XV - Ne me quitte pas

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Dimanche 15 juillet 2018, 12h15, à Milwaukie

Ezequiel se réveilla, aveuglé par la lumière qui inondait la pièce, malgré ses paupières closes. Pourtant, il lui semblait avoir lui-même clos son volet, alors que Faith et lui venaient de débarquer dans sa chambre, après la fête.

- Debout, jeune homme ! … Et jeune fille, apparemment.

Au son de la voix de Carla, son fils se leva promptement. Sa mère se tenait au milieu de la pièce, les poings sur les hanches et ses iris bruns détaillant la silhouette à ses côtés. On ne discernait de cette dernière que sa longue chevelure blonde et bouclée, ses mèches recouvrant son visage tourné vers le jeune espagnol.

- Mamá ! s’offusqua Ezequiel.

Carla tourna vers son fils un regard interrogateur, pas le moins du monde désolée d’avoir pénétré l’intimité de son fils. Aux côtés de ce dernier, Faith remua, l’éclat de voix d’Ezequiel l’ayant gênée dans son sommeil.

- Tu comptes me la présenter, o no ?

- On n’est même pas complètement réveillés, laisse-nous tranquille !

Une nouvelle fois, Faith bougea et offrit son visage encore endormi à Carla. Celle-ci ne la reconnut pas tout de suite, mais quand quelques mèches blondes glissèrent sur l’oreiller, Carla s’exclama de surprise.

- Faith ?!

L’interpellée émergea de son sommeil profond à cet instant, et la scène qui se présenta à elle la fit rougir. Elle se trouvait à demi-nue, dans le lit d’Ezequiel et sa mère en face d’elle. Les deux avaient les yeux rivés sur elle, et elle voulut mourir de honte. La jeune blonde balbutia un timide bonjour, mal à l’aise d’être le centre de l’attention.

- J’ignorais que tu dormais ici. En fait, je ne vous croyais pas aussi … proches, déclara Carla, interloquée.

- Hmm … Oui, et bien, maintenant, tu le sais. Est-ce que tu pourrais sortir maintenant ? Por favor, Mamá.

Carla, quoique contrariée d’être ainsi mise à la porte, acquiesça. Elle ne voulait pas forcer son fils à lui faire des révélations au saut du lit, avec une jolie jeune fille juste à côté. Mais elle fit comprendre d’un regard à Ezequiel qu’elle n’oublierait pas d’aborder le sujet.

- , je m’en vais. J’ai préparé des pancakes ce matin, il vous suffira de les réchauffer. Je vais rendre une petite visite à Eve, vale ? Bon à ce soir, Ezequiel. Et j’espère à bientôt, Faith.

- Oui, j’espère aussi, madame Ramírez, lui répondit Faith dans un sourire plus confiant.

- Carla, querida, appelle-moi Carla. Allez, bonne journée, tous les deux.

Dans un dernier geste de la main, Carla s’évapora. Ezequiel poussa un soupir de soulagement et se laissa aller dans son lit. Faith, quant à elle, n’avait pas bougé d’un poil, les yeux perdus dans le vague. Au moment où Ezequiel s’apprêtait à l’attirer à lui, elle déclara froidement :

- Je vais rentrer chez moi. Mes parents doivent se faire un sang d’encre s’ils ont découvert que je n’ai pas dormi à la maison.

Ezequiel se sentit défaillir. Il avait la terrible impression qu’elle s’enfuyait, encore.

- Attends, Faith, mange au moins un bout. Ma mère est un vrai cordon bleu, tu ne peux pas rater ses pancakes.

La jeune fille lui adressa un faible sourire en retour. Elle était en train de cogiter, et réalisait combien dormir avec Ezequiel avait été une erreur. Elle avait une nouvelle fois succombé la veille, malgré les protestations de son cerveau. Mais son cœur avait dépassé la raison, et elle s’était laissée aller. Ce matin, elle regrettait son geste.

- Tu peux aussi prendre une douche, si tu veux, ajouta-t-il devant son silence.

- Je n’ai pas d’affaires, rétorqua-t-elle en rougissant.

Ezequiel sauta du lit pour s’emparer de celles de Madeline, qu’elle oubliait toujours. Cela faisait des lustres qu’elle n’avait pas dormi ici, mais à l’époque où elle le faisait régulièrement, elle laissait toujours un vêtement. Ezequiel en avait eu marre des les lui rendre, et avait décidé de les stocker dans un coin de sa chambre, pour le jour où elle en aurait besoin. Mais jamais le jeune hispanique aurait pu imaginer que ce serait à Faith que cela servirait.

