XVII - Un deal de taille

20 minutes de lecture

Dimanche 15 juillet 2018, 14h15, à Milwaukie

Madeline et Ezequiel s’étaient défaits l’un de l’autre, et discutaient joyeusement. Bien évidement, leur sujet de conversation était Faith, et la jeune capitaine écoutait avec plaisir son meilleur ami peindre l’éloge de la jeune blonde.

- Tu sais, ta bénédiction est très importante. Pour nous deux, déclara soudainement Ezequiel, fixant Madeline de ses yeux verts émeraude.

- Comme si vous l’aviez attendu pour vous jeter dans les bras l’un de l’autre …

- Sauf que la prochaine fois, Faith ne s’enfuira pas parce que tu n’es pas d’accord avec nos sentiments.

Un éclair de douleur passa dans le regard d’Ezequiel, et Madeline se demanda s’il souhaitait en parler. Il n’était pas très doué pour exprimer ses sentiments, et ce qu’il avait révélé à Madeline était déjà énorme pour lui. Bien plus ce qu’il avait pu confier à Madeline en dix-huit ans. Même concernant son père volatilisé, Ezequiel n’évoquait jamais ce qu’il ressentait, et si Madeline connaissait sa souffrance intérieure de grandir sans lui, c’était parce qu’elle le connaissait plus que n’importe qui.

- Carla nous a appris vous avoir découverts tous les deux dans ton lit, ce matin. Sa fuite de vendredi est oubliée, non ?

- Elle l’a été, jusqu’à notre réveil. Dès Mamá partie, elle s’est complètement renfermée et après une conversation … houleuse, elle a encore fui. Non seulement elle ne voulait pas te faire de mal, mais elle était convaincue qu’une fois l’été passé, je passerais à autre chose. Elle pense que je vais préférer consacré mon année sabbatique à voyager plutôt qu’à rester auprès d’elle.

- Et bien évidement, tu lui as rétorqué être fou amoureux d’elle.

Ezequiel évita le regard de son amie d’enfance, marmonnant un « Non » à peine audible. Madeline attrapa un coussin qu’elle lui jeta à la figure, lui approuvant qu’il n’avait pas bien agi, même s’il ne le savait que trop bien.

- T’es vraiment trop con ! lui reprocha-t-elle.

- Je sais, je sais mais … j’étais comme paralysé, d’accord. Elle semblait ne pas me faire du tout confiance et …

- Ce n’est pas en toi qu’elle ne croit pas, mais en elle.

- Je m’en suis rendue compte … avoua tristement Ezequiel.

- J’ai essayé pendant nombreuses d’années de lui donner confiance en elle, mais elle a tellement peur de souffrir, et d’échouer, qu’elle préfère fuir devant la difficulté. Je ne sais pas d’où ça peut venir, mais tu es le seul à pouvoir rectifier le tir. Je te fais confiance, Ezi.

- Alors, quoi ? Il suffit que je lui dise que je l’aime et elle surpassera cette peur d’être moins bien que mes précédentes conquêtes ? Car c’est ce qu’elle m’a dit, elle se sent inférieure à celles que j’ai pu fréquenter.

- Alors, prouve-lui le contraire. On sait tous les deux que personne ne lui arrive à la cheville, pas même moi. Faith est incroyable. Elle est emplie de qualités, est une amie extraordinaire, une fille fantastique aussi, car elle aime Bob autant que si c’était son vrai père, et … et je ne sais même pas quoi dire. Le seul défaut, c’est cette peur de souffrir. Mais elle peut la combattre, grâce à toi.

Ezequiel acquiesça, silencieux. Madeline espéra ne pas lui avoir fait peur en lui confiant une telle responsabilité. Faith avait toujours été habitée par cette peur de l’échec, ainsi que de la souffrance, et rien de tout ce qu’avait tenté Madeline ne l’avait débarrassée de cette crainte. Alors, systématiquement, elle se protégeait devant un obstacle, contrairement à sa meilleure amie qui tentait tout pour le surpasser.

- Tu as compris ce que tu dois faire ?

- Oui, assura Ezequiel.

- T’en es sûr ?

- Certain. Je vais lui avouer que je l’aime de tout mon être, et lui chanter des sérénades tous les soirs sous sa fenêtre s’il a besoin de ça pour me croire. Et après ça, je serai à ses côtés chaque jour, lui montrant à quelle point elle est importante à mes yeux et exceptionnelle. Je lui ferais oublier ses craintes idiotes, et la ferait se sentir la plus heureuse du monde.

