XI - Effet post-rupture

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Samedi 14 juillet 2018, 11h15, à Milwaukie

Cela faisait plus de deux jours. Deux journées entières que Madeline avait passées terrée dans sa chambre, et plus précisément enfouie sous ses draps. Les seuls « trajets » qu’elle effectuait étaient ceux vers les toilettes et la salle de bain. Soixante heures qu’elle dormait nuit et jour, faute de meilleure occupation. Elle n’avalait presque rien des plateaux-repas que sa mère lui préparait. Elle avait éteint son téléphone pour ne pas être envahie d’appels et de messages. Pourtant, elle savait que ses amis s’inquiéteraient devant son absence. Depuis jeudi, elle refusait toute visite et n’adressait que quelques mots à sa mère. Theodore avait même trouvé porte close à chaque fois qu’il avait voulu voir Madeline, car cette dernière n’acceptait pas qu’il la voit dans cet état déplorable.

Cependant, la jeune blonde savait que son repos serait prochainement perturbé. Depuis un quart d’heure, elle aurait dû être chez Sonia et Rebecca, leur fête costumée étant ce soir. Elle se doutait que, si elle allumait son portable, il ne cesserait de recevoir les appels et textos de Faith. D’ailleurs, celle-ci n’allait pas tarder à venir tirer du lit Madeline. Bingo !, pensa cette dernière lorsque la porte de sa chambre s’ouvrit à la volée. Faith apparut sur les nerfs, les joues rouges et les yeux lançant des éclairs.

- On peut savoir ce que tu fous, là ?

- Je dors, ça ne se voit pas ?

- Depuis deux jours ? Je pense que t’as rattrapé ton sommeil en retard, maintenant, ironisa la nouvelle venue.

- Pas complètement.

Faith leva un sourcil interrogateur, avant de jauger la pièce du regard. Des boîtes de mouchoirs vides trônaient au pied du lit, et la poubelle en était remplie d’usagés. Le sweat à l’effigie de leur lycée était en boule, aux pieds de Madeline et ses volets, à moitié fermés. Quelque chose clochait, et il était temps pour Faith d’y remédier.

Elle s’avança à grands pas vers sa meilleure amie et tira sa couette à ses pieds, ignorant ses protestations. Elle entreprit de faire entrer la lumière et de ramasser les rectangles de carton par terre. Madeline, qui ne perdait rien pour attendre, s’était de nouveau enroulée dans ses draps, avec la ferme intention d’y rester. Faith se rendit alors compte que son visage était marqué par les larmes, et pour la première fois, elle pensa que quelque chose de grave s’était passé. Elle abandonna ses déchets au pied du lit, avant de s’asseoir aux côtés de Madeline.

- Maddie, qu’est-ce qui t’arrive ? commença-t-elle doucement. Explique-moi ce qui se passe, je suis inquiète. C’est Ezequiel, c’est ça ? Vous n’êtes toujours pas réconciliés ?

Madeline haussa les épaules. Avec cette histoire de tromperie, elle n’avait pas repensé à sa dernière entrevue avec son meilleur ami. Ses paroles cruelles et son regard dur l’avaient faite fuir, et depuis, aucune nouvelle de lui. Il n’avait pas tenté de s’excuser, ni même de prendre simplement de ses nouvelles. Elle sentit les larmes revenir à grand galop. Non seulement son petit copain l’avait lâchement trahie, mais voilà que son meilleur ami l’oubliait, à présent.

- Maddie, ne pleure pas ! Ça va s’arranger. Tu sais qu’Ezequiel est trop fier, comme tous les mecs, d’ailleurs, pour reconnaître et s’excuser de ses erreurs. Mais il le fera, il tient trop à toi pour rester fâché.

Seul un reniflement peu élégant lui répondit.

- Maddie, allez, raconte-moi.

- Ce n’est pas à cause d’Ezequiel, rétorqua abruptement Madeline.

- Oh, alors, ta mère ? Tu m’avais dit qu’elle était bizarre, il y a autre chose ?

