XIV – Découverte majeure

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Dimanche 15 juillet 2018, 2h20, à Milwaukie

Madeline se tenait debout, au milieu du bureau, face aux immenses étagères encombrées de dossiers. En tant qu’avocat, Darryl possédait beaucoup de paperasse, beaucoup trop, même. Et même des années et des années plus tard, il avait le malheur de conserver toutes ses affaires.

La jeune fille parcourut rapidement du regard les classeurs, mais tous les noms inscrits dessus lui étaient inconnus, ce qui paraissait logique. Les dossiers étaient rangés chronologiquement, et lorsque Madeline atteint l’endroit des affaires les plus récentes, elle reconnut quelques noms. Harrington, Holloway, Floyd, Glover étaient des patronymes qu’elle se rappelait avoir entendu de la bouche de son père, mais cela ne l’avançait pas beaucoup dans sa quête. Madeline décida que les étagères ne lui fourniraient aucune réponse.

En prenant bien garde de ne faire aucun bruit, la jeune blonde entreprit d’inspecter le bureau en chêne. Dans les tiroirs, elle ne trouva que chemises - inintéressantes pour elle - et livres de droits. L’ordinateur portable de son père était posé sur son sous-main en cuir, et Madeline s’assit doucement dans le fauteuil pour y jeter un œil. Elle l’alluma, mais fut bloquée rapidement. Aucun des mots de passe qu’elle tentait n’était le bon. Elle entra les dates de naissance de sa mère, elle, son frère et son père. Elle essaya en chiffres, en lettres, avec des espaces ou des slashs mais dut se résoudre à abandonner. Elle tapa ensuite la date de mariage de ses parents, mais l’ordinateur refusait toujours d’obtempérer. S’ensuivit alors les prénoms de toute la famille, ainsi que leurs initiales, leurs différentes destinations de vacances, le nom de la première affaire que Darryl avait remporté, mais rien ne fonctionnait. Au bout d’une quinzaine de minutes, Madeline abandonna cette piste. Elle remit en place l’ordinateur et le siège, avant de se diriger vers la sortie, contrariée de cet échec. L’impossibilité de pénétrer dans le Macbook de son père renforçait en Madeline l’idée que ses parents lui cachaient quelque chose. Pourquoi Darryl se serait-il donné tant de mal à choisir un mot de passe tordu, sinon ?

La main sur la poignée, Madeline aperçut le secrétaire en bois, à sa gauche. Elle ne l’avait pas encore remarqué, car il était caché lorsque l’on ouvrait la porte. Heureuse de se trouver sur une nouvelle piste, Madeline oublia vite la contrariété qui l’habitait un instant plus tôt. Un sourire sur les lèvres, la jeune capitaine s’avança et attrapa la poignée pour faire glisser la porte coulissante. Son expression satisfaite s’effaça aussitôt, la porte était verrouillée. Madeline jura dans sa barbe, pestant contre son père et sa manie de tout fermer à double tour. La jeune blonde ne connaissait pas cette facette de Darryl, et ne l’aurait jamais imaginé tout verrouiller. Encore un élément qui la confortait dans son hypothèse.

Soudain, Madeline entendit des pas dans le couloir. Elle se rapprocha de la porte et colla son oreille sur celle-ci. Elle ne perçut plus aucun son, sûrement l’œuvre de son imagination. Ce fut accompagnée des battements sourds de son cœur que Madeline se mit à la recherche d’une clé pouvant ouvrir le secrétaire. Je vais bientôt devenir une experte de chasse aux trésors ! pensa-t-elle, sarcastique. Mais les difficultés ne lui faisaient pas peur, et il était hors de question pour elle d’abandonner aussi près du but. Car oui, elle sentait que ce foutu meuble verrouillé renfermait ce qu’elle cherchait plus que tout.