- Excellente réponse, Ezi. Elle a vraiment de la chance de t’avoir.

- Je sais, rétorqua-t-il, arrogant.

Madeline lui jeta une nouvelle fois un coussin en pleine figure. Ils rirent et se chamaillèrent comme des enfants pendant quelques minutes, puis Madeline décida qu’il était temps de libérer son meilleur ami, même si elle aimait ces instants qu’ils partageaient.

- Tu devrais aller lui dire tout ça maintenant, Ezi.

- J’aimerais bien, mais on n’a pas fini notre conversation. Et tant que ça ne sera pas fait, je ne bougerai pas d’ici.

- Parce que tu as encore deux ou trois confessions à me faire ?

- Plutôt une demande. Et elle concerne mon père.

Madeline sentit que la légèreté de l’ambiance quittait peu à peu la pièce, la gravité la remplaçant. Ezequiel avait, quant à lui, abandonné son sourire jovial et arborait une mine solennel. Pas une once de joie, d’humour qui le caractérisaient. Juste du sérieux.

- Écoute, reprit-il, je sais que t’es contre fouiller dans les papiers de ses parents mais …

- Plus maintenant.

- Je … Quoi ? Comment ça ?

- Je l’ai fait, Ezi. Hier soir, j’ai fouiné dans le bureau de mon père.

Le jeune hispanique avait perdu toutes couleurs, mais cette fois-ci, Madeline ne s’en inquiéta pas plus que cela. Elle revoyait dans son imagination l’acte de naissance de Naomi. Sa petite sœur décédée. Celle dont elle découvrait l’existence à dix-sept ans.

- Et j’ai trouvé quelque chose, annonça-t-elle d’une voix grave.

Sans attendre de réaction, ou de question, de la part de son ami, Madeline sortit la pochette marron qu’elle avait rangé dans son tiroir de table de chevet. Elle lui tendit sans un mot, tandis qu’Ezequiel la fixait de ses iris émeraudes. Quand il ouvrit le dossier, il crut défaillir. La première feuille qui apparut représentait Madeline et sa petite sœur. Sa meilleure amie était donc au courant. Il lui jeta un coup d’œil, et la découvrit blanche comme un linge. Son silence complet à table s’expliquait mieux. Il ne savait quoi dire. Se doutait-elle qu’il était au courant ? Ne préférant pas s’avancer trop vite, il se contenta d’examiner attentivement les feuilles dessinées. Non pas qu’elles l’intéressaient véritablement, mais il essayait de gagner du temps comme il le pouvait, avant d’avoir à entamer la discussion. Lorsqu’il découvrit l’annotation « Papiers officiels », et l’acte de naissance de Naomi, il ne put s’empêcher de lâcher un juron.

- Merde …

- Tu le savais, n’est-ce-pas ? le questionna-t-elle en plantant son regard dans le sien.

Ezequiel ne pouvait lui mentir les yeux dans les yeux, et de toute façon, il ne voulait plus le faire. Depuis dix ans qu’il lui cachait l’existence de sa sœur, il avait atteint un point où il se fichait d’obéir à sa mère et au couple Peterson. Ils lui avaient demandé de tenir sa langue, et il avait réussi pendant une décennie entière. Mais aujourd’hui, Madeline avait levé le voile sur le fameux secret, seule, et il représentait le seul moyen d’en savoir plus. Il ne pouvait le lui refuser.

Pour toute réponse, il acquiesça, et Madeline poussa un long soupir. Elle sentait une boule naître dans son ventre, et les larmes réapparaître. Elle n’en voulait pas vraiment à Ezequiel, ce n’était pas son rôle de lui apprendre pour Naomi. Elle était encore plus en colère contre ses parents, qui avaient laissé Ezequiel prendre part à la confidence tandis qu’elle, leur propre fille, n’était au courant de rien.

- Je suis sincèrement désolé, Maddie.

- Depuis quand ?

- Longtemps. Trop longtemps, maintenant. Je n’en peux plus de devoir te le cacher.

