XVIII - Kidnapping

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Mercredi 4 juillet 2007, 9h, à Milwaukie

En cette chaude matinée de juillet, la ville de Milwaukie était, pour dire, déserte. Les commerçants n’avaient pas encore ouvert les portes de leurs boutiques, les habitants, qui n’avaient pas la chance d’être partis en vacances, s’étaient déjà rendus à leur travail, aucun adolescent ne s’amusait au skatepark, et même le marchand de glaces n’avait pas encore placé son camion à sa place habituelle. Si un passant était passé par là, il aurait pu croire la ville encore complètement endormie.

Cependant, sur Willow Street, dans un jardin ombragé par un chêne centenaire, deux petites filles et leur mère se trouvaient là. Alors que la jeune maman était plongée dans un polar captivant et la cadette absorbée par ses poupées, l’aînée, une blondinette au caractère bien trempé, pleurnichait, réclamant sa nouvelle Barbie pour jouer dehors.

- Mamannnnnn, s’il te plaaaaaaît …, quémandait-elle.

- Je t’ai déjà dit non, Maddie.

- Mais je vais faire super attention, Maman …

- Madeline, ça suffit maintenant ! J’ai dit non !

La petite fille était mécontente, elle aurait aimé que son père soit présent, car celui-ci lui disait toujours « oui », et elle était persuadée que ce moment n’aurait pas fait exception. La fillette retourna à ses poupées, sans entrain, tout en imaginant un plan dans sa tête qui lui permettrait de monter dans sa chambre et récupérer l’objet de sa convoitise, sans que sa maman ne la voit.

Quinze minutes plus tard, alors que la jeune enfant n’avait toujours pas réalisé son projet, elle recommença à réclamer sa poupée à sa mère, les bras croisés sur sa poitrine :

- S’il te plaît, Maman … chouina-t-elle une nouvelle fois.

- J’ai dit non, répondit sa mère froidement.

- Mais, Maman, je te promets de ne pas salir sa robe de princesse, je ferai super attention.

- Maddie, stop, c’est non. Je ne veux plus t’entendre.

La jeune femme était sans appel, et retourna à son livre qu’elle aurait aimer terminer au plus vite, non sans avoir lancé un dernier regard d’avertissement à son aînée. Cette dernière n’avait d’autre choix que de se contenter des poupées étalées sur l’herbe, tout comme le faisait sa petite sœur.

Tout d’un coup, le téléphone sonna, provoquant un soupir de frustration chez la maman, qui ronchonna qu’on ne pouvait jamais être tranquille chez soi. Elle posa d’un coup sec son livre et alla répondre. La blondinette en profita pour tendre l’oreille, et fut ravie de comprendre, au ton de sa mère, que c’était sa grand-mère Violet qui appelait. Cette dernière exagérait toujours ses propos, et faisait passer à la jeune maman des heures au téléphone. Silencieusement, la fillette la remercia, lui créant ainsi l’occasion de mettre son plan à exécution.

Délicatement, elle se leva et se dirigea en direction des baies vitrées qui la séparaient du salon. Sauf qu’elle n’avait pas fait trois pas, qu’une voix fluette l’interpella. C’était sa sœur, qui en robe rose et le sourire aux lèvres, semblait peu rassurée. Ses grands yeux bleus azur étaient écarquillés et fixaient son aînée.

- Tu vas où, Maddie ? la questionna-t-elle.

- Chercher quelque chose, je reviens dans pas longtemps.

- Je veux pas rester toute seule, Maddie, j’ai peur toute seule.

- Je sais bien, Nana, mais je te promets d’aller super vite. Je vais courir le plus vite possible, d’accord ?

La cadette acquiesça, retournant à ses poupées qu’elle baignait dans une cuvette d’eau. Sa sœur lui avait promis de revenir vite, et elle la croyait. Elle n’avait aucune raison d’avoir peur, car elle tenait toujours ses promesses. La blondinette courut alors jusqu’à la baie vitrée grande ouverte, permettant à l’air de circuler et évitant qu’il ne fasse une chaleur étouffante dans la demeure. Elle aperçut sa mère dans la cuisine, qui feuilletait frénétiquement un livre à la recherche d’une recette.

- Maman, je ne le trouve pas. Tu peux bien la remplacer par une autre, non ?

