Chapitre 48 : Nouvel espoir

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Mahaut ouvrit les yeux avec un étrange sentiment de confusion en tête. La lumière baignait la pièce où ils se trouvaient, traçant des stries sur les murs et les lattes du plancher après avoir traversé les persiennes. Sur le lit collé au sien, Sam dormait paisiblement, la couette remontée jusqu’aux joues. Elle referma les paupières pour se remémorer les événements de la veille.

Après avoir vérifié qu’Alexia avait bien quitté le centre de conférence, ils avaient consacré la journée à des visites toutes plus spectaculaires les unes que les autres, se mêlant avec délice à la foule des touristes qui se pressait dans les hauts lieux de la cité antique. Invités par Giacomo à loger au quartier général de la section romaine du mouvement, ils avaient dormi dans une des chambres d’appoint du bâtiment industriel réaffecté — non sans avoir d’abord fait l’amour tendrement deux fois de suite, euphoriques de se retrouver enfin, sereins et confiants.

Tentant ensuite de se souvenir de sa nuit, Mahaut se figea sur place. Assaillie de sueurs froides, elle se redressa et secoua Sam sans ménagement.

« Tout doux, Mahaut, réagit celui-ci en détournant le visage, pour une fois que j’ai l’occasion de récupérer… »

Le rythme cardiaque en passe de battre un nouveau record, elle observa son ami plisser les yeux, puis le front, et enfin s’asseoir au milieu de ses draps comme un clown sur ressort.

« Moi non plus… se contenta-t-elle de commenter lorsqu’il chercha son regard.

— Qu’est-ce que ça signifie ? la questionna-t-il aussitôt. Que les Ramahènes ont trouvé le moyen d’atomiser tout Danapi ?

— Sauf que moi, je suis à Dar Long…

— Ah oui ? C’est tellement bizarre… Tu crois que c’est fini pour les autres aussi ? Pourquoi ?

— Si j’étais une indécrottable optimiste, je dirais : parce qu’on est sur la bonne voie ! Qu’en penses-tu ? »

Sam haussa les sourcils, puis pencha la tête sur le côté, les yeux dans le vague. Quand il reposa ceux-ci sur Mahaut, le bonheur qu’elle lut sur sa figure l’enveloppa dans une délicieuse bulle de bien-être

« Je pense que c’est la meilleure nouvelle que j’ai reçue depuis… de toute ma vie, en fait, carrément ! exulta-t-il en criant. On a gagné, Mahaut, on a réussi ! »

Il se jeta dans ses bras, la renversant en arrière sur le lit, et la serra avec force et une incroyable tendresse à la fois. Sa bulle grossit encore, promettant de l’emporter haut dans le ciel. Pourrait-elle à déployer ses ailes, si celle-ci éclatait soudain ? Elle ne demandait pas mieux.

Ils demeurèrent ainsi un long moment, inspirant et expirant de concert. Bribe par bribe, Mahaut essayait d’intégrer toutes les conséquences possibles de cet étonnant développement dans leur vie, dans leur activisme, dans leur relation. Allaient-ils retrouver la joie pure qu’ils avaient connue au début de leurs rêves communs — mais sans leurs rêves communs ? Ils se détachèrent lentement l’un de l’autre, même si dans son esprit, ils planaient toujours côte à côte au milieu des nuages.

« Du coup, ça veut dire que j’avais raison, nota Sam avec un immense sourire. Une fois de plus !

— Oh, tais-toi ! le rabroua-t-elle, quoique sans humeur. On n’en sait rien, on verra bien si ça se maintient avec le temps… »

Elle peinait surtout à croire que les mégalomanes de Hush accepteraient si facilement d’être sortis de la liste des bénéficiaires des largesses du mouvement. N’allaient-ils pas simplement pirater leurs comptes en banque pour poursuivre leur plan ? Pouvait-elle se fier à son intuition ou devait-elle d’ores et déjà prévoir leur retour à Danapi ? Ou, dans son cas, à Ramah, avec tous les dangers inhérents au rôle qu’elle s’y était donné.

Elle ramassait ses vêtements éparpillés un peu partout lorsque son téléphone vibra : un numéro inconnu l’appelait. Prête à écouter les pires menaces, elle saisit la main de Sam avant de décrocher.