Madeline tombait de très haut. Même si elle ne ressentait envers lui aucune amertume, elle se sentait tout de même trahie. Ils s’était jurés de toujours tout se dire, et Ezequiel avait failli à sa promesse pendant un certain temps. Pourtant, elle n’en était pas si surprise. Il lui avait suffit de le voir pâlir lors de l’évocation de Willow, et ensuite, quand elle avait assuré que ses parents lui cachaient quelque chose, pour se douter qu’Ezequiel n’était pas tout blanc dans cette affaire. Mais Madeline n’aurait jamais imaginer qu’il était question d’une petite sœur décédée.

- Depuis quelques jours, des évènements se sont accumulés, me persuadant que des cachotteries se déroulaient derrière mon dos, et je t’ai fais part de mes doutes. Tu n’as jamais jugé utile de me parler de ma sœur ? Tu ne crois pas que ça aurait été moins brutal que de le découvrir avec cet acte de naissance ?

- On me l’avait interdit, Maddie. Mais crois-moi, si tu étais revenu ces derniers jours et que tu avais insisté, je t’aurais tout déballé. Je n’en pouvais plus de devoir te mentir et de nous voir nous disputer à cause de ça.

- Qui « on » ?!

Le ton calme de Madeline avait complètement disparu, laissant place à une colère apparente. Elle se demandait qui, de son entourage, était aussi dans la confidence. Combien de personnes savaient, tandis qu’elle n’avait aucun souvenir ? Combien de gens lui souriaient-ils, lui parlaient-ils, cependant qu’ils la considéraient comme la fille ayant perdu sa petite sœur ? Madeline détestait être l’exclue du complot, alors qu’elle était plus concernée que n’importe qui d’autre.

Depuis la veille, elle sentait une désagréable sensation prendre le dessus sur ses émotions. Jusqu’ici, elle ne l’avait pas identifiée. Mais face à Ezequiel, qui lui confirmait lui mentir depuis longtemps, elle sut ce que c’était. La sensation que sa vie, bâtie sur un mensonge, s’écroule. Elle avait l’impression que toute son existence n’avait été qu’un mauvais rêve, dont elle se réveillait au bout de dix-sept ans. Et comme tout mauvais rêve, on souhaitait retourner à la normale, retrouver notre vie et oublier ce cauchemar. Sauf que Madeline ne pouvait pas faire cela, elle ne savait plus ce que sa vie était, ce que « vivre à la normale » signifiait pour elle. Plus rien ne pourrait jamais être comme avant, et cela lui donnait envie de pleurer. Quelle serait son existence, dorénavant ? Que devait-elle faire ?

- Tes parents, ma mère. Tu n’en avais gardé aucun souvenir, alors ils ont décidé de le garder pour eux, pour ton bien. Ta vie n’aurait pas été la même si tu avais été au courant.

- Et alors ? Tu ne crois pas que j’aurais préféré vivre avec cette tristesse d’avoir perdu ma sœur, plutôt que de me rendre compte à dix-sept ans qu’on me l’avait cachée ?!

- Tu ne peux savoir comme je suis désolé, mais je n’avais pas vraiment le choix. Je n’étais pas particulièrement d’accord de devoir te le cacher, mais ils ont réussi à me convaincre que c’était mieux ainsi. Tu sais, je serais dans la même situation que toi si je n’avais gardé d’elle aucun souvenir.

- Sauf que tu n’es pas dans ma situation ! Je ne me souviens de rien, absolument rien ! Je n’ai aucune idée de ce à quoi elle pouvait ressembler. C’était ma sœur et je ne sais rien d’elle ! cria-t-elle presque, de rage.

Ezequiel se tut, n’ayant rien à rétorquer. Sa meilleure amie avait entièrement raison. Lui, il se souvenait de Naomi, et ce depuis onze ans. Jamais il ne l’avait oubliée, contrairement à Madeline, et il pouvait comprendre la colère qu’elle ressentait.

- Tu as gardé d’elle beaucoup de souvenirs ? lui demanda Madeline, qui avait réalisé que s’énerver ne lui apporterait rien.

- Autant que possible. J’avais sept ans à l’époque, et en général, la mémoire n’est pas super fonctionnelle à cet âge. Mais je me souviens de certains moments. Et surtout, d’elle.