La fillette devina que sa grand-mère avait refusé - pas étonnant de sa part ! - et sa mère retourna au début du livre, tournant les pages toujours plus vite. La blondinette n’attendit pas plus longtemps, et se faufilant à quatre pattes, elle atteint le premier escalier sans se faire repérer. Elle monta deux à deux les marches et se rua dans sa chambre, récupérant avec plaisir sa fameuse poupée en plastique. Son père la lui avait offerte quelques jours auparavant, alors qu’il avait passé le week-end en réunion à Portland. Il avait aussi ramené une famille toute mignonne de dauphins à sa sœur, avec laquelle elle était autorisée à jouer dehors.

- Pourquoi je n’aurais pas le droit, moi aussi ? murmura pour elle-même la fillette, jalouse.

Pendant ce temps, dans le jardin, la cadette faisait plonger sa Barbie à queue de sirène dans l’eau, éclaboussant au passage ses pieds nus. L’eau qui ruisselait sur ces derniers lui provoqua un grand éclat de rire, attirant l’attention de la personne qui se trouvait sur le trottoir, de l’autre côté de la haie.

Cet individu, profondément triste et en mal d’enfant à ce moment précis, ne put s’empêcher de jeter un œil sur l’endroit d’où était provenu ce rire cristallin. Ce quelqu’un repéra la jeune enfant, seule, si innocente et si mignonne, et se demanda si l’enfant se souviendrait de ses premières années ici, s’il venait à l’enlever.

- À quoi je pense, enfin ? se rabroua-t-il.

Puis les souvenirs l’assaillirent, des souvenirs douloureux, qui avaient créé des plaies béantes dans son cœur. Ces dernières ne pouvaient être réparées que par un enfant, cette personne en était sûre. Sa récente découverte personnelle avait brisé son bonheur, et si cet individu voulait être à nouveau heureux un jour, c’était à lui d’y remédier. Le personnage n’avait plus les idées très claires, et ce fut dans un état confus qu’il pesa le pour et le contre, imaginant les retombées si on venait à découvrir ce qu’il s’apprêtait à faire. Entre les années de prison, la souffrance de la famille, et le choc psychologique chez la jeune enfant, la personne avait plus d’arguments à l’encontre de cette idée folle qui lui avait traversé l’esprit.

- Personne ne me découvrira, se rassura l’être embrouillé. Je me cacherai loin, et puis, les Peterson ont déjà une fille, ils ne se retrouveront pas totalement sans enfant, contrairement à moi. En plus, la petite a seulement quatre ans, bientôt, elle oubliera toute cette vie ici, et sera persuadée que c’est moi qui l’ai toujours élevée.

Entrevoyant un avenir radieux avec cet enfant, le diabolique personnage décidé d’exécuter son plan malhonnête. Il enjamba le portail blanc qui se trouvait sur sa droite, prenant d’abord garde à ne pas être vu. L’individu fut satisfait de constater tous les volets des voisins fermés. Malgré l’heure matinale, la chaleur pouvait paraître étouffante pour les personnes âgées, et le quartier était beaucoup habité par des gens de cette tranche d’âge.

Convaincu d’être seul, n’ayant pas vérifié la maison d’à côté et donc, pas aperçu le petit monsieur à la fenêtre, l’individu pénétra le jardin, s’approchant de la fillette. Cette dernière était trop occupée à jouer avec ses nouveaux dauphins et sa Barbie pour se rendre compte de ce qui était en train de se passer. À quelques pas seulement de l’enfant, être tourmenté par cette abominable histoire de famille hésita encore. Il avait la possibilité de faire marche arrière, et de ne pas commettre l’irréparable. Il avait encore le choix.

Une ombre le fit sursauter, et l’individu se cacha derrière l’énorme tronc du chêne. Il aperçut la jeune maman, toujours aussi élégante, malgré l’air exaspéré qu’elle arborait. Elle cherchait furieusement quelque chose dans un meuble près de la baie vitrée grande ouverte. Le téléphone à l’oreille, elle discutait vivement avec quelqu’un. Un silence, et elle leva les yeux au ciel. Elle repartit plus loin dans la maison, et le personnage sut que c’était le moment ou jamais.