« Mademoiselle Deschamps ! parut s’égayer l’homme au bout du fil. Stéphane Vanlaer, on a déjà eu l’occasion de s’entendre. Et de se voir, d’ailleurs… »

Mahaut resta bouche bée un instant, incapable de rattacher les affirmations de son interlocuteur avec sa voix, qu’elle avait reconnue sans difficulté. Les souvenirs de sa visite au musée de Suhuro arrivèrent ensuite à sa rescousse, éclairant le tout.

« Vous êtes le collègue du professeur Roch, déclara-t-elle plus pour elle-même. C’est vous, le Stéphane dont Sam parlait dans son journal. Et c’était vous qui m’annonciez que ça allait mal tourner !

— Oui, je suis désolé pour le ton un peu péremptoire que j’ai dû utiliser lors de ces appels. Mais avec Albert, nous avions conclu que c’était le type d’avertissement auquel vous étiez le plus susceptible de prêter attention…

— Ah ça, c’était bien vu ! J’ai failli mourir deux fois tellement vous m’avez paniquée ! Décidément, personne n’a trouvé le courage de m’expliquer gentiment la situation… acheva-t-elle en adressant un regard réprobateur à son ami.

— En effet, consentit Vanlaer, nous vous avons tous fait défaut, je n’ai pas honte de l’admettre. Si j’en crois mon doux sommeil de cette nuit, vous êtes pourtant parvenue à redresser le cours de l’Histoire ! Est-ce correct ? Ai-je bien interprété les signes ?

— C’est en tout cas ainsi que nous les avons analysés aussi…

— Dans ce cas, je vous félicite et vous remercie de tout cœur, Mademoiselle Deschamps. Vous méritez vraiment qu’on vous érige des statues à présent… »

Mahaut clôtura l’appel avec une sensation désagréable, diffuse mais prégnante. Ils se rafraîchirent et s’habillèrent rapidement avant de descendre l’escalier en colimaçon menant au niveau inférieur. Dans l’atrium, de nombreuses personnes s’étaient rassemblées autour d’une minuscule pièce d’eau garnie de canards en plastique, et discutaient avec animation par petits groupes. Les conversations s’interrompirent toutefois brusquement aussitôt leur présence remarquée. Des dizaines d’yeux les fixaient désormais avec intensité. Devaient-ils faire une déclaration officielle ?

« Hi, guys! les interpella Giacomo en trottinant vers eux. To tell you the thruth, we’re all a little confused, and quite worried: none of us dreamt of Danapi last night! Do you know what it means?

Not really, but we do believe that it is a good sign! Even an excellent sign! But we should probably clear things up for everybody now. Could you possibly lend me a PC? I’d like to do a short live stream…

Oh, I think we can certainly do better than that! s’exclama le responsable de la section. We set up a small studio, to make informational videos and stuff. Come, it’s over there! »

Ils le suivirent jusqu’à un petit local équipé d’ordinateurs, de micros et d’un fond vert. Giacomo décrivit à toute vitesse leurs intentions aux deux techniciens qui avaient accouru. En quelques minutes, ceux-ci envoyèrent des notifications à l’ensemble des membres du mouvement, recrutèrent des traducteurs vers cinq langues différentes pour permettre à Mahaut de s’exprimer en français et l’installèrent devant l’écran principal.

Posté de l’autre côté du moniteur, Sam lui dit « je t’aime » avec des signes vingt secondes avant le démarrage du direct. Elle sourit, puis jeta un dernier coup d’œil sur les quelques notes qu’elle avait eu le temps de griffonner pendant les préparatifs ; elle voulait que son message soit sans équivoque. Le compteur de la vidéo affichait que sept-cent-cinquante-mille personnes étaient d’ores et déjà en ligne, et le chiffre continuait à grimper. Elle ferma les paupières un instant pour visualiser les rues de Badilaam, entendre les musiciens de Mana Daluh, revoir les visages radieux de ses amis Baalthimôns et sentir le vent glisser sur les ailes de son soloplaneur. Quand elle les rouvrit, son anxiété avait disparu.

« Bonjour à tous, démarra enfin Mahaut. Merci de vous être connectés si nombreux pour ce message un peu particulier. Ceux d’entre vous qui ont eu la chance de découvrir Danapi se demandent sans doute ce dimanche matin pourquoi ce rêve extraordinaire semble s’être achevé. Je ne peux malheureusement pas répondre avec certitude à cette question ; aucun d’entre nous ne le peut, je pense. Mais je peux vous faire part de mon intime conviction : je crois simplement que nous n’en avons plus besoin ! »

Par-dessus l’écran, Sam lui adressa son insupportable clin d’œil de filou en montrant sa poitrine du pouce. Elle manqua d’éclater de rire, mais enchaîna.