D’un regard implorant, Madeline fit comprendre à Ezequiel qu’elle souhaitait qu’il lui en dise plus. Le jeune hispanique prit une longue inspiration, retardant le moment où il devrait débuter ses révélations. Madeline venait de faire la découverte de l’existence de sa sœur, même pas douze heures auparavant, et il n’était pas sûr qu’elle puisse supporter son récit. Elle semblait vivre mal l’idée d’avoir perdu tout souvenir concernant Naomi - ce qui était tout à fait compréhensible - et entendre les confessions de quelqu’un qui ne l’avait jamais oublié serait sans doute difficile pour elle.

- Ezequiel, s’il te plaît, parle-moi d’elle. Dis-moi n’importe quoi, tant que ça concerne Naomi, le supplia-t-elle.

- Très bien … Tu dois d’abord savoir qu’après ce qui est arrivé, je n’allais plus chez vous. Mamá considérait que je n’avais pas à voir dans quel état se trouvait tes parents, alors je n’ai pas su tout de suite. Je vous réclamais de temps en temps, mais puisque ma mère me répliquait aussitôt d’arrêter, j’ai cessé de le faire. Au bout d’environ un an, j’avais donc huit ans, Naomi me revenait sans cesse en mémoire. Je rêvais d’elle la nuit, je revoyais son visage, nos parties de jeu. J’entendais son rire, sa façon qu’elle avait de parler. Contrairement à toi, je n’avais rien perdu de mes souvenirs. Alors j’en ai discuté avec ma mère, qui me répondait chaque fois que c’était de toi plus jeune qu’il était question. Elle m’assurait que je n’avais jamais connu de Naomi. Sauf que je n’étais pas idiot, je me rappelais encore m’amuser avec vous deux, et puis tu as toujours été blonde, alors que Naomi était châtain de cheveux. Je savais ce que je me souvenais, et j’ai insisté. Un jour, elle en a eu marre de m’entendre poser toujours les mêmes questions, et elle m’a tout avoué. Elle m’a aussi confié que tu avais oublié Naomi, et que jamais il ne faudrait t’en parler. Elle me l’a fait jurer. Même sous la torture, jamais je ne devrais évoquer l’existence de Naomi, et surtout devant toi. Je ne comprenais pas bien comment tu avais pu effacé de ta mémoire ta sœur, mais quand j’ai pu te revoir, j’ai vite compris que ma mère avait complètement raison. Tu n’en parlais jamais, et tu ne semblais pas du tout te souvenir que tu avais eu un jour une petite sœur. Les parents pensaient que jamais plus tu ne t’en souviendrais, et que jamais tu n’apprendrais son existence.

- C’était sans compter Willow … Qu’est-ce qui s’est réellement passé ?

- Tu m’as dit que c’étaient ses yeux qui avaient déclenché chez toi une drôle de sensation ?

- C’est ça. Dès que j’ai croisé son regard, j’ai été parcouru par milles émotions, et surtout une impression étrange de déjà-vu.

- Et ses yeux étaient bleus. Comme ceux de Naomi. Ta sœur avait hérité des iris translucides de ta mère, les mêmes que Theo. À mon avis, et même si je ne suis pas médecin, je pense que les yeux bleus azur de Willow t’ont faite plonger dans les abîmes de ton cerveau, parce que tu en avais déjà vu de semblables. Et puis, Willow avait peut-être d’autres caractéristiques physiques qui se rapprochaient de Naomi, et ton cerveau a fait le reste.

Madeline se sentait vidée de toute énergie. Depuis son entrée dans le bureau de Darryl, nombre d’émotions l’avaient parcourue, et elles avaient maintenant raison d’elle. Entre la surprise, la tristesse, la colère, l’épuisement et le choc, Madeline n’avait plus de force, même pas celle de répondre à son meilleur ami. Elle souhaitait le remercier pour lui avoir confier ces informations, d’être là pour elle, mais aucun mot ne pouvait sortir de sa bouche. Son cerveau tentait d’assimiler toutes ces paroles révélatrices, et n’arrivait à faire autre chose.

- Tu ne peux savoir à quel point je regrette que tu aies à vivre tout ça. Tu peux me faire confiance, tes parents voulaient seulement te protéger. Ils ne supportaient pas l’idée que tu grandisses en t’en voulant, alors …

- Que je m’en veuille ? Quoi, mais pourquoi ? Est-ce que c’est de ma faute si elle est morte ?

- Hein ? Mais Naomi n’est pas morte. Attends, tu n’as pas lu les rapports de police ?

