Chapitre 36 : Prise en charge

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« Le trio exceptionnel et leur marraine, réunis à nouveau ! Et à Danapi, encore bien ! Qui aurait cru cela possible ? »

Mahaut sauta dans les bras de Shanem, qui n’avait pourtant pas l’air très stable sur ses jambes, puis laissa Jabgard le saluer également pendant qu’elle donnait un coup d’épaule à Gemli — pas trop appuyé afin de ne pas la renverser.

« C’est plutôt la bande des éclopés, je dirais ! s’amusa Gemli en pointant vers leurs plâtre et attelle respectifs. Il n’y a que Jab qui a échappé à l’hécatombe…

— Parce que moi, j’ai le bon sens de ne plus m’approcher des Ramahènes ! répliqua Jabgard.

— Planqué ! » toussa Shanem dans sa main libre.

Tous s’esclaffèrent bruyamment, mais Mahaut crut distinguer dans le regard que le membre de la ligue secrète adressa à son ancien camarade d’entraînement une pointe de désapprobation.

« Mais Jab participe à la reconstruction de Danapi, et c’est aussi une tâche primordiale ! compléta-t-elle pour dissiper tout malaise. D’ailleurs, comment ça avance ici, à Badilaam ? Raconte-nous tout ! »

Ils s’assirent de concert dans les fauteuils de la petite salle d’attente. Autour d’eux, les patients du centre de convalescence allaient et venaient, accompagnés de leur famille ou de soignants en tunique vert et gris.

« Eh bien, vu que je ne connaissais pas trois mots de danadên en arrivant, j’ai d’abord travaillé sur la réparation de plusieurs voies d’accès à la ville, décrivit Jabgard, puis sur le chantier de construction d’un dispensaire en bordure de la zone sinistrée. C’était physique mais pas compliqué. Par contre, depuis deux semaines, je bosse avec des spécialistes sur la remise en ordre du réseau électrique. C’est moins fatigant et j’apprends plein de choses !

— C’est super ! approuva Shanem. Tu as toujours bien aimé les trucs techniques…

— Oui, et ça m’aide à améliorer mon danadên ! C’est Ti-Laam qui m’a trouvé ce poste ; il a joué les intermédiaires pour nombre de membres de la ligue. Il veille à ce qu’ils se rendent utiles et s’intègrent bien dans la société…

— Génial, intervint Mahaut, ça me fait plaisir que tu ne regrettes pas ton choix ! Tu penses que le réseau aura bientôt une capacité suffisante pour qu’ils rétablissent tous les systèmes de communication ? »

Elle n’avait évidemment pas oublié son premier objectif — son seul objectif ! — et comptait bien reprendre à zéro les recherches que Sam avait menées dans les archives danatiles dès que possible.

« Ouh, ça, je ne sais pas trop, tempéra Jabgard avec un petit sourire. Le chef d’équipe m’a montré un plan général, hier, et rien que pour Badilaam, ils prévoient encore deux mois de travaux. C’est surtout au niveau de l’approvisionnement que ça coince : vu que tout Danapi a été impacté par l’attaque, tout le continent nécessite les mêmes fournitures au même moment… »

Mahaut ne put s’empêcher de grimacer, dépitée par ces informations. Deux mois ressemblaient à l’éternité quand le besoin de connaître son avenir devenait chaque jour plus impérieux, plus handicapant dans ses décisions quotidiennes. Tous ses espoirs allaient-ils reposer sur le soldat ramahène qu’elle allait accueillir ?

« Bon, quand est-ce qu’il arrive, ton blessé ? questionna Shanem. Ils t’ont dit d’où il venait ?

— Non, avoua-t-elle, je sais juste qu’il est paralysé. Il doit attendre plusieurs semaines pour que de nouvelles cellules se développent et reconstituent sa moelle épinière…

— Magnifique, un éclopé de plus ! rigola Gemli. Il ne va pas être trop dépaysé… »

Ils rirent bruyamment avant de s’enfoncer dans les fauteuils, les traits sereins. Même si ses amis ne pourraient jamais comprendre l’angoisse qui la tenaillait à chaque seconde, les avoir à ses côtés permettait au moins à Mahaut d’envisager la poursuite de sa quête dans une ambiance plus détendue.

Quelques instants plus tard, ils virent approcher celui qu’ils attendaient. Accompagné par une infirmière de grande taille, le jeune homme avançait pas à pas vers eux, les jambes insérées dans un exosquelette attaché à son bassin. Mâchoires serrées et regard sombre, il ne semblait pas très heureux de son mode de déplacement.

« C’est une blague ? » s’exclama Gemli.

Interloquée, Mahaut se leva pour mieux examiner la figure du militaire. Elle sentit aussitôt l’espoir dont les retrouvailles avec ses camarades l’avaient emplie filer aux quatre vents. Les Danamôns ignoraient le concept de caméra cachée, pourtant elle était sûre d’être victime d’un piège du même genre ; il n’y avait simplement aucune autre explication possible… Elle dévisagea ses amis pour tenter de deviner s’ils étaient complices de cette ridicule machination, mais tous avaient la bouche ouverte et les yeux écarquillés. Kohim, de son côté, s’était figé sur place, le dos cambré pour conserver son équilibre.

« Super, la prise en charge ! commenta-t-il dans sa langue. En guise de soins, vous me proposez la pire torture…

— Un souci ? s’enquit la soignante, en ramahène également.

— Je crains ne pas être compétente pour assister ce soldat pendant sa convalescence, affirma Mahaut en s’efforçant de rester courtoise. Il déteste tous les Danamôns.