Il se lança à l’encontre de la fillette, qui sursauta d’abord à sa vue. Puis elle contempla plus attentivement son visage, et reconnut la personne qui se tenait devant elle. Elle lui sourit, et son sourire convainquit l’être sans scrupules que la petite serait heureuse avec lui. Il savait qu’il saurait être un parent génial, et la protègerait jusqu’à sa mort. Il lui tendit les bras, et la fillette accepta de bonne grâce de se faire porter. N’attendant pas plus longtemps, il s’enfuit, espérant l’emmener pour toujours.

Une trentaine de secondes plus tard, la jeune blondinette revint, tout aussi discrètement que lors de l’aller, dans le jardin. Victorieuse, elle tendit fièrement le bras pour que sa sœur puisse admirer sa jolie poupée. Elle courut vers l’arbre pour raconter à sa cadette le déroulé de sa « mission secrète ». Sauf qu’au pied du chêne, personne ne s’occupait plus des dauphins en plastique. Surprise, la jeune enfant vérifia d’un coup d’œil si sa sœur ne contemplait pas un papillon qui s’était aventuré par ici. Elle les adorait, et malgré la recommandation de rester à l’ombre de la part de leur mère, la fillette ne pouvait résister à une paire d’ailes colorées. Mais aucune couette châtaine ne se baladait au milieu des fleurs. La petite blonde ne s’en inquiéta pas pour autant. Elle était convaincue que sa cadette jouait à cache-cache, sa deuxième passion. L’aînée enfouit sa Barbie à robe de princesse sous une pile de vêtements destinée à ces poupées en plastiques, au cas où sa mère reviendrait avant qu’elle ait retrouvé sa sœur.

En premier lieu, la petite demoiselle se concentra sur les cachettes habituelles de sa cadette. Derrière chaque buisson, chaque arbuste, dans la remise au fond du jardin et dans le garage, accessible par leur côté de la maison. Aucune trace d’une petite en robe rose. Et si elle était tout simplement montée dans sa chambre, trouvant l’attente trop longue ? Elle détestait être seule, et se serait sentie plus en sûreté dans la maison. Sauf que la blondinette l’aurait entendue, ou bien vue, ce qui n’avait pas été le cas.

Il y avait quelques semaines, sa sœur en avait eu marre d’être découverte au bout de seulement deux minutes, malgré les efforts de son aînée pour pousser les recherches. Alors, elle était grimpée au chêne centenaire, prenant appui sur des branches un peu trop frêles. La fillette était un poids plume, mais lorsqu’elle s’était appuyé sur son pied droit pour atteindre de sa jambe gauche une branche plus solide, celle où était reposé son pied craqua. L’enfant était tombée, heureusement pour elle, de pas très haut. Sa chute lui avait tout de même valu un énorme bleu sur sa cuisse droite et son bras, ainsi qu’un méchant tordage de cheville. Depuis ce jour, leurs parents leur avait interdit de recommencer leur petit jeu, souhaitant à tout prix éviter un nouveau séjour aux urgences.

Mais la petite blondinette n’était pas étonnée de voir sa sœur désobéir. Le cache-cache était son péché mignon, comme le chocolat l’est pour d’autres. Elle se précipita alors au chêne, ayant passer au peigne fin tous les abris faciles d’accès pour sa cadette. La boule au ventre, elle tenta de distinguer quelque chose à travers les nombreuses feuilles, en vain. Elle craignait que sa sœur ait atteint la branche qu’elle convoitait la fois dernière, et ne voulait pas avoir à appeler sa mère pour l’aider à en descendre.

- Naomi ! Nana, c’est moi ! Est-ce que tu es là-haut ?

- …

- Naomi, j’rigole pas du tout ! Nana, t’es là ? Dis-moi si t’es là, c’est une bonne cachette, tu sais ? Et c’est pas grave si je t’ai trouvée.

- …

- Naomi !

Devant une absence complète de réponse et une inquiétude grandissante, la fillette décida d’aller trouver sa mère, qui risquait de se fâcher en apprenant que sa cadette avait désobéi.

- Maman ! Maman !

- Oui, c’est ça et ensuite, tu … Attends, Maddie, j’explique quelque chose à Mamie Violet … Non, la levure, c’est à la fin, comme tous les gâteaux, Maman ! Tu n’en as jamais préparé ou quoi ?