- Quels rapports de police ?

- Merde … Je pensais que tu savais.

- Savoir quoi, Ezi ?! demanda Madeline en haussant de nouveau la voix.

Ezequiel rechercha des papiers dans la pochette, et dénicha ces fameux rapports. Ils constituaient une petite pile, qu’il tendit à Madeline. Celle-ci les parcourut rapidement, incapable de se concentrer réellement dessus. Elle réalisa seulement qu’il y avait des dépositions, et des compte-rendus de recherche.

- Qu’est-ce que tout ça signifie, Ezi ? Je n’y comprends rien.

- Maddie, ta sœur n’est pas morte. Elle a été kidnappée. Il y a maintenant onze ans.

La révélation la laissa sans voix. Kidnappée ? Alors tout n’était pas complètement perdu. Mais comment ses parents avaient-ils fait pour lui cacher la tourmente dans laquelle ils avaient vécu ? Celle d’un jour retrouver leur fille disparue ? Tant de souffrance cachée.

- Mais pourquoi as-tu dit que je m’en serais voulue toute ma vie si mes parents m’avaient appris pour Naomi ?

- Euh … Merde …, murmura Ezequiel pour lui-même, qui regrettait ses paroles.

- Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? C’est de ma faute si on l’a kidnappée, c’est ça ?

- Justement, absolument pas. Sauf que la situation dans laquelle ça s’est déroulé te persuaderait du contraire. Je croyais que t’avais lu les rapports de police, et que tu étais au courant de toute l’histoire.

Ezequiel se leva, et se mit à faire les cent pas dans la chambre de Madeline. S’il avait su que Madeline n’avait pas été plus loin que l’acte de naissance, il n’aurait jamais évoqué les circonstances de l’enlèvement. Elle en avait déjà appris beaucoup pour aujourd’hui, et il craignait que la suite ne l’achève complètement.

- S’il te plaît, raconte-moi tout en détails, Ezi, l’implora Madeline.

Ce n’était pas son rôle. Pour lui, sa conversation devrait avoir lieu entre Madeline et ses parents. C’était à ses derniers de partager avec Madeline leur passé familial. Pas à Ezequiel. Mais à ce moment précis, sa meilleure amie avait besoin de savoir, et il était le seul à pouvoir lui fournir les réponses qu’elle attendait tant. Il ne pouvait pas la laisser tomber dans un moment aussi important.

- C’était le 4 juillet 2007, ta sœur et toi jouiez dans le jardin, ta mère à côté de vous. Tu voulais apparemment t’amuser avec une nouvelle poupée, mais ta mère avait refusé. Quand ta grand-mère Violet a appelé, tu t’es précipitée dans ta chambre pour aller la récupérer. Ta mère était encore dans la maison, je crois qu’elle cherchait une recette pour ta grand-mère. Quand tu es redescendue, Naomi n’était plus là où tu l’avais laissée. Au bout d’un moment, Evelyn s’est rendue à l’évidence, …

- Quelqu’un l’avait enlevée.

Ezequiel acquiesça, il était trop ému pour émettre un son de plus pour le moment. Jamais il n’avait raconté de vive voix le kidnapping de Naomi, en tout cas, ce qu’il en savait. Et le faire devant Madeline n’arrangeait rien. Le visage accablé, les yeux brillants de larmes, elle s’efforçait de ne pas craquer.

- Comment j’ai pu oublier ma propre petite sœur ? questionna-t-elle, plus pour elle-même.

- Apparement, tu n’arrêtais pas de demander où se trouvait Naomi, au début. Tes parents manquaient de réponses, et tes questions sont devenues moins fréquentes. Peu de temps après, ta mère a découvert sa grossesse. Selon les médecins, l’annonce de l’arrivée de Theo t’a tellement réjouie, que tu ne t’es plus occupée que de ça. Et peu à peu, il a remplacé le vide qu’avait créé Naomi. Tes questions ont cessé complètement, et tes parents se sont rendues compte que tu l’avais complètement oubliée. D’après les mêmes docteurs, tu es victime de mémoire sélective. Après un choc, ton cerveau a trié tes souvenirs, et t’a laissée seulement ceux qui ne te feraient pas souffrir.

