I - Les ballons

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Mercredi 4 juillet 2018, 14 h, à Milwaukie

- Mais … Qu’est-ce que c’est que … C'est pas vrai ... Qui a acheté ces foutus ballons ?!

Toutes les jeunes filles présentes dans le salon se retournèrent vers cet éclat de voix, interrompant leurs conversations et leurs activités pour dévisager une figure rouge de colère. Madeline Peterson, leur capitaine, mais par-dessus tout leur amie, n’avait pas pour habitude de se mettre dans des états pareils. Même lors de leurs entraînements de cheerleading, et malgré son autorité imposante, jamais il ne lui arrivait de s'emporter comme elle venait de le faire.

- C’est … C’est moi, Madeline, répondit la concernée.

Meghan Robbins, une petite brune de nature excessivement timide, et toujours pas à l’aise avec le reste des Butterflies -l’équipe de cheerleaders du lycée-, malgré l’année qu’elle venait de passer à leurs côtés, s’avança doucement, penaude et la tête basse, n’osant croiser le regard de sa chef.

- Meg, rappelle-moi quelles sont les couleurs emblématiques de la fête nationale américaine ? la questionna cette dernière, d’un ton légèrement plus apaisé qu’à l’instant.

- Euh … Rouge, bleu et blanc.

- Parfait, déclara Madeline dans un soupir. Alors, maintenant, peux-tu m’expliquer pourquoi ces ballons, décoration principale pour notre soirée célébrant la fête nationale, sont jaunes ?!

Madeline, sur les nerfs depuis le matin, accompagna sa question, qui n’attendait vraisemblablement aucune réponse, d'un lancer rageur du paquet de ballons en question. Meghan sursauta violemment, et des larmes s’invitèrent au coin de ses yeux.

- Hé, Maddie, calme-toi, on va aller échanger ces ballons, d’accord ? intervint Faith Atkins, une jolie blonde aux cheveux bouclés.

Sans un regard pour sa meilleure amie, Madeline quitta la pièce à grands pas et alla s’aérer dans le jardin, respirant une grande goulée d’air dès que son pied droit toucha l’herbe jaunie par le soleil. Faith rejoignit la capitaine quelques minutes plus tard, le temps nécessaire pour consoler la jeune recrue qui venait de se faire terroriser.

- Écoute, Maddie, je sais que cette fête te tient particulièrement à cœur, étant donné que c’est la première que tu organises en tant que capitaine de l’équipe et …

- Qu’elle se doit d’être la meilleure de l’année, je me répète déjà ça en boucle depuis des jours, pas la peine d’en rajouter, siffla-t-elle.

- Je suis au courant, mais est-ce que c’est une raison vraiment valable pour hurler sur les filles ? Maddie, reprends-toi, ce n’est qu’une simple fête, d’accord ? Et puis, on est toutes là pour t’aider. Lorsque les invités arriveront ce soir, le salon sera parfaitement décoré, et dans les bonnes couleurs, les boissons parfaitement alignées sur la table prévue à cet effet et la nourriture parfaitement délicieuse, enfin … aussi délicieuse peut-elle être pour des cacahuètes et des chips.

Madeline lâcha un petit rire, incroyablement détendue tout d’un coup. Faith avait toujours le don pour redonner le sourire, que ce soit voulu ou non, une de ses nombreuses qualités pour lesquelles l'équipe l'adorait.

- Je suis désolée, Faithie, mais c’est juste que la fête de l’année dernière, donnée par Cherry, était tellement sensationnelle que tout le monde en parle encore, soupira-t-elle, d’un ton las. Je me dois d’être à la hauteur, rien que pour prouver que je suis digne d’être la capitaine des Butterflies !

- Tu n’as pas besoin de le prouver, tout le lycée ne sait que trop bien que tu es une merveilleuse capitaine. Allez, calme-toi, je te promets que ta soirée restera dans les annales, répliqua Faith, amusée par sa dernière réplique et visiblement beaucoup plus confiante que sa meilleure amie.

- Ne dis pas ce mot, tu sais bien que ça me fait toujours penser à un anus. Et cette pensée est horrible, annonça Madeline dans une moue de dégoût.

Faith se fendit d’un large sourire, ses mots n’étaient pas choisis au hasard. Puis, dans un regard complice, les deux amies éclatèrent de rire et retournèrent dans le salon, bras dessus, bras dessous.