L’évocation d’Evelyn serra le cœur de la jeune blonde. Depuis jeudi matin, sa mère venait lui caresser les cheveux afin de la consoler et lui préparait des plateaux repas pour qu’elle n’eut pas à descendre et subir les questions de son père. Evelyn lui avait d’ailleurs interdit d’aller embêter sa fille. Et cette dernière, pour tout remerciement, refusait de lui adresser plus que quelques mots.

- Maddie, So et Becca t’attendent chez elle. On t’attend toutes ! On a besoin de toi. Alors, même si tu ne veux pas me dire ce qui te met dans un état pareil, essaie de remplir ton rôle de capitaine. L’équipe des Butterflies n’est plus la même sans toi.

Sauf que Madeline ne voulait pas voir l’équipe. En fait, elle ne voulait pas croiser la route de cette grande rousse qui lui avait piqué son copain. Et même si elle trouvait que fuir son ennemi était lâche, Madeline n’avait pas trouvé d’autre solution.

- Maddie ? Allez, je sais à quel point tu aimes faire la fête. En plus, tu as acheté une robe magnifique !

- J’ai plus envie.

- Bon, ça suffit maintenant ! Je vais pas te regarder te transformer en légume sans rien faire. Alors, c’est soit tu me racontes et je te laisse tranquille, soit tu me sors ce cul de ce lit !

À quoi bon lutter ? La nouvelle ferait bientôt le tour du lycée, et peut-être même de la ville. Et Faith se sentirait affreusement vexée de l’apprendre par la rumeur, plutôt que par la bouche de sa meilleure amie.

- Jared et moi, c’est fini, lâcha d’un ton las Madeline.

Sa confidente ne répondit pas tout de suite, analysant ce qu’elle venait d’entendre. Elle se demanda si leur rupture était due à la bagarre qui avait survenu entre Ezequiel et Jared, ou si ces deux-là s’étaient tapés dessus justement parce que l’histoire entre Madeline et son petit ami était terminée.

- Mais … ?

- Il m’a trompée. Avec Lizbeth.

Pour la première fois, Madeline prononçait cette trahison à voix haute. Bizarrement, elle n’éclata pas en sanglots. Elle sentait seulement la colère surgir à nouveau. Puis, elle se souvint qu’elle s’était promis de ne plus lui accorder aucun sentiment. Même de l’animosité.

- Alors je comprends mieux …, murmura Faith pour elle-même. Elle avait trouvé la réponse à sa question. Ezequiel s’était rendu chez Jared dans le but de lui faire regretter ses actes.

- Quoi ? Le fait que je me suis terrée dans ma chambre ?

- Oui, ça aussi.

- Ça aussi ? demanda Madeline, s’asseyant, soudainement intéressée par ce que sous-entendait sa meilleure amie.

Cette dernière hésita. Devait-elle lui confesser la manifestation de violence entre les deux garçons ? Cela ne lui ferait-il pas encore plus de peine ?

- Faith, accouche !

- Ezequiel et Jared se sont bastonnés. Hier.

Madeline n’en revenait pas. L’envie de lui refaire le portrait démanger son meilleur ami depuis des lustres. Mais pourquoi maintenant ? Avait-il eu vent de l’histoire d’infidélité ? Et si oui, comment ? Faith devina au visage de Madeline que celle-ci avait besoin de plus d’explication, et elle ne se fit pas prier pour les lui livrer :

- Ezequiel est venu chez toi, hier. Tu ne donnais plus de nouvelles, et je lui ai demandé si lui en avait. Il m’a répondu que non et m’a promis d’aller faire un tour chez toi. Il m’a alors renvoyé un message comme quoi il n’avait pas pu te voir, et c’est tout. Je n’aimais pas du tout ça, alors je me suis rendue chez Jared, en espérant qu’il m’en apprenne. Et quand je suis arrivée, Ezequiel était en train de le marteler de coups de poing. J’ai réussi à les séparer avant que cette folle de Denise n’arrive et n’appelle les flics, et on est rentrés chez Ezequiel. Il n’a pas décroché un mot de tout le trajet, et j’ai fini par abandonner mes questions. Il avait l’air de ruminer tout ça alors j’ai passé la soirée avec lui et …

Les yeux de Madeline s’agrandirent de surprise. Alors qu’elle était là, à ressasser l’infidélité dont elle avait été victime, ses meilleurs amis avaient passé une soirée rien que tous les deux ?

