XII - La fête est finie !

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Samedi 14 juillet 2018, 23h45, à Milwaukie

La fête battait son plein. Des lycéens déchaînés dansaient sur une chanson de Fergie, que Madeline n’avait jamais entendue auparavant. Certains enchaînaient quelques pas de Lindy Hop en couple, des filles faisaient simplement tourner leurs boas au-dessus de leur tête et des garçons essayaient de distinguer un bout de petite culotte dans les mouvements effrénés de la gent féminine. Rebecca et Sonia, grisées par la réussite de leur soirée costumée, venaient de plonger tête la première dans la piscine. Elles furent bientôt suivies par un groupe de jeunes qui, jusqu’ici, buvait tranquillement un cocktail. Madeline, assise dans son coin, seule et le vague à l’âme, se contentait d’observer les autres s’amuser.

Faith, à plusieurs reprises, avait tenté d’entraîner sa meilleure amie sur la piste de danse. Celle-ci avait quelques fois cédé, mais sans se prendre véritablement au jeu. Pourtant, l’idée de passer une soirée typique des années folles l’avait enchantée. Lors de la préparation, toutes les plumes ainsi que l’ambiance festive qui régnait lui avait presque fait oublier son entrevue avec Lizbeth. Puis la soirée avait démarré, et alors qu’elle tentait de reproduire des pas de Charleston qu’un garçon prénommé Louis enseignait, elle avait aperçu Jared enroulant ses bras autour de la taille de la jolie rousse. Son désir de s’amuser s’était envolé, et Madeline s’était replongée dans ses idées noires.

Faith, qui se faisait beaucoup de soucis, lui avait fait promettre de rester jusqu’à minuit. Heure à laquelle elle la raccompagnerait chez elle. Pour la énième fois, Madeline consulta son téléphone. Encore un quart d’heure à attendre. Relevant les yeux, elle aperçut Jared qui promenait des yeux affamés sur le corps de Lizbeth. Elle crut vomir le peu qu’elle avait avalé. N’y tenant plus, elle se dirigea à grands pas vers la poolhouse, afin de récupérer ses affaires. Sur le chemin, elle essaya de distinguer une longue chevelure blonde et bouclée, en vain. Tant pis, pensa Madeline, je rentrerai à pieds.

Passant entre les rideaux lamés or, elle se dépêcha d’attraper son sac, vérifia si tout y était et sortit. Elle n’en pouvait plus d’être ici, elle avait besoin de respirer. Alors qu’elle traversait le jardin à toute allure, évitant de percuter les danseurs ou de se faire entraîner dans la piscine, elle se fit attraper le bras. C’était Natasha qui avait besoin d’elle.

- Meg est bourrée, elle vient de vomir dans les plantes. Tu veux pas aller la coucher ?

Ses cheveux noirs étaient en désordre, son rouge à lèvres étalé sur les figure et sa robe - déjà courte - remontée sur le haut des cuisses. Inutile de lui demander pour savoir qu’elle était en pleine séance de pelotage.

Madeline accepta à contrecœur. Rentrer chez elle était devenu presque un besoin vital, elle qui se sentait étouffée dans cet environnement festif. Natasha lui indiqua alors, du bout de l’index, un endroit au fond du jardin, avant de repartir vaquer à ses occupations. Meghan, cachée dans la pénombre, se trouvait allongée à même l’herbe.

Madeline se précipita pour aller la secourir. Avec sa nature timide, il était rare qu’elle se mélange pendant les fêtes, et aucun membre de l’équipe ne l’aurait faite boire à outrance. Alors, ce fut plus qu’étonnée que sa capitaine lui passa les bras sous ses aisselles, essayant de la relever tant bien que mal. Une fois un bras de Meghan passé sur les épaules de Madeline, elle l’amena vers la maisonnette. Les yeux à demi-fermés, Meghan semblait délirer complètement.

- Jamais de la vie … je ne porte que des culottes noires … pas rouges …, murmura-t-elle la bouche pâteuse.

Enfin pour Madeline, elle était arrivée devant la porte de la chambre. Impossible de laisser sa recrue se reposer sur le canapé, au milieu de gobelets vides et de restes de toasts. La jeune blonde poussa la porte du pied, et le spectacle qui s’offrit à elle lui retourna l’estomac. Elle faillit lâcher Meghan de stupeur, elle qui ne tenait déjà pas bien sur ses jambes.