- Mais c’est horrible ! J’ai abandonné ma propre sœur, c’est ignoble …

Madeline éclata en sanglots, étonnée d’avoir encore assez de larmes après toutes celles versées cette nuit. Pour la seconde fois de la journée, Ezequiel l’enserra pour la réconforter. Il laissa sa main tournoyer dans le dos de sa meilleure amie, sans prononcer un mot, la laissant exprimer ses émotions en silence. Au bout d’une petite dizaine de minutes, les larmes de Madeline ne s’étaient toujours pas taries, et Ezequiel décida d’intervenir.

- Ce n’est pas ta faute, Maddie. Les médecins l’ont bien spécifié, c’est ton cerveau qui a fait ça, en aucun cas toi. Et dis-toi que ta vie aurait été un véritable enfer, si tu avais ressassé des souvenirs de Naomi durant toute ton enfance. Surtout que tu étais trop jeune pour comprendre que ce n’était pas ta faute, et grandir avec ce sentiment de culpabilité n’aurait pas fait de toi celle que tu es aujourd’hui.

- Je préférerais être une autre et n’avoir jamais oublié ma propre petite sœur. Tu te rends comte que je l’ai laissée toute seule ? Je suis complètement irresponsable !

- Non, tu étais une simple gamine, Maddie. Voilà pourquoi tes parents te l’ont toujours caché, parce qu’ils savaient que tu te sentirais atrocement coupable. Sauf que ce n’est pas ta faute, ni celle de ta mère ou ta grand-mère. Le seul que l’on peut accuser, c’est cet enfoiré qui a enlevé Naomi, et personne d’autre.

Sans cesser de caresser le dos de Madeline, Ezequiel sortit de sa poche son téléphone. Il pianota dessus quelques secondes, avant de le présenter à sa meilleure amie. Maeline découvrit une photo de trois enfants en maillots de bain, le sourire aux lèvres et les cheveux mouillés. Elle reconnut sans mal Ezequiel, déjà très mignon, et elle-même. La troisième personne, une petite fille aux cheveux châtains et aux yeux bleus azur, se tenait entre eux deux. Pas besoin de poser la question pour savoir qui elle était.

- C’est une photo de nous trois en Espagne, chez mes grands-parents, l’année avant le … enfin, bref. Voilà à quoi ressemblait Naomi.

Ils semblaient tous trois incroyablement complices. La sœur de Madeline était très jolie, elle avait passé ses bras derrière ses deux compères et avait l’air espiègle. Madeline tenta de chercher au fin fond de sa mémoire, mais ce moment ne lui revenait pas, comme aucun autre. Pourtant, elle avait devant ses yeux Naomi, pourquoi rien ne se déclenchait-il dans son cerveau ?

- J’aimerais tellement me souvenir d’elle …, murmura Madeline, émue devant l’image les montrant si heureux.

- Moi, j’aimerais parfois pouvoir l’oublier …

Dans un soupir collectif, les deux meilleurs amis restèrent silencieux, contemplant simplement la photo. L’un, la tête remplie de souvenirs, et l’autre, vide.

***

15h10

- Je veux retrouver mon père.

Ezequiel et Madeline étaient allongés sur le lit de la jeune blonde, les yeux rivés au plafond. Après avoir admiré la photo pendant une dizaine de minutes, ils s’étaient laissés aller contre les oreillers de Madeline, chacun permettant à l’autre de se plonger dans ses pensées. Le jeune hispanique venait de troubler le silence qu’ils s’étaient convenus d’instaurer.

- C’est ce que t’as toujours voulu.

- Faux. Avant, je souhaitais le connaître, savoir son nom, que ma mère me raconte un peu de notre vie à trois. Maintenant, je veux l’avoir en face de moi. Découvrir à quoi il ressemble aujourd’hui et lui poser toutes mes questions les yeux dans les yeux.

- Et comment comptes-tu t’y prendre ? Ça fait des années que ta mère refuse te dire un seul mot le concernant, et tu sais aussi bien que moi que mes parents en feraient tout autant si tu leur demandais.

- Je ne prévois pas de demander des informations à qui que ce soit. Je veux chercher, tel un détective, et trouver mes réponses par moi-même. Tu sais bien que c’est le seul moyen. On y arrivera pas autrement.

- On ? Tu penses que je vais prendre part à tes fouilles ?

- Je sais que tu ne le cautionnes pas, mais j’ai besoin de toi. Parce que tu es super intelligente, mais aussi parce que j’ai besoin de soutien. Et tu es la seule qui puisse me l’apporter.

