choisi pour voyager. Sauf qu’elle ne voulait pas le faire seule.

- Et si on partait en vacances, toutes les deux, loin d’ici ? lança Madeline, espérant que la perspective de quitter leur petite ville enchanterait Faith autant qu’elle.

- Euh … Eh bien, moi, je suis partante, carrément même ! Mais tu connais mon père, il ne voudra jamais me laisser aller plus loin que Portland.

- Mais Bob nous connaît bien, et il sait très bien qu’on ne fera pas les fofolles dans les bars. En plus, on ne quittera pas le pays. Et puis, s’il refuse vraiment, tu convaincs d’abord ta mère, et il sera obligé de suivre. Il ne peut rien lui refuser. Comme à toi, d’ailleurs. Fais des yeux de biche, et c’est dans la poche.

Madeline s’était redressée, et ses larmes avaient cessé de couler. Elle était véritablement enthousiasmée, et commençait même à devenir survoltée. Elle ne rêvait plus que d’une chose, c’était prendre le volant de sa Chevrolet et ne plus s’arrêter avant avoir avalé des kilomètres et des kilomètres. De plus, Madeline n’était jamais partie qu’avec ses parents, et l’idée de voyager seulement avec sa meilleure amie était particulièrement tentante.

- Faith, s’il te plaît, dis-moi oui, je t’en supplie. Pense à notre liberté si on s’en va rien que toutes les deux.

La jeune blonde prit l’air de quelqu’un qui réfléchit, comme si elle n’était pas également enchantée à la perspective de partir en aventure avec Madeline. Elle souhaitait juste la faire un peu enrager. Celle-ci tomba dans le piège, et en rajouta pour la rallier à son projet :

- Pour ton père, tu n’as qu’à exploiter l’idée de la découverte, que tu as besoin de grandir et découvrir le monde par tes propres moyens, qu’il faut que tu te crées des souvenirs par toi-même, bla bla bla. La rengaine habituelle, quoi. Allez, on va tellement s’amuser.

Faith planta son regard dans celui de sa meilleure amie, et la prévint :

-J’accepte à une condition.

Elle la sentit retenir son souffle, partagée entre joie et appréhension. Elle rigolait intérieurement de la voir ainsi, d’habitude si confiante. Normal, c’était toujours elle qui dictait les ordres et établissait les règles ! Mais aujourd’hui, Madeline dépendait de Faith, et cette dernière profitait de son pouvoir jusqu’à la dernière seconde.

-Je veux partir à New York et nulle part ailleurs, déclara-t-elle enfin.

Madeline cria, non, hurla plutôt, de joie. Elle descendit brusquement de l’œuf suspendu, manquant le décrocher du plafond, avant d’entamer une petite danse de la victoire. Partir à New York, elle ne pouvait rêver mieux ! Momentanément, elle oublia soucis et peines, entraînant Faith dans son déhanchement. Dans de grands éclats de rire, les deux amies laissèrent leurs corps exprimer leur bonheur, puis, une fois calmées, elles s’affalèrent par terre, commençant déjà à organiser leur périple.

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