Ezequiel, la chemise ouverte, avait la langue dans la bouche de Faith. Celle-ci, les jambes enroulées autour de la taille du jeune hispanique, était collée au mur, le nœud papillon de son partenaire dans les mains. Dans un regard, Madeline découvrit la veste rayée d’Ezequiel au sol ainsi que les escarpins de sa meilleure amie. Alors qu’elle s’apprêtait à se racler la gorge pour les prévenir de sa présence, Meghan se mit à vomir ses tripes sur le parquet.

Le duo s’interrompit brutalement, et un coup d’œil vers l’entrée de la chambre les fit pâlir. Leur amie, le regard mi-interloqué mi-triste, les dévisageait. Meghan, quant à elle, semblait sur le point de s’évanouir dans son propre vomi.

Puis, Ezequiel se rappela leur posture, à lui et Faith. Il fit rapidement descendre cette dernière sur le sol, la stabilisant sur ses jambes avec ses mains sur ses hanches. La jeune blonde entreprit de se rhabiller, sa robe laissant découvrir son shorty en dentelle. Rouge de honte, elle tentait de balbutier quelque excuse à l’attention de Madeline. N’y arrivant pas, elle lança une œillade paniquée vers Ezequiel, qui ne sut quoi faire. Le malaise était si palpable que Madeline voulut l’abréger, malgré l’énorme boule qui lui obstruait la gorge.

- Meg a besoin du lit pour se reposer, vous pensez que vous pourriez faire ça plus tard et ailleurs ?

Le ton étrangement calme, Madeline haussa les sourcils pour accentuer sa question. Mais, sans l’étonner, aucun de ses deux amis lui répondit. L’un était concentré sur ses pieds nus, tandis que l’autre reboutonnait sa chemise, la tête à demi penchée. Madeline avança, prenant garde de ne pas toucher au vomi par terre, et laissa tomber sa recrue sur le lit. Meghan, qui avait l’air déjà endormi, ne se rendit compte de rien.

Madeline, encore sous le choc de sa découverte, ne souhaita pas s’attarder ici. Elle savait que son devoir était de nettoyer le parquet, mais elle ne supportait pas la vue de ses deux amis devenus aussi muets que des carpes.

- Je suis crevée, je rentre chez moi. Surveillez Meg, qu’elle ne s’étouffe pas avec son propre vomi, déclara-t-elle la voix blanche.

Toujours aucune réponse en face d’elle, ni même un simple hochement de tête. C’en était trop, elle se précipita dehors, et courut comme une folle jusque dans la rue. Une fois éloignée du brouhaha de la fête, elle laissa libre cours à ses larmes. Quand Faith lui avait avoué être amoureuse d’Ezequiel, Madeline s’était sentie presque apaisée, heureuse que ce non-dit soit officiellement dévoilé. Quand sa meilleure amie avait sous-entendu la soirée qu’ils avaient passés ensemble, aujourd’hui même, Madeline avait été intriguée, et mourrait d’envie de connaître la suite. Jamais dans ces moments, elle n’avait éprouvé une quelconque douleur. Elle pensait alors que son esprit s’était habitué à l’idée du couple entre Faith et Ezequiel. Mais en fait, si devant ces révélations, Madeline n’avait jamais eu mal, c’était parce que, pour elle, tout cela n’était qu’imaginaire. Rien de concret, rien de visible, rien de vrai. Tout n’était que du récit.

Comme lors de la soirée du vendredi soir, chez Ezequiel, son corps et son esprit réagissaient négativement. Elle ne voulait pas croire qu’ils étaient ensemble. Elle n’arrivait déjà pas à l’imaginer. La douleur qui avait suivi sa découverte chez Jared avait laissée peu à peu place à un vide immense, au cours de la journée, alors qu’elle s’amusait et rigolait. Maintenant, cette souffrance revenait, lui comprimant la poitrine.

***

1h

Actuellement, Madeline était enroulée dans ses draps, réfléchissant à la scène qu’elle avait surprise plus tôt. Y penser ne faisait qu’accroître son chagrin, et redoubler ses larmes. Pourtant, elle ne réussissait pas à chasser les images de sa tête. Ses deux meilleurs amis, à moitié déshabillés, la langue dans la bouche de l’autre. Ils étaient sur le point de coucher ensemble. Et cette conclusion torturait Madeline.

Depuis qu’elle les avait observés, ce fameux vendredi soir, flirter ensemble, elle avait beaucoup réfléchi. Et à chaque fois, elle était convaincue que, quoi que soit l’issue de leur histoire, elle en perdrait au moins un, voire les deux. Si leur couple fonctionnait, ils passeraient leur temps ensemble, oubliant la présence de Madeline. Si, au contraire, l’idylle était de courte durée, ils la détesteraient chacun pour fréquenter l’autre, et refuseraient de se trouver à moins de dix mètres l’un de l’autre.