— Ah bon ? Je n’ai pas eu cette impression, opposa l’infirmière. Il n’a pas dit grand-chose, mais c’est souvent le cas en début de séjour… Vous vous connaissez ?

— On peut dire ça. Et nos interactions n’ont jamais été des plus cordiales…

— Ça, c’est aussi souvent le cas entre Danamôns et Ramahènes, parut vouloir plaisanter la jeune femme.

— Sauf que je parle de l’époque où nous étions tous les deux membres de l’armée de Ramah… »

La soignante les considéra tous à leur tour, levant plus haut les sourcils au fur et à mesure qu’elle prenait conscience de l’effarement de chacun des protagonistes de la scène.

« Il faut absolument que vous confiiez à Mao un autre patient, l’interpella Shanem en danadên, ce gars-là est dangereux.

— Il va la zigouiller dès qu’elle aura le dos tourné ! ajouta Gemli, d’évidence excédée.

— D’ailleurs, il a déjà essayé ! renchérit Jabgard.

— Malheureusement, c’est impossible, rétorqua l’infirmière en haussant les épaules. Sa chambre a été réattribuée à un blessé grave. Et vu son état, on ne peut pas le laisser végéter sur une chaise pendant des jours… Vous devez le prendre le temps qu’on trouve des accueillants de rechange pour lui. »

Debout au milieu de la salle d’attente, ses amis exprimèrent leur exaspération par de grands gestes de la main, suscitant l’étonnement des autres visiteurs. Mahaut, elle, voyait surtout s’éloigner la perspective de bénéficier d’un accès non restreint aux encyclopédies ramahènes — via un terminal militaire prêté en échange d’un accueil chaleureux.

« Vous allez avoir un mort sur la conscience… insista Shanem sur un ton lugubre. Ça ne peut que mal tourner entre ces deux-là…

— Je comprends bien le problème, concéda la jeune femme, mais je n’ai pas de solution à vous offrir. On est tous débordés, on essaie de limiter la casse comme on peut… Vous êtes plusieurs, vous pouvez peut-être combiner vos disponibilités pour que tout se passe bien ?

— Bien sûr, ne t’inquiète pas, Mao, assura Jabgard. Je viendrai chez toi cette nuit pour monter la garde.

— Et Shanem et moi, on se relayera demain, compléta Gemli.

— Excellent, s’enthousiasma la soignante, c’est très gentil de votre part. Mao, je t’ai envoyé toutes les instructions d’utilisation de son dispositif d’assistance et voici ses médicaments. Tu as une formation médicale ?

— Non, seulement en psychologie de combat, ironisa Mahaut.

— Encore mieux, alors ! Je te tiens au courant pour son transfert dès que j’ai des nouvelles. »

Une fois l’infirmière partie, ils continuèrent à se regarder en chiens de faïence. Indécise quant à l’attitude à adopter, Mahaut n’arrivait pas à bouger. Kohim, lui, semblait commencer à trouver la situation réjouissante ; il souriait.

« Pourquoi tu ne prends pas ton exosquelette et tu ne rentres pas à Ramah ? l’interrogea Shanem avec un mépris inhabituel dans la voix. Ils t’ont laissé le choix, non ?

— Si les Maïdokhis sont assez cons pour d’abord me retaper afin que je puisse revenir les attaquer, je ne vais pas faire le difficile, rétorqua-t-il de façon placide. Pour la gloire de Ramah, je suis prêt à supporter beaucoup de choses, même de revoir vos gueules de traîtres !

— Laisse tomber, Shan, ça ne vaut pas la peine de s’énerver, statua Mahaut. On y va ! »

Jabgard et elle prirent congé des deux autres, qui avaient des rendez-vous de suivi au centre de convalescence. Ils empruntèrent une navette souterraine, puis, à défaut d’ascenseur fonctionnel, durent se résoudre à monter les escaliers pour rejoindre le logement de Mahaut. La démarche mal assurée, Kohim s’arrêtait toutes les cinq marches pour reprendre son souffle — ou pour les agacer ? —, tandis que Jabgard se positionnait dans son dos pour le rattraper si nécessaire. Quand ils atteignirent enfin le deuxième étage, le soldat était livide et suait à grosses gouttes ; sans doute n’avait-il pas feint son épuisement.

L’appartement n’avait pas été touché par la bombe ramahène. Seule une épaisse couche de poussière sur toutes les surfaces planes attestait de son abandon depuis l’attaque. Pendant que Jabgard aidait Kohim à s’asseoir dans le canapé, Mahaut saisit un chiffon et procéda à un rapide nettoyage tout en réfléchissant. Amoindri physiquement, son invité ne paraissait pas avoir perdu une once de sa hargne passée. Se pourrait-il qu’avec beaucoup de bienveillance, il puisse lui aussi être converti à un plus grand respect de ses ennemis ancestraux ?

« Tu veux un verre d’eau ? proposa-t-elle avec un sourire compatissant.

— Fous-moi la paix, Maïdokh, râla-t-il, toujours hors d’haleine.

— Kohim… À un moment, il faut être raisonnable. On est coincés ensemble pour au moins deux jours, à mon avis. Si moi, j’arrive à faire abstraction de nos différends, ce qui est une manière polie de dire toutes les fois où tu as voulu me tuer, tu dois pouvoir accepter un verre d’eau, non ? Pour rentrer à Ramah au plus vite, tu devrais prioriser ta guérison sur ton désir de manifester ta haine… »



***

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