- Merci pour le compliment, Ezi, mais ce n’est pas en me flattant que tu me feras passer outre mes principes, rétorqua Madeline qui retrouvait un semblant de sourire après les instants émotions qu’elle avait éprouvés.

- Après tout ce que tu as découvert aujourd’hui, tu t’accroches encore à tes principes ?

- Il faut bien que je m’accroche à quelque chose si je ne veux pas complètement m’effondrer.

Ezequiel tourna le visage vers elle, et constata que Madeline était très sérieuse. Il savait que la journée avait été chargée, mais il considérait sa meilleure amie comme la personne la plus forte de tout son entourage, et l’imaginer s’effondrer était inconcevable pour lui. Le regard toujours concentré sur le plafond, Madeline réfléchissait. Qu’avait-elle à perdre si elle l’aidait ? Avant, elle craignait s’attirer les foudres de Carla et ses parents à fouiner dans leur dos. Mais aujourd’hui, elle avait l’impression que sa famille avait volé en éclats. Plus rien ne l’empêchait de désobéir, de mentir et de se cacher, son entourage l’ayant fait depuis l’enlèvement de Naomi. Depuis Naomi …, se répéta mentalement Madeline, qui trouvait tellement étrange de penser de cette façon alors qu’elle avait appris son existence il y avait tout juste treize heures.

- Alors ? insista Ezequiel.

- C’est d’accord, mais à une condition.

- Laquelle ?

- Tu me rends la pareille. Pour ma sœur. Moi aussi, je veux la retrouver.

En prononçant ses paroles, Madeline avait planté son regard dans celui de son ami d’enfance. Elle voulait juger sa réaction. Lorsqu’il comprit ses paroles, son regard se voila de tristesse.

- Maddie, je ne veux pas détruire tes espoirs mais … la police, les voisins, tes parents, ils ont tous cherché Naomi. Pendant des mois entiers, ils ont ratissé toute la ville et les alentours jusqu’à se rendre à l’évidence qu’ils ne la retrouveraient pas.

- Ils étaient pris dans la panique, et ont sûrement fait au plus rapide, sans vraiment réfléchir. Ils se sont lancés à corps perdu dans des recherches, trop apeurés de la laisser filer. Aujourd’hui, nous avons la chance d’avoir le temps avec nous. On peut monter une « enquête » plus approfondie, tout reprendre depuis lé début, et je suis persuadée qu’on trouvera des pistes à exploiter qu’ils n’auront pas remarquées à l’époque.

- Maddie, je ne sais pas … Je pense que tu as assez souffert pour le moment, je ne veux pas rajouter à tout ça la déception. Je connais ta volonté, et surtout ton impulsivité, et te lancer corps et âme dans une cause de cette ampleur n’est pas une bonne idée. Elle a disparue depuis onze ans, Maddie, tu sais ce que ça représente ? Même si on trouve d’autres pistes, nos chances de la retrouver sont nulles.

- Tu ne crois pas en moi ?

- Ce n’est pas le problème. Bien sûr que je te fais confiance, bien plus qu’à n’importe qui d’autre. Mais même si la retrouver devient ta raison de vivre, et que tu consacres tout ton temps et ton énergie à Naomi, personne ne récompensera tes efforts en la faisant apparaître comme par magie.

- Je ne suis pas bête. Je sais que nos espoirs de mettre la main sur elle sont presque vains, mais je me dis qu’ils ne le sont pas complètement. Je n’ai rien à perdre, Ezi, au contraire. Et puis j’ai besoin d’en savoir plus sur elle.

Les sourcils froncés, Ezequiel réfléchissait au discours de Madeline. Elle était plutôt convaincante, et ses arguments étaient tous exacts. Lui non plus, n’avait rien à perdre à l’aider. Et puis, ensemble, on va toujours plus loin. Alors s’il était nécessaire pour Madeline de l’avoir à ses côtés comme elle lui était indispensable, Ezequiel ne pouvait lui refuser sa requête.

- Très bien, tu m’aides à rechercher la trace de mon père, et moi, celle de Naomi. Deal ?

- Deal ! confirma Madeline en lui tapant dans sa main tendue, aux anges d’avoir retrouvé son allié de toujours.

Annotations

Vous aimez lire Astre ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0