- OK les girls, on va acheter des ballons, de la bonne couleur cette fois-ci, ajouta-t-elle en portant sur Meghan un regard rassurant, et on revient, juste le temps de l’aller-retour, compris ?

Toutes les filles acquiescèrent, balançant leurs queues de cheval parfaitement lissées en rythme, et sourirent. Toutes, exceptée Meghan, qui, encore embarrassée, essayait de se cacher derrière une de ses coéquipières, Brittany Berwy.

Madeline attrapa Faith par le bras et lui chuchota à l’oreille, après avoir lancé un regard à la ronde :

- Pas sûre qu’elles restent sages aussi longtemps. Reste ici, toi. S’il n’y a personne pour les surveiller, on risque de les retrouver vautrées devant la télé à notre retour.

- Lorell peut s’en occuper, assura Faith, cherchant l’intéressée. Celle-ci s’amusait à interpréter Miss USA, en faisant des banderoles son écharpe de beauté. Peut-être pas une si bonne idée, pensa la jeune fille.

- Je préfère que ce soit toi, après tout, je ne t’ai pas élue co-capitaine pour rien. Je peux y aller toute seule.

- T’en es vraiment sûre ?

- Que veux-tu qui m’arrive ? Le centre commercial n’est qu’à dix minutes d’ici. Je reviens vite, promis. À tout’, termina vivement Madeline, ne laissant pas à sa meilleure amie le temps de répliquer.

La capitaine des cheerleaders lui souffla un baiser avec sa main, récupéra son sac bandoulière couleur prune qui traînait à l’entrée du salon et s’apprêta à ouvrir la porte, quand le visage désolé de Meghan lui revint en mémoire. Madeline s’en voulait terriblement de s’être emportée pour une broutille, et souhaita réparer son erreur.

Elle fit alors marche arrière et appela l’intéressée, toujours postée derrière Brittany. Son ton s’était nettement radoucit, et Meghan porta sur elle un regard empli d’espoir.

- Je suis désolée pour tout à l’heure, Meg, je suis sur les nerfs, s’excusa Madeline. Tu m’accompagnes ?

Un large sourire s’étira sur le visage de la brunette et celle-ci la rejoignit, sautillant presque de bonheur, les joues rosies par la fierté. Le coeur de Madeline se réchauffa, sa recrue ne lui en voulait pas le moins du monde.

***

14h30

- Je vais m’occuper des ballons, et toi, tu n’as qu’à aller chercher des gâteaux, ou bien des bonbons, pour notre goûter. Prends au moins cinq ou six paquets, OK ? Tu sais aussi bien que moi que les filles dévorent toute nourriture se trouvant sur leur passage, alors, on va prévoir le coup. On se retrouve à la caisse ensuite, ça marche ?

Madeline avait fait l’effort de parler d’un ton doux, et en marquant à la perfection ses interrogations. On lui avait toujours reproché d’être trop autoritaire, et de dicter des ordres alors qu’elle devrait poser de simples questions. La capitaine faisait alors toujours un effort de contrôler son tempérament directif, ce qui était plus ou moins facile selon le moment.

Après un hochement de tête positif de la part de Meghan, Madeline partit de son côté, et la petite brune du sien, peu rassurée de déambuler seule dans les rayons. La jeune fille était vraiment adorable, ses grands yeux verts pouvant faire fondre n’importe qui. Pourtant, elle ne savait pas user de son charme naturel, car la pauvre était une véritable timide maladive. C’est uniquement parce que Madeline l’avait surprise enchaînant des mouvements de cheerleading à la perfection, et dans un pur hasard, que Meghan avait intégré l’équipe. Elle, se présentant de son initiative aux sélections, soumises aux regards des plus grandes comme des rivales ? Aucune chance, réfléchissait Madeline en repensant à leur rencontre. Cependant, ses coéquipières ne désespéraient pas de la voir acquérir un jour plus d’assurance. À un moment ou à un autre, elle n’aura plus d’autre choix que de prendre confiance en elle-même.

Madeline trouva les ballons, de la couleur requise, sans mal dans le rayon, ceux-ci étant au centre d’un petit espace consacré aux décorations pour la fête nationale. Comment Meghan avait-elle pu les rater ? Encore un coup de sa timidité, Madeline en était persuadée.