La main dans le pot à crayon, elle sursauta quand elle crut entendre toquer à la porte. Ce son était tellement léger qu’elle n’était pas bien sûr que ce fut réel. Elle cacha la lumière qui fusait de son téléphone, et attendit, le sens aux aguets et le cœur battant à tout rompre. Aucun nouveau bruit, mais Madeline préféra vérifier. À pas de loups, elle alla s’accoler à la porte. Elle n’entendait rien, pourtant, elle avait comme l’impression de sentir une présence, de l’autre côté. Elle angoissait qu’un de ses parents se trouve dans le couloir et la découvre ici, mais si tel était le cas, il aurait déjà tester la poignée.

Madeline resta immobile, alors que son cerveau lui criait d’aller se cacher. Elle croyait percevoir un léger souffle, mais se demanda si ce n’était pas son affolement qui l’inventait. En tout cas, vrai ou pas, elle espérait qu’elle pourrait bientôt se débarrasser de cette sensation désagréable et reprendre ses recherches. Elle voulait attendre d’être bien persuadée qu’il n’y avait personne, avant de faire un pas. Ce fut alors que la poignée s’actionna. Quelqu’un, de l’extérieur, souhaitait entrer. Le sang lui monta à la tête, et sans prêter garde au rythme effréné de son cœur, Madeline réfléchit à toute vitesse. Il lui fallait absolument trouver un prétexte valable qui justifierait sa présence ici. Seulement, aucun ne lui vint, pour la simple et bonne raison que Madeline n’avait rien à faire là. Elle se questionnait sur la possibilité de révéler la vérité quand la petite tête blonde qui passa l’entrebâillure lui fit pousser un soupir de soulagement.

- Mais enfin, Theo, qu’est-ce que tu fais debout à cette heure ?

- Bah et toi ? En plus, t’as pas le droit d’être là.

- Je sais mais … j’ai besoin d’un papier super important. Pour tout de suite, ajouta-t-elle devant la mine suspecte qu’affichait son frère.

- Tu veux que je t’aide ?

- C’est gentil, frangin, mais je vais me débrouiller seule. Et puis, comment pourrais-tu savoir où se trouve ce que je cherche alors que tu n’es jamais entré, hein ?

- Peut-être que je ne suis jamais rentré, mais j’ai déjà vu Papa ranger quelque chose ici, lui rétorqua-t-il en désignant de son index le secrétaire.

Soudain intéressée, Madeline fit entrer son petit frère dans la pièce. Il ne manquerait plus que ses parents entendent leur petite conversation.

- Vraiment ? Tu ne saurais pas où Papa cache la clé, par hasard ? enchaîna Madeline, qui portait en Theodore un espoir immense.

- Si Papa la cache, c’est qu’on a pas le droit de la trouver.

- Bravo Sherlock, mais vois-tu, j’en ai sincèrement besoin. Je t’assure que c’est vraiment important, sinon je ne te demanderais pas de désobéir.

Theo la contempla, pensif. Il sembla peser le pour et le contre, avant de soupirer en signe de résignation. Il leva les yeux au ciel, et dépassa Madeline pour se diriger vers le bureau. Parfois, son Theodore avait des réactions exagérées pour son âge, et dans des moments comme celui-ci, Madeline pensait avec nostalgie que son prit frère grandissait de jour en jour. Bientôt, il se considérera trop grand pour venir la consoler dans son lit, et Madeline ne pourra plus le soudoyer avec des bonbons pour passer son tour de dressage de table.

- Je ne veux pas me faire disputer si Papa l’apprend, d’accord ? l’avertit-il en lui tendant une petite clé, qu’il avait extrait de l’abat-jour de la lampe.

- Promis, frangin. Et merci beaucoup, tu me sauves la vie.

- Ah oui ? C’est quoi comme papier que tu veux ? se renseigna-t-il, sa curiosité reprenant le dessus sur ses airs de grand garçon.

- Un papier de grand, Theo. Allez, va te recoucher, lui dit-elle en le poussant vers la sortie.

- Est-ce que c’est par rapport au papa d’Ezequi ?

- Quoi ? Mais non, absolument pas. Et pourquoi tu parles de lui, d’abord ?