- Alors, j’ai ici un leggings noir et un sweat de la Harvard Law School, qui a appartenu à Darryl mais que Maddie s’est appropriée depuis longtemps déjà. Vous faites à peu près la même taille, non ? se renseigna-t-il en faisant courir son regard sur le corps de Faith, dont le t-shirt ne cachait rien de ses légères formes.

Faith, toujours aussi gênée de se trouver ici, s’empressa de récupérer les vêtements qu’Ezequiel tenait à la main. Elle ne lui adressa pas un seul regard, et se rua dans la salle de bain. Le jeune hispanique sentit son cœur en prendre un coup. Lui qui croyait que la nuit qu’ils avaient partagée avait marqué un tournant dans leur histoire, voilà que Faith lui échappait encore.

Il soupira de mécontentement, et se demanda si la cause de ce soudain éloignement était Madeline. Soudain, Ezequiel se remémora la soirée de la veille, et alla consulter son téléphone. Mais, bien évidement, sa meilleure amie n’avait pas rappelé, ni envoyé un simple texto pour le rassurer. Madeline n’était pas vraiment rancunière, mais son caractère fort la rendait tenace, et elle restait toujours campé sur ses décisions.

Ezequiel préféra ne plus y penser, et en s’assurant que l’eau de la douche coulait bien, il glissa sa main sous lit pour atteindre sa « boîte secrète ». Lire le nom de son géniteur était devenu un moyen de se calmer et se rassurer. Ce Josh McGregor lui donnait de l’espoir, et lui permettait de se sentir mieux.

Cependant, Ezequiel avait déjà exploré cette piste sur Internet et n’avait rien trouvé. Aucun site ou blog ne relatait un évènement concernant un certain Josh McGregor, ayant vécu à Milwaukie. Le seul indice qu’Ezequiel avait en plus était l’année de son départ, 2007. Mais puisqu’il n’avait aucune idée de l’endroit où son père s’était rendu ensuite, il avait vite dû abandonner ses recherches. Il avait alors prévu de demander de l’aide auprès de Madeline, car comme promettait un dicton africain, « seul on va plus vite, ensemble, on va plus loin ». Mais suite à la réaction de Madeline lorsqu’il lui avait avoué avoir fourré son nez dans les affaires de sa mère, il avait changé d’avis. De plus, son comportement était tellement étrange depuis sa rencontre avec cette fille du supermarché. Comment s’appelle-t-elle, déjà ? tenta de se remémorer Ezequiel. Il se souvenait qu’au moment où Madeline lui avait annoncé, il s’était dit que ce prénom était étrange. Il faisait référence à quelque chose, mais à quoi ? Était-ce Whitney, comme la chanteuse Whitney Houston ? Non. Victoria, comme l’ancienne reine du Royaume-Uni ? Non plus. Le prénom de cette mystérieuse inconnue était encore plus inhabituel. Ezequiel rechercha au plus profond de sa mémoire quand un indice lui revint. C’était le nom de la rue où habitait Madeline ! Voilà, la fille qu’elle avait rencontrée se nommait Willow.

En tout cas, Ezequiel avait fait le choix de laisser sa meilleure amie avec ses propres préoccupations. Elle-même menait sa quête de réponses, sans se douter un seul instant que le jeune hispanique était prêt à tout lui révéler. Il connaissait mieux que personne la sensation d’impuissance face aux mensonges et cachotteries en tout genre. Il suppliait lui-même sa mère depuis des années de le renseigner sur son géniteur, se trouvant sans cesse confronté à un refus. Alors, oui, si jamais Madeline se représentait devant lui en lui quémandant des réponses, il les lui donnerait.

L’eau avait cessé de couler, et Faith déverrouillait la porte quand Ezequiel s’en rendit compte. Il se dépêcha de tout ranger en vitesse, et se posta devant la fenêtre juste au moment où la jeune blonde entrait dans sa chambre. Il se retourna, comme interrompu dans ses pensées, et la découvrit sur le palier, les cheveux humides remontés en un chignon souple. Elle déposa le t-shirt que lui avait donné Ezequiel la veille, et celui-ci fut contrarié de constater que le sweat la couvrait jusqu’au haut des cuisses. Redevenue la fille réservée et peu sûre d’elle, Faith contemplait Ezequiel sans oser prononcer un mot.