Après une dernière vérification - nous ne sommes jamais trop sûrs - Madeline se dirigea vers les caisses. Alors qu’elle tournait dans l’allée principale, elle jeta machinalement un dernier coup d’oeil dans le rayon, comme pour s’assurer que personne ne la suivait et viendrait remplacer ses ballons blancs, bleus et rouges, par des semblables à la couleur du citron. C’est là que Madeline aperçut une adolescente à l’air grandement perdu.

La jeune fille se tenait les bras repliés autour de son corps frêle, comme si elle avait froid, alors que la température extérieure avoisinait les quarante degrés, et que la climatisation du supermarché ne fonctionnait pas à merveille. Pour preuve, de minuscules gouttes de sueur perlait sur le front hâlé de Madeline, l’obligeant à s’essuyer du revers de son bras toutes les cinq minutes.

Madeline hésitait à l’accoster, après tout, elle ne l’avait jamais vue auparavant. La jeune fille aux cheveux châtains la prendrait-elle pour une fille bizarre ? Une psychopathe ? Ou bien pour une habitante civilisée, qui aidait les âmes perdues ?

- Excuse-moi, est-ce que tout va bien ? lança Madeline sans tergiverser davantage.

L’adolescente se tourna vers elle, et le coeur de Madeline ne fit qu’un bond quand son regard croisa les grands yeux bleus de l’inconnue. La jeune capitaine se trouva prise de sueurs froides, comme lors d’un pic de stress. Ou de peur. Madeline avait l’impression de se retrouver tout en haut d’une montagne russe, au moment où le wagon s’approche dangereusement de sa descente vertigineuse, et que la seule chose à laquelle on pense est : Pourquoi suis-je monté ?

Ses mains devinrent moites, ses jambes tremblèrent et Madeline ne put réfréner un grand frisson. Ses yeux ne pouvaient se détacher de ceux de la jeune fille, restée dans la même posture qu’avant que Madeline ne l’aborde. L’adolescente ne semblait en aucun cas chamboulée par leur rencontre, alors que Madeline traversait tout un désert d’émotions. Sa bouche refusait de former un quelconque son, et il lui était bien difficile de s’empêcher de trembler de tout son être.

Mais que diable m’arrive-t-il ? pensa Madeline, aussi surprise que mal à l’aise. Elle n’arrivait à décrire ce sentiment étrange qui l’avait emparée dès ces yeux bleus posés sur elle. Alors que la capitaine essayait de reprendre ses esprits, elle détailla mieux les iris translucides qui la fixaient. Tout d’un coup, plus rien n’existait autour d’elle, tout était flou, même le visage de l’inconnue. Madeline ne remarquait plus que ces yeux bleus azur, aussi beaux que troublants. Enfin, Madeline pu mettre un mot sur cette sensation qui semblait l’ensorceler. Déjà-vu. C’était même plus que cela, Madeline avait l’impression de l’avoir connue, à une époque lointaine. Elle scruta alors son visage : sa peau claire, ses légères tâches de rousseur sur le nez, ses cheveux châtains, lisses.

Rien. Madeline ne ressentait pas un dixième de ce qu’elle venait d’éprouver. Elle remonta aux yeux de l’adolescente et les tremblements la reprirent. La paquet de ballons s’agita dans ses mains, qu’elle s’empressa de cacher derrière son dos. Depuis combien de temps était-elle là, à dévisager cette jeune fille ? Quelques minutes ? Plus ? Moins ? Madeline avait perdu la notion du temps. Hypnotisée, la jeune capitaine n’arriva pas à comprendre le sens des paroles que venait de prononcer l’inconnue aux yeux bleus, bien qu’elle avait perçu sa bouche bouger.

Madeline l’interrogea du regard, en espérant ne pas passer pour une folle tout juste sortie de l’asile psychiatrique. Non seulement elle la détaillait depuis un temps indéfini, mais en plus, elle était devenue sourde.

- Je … Je voulais … Je voudrais …

Est-elle aussi troublée par notre rencontre que je le suis actuellement ? se demanda Madeline, qui se maîtrisait tant bien que mal pour ne pas trembler. En tout cas, elle avait l’air peu rassuré. Madeline dut alors avaler sa salive plusieurs fois, afin d'hydrater sa gorge complètement asséchée, avant de pouvoir sortir un son.

- Ne ... N’aie pas peur, respire un grand coup et dis-moi comment je peux t’aider, l’encouragea-t-elle, recouvrant peu à peu ses esprits.