- Je sais qu’il voudrait le retrouver, assura Theodore.

- Bon bah apparement, on ferait mieux de surveiller les oreilles qui traînent quand on parle, c’est ça ? Je croyais que ça ne se faisait pas, d’écouter aux portes ?

L’intéressé ne répondit pas, préférant passer outre ses qualités d’espion. Il referma la porte derrière lui, après avoir souhaité à sa sœur une bonne nuit. Elle ne lui avoua pas que vu l’heure qu’il était, et avec sa découverte de la soirée, ajouté à ses recherches nocturnes, la nuit passerait probablement sans que Madeline ferme beaucoup l’œil.

Clé en main, la jeune capitaine alla vers le secrétaire. Une boule s’était formée dans son ventre, et sa gorge s’était asséchée. Elle appréhendait grandement ce qu’elle pourrait y trouver. Après dix jours à être convaincue que son entourage lui dissimulait quelque chose de capital, et autant de temps à désirer découvrir de quoi il s’agissait, Madeline doutait. Elle craignait que sa vie ne change du tout au tout, et qu’elle ne puisse plus faire marche arrière. Mais vivre dans le mensonge était pire qu’être blessé par la vérité, non ? Ce fut en se répétant cette phrase que la jeune blonde fit coulisser doucement la porte du meuble.

La première chose qui la frappa fut la diversité de couleurs, les quatre étagères ressemblaient fortement à un arc-en-ciel. En y regardant de plus près, Madeline observa une pochette bleue pour les factures d’électricité, jaune pour celles du gaz, orange pour celles des abonnements téléphoniques et plusieurs autres qu’elle ne prit la peine de consulter. Une chemise violette renfermait les photos de classes de Madeline, et une noire, celles de Theo. Deux pochettes blanches, notées au marqueur noir, comportaient les dessins qu’avaient pu faire le frère et la sœur dans leur enfance. Ensuite, Madeleine découvrit les actes de naissance de la famille, ainsi que d’autres papiers administratifs qui ne l’intéressaient pas. Enfin, sur la dernière étagère, une chemise marron surmontée d’une pile de feuilles blanches l’intrigua. On aurait dit que le papier blanc était là pour mieux camoufler le dossier en-dessous, déjà de la même nuance que le secrétaire.

Madeline s’assit par terre, et déplaça la pile de pages qui la gênait. Elle s’empara de la pochette cartonnée, la scrutant sous toutes les coutures. Aucune annotation ni sur le devant, ni sur l’étiquette prévue à cet effet ne put renseigner Madeline sur son contenu. L’excitation grimpa en elle, malgré la crainte qui ne l’avait pas quittée. Elle retira fébrilement les deux élastiques noirs, quand la porte de la chambre du couple Peterson s’ouvrit. La jeune fille se stoppa net, et attendit impatiemment que sa mère, qu’elle reconnut aux pas, ait fini à faire dans la salle de bain. De peur de finir réellement par être prise en flagrant délit, Madeline décida de consulter le dossier dans sa chambre, en sécurité.

Une fois bien installée sous ses draps, le dos calé sur ses trois oreillers et sa lampe de chevet braquée sur la pochette marron, Madeline inspira un grand coup. Elle s’apprêtait à ouvrir - enfin ! - ce qu’elle pressentait comme étant la réponse à ses questionnements. Les doigts tremblants, elle retira les élastiques qu’elle avait remis en hâte, et ouvrit le dossier. La première chose que Madeline vit fut un dessin, représentant un arc-en-ciel composé de couleurs vives, mais pas exactes. Il était un mélange de rose, gris, jaune, mauve et vert d’eau. Autour de lui, une dizaine de petits cœurs rouges et d’étoiles. Sous ce décor magique, deux fillettes se tenaient la main. À la vue de ces deux personnages, Madeline devina sans difficulté que le dessin était l’œuvre d’un jeune enfant. L’une des deux filles était plus grande que la deuxième, avec des cheveux blonds et des yeux verts - même si ce n’étaient que des points de feutre -, habillée d’une salopette bleue sur un haut jaune. La plus petite des deux enfants avait les cheveux châtains, coiffés en deux couettes sur les côtés et elle arborait des yeux bleus turquoise, une robe rose lui recouvrant tout le corps.