- Tu manges un petit quelque chose ? l’invita le jeune homme, en essayant de cacher son trouble devant son attitude de nouveau distante.

- Euh … Non, je vais plutôt rentrer chez moi.

- Très bien, je vais te raccompagner.

- Non ! déclara brusquement Faith. Je vais marcher, ça me fera du bien.

- Tu en as pour une demi-heure, et tu n’as rien avalé, laisse-moi te …

- Ezequiel, c’est mieux comme ça, intervint-elle froidement.

- Mieux pour qui, au juste ? commença à s’impatienter le jeune homme.

- Pour tout le monde, et tu le sais très bien. Nous deux, c’est une énorme erreur depuis le début, et continuer ne fera qu’empirer les choses. Je suis désolée, mais il faut qu’on arrête de se voir. Ça cause trop de dégâts à chaque fois.

- Je te promets que Maddie s’y fera, reprit plus doucement Ezequiel. J’y veillerai personnellement.

- Je ne parlais pas d’elle.

Faith arborait un air triste, qu’Ezequiel détesta sur-le-champ. La jeune blonde s’en voulait de lui faire du mal, mais si elle ne souhaitait pas souffrir elle-même, elle devait stopper leur relation. Son vis-à-vis tenta une approche, mais elle recula aussitôt, et elle perçut un éclair de douleur dans son regard.

- Non, Faith, ne me fais pas ça, pas encore. Ne t’enfuies pas !

- Ce n’est pas ce que je fais, Ezequiel ! J’essaie juste de me protéger, tu comprends ? Tu ne sais pas ce que ça me fait, dès que je repense à toutes ces filles qui ont partagé ton lit et que je me regarde moi. Nous n’avons rien à faire ensemble, c’est tout. Je ne veux pas passer l’été avec toi, en me rassurant que tout ira bien à la rentrée, et devoir me prendre la réalité en pleine face le moment venu !

- Quelle réalité, Faith ?! explosa Ezequiel devant son manque de confiance en lui.

- Que tu me quitteras ! Je te rappelle que tu en as fini avec le lycée, et que ton année sabbatique est pour toi une occasion de voyager et découvrir le monde. On sait tous les deux que jamais tu ne t’encombreras d’une relation amoureuse dans tes bagages !

- Je ne visiterai pas les quatre coins du monde si tu ne le veux pas, déclara-t-il, sérieux.

- Alors tu finiras par tout arrêter. Ezequiel, je te connais. Je sais qui tu es, et je sais que tu ne peux pas rester avec la même fille durant plus d’un mois. Je sais qu’être amoureux est un concept que tu n’as jamais connu, et je refuse d’être celle avec qui tu l’expérimenteras. Je ne suis pas un jouet, pas comme toutes tes anciennes conquêtes. Maddie m’avait prévenue, et j’ai eu tort de ne pas l’écouter. J’ai fait exactement ce qu’elle prévoyait, je me suis brûlée les ailes en m’approchant de toi.

- Et tu crois que te mettre en garde contre moi était une façon de te protéger ? N’as-tu jamais réfléchi à la possibilité que c’était elle, qu’elle tentait de préserver ?

- Et alors ? Au bout du compte, c’est pareil ! On souffre toutes les deux, elle, parce qu’elle a peur de te perdre, et moi, parce que je ne peux pas t’avoir.

Suite à ses confessions, Faith éclata en sanglots. Elle se détesta, car de cette façon, elle montrait à Ezequiel sa faiblesse et tout le pouvoir qu’il possédait sur elle. Sans lui, elle avait l’impression qu’il n’y avait plus d’intérêt à vivre, et elle refusait qu’il le comprenne. Sauf que ses larmes étaient bien la preuve qu’Ezequiel occupait une place importante dans sa vie, comme dans son cœur.

- Faith, c’est faux …

- Bien sûr que c’est vrai ! hurla-t-elle à travers ses pleurs. Et tu le sais aussi bien que moi ! Tu n’es pas fait pour vivre en couple, je ne sais même pas si tu sais aimer.

- Là, tu vas trop loin, Faith ! Est-ce que tu sais seulement ce que je ressens pour toi ?