Que devait faire Madeline ? Complètement perdue, elle aurait bien sonné chez sa voisine, Mme Rockoff, pour lui demander conseil. Tout bien considéré, aucun choix ne convenait à la jeune blonde. Les accepter reviendrait à fermer les yeux sur ses propres sentiments, et souffrir en silence tout en assurant que tout allait pour le mieux. Et les refuser la ferait passer pour une fille trop gâtée, faisant des caprices à tout va. Au milieu de tout cela, la peur de se retrouver seule l’angoissait, et l’idée de tenir la chandelle la dégoûtait. La vie est méchante, estima Madeline.

Dans son malheur, elle avait espéré qu’ils la rattrapent. De Roswell Street jusqu’à sa maison, Madeline en avait pour vingt-cinq minutes à pieds. Un temps assez long pour qu’un de ses amis vienne à sa rencontre. Que ce fut pour lui expliquer la scène, ou lui assurer que c’était une erreur, ou encore la rassurer sur la suite des évènements, Madeline s’en fichait. Tout ce qu’elle voulait, c’était qu’ils lui prouvent qu’ils tenaient à elle. Ce qu’ils n’avaient su faire.

De nouveau, Madeline se laissa emporter par la tristesse, et pleura à chaudes larmes. Elle se demanda ce qu’ils faisaient en ce moment. Avaient-ils continué ce qu’ils avaient commencé après son départ ? S’étaient-ils quittés, retournant à la fête ? Dans ses tourments, Madeline ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter pour Faith. Elle qui ne voulait pas succomber, regrettait-elle son geste ? Elle qui souffrait du soudain éloignement d’Ezequiel, lui avait-elle pardonné ? Tant de questions qui restaient sans réponses. Madeline avait peur de devenir folle à force de trop se tracasser. Il devenait crucial qu’elle pense à autre chose !

Sauf que le deuxième sujet n’était pas meilleur. Il concernait Willow, les secrets, la clé cachée du bureau. Cette clé qu’elle avait d’ailleurs reposer le jour-même qu’elle l’avait trouvée. Faith avait passé l’après-midi avec elle, et de toute façon, sa mère et Theodore n’étaient pas ressortis. Madeline consulta l’heure sur son téléphone. Était-il trop tard pour s’aventurer dans la pièce interdite ? Non, au contraire. Tout le monde dormait profondément à cette heure, personne ne l’entendrait, elle en était persuadée.

Elle sauta alors de son lit, soudainement surexcitée. Le malheur laissait la place à l’adrénaline. À pas de loups, elle descendit l’escalier qui la séparait du deuxième étage. Elle tendit l’oreille, et constata que Theodore dormait à poings fermés. Continuant son chemin, elle vérifia si ses deux parents étaient également endormis. Son père ronflait doucement, et sa mère ne semblait pas bouger.

Elle arriva, toujours aussi silencieusement, aux toilettes du rez-de-chaussée. À l’intérieur, elle se rua sur l’armoire. Elle laissa glisser sa main à l’endroit où était cachée la clé. Rien. Elle sentit son cœur s’affoler. Comment c’est possible ?, se demanda Madeline. La dernière fois, elle avait rangé la petite clé ici. Et si ses parents s’étaient rendus compte de quelque chose ? Et s’ils avaient modifié la cachette ?

Madeline sentit la déception la gagner petit à petit. Il lui fallait tout recommencer à zéro. En prime, ses parents la savaient sur leurs traces. Et merde ! jura-t-elle. Elle laissa retomber sa main et … elle la trouva ! La clé était bien là, seulement scotchée plus bas que la fois dernière.

Victorieuse, elle s’empressa de remonter à l’étage, sur la pointe des pieds tout de même. Elle se trouva alors devant la porte du bureau de Darryl. La main sur la poignée, elle insérera de l’autre la clé en argent. Avant de la tourner, des questions fusèrent. Voulait-elle vraiment faire cela ? Trahir ses parents, leur désobéir ? Et si elle ne trouvait rien, serait-elle déçue ? Soulagée ? Et si, au contraire, elle découvrait quelque chose, comment leur en parlera-t-elle ? Devrait-elle de toute façon le faire ? Tant d’interrogations qui la faisaient paniquer. Les mains tremblantes, elle raffermit sa prise sur la clenche. Elle ne devait pas reculer !

Alors, elle tourna la petite clé, et entendit le « clic » caractéristique de l’ouverture d’une porte. Prenant une grande inspiration, elle poussa la porte.

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