Faith, qui s’était rendue compte qu’elle s’engageait sur un terrain glissant, devint aussi rouge qu’une tomate. Elle se rappela la soirée de la veille et au vu de la tournure qu’avaient pris les évènements, elle préféra se taire. Madeline avait assez de problèmes, elle n’allait pas lui en rajouter. Quant à la capitaine, elle attendait toujours que sa meilleure amie termine sa phrase.

- Pourquoi tu me regardes comme ça ? demanda innocemment Faith.

- Je veux la fin de l’histoire. Qu’est ce qui s’est passé ensuite ?

- Rien du tout. Allez, Mademoiselle la capitaine, on a une fête à préparer, nous.

- Ah non, non, tu ne joues pas à ça avec moi.

- À ta place, c’est avec l’équipe que je ne jouerais pas. Toutes les filles s’impatientaient, et si on ne rapplique pas dare-dare, elles vont toutes débarquer pour te tirer du lit. Alors, maintenant, tu lèves ton joli petit cul, tu t’habilles, tu prends ta robe splendide achetée spécialement pour l’occasion et on y va !

Madeline s’amusa devant le ton autoritaire de sa meilleure amie. Normalement, c’était elle qui haussait la voix pour donner des ordres, pas Faith. Était-ce une méthode pour faire oublier à Madeline le sujet qu’elle avait évité ? En tout cas, Faith était très sérieuse. Elle tira pour la deuxième fois les draps vers elle, et d’une claque sur les fesses, indiqua à Madeline qu’il était temps de se lever si elle ne voulait pas finir traînée par les cheveux. Cette dernière donna raison à sa meilleure amie. Voilà deux jours qu’elle se lamentait pour un garçon qui ne méritait ni elle, ni même ses larmes. Elle n’allait pas passer sa vie à déprimer, tout de même !

***

11h45

- Yeah ! Enfin, vous êtes là ! les accueillit joyeusement Rebecca.

Madeline et sa compère pénétrèrent dans la maison typique des villas modernes. Les murs étaient blancs, ainsi que les meubles laqués. Aucune photographie de famille, ou d’objet souvenir, n’étaient visibles. La maison était aussi impersonnelle que froide, et Madeline avait même l’impression qu’elle était vide, le peu de meubles se confondant avec les murs.

La résidence principale étant impeccablement rangée et nettoyée, et aussi immensément grande, il était impossible que la fête s’y déroule à l’intérieur. À la place, et Madeline trouvait cela encore mieux, elle se déroulerait dans le jardin, autour de la piscine enterrée. Pour ce qui était stockage de nourriture et de boisson, ainsi qu’envie pressante des invités, la poolhouse faisait l’affaire.

Composée d’une chambre, d’une petite salle de bain, d’un mini-coin salon et d’une kitchenette, la poolhouse était le lieu de retrouvailles chez les jumelles. Assez éloignée de la maison principale pour ne pas déranger les parents pas le bruit, elle était aussi idéale pour l’organisation de soirée comme celle-ci. Elle évitait toute intrusion malvenue dans la villa, ce que le couple Lully n’aurait pas supporté.

Lors de l’arrivée des deux amies, les cheerleaders s’affairaient déjà à accrocher guirlandes lumineuses dans les arbres et rideaux lamés or dans la poolhouse.

- Il reste encore tellement de choses à faire ! déclara Rebecca, qui les précédait dans le jardin.

Les filles étaient toutes très concentrées sur leurs tâches, et ne se rendirent pas tout de suite compte de la venue de leur capitaine. Une fois son entrée annoncée, ses recrues vinrent l’embrasser. Madeline prit conscience que seulement la moitié de leur équipe était là.

- Dis Beck, elles sont passées où, So, Em, Ash … ?