Sans en connaître la raison, Madeline sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle se sentait étonnement émue devant cette réalisation enfantine, qui inspirait joie et amour. Les deux fillettes souriaient grandement, et semblaient très proches. Soudain, Madeline fut prise d’un vertige, et des images s’imposèrent à elle. Une table en bois, de petites main potelées qui tiennent un crayon rouge et enfin, ce dessin. L’égarement passé, elle reposa ses yeux sur l’œuvre mais ne la vit plus sous le même angle. Maintenant, une désagréable sensation de déjà-vu la tenaillait, sans que Madeline puisse en déterminer l’origine. Elle venait de vivre un moment étrange. Les flashs qui s’étaient frayer un chemin jusqu’à son cerveau la laissaient dans un état second. Ce ne pouvaient être que des souvenirs, pourtant, Madeline ne se rappelait de ce moment. Surtout, elle ne se souvenait pas avoir déjà aperçu ce dessin avant ce jour. Mais sa mémoire semblait revendiquer le contraire.

Sans y prêter plus attention, elle continua son exploration. Elle s’empara de la deuxième feuille. Au centre trônait un énorme cœur rouge, dans lequel était inscrit, au feutre noir, « M+N ». La jeune capitaine allait décidément d’interrogation en interrogation. Que signifiait ces initiales ? Bien sûr, son premier réflexe fut de constater que le « M » symbolisait son prénom. Mais le « N », alors ? se demanda ensuite Madeline. Ces dessins n’avaient définitivement aucun sens. Le premier représentait deux petites filles, dont l’une rappelait la capitaine, avec ses cheveux blonds et ses yeux verts. Sauf que la deuxième fillette ne disait rien à Madeline, et elle avait eu beau chercher dans tout son entourage, aucun membre féminin ne s’y apparentait. Ensuite, ces initiales, dont le « M » de Madeline. Sauf que cette dernière ne connaissait qu’une personne au prénom commençant par « N », et c’était Natasha, sa coéquipière. Rien à voir avec ce dossier.

Madeline poursuivit ses observations, et au final, découvrit dix-huit dessins. La jeune blonde se fit la réflexion que ce n’était pas beaucoup, quand on savait qu’un enfant commence à dessiner vers ses deux ans, et s’arrête généralement - sauf pour les futurs artistes - vers ses douze ans. La dernière feuille d’art retiré de la pochette, Madeline rencontra un sous-dossier intitulé « Papiers officiels ». La jeune fille s’en accapara, oubliant toutes les questions qui avaient suivi les différents dessins, et fut tentée de le relâcher quand elle lut « Acte de naissance » sur la première page. Son cœur s’affola, et Madeline n’arrivait plus à réfléchir correctement. Elle avait déjà vu les quatre actes de naissance de la famille, dans le secrétaire du bureau. Il ne pouvait y en avoir un cinquième. Cela n’avait aucun sens. Comme tous ces dessins.

Une boule dans la gorge, Madeline parcourut rapidement le feuillet. Elle tomba alors sur le nom de la personne à qui cet acte appartenait, et crut s’évanouir. Un bébé né le 28 mai 2003, ici, à Milwaukie et répondant au nom de Naomi. Jusqu’ici, rien de bien choquant. Mais le pire était à venir. Le nom de famille de cet enfant était Peterson. Comme Madeline. D’ailleurs, il était noté que Darryl et Evelyn en étaient les parents. Ses parents. Elle envoya valser le papier, souhaitant que la vérité ne fasse pas chemin jusqu’à son cerveau. Mais c’était trop tard. J’ai une petite sœur, murmura Madeline, le cœur au bord des lèvres.

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