« Car désormais, ce rêve vit en chacun de nous, et c’est à chacun de nous qu’il appartient de le faire vivre. Nous savions depuis longtemps qu’un monde meilleur était désirable ; grâce à Danapi, nous savons à présent qu’il est aussi possible. Nous l’avons observé, nous l’avons ressenti, et c’est tout ce qu'il nous faut pour nous mettre au travail !

» C’est d’ailleurs la seule chose à laquelle je vous encourage : continuez à rêver et à construire Danapi dans votre quotidien, brique par brique. Œuvrez dans vos communautés, interpellez vos représentants à chaque occasion, alignez vos actions avec vos principes et étudiez la valorisation distribuée ! Jetez aussi des ponts vers les autres associations qui partagent la même ambition de replacer l’humain au centre des décisions ; notre mouvement ne doit pas être isolé ou, pire, en opposition avec tous ces acteurs merveilleux. »

Défilant sous sa propre image, les réactions fusaient par centaines, certaines étonnées, la plupart réjouies et positives. Mahaut devina qu’elle pourrait s’arrêter là : elle avait rempli son contrat et rassuré autant qu’elle le pouvait les — anciens — rêveurs. Elle voulait cependant mieux prémunir tout le monde d’une résurgence des errements du passé.

« Surtout, poursuivit-elle après un moment, ne cédez pas aux sirènes des révolutionnaires cherchant à vous convaincre que seule la destruction de ce qui a précédé permet d’ériger de nouvelles fondations solides. Notre mouvement est non violent et doit le rester, parce que l’envie, l’espoir, la joie constituent des forces bien plus puissantes que la colère et la haine, même si, jusqu’ici, l’Humanité a surtout consacré son énergie à exprimer le potentiel de celles-ci. Votre richesse à vous se trouve dans vos compétences, votre diversité et vos efforts, pas dans votre capacité de nuisance.

» Ce qui s’est passé cette nuit est, selon nous, la preuve que nous avons franchi un seuil crucial. Exactement comme en matière de changement climatique, je crois qu’il existe des points de bascule en ce qui concerne les évolutions sociétales. Ce ne sont pas les guerres et les grands bouleversements qui transforment la façon dont le monde fonctionne à long terme, mais le changement que chaque être humain porte dans son cœur, applique dans sa vie au fur et à mesure de son parcours. La conscience que nous avons tous gagnée durant ces quelques mois de notre aptitude à nous organiser autrement est, à mon avis, un élément décisif pour le renversement de notre funeste tendance à l’autodestruction. »

Mahaut releva la tête vers Sam, qui la dévisageait d’un air suspicieux. Avait-il perçu ses intentions ? Elle n’en aurait pas été surprise. Autour d’eux, les activistes écoutaient la fin de la traduction de ses mots en italien, une moue satisfaite sur les lèvres.

« Ce qui m’amène à la dernière chose dont je voulais vous parler aujourd’hui… lança-t-elle sans aucune appréhension. Comme vous n’avez plus besoin de Danapi, vous n’avez plus besoin de moi non plus. Je renonce à guider le mouvement et demande à tous mes amis y assumant des responsabilités au niveau global de les redistribuer aux sections locales. De la même manière, les moyens financiers du mouvement seront répartis dans les communautés dont ils proviennent. Celles-ci resteront ensuite libres de les rassembler pour participer à des projets de plus grande envergure, si elles le jugent pertinent.

» Car nous ne pouvons plus prétendre changer la société et continuer à fonctionner comme une multinationale ! Vous tous qui m’écoutez connaissez nos objectifs, partagez notre désir brûlant de voir advenir Danapi. Vous savez quoi faire autant que nous, et c’est au niveau des communautés locales que tout commence. Travailler en petits groupes, sans chef, n’est pas facile, j’en suis consciente, mais est indispensable, tant pour l’efficacité que pour l’exemplarité de l’action menée. Notre but est de fonder Danapi, pas de forcer les autres à nous suivre, alors adaptons nos comportements et favorisons la coopération dans tous nos choix. Et quand le reste du monde verra ce qu’on parvient à accomplir de cette manière, soyez sûrs qu’ils nous rejoindront ! »




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