- Chez le voisin. Il nous prête gentiment des planches de bois et des tréteaux pour faire office de table.

Madeline acquiesça, un peu ailleurs. Elle n’osait demander si Lizbeth se trouvait dans ce groupe, ou si la rousse avait préféré s’abstenir de venir. Elle espérait que la deuxième hypothèse fut la bonne, ne souhaitant pas gâcher l’ambiance avec ses histoires.

- Dis, Maddie, tu peux t’occuper des confettis ? la questionna Rebecca, coupant court à ses réflexions.

Madeline accepta et après une brève explication de la part de son amie, la voilà qui traçait le chemin du portillon jusqu’au jardin, à l’aide de confettis argentés en forme d’étoiles. L’esprit ailleurs et dos à la maison, elle marchait sans faire attention à ce qui pourrait se trouver derrière elle. Bientôt, elle heurta quelque chose, ou plutôt quelqu’un. Se retournant, elle se trouva face à Lizbeth. Elle est venue, la garce, pensa aussitôt Madeline. La fusillant du regard, elle s’apprêtait à la contourner quand celle-ci l’arrêta.

- Maddie, il faut qu’on parle …

- Déjà, ce sera Madeline pour toi. Et je n’ai aucune envie de t’adresser la parole.

- Je comprends très bien mais … Jared est malheureux à en crever. Il t’aime, tu sais ? Si on a cou … Enfin, c’est moi qui l’ai aguichée une fois, puis deux … C’était seulement un jeu pour moi. Je ne voulais pas te faire de mal. En plus, je pensais qu’il ne succomberait pas mais …

- Et tu crois que ça me console de savoir qu’il n’a pas pu résister à une fille ? Et si tu n’avais pas été la seule, hein ? Tu ne sais pas ce que je ressens, et tu ne le sauras jamais, à moins qu’on ne te trahisse de la même manière. Et ce jour-là, tu pourras revenir me parler, c’est compris ?

Lizbeth s’apprêtait à rouvrir la bouche quand Madeline la poussa d’un coup d’épaule. Sans un regard de plus pour elle, elle continua de disperser ses petites étoiles sur l’herbe.

- Je tiens tout de même à te dire que je suis désolée, reprit Lizbeth.

Madeline, qui sentait la rage bouillonnait en elle, respira un grand coup. Je ne dois m’énerver, je ne dois pas m’énerver, se répétait-elle comme un mantra. Elle s’était promis de ne pas gâcher l’ambiance, de ne pas créer de scandale, de faire comme si tout allait bien. Sauf que Lizbeth en rajoutait une couche, alors qu’elle lui avait demandé poliment de ne plus lui adresser la parole. Déjà qu’il était difficile pour Madeline de refouler ses larmes à la pensée de leur trahison, mais maintenant, Lizbeth prenait un air accablé, comme si c’était elle, qui souffrait le plus.

- Tu n’es qu’une sale menteuse ! éclata Madeline. Une hypocrite, une fouteuse de merde, une salope ! Tu as dragué mon copain alors qu’on était censées être amies, putain ! Tu ne peux pas être désolée, parce que toute cette merde, c’est toi qui l’as voulu ! Tu devrais être fière, tu as réussi ton coup. Bravo, Lizbeth, tu as réussi à briser à mon couple ! Et là, tu te présentes devant moi, l’air tout mignon, et tu t’excuses ? Tu sais quoi, je m’en contrefous de tes excuses à la noix ! Tu n’es qu’une sale petite pu … !!

Madeline fut arrêtée par une main sur la bouche. Elle n’eut pas besoin de se retourner pour savoir que c’était celle de sa meilleure amie. Cette dernière lui répétait des « Chuuuut » en chuchotant, tandis que Lizbeth, les larmes aux yeux, s’enfuit vers la rue. Une fois la chevelure rousse disparue, Faith dégagea sa main. Madeline s’effondra dans ses bras, pleurant tout son soûl. Son coeur était brisé en mille morceaux, et elle se demandait si, un jour, elle arriverait à le réparer.

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