- Mon père m’a demandée d’acheter du pain mais … je ne trouve pas le rayon et … je suis perdue dans cet immense magasin.

La jeune fille finit sa phrase dans un murmure presque inaudible, sans doute honteuse de s’être égarée dans un vulgaire supermarché. Madeline lança un regard autour d’elle. Le magasin n’était pas bien grand, mais ses rayons étaient tout de même nombreux, et il pouvait ressembler vite à un labyrinthe lorsqu’on n’était pas un habitué.

- Ce n’est rien, ça arrive à tout le monde. Je peux t’accompagner jusqu’au rayon boulangerie et aux caisses ensuite. Ça te va ? lui proposa Madeline, d’un ton qu’on adresse généralement aux petits enfants. En même temps, l’adolescente semblait tellement fragile avec son corps maigre et ses yeux apeurés. Ses yeux. Madeline ne devait plus les croiser si elle voulait rester saine d’esprit.

- Je ne sais pas … Mon père m’a ordonnée de ne parler à personne et je ne veux pas le fâcher ..., hésita-t-elle.

- Ton père a raison, parler à des inconnus est dangereux, mais réfléchis un instant. Si je ne t’aide pas, comment vas-tu t’en sortir sans y passer l’après-midi ? Je te promets de te laisser tranquille dès ma mission accomplie, ajouta Madeline sur un ton qu’elle se voulait humoristique, car Faith s’en sortait toujours comme cela, avec le mot pour rire.

- Oui, merci, ce serait super sympa de ta part, finit-elle par céder.

Madeline lui répondit par un sourire qu’elle n’espérait pas trop crispé, car elle n’arrivait toujours pas à expliquer ce qui venait de lui arriver, et cela la perturbait grandement. Elle fit alors un pas en avant, pour signifier à la jeune inconnue qu’elle s’en allait. Madeline trouva la situation étrange, et pensa que la meilleure solution était de combler le silence. Comment t’appelles-tu ? fut la première question qui lui vint à l’esprit. Trop banal, décréta-t-elle d’abord. Puis, elle se dit qu’un prénom serait plus adéquat si elle venait à discuter de cette rencontre avec Ezequiel. C’était toujours à lui qu’elle confiait les choses les plus importantes, et Madeline avait bien l’impression que cet évènement l’était.

- Alors, euh … Comment tu t’appelles ? demanda-t-elle d’un ton léger, malgré les picotements encore présents dans ses jambes.

- Willow, répondit l’intéressée simplement.

- C’est très joli. Et tu es en vacances dans le coin ?

- Seulement pour quelques jours.

Madeline arrêta là ses questions, la jeune adolescente semblait mal à l’aise. Les deux filles arrivèrent à destination, et Willow s’empara d’une baguette. Son geste laissa assez de temps à Madeline pour cogiter. Willow, amusant quand on sait que j’habite Willow Street. Là fût sa seule réflexion, la concernée revenait déjà.

Elles se rendirent ensuite vers les caisses. Lorsqu’elles s’y trouvèrent, Willow murmura un dernier merci à l’attention de Madeline et s’éloigna vers une caisse libre. Il n’y avait pas beaucoup d’affluence à cette heure-ci.

Madeline la regarda s’éloigner, confuse. Son coeur n’avait pas encore ralenti, même si ses mains avaient bel et bien cessé de trembler. Heureusement que les clients sont peu nombreux, ou ils entendraient mes battements effrénés. La honte, pensa Madeline. Les yeux de cette jeune fille lui semblaient familier, pourtant, elle était certaine de ne l’avoir jamais croisée auparavant. Puis, il y avait cette autre chose, qu’elle ne savait décrire, mais qui lui donnait l’impression que Willow était loin d’elle, tout en étant à une dizaine de pas.

- Maddie ? Oh, oh Maddie, tu es là ?

Meghan se posta devant sa capitaine, l’obligeant à se concentrer sur sa personne. Les mains pleines de sucreries, elle lista rapidement ses choix et guida Madeline vers une caisse libre. Encore une. Madeline tourna la tête, espérant apercevoir Willow une dernière fois, pour elle ne savait quelle raison, mais cette dernière avait déjà disparu. Une vieille dame était à la place qu’elle occupait il y a à peine deux minutes, conversant avec la caissière, et Madeline eut beau scruter la sortie, aucune jeune adolescente au corps maigre et aux cheveux châtains n’était là.

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