- Est-ce que c’est une accusation, Ezequiel ? Est-ce que tu es en train de me pointer du doigt parce que je n’arrive pas à te déchiffrer ? Mais, et moi ? As-tu réfléchi, ne serait-ce qu’une fois, à ce que je ressentais ? Eh bien, je peux te dire que non ! Sinon, jamais tu ne m’aurais embrassé hier soir, alors que je t’avais demandé de te tenir éloigné ! C’était assez explicite, non ? Pourtant, tu es venu et tu n’en as fait qu’à ta tête ! Sauf que si tu prenais en compte un minimum mes sentiments, tu saurais que tes baisers me tuent un peu plus à chaque fois, parce que je dois essayer de me résoudre à ce que ce soit le dernier. Et puis il y en a un nouveau, toujours plus enivrant. Je ne peux empêcher mon cœur de s’emballer, les papillons de voler dans mon ventre, et mes jambes de flageoler.

- Alors ne le fais pas, murmura Ezequiel en l’implorant du regard. Ne t’empêche pas de ressentir tout ça pour moi. Au contraire, je veux que ton cœur s’affole, que des centaines de papillons prennent leur envol et que tes jambes se dérobent, et ainsi je pourrais te porter tout contre moi.

- Pendant que toi, tu n’éprouves rien ? Ce n’est pas une vie, ça, Ezequiel ! Une histoire d’amour, ça se vit à deux, mais est-ce nous deux, ça représente vraiment quelque chose pour toi ? Je me le demande chaque jour, et je ne peux pas demeurer dans cet état de questionnement pour toujours.

Ses larmes s’étaient calmées, et Faith se sentait vidée d’avoir révélé tant de choses. Elle avait mis cartes sur table, et Ezequiel connaissait à présent parfaitement ses états d’âme. Celui-ci, d’ailleurs, se sentait désemparé face à ses révélations. Il la découvrait tiraillée entre des sentiments contradictoires, et cela, par sa faute. Mais comment lui prouver qu’elle se trompait ? Comment lui donner confiance en lui, en eux, alors qu’elle semblait cruellement ne pas croire en elle ? Elle se considérait comme étant inférieure à ses précédentes « relations », pourtant, elle surpassait toutes ces filles qu’il avait fréquentées. La seule option qui se présentait à lui était de lui avouer son amour, mais il doutait autant qu’elle, maintenant. Faith était convaincue qu’elle ne représentait rien pour lui, alors qu’elle était tout. Comment la faire changer d’avis ? Le croirait-elle sur parole ? Sûrement pas, elle ne semblait pas prendre au sérieux ce qu’il pouvait dire sur leur couple.

Faith prit son silence comme une approbation à ce qu’elle venait de dire, et la minuscule parcelle d’elle qui espérait qu’Ezequiel lui déclarerait sa flamme se brisa. Elle avait cru qu’il pourrait changer, pour elle et grâce à elle. Il faut croire que Madeline avait eu raison, jamais Ezequiel ne considérera les filles comme autre chose que des proies à abattre. Tu peux être fier de toi, pensa Faith qui sentait les larmes revenir, tu m’as eu. Je suis folle amoureuse de toi.

Ezequiel savait que si Faith passait la porte de sa chambre tout de suite, il ne pourrait plus faire marche arrière. Il fallait qu’il dise quelque chose, n’importe quoi, juste pour la retenir. Mais il désirait aussi lui faire comprendre que rien entre eux était semblable à ce qu’il avait vécu auparavant. Elle, il l’aimait.

- Je ne suis plus le même, Faith. Je te le jure devant Dieu. Et je te promets de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour te prouver que j’ai changé, que tu m’as changé.

- Les gens ne changent jamais vraiment, Ezequiel, ils créent juste une façade qui correspond à ce que les autres attendent d’eux.

Sur ses paroles, Faith lança un dernier regard désolé au jeune hispanique, qui se tenait debout, interdit. Il souhaitait hurler de toutes ses forces pour la contredire, la retenir de ses deux bras, l’embrasser pour lui prouver son amour, mais il en était incapable. À chaque pas que faisait Faith pour se rapprocher de la porte, le cœur d’Ezequiel se brisait un peu plus. Puis, elle se précipita dans le couloir, éclatant pour la deuxième fois en sanglots.

Une fois dans la rue, elle contempla la maison. Ces derniers jours, elle avait vécu mille et une choses dedans, et jamais elle ne l’oublierait. Tandis que Faith pensait avec nostalgie aux moments passionnés qu’elle avait échangés avec Ezequiel ici, ce dernier laissa libre cours à ses larmes. Il ne se souvenait pas de la dernière fois qu’il avait pleuré, peut-être cela ne lui était même jamais arrivé. Mais aujourd’hui, le cœur en miettes, il pleura tout son soûl.

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