- Maman, faut que tu viennes vite, j’retrouve pas Nana …

- Oui, voilà … Quoi ? Qu’est-ce que tu dis, chérie ? Attends, Maman, Maddie a besoin de moi, je te rappelle après, débrouille-toi toute seule. Bisous, Maman.

Après avoir raccroché, la jeune mère décida d’envoyer tout de même, par photo, la recette du dessert que voulait cuisiner sa génitrice pour le dîner du soir. De tous les entremets possibles, c’était celui dont sa fille avait cru avoir perdu la recette qu’elle souhaitait préparer.

- Alors, qu’est-ce que tu me disais, Maddie ?

- Je retrouve pas Naomi, je ne sais pas où elle s’est cachée … Je sais qu’on doit plus jouer à cache-cache mais …

- Calme-toi ma puce, elle ne peut pas être bien loin. Notre jardin n’est pas digne de celui d’un château, tout de même !

Tout en prenant la main de son aînée, la maman se dirigea vers le jardin, à la recherche de sa cadette, qui devait se réjouir d’avoir déniché un aussi excellent refuge. Après quelques minutes de recherche infructueuse, la jeune mère sentait une sérieuse inquiétude pointer le bout de son nez. Elle décida de ne pas la laisser la submerger, et passa à une recherche stratégique.

- Maddie, où as-tu compté ?

- J’ai pas compté.

- Maddie, je me fiche que tu aies compté ou non, ce que je veux savoir, c’est l’endroit où tu t’es mise pour laisser à ta sœur le temps de se cacher. Alors, où étais-tu ?

- …

- Maddie ? C’est important si on veut trouver Naomi qui a l’air de s’être très bien cachée, déclara-t-elle d’un ton neutre, malgré l’impatience et la peur qui prenaient petit à petit le pas sur son assurance.

- Bah … En fait … J’étais dans ma chambre …, répond l’enfant, la tête basse, ayant peur de se faire gronder.

- Dans ta chambre ? Qu’est-ce que tu y faisais ?

- Je voulais ma nouvelle Barbie pour jouer, je suis désolée Maman …

Honteuse d’avouer sa désobéissance, c’est rapidement la surprise qui la gagna. Pourquoi sa maman ne la disputait-elle pas ? En osant hausser les yeux, la blondinette découvrit sa mère aussi blanche qu’un linge, le regard paniqué et les mains tremblantes.

- Maman ?

L’interpellée n’entendait plus le son de la voix de son aînée. Elle tentait de se concentrer sur son souffle, pour ne pas vomir toutes ses tripes. Sa cadette était obligatoirement cachée quelque part, c’était impossible qu’elle soit à un autre endroit que chez eux. Néanmoins, une petite voix lui soufflait que sa plus jeune fille détestait être seule, et derrière ses grands airs, elle préférait se faire rapidement découvrir plutôt que de rester terrée pendant des heures.

- Non, c’est impossible, murmura la trentenaire qui avait le regard brouillé par les larmes. Il ne faut pas s’affoler, elle est là, c’est certain.

Cependant, la panique prit le dessus sur ses bonnes résolutions, et elle ce fut en courant qu’elle retourna chaque coin de la maison. Au bout d’un temps indéfinissable, elle se laissa choir dans le canapé. La crise de panique arrivait à grands pas. Elle devait appeler son mari avant de ne plus pouvoir sortir un son de sa bouche. À la première sonnerie, il décrocha.

- Allô, mon amour ?

- Darryl, dépêche-toi, il faut que tu rentres. Na …

Impossible de prononcer ces mots. Malgré l’évidence, la jeune maman essayait de se convaincre que ce n’était pas vrai.

- Que se passe-t-il, Eve ? Tout va bien, avec les filles ?

- Non … On a un gros problème.

La jeune femme entendit son époux s’affairer à l’autre bout du combiné. Elle percevait le froissement de vêtements, une fermeture éclair actionnée et les roulettes d’une chaise qu’il poussait. La maman se demanda si elle devait lui annoncer la terrible nouvelle au téléphone, mais craignait qu’il lui arrive quelque chose sur la route. Pourtant, son cerveau et sa bouche ne lui obéirent pas, et d’une voix blanche, elle lui apprit :

- Naomi a disparu.

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